Chapitre 13 (2) (corrigé)

Média : Jane Warren (vous aimez bien la façon esquisse ? Ou vous préférez le trait net ?) [update quatre ans plus tard, mon style de dessin a bien changé ! xD]



La porte massive en bois de l'édifice laissa entrer deux frêles silhouettes ; l'une courbée et fragile, l'autre mince et gracile. Dans ce silence solennel et chargé de respect, se décuplait le bruit des pas des deux arrivantes. Sur le seuil de l'église St Mary Matfelon, Miss Doyle se signa et Jane fit de même. L'église de Whitechapel déjà dévastée par un incendie lors de l'été 1880 tenait encore fièrement sur ses pierres, auguste et sévère. Alors que Jane se perdait dans la contemplation de ce lieu sacré, Miss Doyle saisit la jeune fille intriguée mais docile par le coude pour l'emmener le long de l'allée, jetant des coups d'œil de part et d'autre. Cette dernière s'arrêta vers une rangée de bancs en bois rongés par les années, sur un desquels reposait une masse informe, cachée sous une vieille couverture trouée. Miss Doyle lâcha Jane et s'approcha avec prudence du tissu qui se soulevait doucement au grès d'une respiration tranquille. Sous le regard curieux de Jane, la bibliothécaire pressa une main osseuse sur la couverture qui se souleva à grand peine.

Lorsque le misérable bout de tissu glissa, Jane ne put dissimuler sa surprise. Une jeune femme se tenait péniblement assise sur le banc, vêtue d'une simple robe rapiécée. Ses cheveux bruns étaient ternes, son teint cireux, ses joues creusées et son regard éteint. Décharnée dans son vêtement, le regard bouleversé de Jane s'arrêta sur le ventre de la jeune femme. Celle-ci, gênée, rabattit rapidement le haillon sur son ventre rebondit.

- Qui est-ce ? demanda l'inconnue.

Sa voix était rauque, empreinte des souffrances de longs mois voués à la survie.

- Du calme ma belle, c'est une amie. Elle m'a accompagnée aujourd'hui, la rassura tendrement Miss Doyle en serrant les mains de la jeune femme entre les siennes.

Pour toute réponse Jane hocha simplement la tête, incapable de dire quoi que ce soit de sensé, absorbée dans la contemplation de cette femme à peine plus âgée qu'elle qui paraissait déjà avoir un pied dans la tombe.

Miss Doyle et la jeune femme discutèrent un bon moment. La vieille bibliothécaire lui avait apporté de quoi se nourrir à peu près convenablement ainsi qu'une nouvelle couverture. Durant tout ce temps Jane s'était tue. Elle s'était contentée d'observer. Quand la femme eut une violence quinte de toux, Jane se précipita vers elle avant que sa vieille amie ne lui barre la route. Jane l'implora du regard, ce à quoi Miss Doyle répondit en secouant la tête, du sang tâchait les doigts de la jeune femme. Jane porta une main à son cœur. « La tuberculose. » Comprit-elle avec effrois. Cette jeune femme faible et fragile, souffrait de la tuberculose, et elle attendait un bébé. Jane sentit son cœur se serrer douloureusement ; cette femme était si faible qu'elle ne pourrait peut-être jamais mettre au monde son bébé. Et si par miracle elle y arrivait, Jane avait de sérieux doutes sur sa survie. Si elle mourrait après avoir mis son bébé au monde... Que lui arriverait-il ? Elle connaissait la réponse. Mais elle refusa de voir l'affreuse vérité en face.

Quand elle se fut enfin apaisée, Miss Doyle et Jane prirent congé. La vieille bibliothécaire recommanda à son amie du repos. Mais la jeune femme l'avait regardé avec ce même regard sombre d'une condamnée à mort. Elle lui avait chuchoté quelques mots et la vieille lui avait tenu fermement la main en hochant la tête par intermittence. Jane cachait ses mains dans son dos pour dissimuler son émotion.

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Jane et Miss Doyle quittèrent l'église. N'y tenant plus, la demoiselle posa enfin les questions qui lui avaient torturé l'esprit pendant toute cette désolante visite.

- Miss Doyle... Qui était-ce ? Pourquoi m'avoir amenée ici ?

La vieille femme invita la jeune fille à s'asseoir sur les marches de l'église avec elle. Avant de commencer son récit, elle posa une question à Jane.

- Dis-moi Jane, qu'as-tu pensé de la jeune femme dans cette église ?

La voix de Miss Doyle avait perdu toute son allégresse habituelle, ses yeux gris l'observaient avec sévérité. Jane détourna les yeux de son regard perçant et se concentra sur ses doigts entremêlés, son cœur battait fort dans sa poitrine à la pensée de cette femme et de son enfant qui ne verront peut-être jamais le soleil se lever ensemble.

- Je... Je ne sais pas quoi dire... avoua Jane honteuse, c'était vrai que pouvait-elle dire ? Les images parlaient d'elles-mêmes. La tuberculose ? se hasarda-t-elle.

La bibliothécaire hocha la tête.

- Ne peut-on rien faire pour l'aider ? l'implora presque la jeune fille.

- Et que voudrais-tu faire ? Hum ? La vraie question est plutôt : es-tu prête à entendre son histoire ?

Jane hocha vivement la tête, incapable de faire taire sa curiosité même dans les moments les plus sinistres.

- C'est une histoire qui n'est pas des plus joyeuses mon enfant, mais tu me remercieras plus tard de te l'avoir contée, commença la bibliothécaire. Cette jeune femme n'est autre que Constance Martinez. Cette demoiselle venait de l'aristocratie française. (À cette révélation, Jane ouvrit la bouche, stupéfaite.) Eh beh oui ma chère ! Constance avait la vie dont on rêve toutes. Elle vivait dans un magnifique appartement à Paris, sa famille était aimante, elle m'en parlait souvent autrefois. Elle a eu le privilège de recevoir une éducation digne de ce nom. Tu sais, elle m'a aussi beaucoup vanté les opéras, les théâtres et toute cette camelote, mais enfin, c'était la France alors on avait des étoiles pleins les yeux. Quand Constance eut dix-neuf ans, son père jugea utile de la faire entrer dans le monde. Ses deux grands frères étant déjà mariés et gérant la fortune familiale d'une main de fer, pousser la petite dans les salons mondains c'était du gâteau. Tu ne le croiras pas mais Constance était vraiment une très belle jeune fille. Elle a séduit toute la haute société. Les prétendants se bousculaient à sa porte...

- Sans doute pour sa fortune... marmonna Jane.

- Ah ne commence pas ! Ne m'interromps pas ! s'écria la vieille avec sa voix rocailleuse. Ah, non mais ! Tais-toi donc et écoutes ! Saperlipopette où en étais-je ? Ah oui, les prétendants. Je disais, les prétendants se bousculaient à sa porte, mais un seul a su retenir l'attention Constance, et elle m'a répété son nom tellement de fois que je pense ne jamais pouvoir l'oublier. Attends... C'était quoi déjà ? Ah oui ! Un certain Jeremy machin chose enfin on se fout de son nom ! Donc notre belle Constance fut immédiatement charmée par ce Jeremy. Ils tombèrent follement amoureux l'un de l'autre... Quand elle en parlait elle avait le regard qui pétillait. Mais malheureusement, le père Martinez avait d'autres projets pour sa fille. Ce fils d'artisan n'avait pas une fortune considérable et son père avait mauvaise réputation, Martinez choisit donc... C'était quoi son nom à lui ? Boh ! On s'en fout de ce nigaud de toute façon ! Constance a évidemment refusé ce mariage et Jeremy a cru devenir fou. Ils ont alors fait un acte désespéré, voulant vivre leur amour au grand jour...

- Ils ont fui... Aïe ! s'écria Jane.

- Mais vas-tu te taire oui ?! la récrimina la vieille en lui donnant une tape derrière la tête. On ne me coupe pas quand je parle ! Non mais quelle petite peste ! Sapristi tu vas me rendre folle ! Donc, oui, le grand amour. Pour cela il n'y avait qu'une solution : la fuite. Constance m'a raconté qu'elle avait volé de l'argent dans le coffre de son père, une grosse somme bien sûr, et que Jeremy avait fait de même de son côté. Il avait un ami à Londres qui pouvait lui trouver un travail honnête et ainsi ils pourraient survivre. Dans les jours qui suivirent, les voilà à Londres. Jeremy teint parole, il trouva un travail dans les docks et Constance cousait dans un magasin. Ils étaient heureux jusqu'à ce fameux soir, où Jeremy ne revint pas. Constance crut d'abord qu'il était resté au bar et, trop éméché pour rentrer, il avait attendu l'aube avant d'aller directement travailler. Hélas, la réalité était tout autre. Ce bâtard de première catégorie avait en fait l'espoir d'épouser Constance afin d'hériter de la fortune du père Martinez. Il n'avait pas prévu que les évènements prendraient une telle tournure, alors ce cochon fila avec tout l'argent que Constance avait volé ! Et le pire ! Oui le pire ! C'est que quelques semaines après sa disparition, Constance l'aperçut au bras d'une femme fortunée, superbe dans un costume alors qu'elle pleurait toutes les larmes de son corps depuis des jours entiers ! (La tension du récit retomba et Miss Doyle marqua une pause, fixant le pavé.) Il lui a brisé le cœur. Après cela Constance envoya une lettre à sa famille, les suppliant de la reprendre... Mais le mal était fait. Elle s'était enfuie et elle n'était plus vierge ! Sa vie était finie, plus personne ne voudrait d'elle. Et le refus fut douloureux. Très douloureux. La voilà condamnée à survivre dans ce milieu hostile, elle, la belle Constance qui se pavanait encore dans les salons il y avait quelques mois de cela, entourée par sa famille. Quel enfer ! Tu te demandes sans doute comment elle en est arrivée là, hein ? C'est pas bien joli... Notre mondaine n'avait pas les épaules pour supporter cela, la douleur de cette perte la fit sombrer dans l'alcool et l'opium. Quelques mois après elle perdit son travail. Elle a tenté de bosser dans une Workhouse, mais ma toute belle, la pourriture et la violence c'est pas une vie... Pour tenter de subsister elle n'eut d'autre choix que de se prostituer. Comme toutes les filles de l'East End en quelque sorte. Ce qu'elle ne savait pas c'est que lorsque l'autre crevure l'avait abandonnée, elle était enceinte de lui. Pardi que l'enfant aurait pu être une délivrance ! Hélas il mourut alors qu'elle était sur le point de lui donner vie. Le choc fut plus terrible que jamais, tu n'imagines pas le mal d'une mère perdant le fruit de ses entrailles, de son amour. Ça l'a achevée. Puis elle tomba de nouveau enceinte d'un client, la maladie ne l'épargna pas non plus. La tuberculose cette saloperie. T'as vu hein ? T'as vu à quel point elle était ravagée par la vie. Elle ne peut même plus écarter les cuisses, elle est bien trop faible et bien trop laide pour cela. Elle n'attend plus rien de la vie, elle sait qu'elle est condamnée et attend la mort à bras ouverts. Triste fin.

Jane avait blêmi. Ce serait mentir que de dire que le récit de Miss Doyle ne venait pas de la traumatiser. Elle devait se rendre à l'évidence et arrêter de nier la réalité. Manifestement, c'était ainsi qu'était la vraie vie.

- Vois mon enfant, vois où son entêtement et sa naïveté l'ont menée.

- N'y a-t-il pas un moyen de la sauver ? demanda Jane, la voix tremblante.

- Non, elle va mourir Jane, déclara Miss Doyle sans ambages. Et ce serait un miracle si son enfant survivait à l'accouchement.

La jeune fille se mit à réfléchir activement. Elle passa une main agitée dans ses cheveux et entortilla nerveusement une mèche autour de son doigt.

- Tu ne peux pas sauver la Terre entière Jane, mais tu peux déjà commencer par te sauver toi-même, lui expliqua Miss Doyle en martelant son doigt sur son cœur pour appuyer ses propos. Alors je t'en supplie, ne fais pas les mêmes bêtises. Les erreurs sont faites pour ne pas être répétées.

La demoiselle lui jeta un drôle de regard mais la vieille la fixait avec une intensité déroutante. Jane ouvrit la bouche pour parler et la referma aussitôt. Elle n'avait rien à dire. Miss Doyle lui balançait la vérité en face, sans prendre de gants, elle lui montrait l'envers du décor et l'horrible crudité des choses. Constance avait fait les mauvais choix, et voilà sur quelle pente ardue et rocailleuse cela l'avait menée. Cependant Jane avait encore le choix. Elle enfouit son visage dans ses mains. Miss Doyle la dévisageait, soucieuse de ce qui allait suivre « Pourvut que cette tête de linotte m'écoute pour une fois ! » Pria silencieusement la vieille. Lorsque la jeune fille leva la tête en inspirant profondément, les muscles de la vieille se tendirent.

- Je ne veux pas retourner là-bas, lâcha Jane une pointe de détresse dans la voix. Si je reviens, ma tante punira sévèrement mon audace. Elle a ajouté avant que je ne parte, qu'elle me contraindrait par tous les moyens. Et je ne cèderai pas. Jamais.

- Tu ne peux pas rester ici Jane. Que vas-tu faire si tu ne trouves pas de travail, hein ? La cousette près des docks ? Devenir une fille de mauvaise vie ? Je refuse, s'opposa vivement la vieille. Je refuse que tu aies cette vie-là.

- Je le sais bien, mais je ne veux pas non plus de la vie que m'impose ma condition ! protesta Jane. Tous les jours que Dieu fait je me sens opprimée, enchaînée. Je suis obligée de porter un masque devant tous ces sourires fades et hypocrites, ce n'est pas moi. J'en ai assez de faire comme si tout allait bien alors que rien ne va, comme si j'étais heureuse alors que je ne le suis pas. Je ne supporte plus de me fabriquer un sourire pour contenter les uns et les autres. Je ne veux plus de cette mascarade, de ces faux-semblants. Je veux pouvoir vivre sans me demander si l'on va me juger à chaque respiration mal placée, à chaque battement de cil imprudent, à chaque regard approprié ou non. Je... J'ai peur Miss Doyle. Peur de ce que va devenir ma vie avec cet inconnu. Peur de cette vie que je ne connais pas... Que va-t-il m'arriver une fois que je serai enchaînée à lui ?

Miss Doyle lui lança un regard de compassion, mais elle restait ferme. Elle voulait épargner à la jeune fille une telle vie. Fuir n'était pas la solution, c'était même pire.

- Jane, je veux que tu saches que je suis et serai toujours là pour toi. Je ne peux, hélas, pas faire grand-chose ma petite. Mais je te promets de t'aider. En attendant tu devrais rentrer chez toi, prendre le temps de réfléchir calmement à la situation et...

- Mais enfin je n'ai pas le temps ! s'écria la jeune fille qui se leva d'un bond. Ce soir on me présentera mon fiancé ! Je ne veux pas le connaître !

- Jane ! Tais-toi et écoutes ! Quoi que tu penses tu ne peux rien y faire ! l'interrompit la vieille en prenant le visage de la jeune fille entre ses doigts maigres. Tu m'entends ? Pour le moment tu es au pied du mur, tu dois te résigner et vois le bon côté des choses, tu n'auras plus à supporter ta tante et tu pourras faire ce qu'il te plaît une fois mariée ! Tu le sais aussi bien que moi, une femme mariée a nettement plus de libertés qu'une jeune fille célibataire. Je t'en supplie, par pitié ma p'tite, rentre chez toi.

La voix de Miss Doyle l'implorait mais elle n'était pas dépourvue de fermeté. Assez pour faire comprendre à la jeune fille qu'il n'y avait pour le moment rien d'autre à faire.

- Jane... Rends-toi à l'évidence, tu vis dans des rêves ma chère enfant, lui expliqua Miss Doyle. Tu es comme Don Quichotte qui se bat contre des moulins à vent ! Tes intentions sont louables mais ce ne sont que des idéaux, tu es seule face au monde ma fille, et tu vas perdre. Parfois il vaut mieux sacrifier ses rêves de grandeur et choisir le moindre mal. Tant que tu peux encore choisir. Je t'en prie ma petite Jane, ne fais pas l'idiote, réfléchis bien.

Jane baissa la tête sur ses doigts soudés, de toute évidence Miss Doyle avait raison, il fallait être stupide pour ne pas voir qu'elle fonçait droit dans le mur.

- Sois stratégique. Tu perds peut-être une bataille, mais pas la guerre. Parfois un sacrifice vaut une plus éclatante victoire.

Elle abdiqua fasse aux supplications de la vieille dame. Oui elle abandonna cette fois, mais elle ne renonça pas.

Une longue partie, hélas la coupure ne s'y prêtait que peu... J'avais envie d'un peu de tragique, de montrer l'équilibre fragile de la société, la fatalité de l'amour, la dureté de la vie... L'envers du somptueux décor. J'espère que l'effet est réussi !

Comme les précédents dessins ont eu l'air de vous plaire, j'ai jugé bon de vous en remettre un sur Jane. Je me suis bien amusée à dessiner ses différentes expressions et j'ai hâte de la dessiner en situation avec d'autres personnages ! Si vous êtes sages, la semaine prochaine je vous mets ceux de Will... ;)

J'attends vos avis !


Ceci est la version corrigée.

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