Chapitre 18 (2) (corrigé)
« Inspirer, expirer, inspirer, expirer... » Jane répétait cela comme une litanie dans un espoir vain d'attraper un dernier train pour les bras de Morphée. Mais alors que ses paupières lourdes de fatigue s'abattaient sur le croissant de ses joues pâles, quelques pâles rayons de la matinée bien entamée perçaient les rideaux pourpres de sa chambre. Un sommeil sans rêve l'avait maintenue endormie durant quelques petites heures, mais la paix n'avait été qu'un leurre.
Résignée, elle abandonna tout effort pour s'endormir et se releva au milieu du lac de ses draps éparpillés et froissés. Sa tresse défaite, ses ondulations sauvages s'écroulaient sur ses épaules découvertes par sa chemise de nuit. L'esprit embué, les pensées en vrac, elle sortit du petit tiroir de son guéridon un morceau de papier plié en quatre. Elle le relut une fois, puis deux, puis trois, et autant de fois qu'il le fallut jusqu'à ce qu'elle mémorise les arabesques d'encre noire sur le papier marqué par les plis.
L'émetteur de cette lettre était Jack l'Éventreur. Elle n'en revenait toujours pas. Et ce dernier était au fait de tous ses moindres faits et gestes qui plus est ; il savait qu'elle sortait en douce le soir, et la lettre ne lui était parvenue que le lendemain de son arrestation, pas avant... Pourquoi avait-il mis si longtemps à lui écrire ? Était-ce parce qu'il ignorait jusqu'à son existence avant qu'elle ne soit arrêtée ? Quoi qu'il en fût, l'auteur de ces mots l'avait déjà approchée de près ou de loin. Il savait. Il savait qu'elle avait vu le cadavre d'Irène, il savait qu'elle était à sa poursuite, il devait sans doute savoir également qu'elle avait connaissance des lettres, et pire que tout il savait où elle vivait.
La petite biche pouvait se retrouver à la merci du loup à n'importe quel moment. Un individu avait pénétré chez elle, on l'avait menacée puis agressée dans la même soirée. Will avait raison, cela faisait trop de coïncidences pour croire à un fâcheux hasard. Le processus était enclenché et ce n'était qu'une question de temps avant que l'on tente de nouveau à s'en prendre à elle. Lady Blackwood pouvait-elle être l'auteure de cette lettre ? Pourtant le contenu cette lettre était totalement différent de celles adressées aux victimes. Fulton peut-être ? Elle l'avait entendu proférer des inquiétudes à son sujet. Mais Fulton se sentait menacé et à juste titre ! S'il avait réussi son coup il devait être en Amérique en ce moment même, pourtant Irène est morte. Et si son intuition était bonne ? Et si Jack l'Éventreur se cachait réellement au sein de la police comme elle le pressentait ? Cela expliquerait le fait qu'il sache autant de choses sur elle, et aussi qu'il l'ait contactée seulement après son arrestation.
Elle relut la lettre. « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il est facile de se mettre dans la peau de Dieu et de faucher une vie comme l'on cueille une fleur. »
- « De faucher une vie comme l'on cueille une fleur »..., répéta Jane pensive.
Étrangement les mots sur ce vulgaire bout de papier ne lui demeuraient pas inconnus, la métaphore faisait écho à une conversation qu'elle avait eue récemment, et pas des plus courtoises... Un nom lui vint à l'esprit : McColl.
Elle remonta le cours tumultueux de ses souvenirs, que lui avait-il dit déjà ? « Savez-vous ce qu'il ressort des rapports des légistes ? On dirait bien qu'il tue aussi facilement que vous et moi cueillons les pâquerettes. » Surprenante ressemblance entre les deux discours, Jane ne savait qu'en penser. Le message était clair : c'était une mise en garde. Elle décida d'inverser les rôles ; pourquoi se donner autant de mal pour la faire renoncer ? Si on prenait la peine de lui envoyer cette menace à peine voilée ce n'était pas uniquement pour l'effrayer... Elle était sur la bonne voie, et proche de la vérité si on en croyait la situation !
Jack l'Éventreur se sentait menacé. Sinon pour quelle autre raison lui envoyer cette lettre ?
Loin de l'abattre, cette pensée lui donna un coup de fouet qui balaya ses inquiétudes de la nuit précédente. Restait plus qu'à savoir qui se cachait derrière cette mise en scène de mauvais goût. Le même nom s'imposa à elle : McColl. Depuis le début il savait qu'elle enquêtait, il avait déjà tenté de la dissuader à maintes reprises jusqu'à l'autre soir, il avait une bonne raison de la menacer de la sorte. Et puis en y réfléchissant bien, il était inspecteur dans la police après tout, effacer les indices sur son passage serait d'une simplicité enfantine ! Personne ne pourrait le soupçonner, sauf que la jeune fille se retrouvait mêlée à tout cela, ce qui n'arrangeait guère ses affaires !
Jane frissonna. N'allait-elle pas un peu trop vite en besogne ? Elle était si désorientée ces derniers jours qu'il était très tentant d'associer tout et n'importe quoi sur un simple pressentiment. Si son instinct lui criait l'évidence, elle n'oubliait pas qu'elle pouvait se tromper. Si seulement elle savait s'il était gaucher ! Et le mobile des crimes dans tout ça ? Après tout, qu'avait-il à gagner dans un tel carnage ? Et cette précision dans le découpage, le prélèvement des organes... Adrian McColl n'était rien de plus qu'un petit inspecteur de province venu se frotter à un mythe vivant. Quel intérêt trouverait-il à se mettre en scène de la sorte ? Jane se rappela subitement que cinq années s'étaient écoulées, pourquoi imiter Jack l'Éventreur maintenant ? Les théories les plus folles germèrent dans son esprit : et si ce n'était pas la première fois que l'inspecteur McColl se trouvait sur les traces de l'Éventreur ? Et s'il l'imitait par pur esprit de vengeance ? Ou d'admiration ? À moins que ce soit lui qui se cache derrière ce masque depuis toutes ces années... Et lady Blackwood alors ? Que venait-elle faire dans ce cercle infernal ? Pourquoi s'allier à McColl ? Qu'avaient-ils à y gagner ?
Jane prit sa tête entre ses mains, sentant qu'elle se perdait en conjectures toutes aussi farfelues les unes que les autres. C'était comme si elle cherchait en McColl un coupable ! Et si cette lettre n'était qu'un canular en fin de compte ? Mais qui... ?
L'entrée de Béatrice mit fin à ses tribulations, et Jane s'empressa de cacher la lettre sous son oreiller. La femme de chambre entra sans dire un mot. Ses yeux rouges et gonflés parlaient pour elle. Sa maîtresse s'y intéressa dans l'immédiat, elle voulut lui demander la cause de cette mine si déconfite mais elle se l'interdit aussitôt. Même dans cette villa les choses venaient à se corser on dirait ; une tante qui cache son courrier, un mariage arrangé précipité, une cousine un peu trop suspicieuse et une femme de chambre qui se promène vêtue comme en plein jour dans la maison la nuit à présent. La jeune fille enquêtait sur une affaire dangereuse et elle n'était même pas capable de résoudre les mystères dans sa propre maison. Quelle ironie !
Une fois débarbouillée, habillée et coiffée, elle entreprit de sortir pour sa visite habituelle chez son partenaire. Elle n'avait toujours pas décidé si elle devait lui parler de la lettre de l'Éventreur ou pas, mais elle pouvait au moins s'enquérir de son état. Or elle resta comme figée sur le pas de sa porte, la main suspendue dans le vide, le regard perdu sur le sol. Les évènements de la veille lui revinrent en mémoire : Brenda, l'alcool, l'agression, la blessure et... le baiser. Quasi instantanément ses joues s'enflammèrent et elle aurait voulu se noyer dans sa baignoire pour éteindre cet incendie qui embrasait ses veines. D'un geste de la main, elle chassa les images qui inondaient son esprit. « Nous avions bu, nous avions l'esprit embrumé par l'alcool et les évènements. Aucun de nous deux ne voulait de ce qu'il s'est passé ce soir-là. » Tenta-t-elle de se rassurer. Sauf que si elle avait été sage et bien élevée, elle aurait repoussé Will dès la seconde où ses lèvres avaient effleurées les siennes. Qu'allait-il penser d'elle maintenant ? Que c'était une femme de petite vertu et qu'elle se laissait embrasser par le premier venu ? Ou pire encore qu'elle était comme ces autres femmes qu'il avait charmé, et qu'il pouvait disposer d'elle à sa guise. Jane secoua la tête. Non, hors de question, elle était son employeur et il ne la toucherait plus jamais, alors autant dissiper tout malentendu au plus vite.
Ce fut le cœur battant la chamade qu'elle frappa contre la porte. Elle attendit encore quelques minutes, seule, tergiversant sur ce qu'elle allait dire. Elle ne sut combien de temps s'était écoulé avant que la porte ne s'ouvre enfin. Dans l'embrasure de la porte un Will mal en point apparut ; des ecchymoses violacées coloraient son visage, ses yeux étaient rougis par le manque de sommeil, et son bras blessé pendait contre son flanc.
- Allez-vous bien ? se risqua-t-elle à lui demander.
- Je me porte comme un charme. J'ai des bleus partout, un tibia fracassé, une blessure mal recousue et je suis sobre, lui répondit-il en haussant les épaules.
Il s'écarta afin de la faire entrer. Une étrange tension embaumait la pièce et une odeur de malaise flottait dans l'air. Jane baissa les yeux, prenant soin de tourner le dos au jeune homme. Son regard se promenait sur le sol lorsqu'elle remarqua le parquet couleur carmin à ses pieds. Les souvenirs de la nuit resurgirent dans son esprit tels des démons et elle ne put les repousser. La scène se déroula encore une fois sous ses yeux, elle frissonna et une boule se forma dans sa gorge quand elle sentit un baiser invisible se déposer sur ses lèvres. Les pas lourds de son camarade dans son dos l'obligèrent à rompre le silence. Elle se retourna et le fixa droit dans les yeux, sans ciller.
- William, je... Je voulais vous dire pour hier soir... commença-t-elle la gorge sèche.
- Hier soir ?
- Oui lorsque... vous savez... quand je vous ai soigné. Nous avions un peu bu et nous...
- Nous ? insista-t-il.
- Vous ne vous rappelez pas ?
« Ne m'obligez pas à rappeler ce souvenir embarrassant à haute voix. » Priait-elle.
- Quoi donc ?
« William O'Brien espèce de monstre... Je vous maudis. »
- Lorsque nous... nous avons... vous savez... Je crois qu'il y a eu un malentendu et nous nous sommes... (Il la dévisagea en haussant un sourcil.) Embrassés, acheva la jeune fille dont le visage virait au cramoisi.
Une seconde s'écoula durant laquelle un silence pesant s'installa.
- Oh ! C'était donc vous ? lui demanda Will réellement surpris. Je suis navré, je pensais qu'il s'agissait de Brenda, ou d'une de ses amies.
La demoiselle eut l'impression qu'on venait de lui asséner un coup derrière la tête. « Quoi ? Je rêve, il me fait marcher. »
- Oui, c'était moi. Vous ne vous souvenez donc de rien ? répliqua-t-elle, vexée.
- Diable ! J'aurais juré qu'il s'agissait d'une autre femme, répondit-il songeur. Pourquoi faites-vous cette tête-là ?
- Pour rien ! Je ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler ! rétorqua Jane visiblement contrariée.
- Vraiment Miss Warren, je vous demande de me pardonner. Toutes mes plus plates excuses ! Croyez-moi je vous jure que cela ne serait jamais arrivé sans alcool. Cela ne m'a même jamais effleuré l'esprit un seul instant.
Jane lui lança un drôle de regard. Étrangement ces mots lui firent plus de mal qu'ils n'auraient dû. Elle aurait voulu se sentir soulagée que Will ne se souvienne de rien, mais une part d'elle-même se trouvait contrariée, presque blessée, parce qu'elle lui avait offert son tout premier baiser. Alors qu'elle se souvenait parfaitement de chaque détail, celui à qui elle avait donné ses lèvres se rappelait à peine de sa partenaire. De plus il avait bien stipulé qu'il n'aurait jamais fait une chose pareille s'il avait été sobre. Qu'est-ce que cela voulait donc dire ? Qu'elle était si repoussante que seul l'alcool pouvait le convaincre de l'embrasser ? Aussi détestable soit-il, Jane n'avait pas éprouvé le moindre dégoût lorsqu'il avait posé ses lèvres sur les siennes. Bien au contraire. Jamais elle n'aurait voulu qu'il ne s'arrête... Aussitôt s'était-il détaché d'elle qu'elle avait éprouvé un irrépressible besoin de recommencer.
Tout cela l'effraya. Que lui arrivait-il ? Seigneur, elle ne pouvait pas rester ainsi ! Elle ne pouvait plus repenser à cela et souhaiter par-dessus tout que cela arrive de nouveau. Non, elle devait oublier. C'était un ordre qu'elle se donnait à elle-même. « Espèce de goujat prétentieux. »
- Miss Warren, je ne vous ai toujours pas remercié de m'avoir soigné hier, lui dit doucement Will.
- Oh ! Je... Ce n'était rien.
- Bien au contraire. Vous avez fait preuve d'un courage et d'un sang-froid admirable. J'ai bien conscience que sans votre intervention...N'en dites pas plus, le coupa-t-elle. Vous n'avez pas besoin de me remercier, je n'ai fait que mon devoir. Rien de tout cela ne serait arrivé si je n'avais pas été égoïste et imprudente. Vous m'avez sauvé la vie.
- Cela n'a rien à voir, c'était mon travail.
- Et cela était le mien. Nous travaillons ensembles. Nous devons nous entraider. Et puis, si vous n'êtes plus là je n'aurais personne pour vous remplacer. Me voilà bien embêtée.
Will lui sourit pour la première fois depuis « l'incident ». D'un sourire espiègle. Il détourna les yeux et passa la main dans ses cheveux, geste apparemment habituel chez lui. Sa blessure l'élança, car il grimaça un instant. Malgré cela, son impassibilité reprit vite possession de ses traits.
- William... ?
L'intéressé porta un regard interrogateur sur son interlocutrice, l'invitant à formuler sa requête.
- Apprenez-moi à me battre.
Bonjour ! Oui... Quelle vilaine auteur qui ne publie que dimanche... Pour ma défense la semaine fut longue et fastidieuse ! Mais peu importe, ce chapitre est là et avec lui de nouveaux éléments pour vous mettre sur une plausible piste.
D'ailleurs que pensez-vous de celle évoquée par Jane ? Croyez-vous que McColl soit coupable ? Si oui/non pourquoi ? Pourquoi se serait-il allié avec la lady ? Et croyez-vous réellement que lady Blackwood soit responsable ? Je veux entendre vos théories !
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais cela commence à s'accélérer un peu ;) et puis aussi on a enfin atteint les 10 K ! N'est-ce pas merveilleux ? J'aimerai fêter ça, ça vous dit ? Vous voulez quelque chose en particulier ? J'avais pensé à une FAQ mais pas sûre que ça vous convienne, alors si vous avez des idées... Enfin si vous voulez bien entendu ! :)
Sur ce, je file terminer mes devoirs afin de pouvoir regarder un téléfilm de Noël cet aprem (oui j'attends ce moment toute l'année !) et bon dimanche !!
Ceci est la version corrigée.
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