Chapitre 27 (1) (corrigé)
Un palais de cendres
« Ces plaisirs violents ont des fins violentes. Dans leurs excès ils meurent, tels la poudre et le feu que leurs baisers consument. »
Shakespeare, Roméo et Juliette
Une chaleur étouffante pesait dans l'atmosphère. Une odeur désagréable de combustion et de souffre chatouilla les narines de Jane qui quitta lentement les limbes de l'inconscient. Son esprit regagna peu à peu son corps inerte, étendu sur le sol sale. Les sensations affluèrent petit à petit, légères, comme enveloppées dans une couche de coton. Dans cette atmosphère infernale, un souffle brûlant caressa le visage de la demoiselle endormie.
Le silence l'enveloppait, percé par un sifflement agaçant dans ses oreilles. Ce fut à peine si elle sentait le sol irrégulier dans son dos et la poussière sous ses doigts. Son corps endolori s'éveilla, et Jane ouvrit lentement les yeux. Un plafond noir aux contours flou s'imposa à sa vue, de la poussière grise dansait devant ses yeux. Elle voulut frotter ses yeux irrités. Hélas son corps refusa de lui répondre et, alors qu'elle inspirait un peu d'air nécessaire à sa survie, ses membres douloureux convulsèrent sous une violente toux. L'air toxique incendia ses poumons, si bien qu'elle crut qu'elle était en train de manquer d'air. Sa gorge avait pris feu, ses faibles bras soulevèrent avec beaucoup de mal son buste endolori et sa tête, comme transpercée par milles lances d'acier.
La jeune fille roula péniblement sur le coude, reprenant peu à peu conscience de la situation ; ses mains égratignées étaient noires de saleté, une fine pellicule de poudre noire recouvrait sa peau. Jane reconnut d'abord l'odeur. Quand elle comprit que ce n'était pas de la poussière qui virevoltait dans l'air, mais de la cendre, son cœur rata un battement. Affolée, elle tenta de se relever mais rechuta lamentablement sur le sol, incapable d'affronter la douleur qui lui arracha un petit cri. Elle put seulement contempler l'épouvantable spectacle qui se déroulait sous ses yeux... Ce qu'elle vit lui glaça le sang ; l'entrepôt baignait dans une lumière flamboyante, des morceaux de bois de caisses éclatées gisaient çà et là alors que le bâtiment flambait, des flammes redoutables léchant les murs et le sol.
Une nouvelle quinte de toux secoua Jane qui comprit qu'elle devait impérativement quitter cet endroit maudit au risque de mourir carbonisée ou asphyxiée.
Alors qu'elle constatait l'ampleur de la situation avec une acuité effrayante, son regard trouva au loin une forme sombre, floue. Sa vision se précisa, la forme devint un corps inerte au sol... Si Jane ne mourait pas dans cet entrepôt, le sentiment d'horreur qui venait de la saisir toute entière pourrait l'anéantir.
- Will ! hurla-t-elle.
Mais le corps ne réagit pas. La peur eut un effet bien supérieur à celui la douleur physique ; en quelques secondes, Jane réussit à se mettre debout et elle se précipita en titubant vers le corps à terre. Encore faible, elle s'écroula près de lui, ses mains abîmées ne la retinrent qu'in extremis quand ses genoux rencontrèrent douloureusement le sol. Elle rampa presque jusqu'à lui, et étouffa un cri d'horreur quand elle constata que le corps immobile sur le sol recouvert de cendre n'était autre que celui de Will.
- Non... balbutia-t-elle apeurée. Non !
Elle s'activa à retourner le corps de l'Irlandais sur le dos, voir le visage inerte de son partenaire fut l'épreuve la plus douloureuse qu'il lui eût été donné d'affronter jusqu'à présent. Ses cheveux de jais ternis par la saleté ressemblaient à une cascade de cendre, révélant les traits de son visage au teint terne, parsemé de coupures qui devaient être l'œuvre de débris. Des particules grises perlaient au bord de ses cils et sur ce tableau si obscur seul le rouge vif du sang qui s'échappait d'entre ses lèvres témoignait du restant de vie qui avait été autrefois dans ce si beau corps.
Les mains tremblantes de Jane se posèrent sur le visage brûlant de Will. Les larmes naquirent avec aisance dans ses yeux désespérés qui souhaitaient mourir à leur tour. Un sanglot la secoua, puis un deuxième avant qu'elle ne se laisse complètement submerger par l'émotion, un torrent de larmes dévalant ses joues pâles.
- Non... Non... Will... Will je vous en supplie... Ouvrez les yeux. Restez avec moi... Restez avec moi ! bafouilla la jeune fille entre deux sanglots. Ne m'abandonnez pas... Will... Will !
Cependant elle avait beau supplier, implorer, crier, les paupières du jeune homme restèrent scellées. Et Jane pria désespérément pour apercevoir une nouvelle fois le lagon de ses yeux, mais comme un dieu capricieux, la mort préféra les garder jalousement pour elle, et ses paupières étaient comme deux coffres précieux dont on aurait perdu la clé, renfermant le plus somptueux des trésors à jamais.
Le regard de la jeune fille examina à la hâte le corps de l'Irlandais : sa poitrine ne se soulevait plus.
- Will, ça va aller... Oui, tout ira bien. Vous m'entendez ? Will répondez-moi, je vous en supplie... balbutia-t-elle entre deux sanglots.
Jane écarta les mèches noires du visage de l'Irlandais, mais ce geste ne fit que redoubler son désespoir et elle se laissa tomber sur son torse dans un pleur déchirant.
- Ouvrez les yeux, Will ! Vous ne pouvez pas m'abandonner, vous m'entendez ? Vous n'en avez pas le droit ! Je vous ordonne d'ouvrir les yeux ! cria-t-elle dans cette folie si singulière qu'est le chagrin.
Sa voix, brisée par les sanglots du désespoir, accompagnait le crépitement des flammes, berçaient d'une litanie mortelle la nuit et ses étoiles. La solitude de son deuil fut bien vite brisée par d'indésirables invités. Par-delà le vacarme, des bruits de pas effrénés et des ordres criés dans l'urgence lui parvinrent. L'incendie ne passait sûrement pas inaperçu. Jane avait pourtant tout oublié : Jack l'Éventreur, Scotland Yard, sa tante et tout ce qui l'avait torturée depuis si longtemps. Seul William O'Brien comptait en ce moment. Elle refusait de le laisser ici. Elle refusait sa mort, s'accrochant à l'idée même de son regard de nouveau braqué sur elle. Dans son esprit William était invincible, il avait enduré tant d'épreuves que pour elle il avait réussi à vaincre la mort. William O'Brien ne pouvait pas mourir. Pas comme cela. Pas dans une stupide explosion dans un entrepôt miteux. Non, cette version de l'histoire n'existait pas, pas pour elle.
Jane ne sentait plus les douleurs de son propre corps, seulement la souffrance qui la déchirait, qui la réduisait en miette et qui la piétinait comme un monstre forgé dans l'acier et les ténèbres. Alors avec toute la force qu'elle possédait encore, elle saisit son partenaire sous les bras et le traîna jusqu'à un amoncèlement de caisses en bois qui avaient résistées à la tragédie, faisant fi de la douleur qui déchirait son corps.
Des hommes pénétrèrent dans l'entrepôt à brûle pourpoint. McColl intervint, beuglant des ordres sévères. Il semblait dépassé par les événements et se frottait la figure comme pour se convaincre que tout ceci n'était pas réel. Les hommes de Scotland Yard se précipitèrent, tentant de maîtriser l'incendie. Dans l'agitation, une tête blonde accompagnait l'inspecteur McColl ; Simon Palmer paraissait effrayé par ce qu'il voyait, son affolement se remarquait dans ses vêtements mis à la hâte et dans le fouillis de ses boucles blondes. Rapidement une autre silhouette vint s'imposer au près des deux hommes, la peau tannée, le regard noir, dans son manteau de corbeau Sébastian Wallace semblait plus que furieux. Une dispute éclata entre McColl et le détective royal tandis que Simon tentait désespérément de ne pas gifler les deux hommes. Ce n'était vraiment pas le moment de régler ses comptes ! Mais les deux gentlemen n'en avaient cure et préféraient se comporter comme chien et chat plutôt que chercher une explication rationnelle à tout cela. Simon passa une main nerveuse dans sa chevelure et pinça les lèvres, son cerveau bouillonnait se demandant quoi faire. Quand tout à coup son regard fut attiré par un mouvement.
Avait-il bien vu cette ombre disparaître derrière ces caisses en bois ? Son intuition de journaliste le conduit à aller vérifier. Il se dirigea alors discrètement vers des caisses de bois empilées au fond de l'entrepôt et lorsque des bruits de pleurs lui parvinrent, il se précipita pour découvrir l'impensable.
- Miss Warren ? s'écria-t-il, les yeux écarquillés.
Jane leva vers lui un regard brouillé par les larmes, elle tenait contre elle le corps inerte de son complice. Échevelée, dans une culotte d'équitation déchirée, une veste trop grande pour cacher son corset et sa peau dénudée, et des traces de maquillage sur son visage noircit. Le visage même de la folie.
- Miss Warren, que diable faites-vous là ? lui demanda-t-il inquiet.
Jane n'avait pas le cœur à répondre. Elle ne sembla même pas surprise de le voir ici, elle se dit qu'elle devait rêver. Oui, elle était en plein cauchemar. « Un cauchemar... Si seulement c'en était un... » La possibilité que tout ceci ne soit que l'œuvre de son imagination tordue lui fit reprendre espoir, aussi maigre soit-il. Il lui fallait des preuves concrètes pour la rattacher à la réalité. Ses mains tremblantes se mirent à chercher avec frénésie l'existence d'un pouls ou d'un quelconque signe de vie chez son partenaire. Cependant rien ne vint sous ses doigts tremblants.
- Aidez-moi ! le supplia-t-elle aux abois. Je... Je ne trouve pas son pouls !
- Laissez-moi faire, lui dit Simon qui tentait de garder son sang-froid.
Avec le peu de calme et de concentration qui lui restait, le journaliste s'accroupit face au corps immobile et se mit à tâter le poignet de l'Irlandais. Ceci dura quelques secondes, où il chercha maladroitement sans rien trouver. La jeune fille perdait patience, mais pas espoir. Puis Simon cessa de chercher, son index et son majeur posés, il leva ses yeux émeraudes vers Jane.
- Je sens quelque chose, souffla-t-il le regard brillant.
- C'est vrai ?
- Oui ! Il est vivant ! Mais son pouls est très faible, il faut faire vite ! la pressa Simon.
Jane laissa échapper un petit cri de soulagement. Néanmoins ce n'était pas fini, Will était loin d'être tiré d'affaire.
- Écoutez-moi attentivement, Miss Warren, lui expliqua le journaliste. Un fiacre m'attend dehors, nous allons amener votre ami à l'intérieur et le conduire à l'hôpital le plus vite possible. Nous devons être rapides pour que personne ne nous remarque, alors vous allez faire exactement tout ce que je vous dis, c'est bien compris ?
Jane hocha vigoureusement la tête. Elle avait du mal à contenir son empressement, elle avait tellement hâte qu'on la délivre de son supplice, qu'on lui assure que Will était bien vivant, qu'il allait s'en remettre, qu'il allait bien.
Jamais Jane n'avait été aussi docile, elle exécuta tout ce que Simon lui dit de faire, à commencer par sécher ses larmes. Puis discrètement ils évacuèrent Will de l'entrepôt et le firent monter à bord du fiacre. Aussi vite que leurs forces et celles du destin le leur permirent, ils amenèrent le blessé à l'hôpital où il fut rapidement pris en charge. Ce fut à contre cœur que Jane abandonna Will aux bons soins de ces gens, surtout lorsqu'on lui annonça qu'il y avait peu de chances qu'il passe la nuit.
Et là... Vous me haïssez. Vous en avez parfaitement le droit ! (A votre place, j'aurai sans doute fait pareil :p)
So, je comprends votre frustration, mais sachez que cette décision, je l'ai prise difficilement. Mais je ne vous en dis pas plus, il y a des raisons à mes choix, bien évidemment. Naturellement, vous n'aurez pas la réponse dans l'immédiat. *nouveau jet de pierre dans ma tête*
Bref, je vous aime très fort *tentative de se faire pardonner* et je vais essayer de publier ce chapitre dans les temps mais pas sûr que je puisse vous répondre dans l'immédiat puisque je suis en Espagne !
Profitez bien de votre long week-end de 4 jours (pour celles et ceux qui font le pont), je vous retrouve la semaine prochaine ! En attendant, bonne fête aux mamans et j'attends vos théories encore ! :)
Ceci est la version corrigée.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top