Chapitre 4.3 - La lettre froissée

Son sang ne fit qu'un tour. Pourtant il ne ralentit pas la cadence, ne dit rien, ne fit aucun signe. L'infirmière Nelly était une jeune et jolie femme, très douce et surtout énormément appréciée du personnel et de quelques patients, alors quand la douceur incarnée vous adressait la parole, allait au diable celui qui ne daignait même pas lui répondre. Intriguée par ce comportement taciturne, l'infirmière fronça les sourcils.

- Bonjour ? répéta Nelly.

Sydney serra les dents. Les petits pas précipité de Nelly résonnaient dans son dos. S'il ne trouvait pas rapidement une solution il pourrait dire adieux à sa précieuse évasion ! Fort heureusement la chance semblait lui sourire, alors qu'une porte se manifesta à son regard éperdu, il comprit que c'était sa seule chance de se débarrasser de la jolie infirmière. Il ne souhaitait pas user de la force, mais si c'était là sa seule chance pour atteindre son but, Sydney n'hésiterait pas à s'assoir sur sa morale. Au moment où il posa la main sur la poignée de la porte, l'infirmière Nelly dans son dos, la chance en personne vola à sa rescousse.

- Infirmière ? Que faites-vous là ?

Nelly se retourna brusquement pour faire face au sévère Docteur MacMillan, poing sur les hanches, qui la dévisageait âprement. Ce vieux médecin cynique et conservateur n'acceptait toujours pas la présence de femmes dans l'établissement où il travaillait depuis des décennies. Sydney avait toujours trouvé le vieux bougre fade et sans saveur, pourtant il venait à l'instant de sauver son évasion, et rien que pour cela il lui aurait presque baisé les pieds.

Sans perdre une seconde, Sydney profita du sermon habituel que devait servir MacMillan à la pauvre Nelly pour s'évanouir dans la nature et verrouiller la porte dans son dos. Il se retrouva dans une vaste pièce où s'encombraient balais, chaines, menottes, lanières de cuir et fauteuils roulants amoncelés dans un coin de la pièce, à demi-recouverts par de vieux draps usés jusqu'à la corde et poussiéreux, imprégnés d'une charmante odeur d'urine et de moisissure. Une sorte de débarras dont les deux seules issues résidaient dans la porte dans son dos, derrière laquelle l'attendaient sûrement l'infirmière Nelly, et une fenêtre au fond de la pièce. Le choix ne fut pas bien difficile, Sydney se dirigea immédiatement vers la fenêtre, faisant abstraction de tous ces objets qui avaient contribué au mal être des résidents de Bedlam.

Le détective tenta d'ouvrir la fenêtre, sans succès. Elle était bloquée. Évidemment. « Ce serait beaucoup trop simple sinon. » Ironisa Sydney. La poignée s'agita derrière lui, témoin du temps qui presse. Si la porte ne s'ouvrait pas de son plein grès on ferait sûrement appel à des bras bien plus forts que ceux de Nelly, et bien plus nombreux surtout. Sydney chassa une goutte de sueur qui glissait le long de sa tempe. Il retroussa ses manches et s'attela de nouveau à la tâche, avec la force et cet entêtement que certains lui connaissaient. Derrière les murs, on lui somma d'ouvrir la porte, des coups s'abattirent, il lui restait peu de temps. Mais le détective était déjà trop affaibli par les mauvais traitements et le manque de nourriture, bien qu'il soit le moins à plaindre par ici, et de loin.

La porte trembla avec force. Les renforts étaient arrivés et le seul rempart entre Sydney et la prison n'était plus qu'à quelques secondes avant de céder. Cela hors de question. Jamais il ne le permettrait. Pas depuis qu'il savait que dehors, quelque part dans Londres, il avait un allié. Quelqu'un connaissait sa situation, mieux encore quelqu'un connaissait la vérité. Les trous de sa mémoire étaient sur le point d'être comblés, ses pensées allaient enfin reprendre leur flux dynamique et habituel, son cerveau pourrait retrouver son équilibre et sa vie un sens auquel il ne voulait pas déroger. Non, il ne laisserait personne l'empêcher de quitter cet endroit maudit.

Ces simples pensées suffirent à constituer un regain incroyable d'énergie, et l'adrénaline envahit tout son corps, comme la lave d'un volcan elle traça des sillons brûlants dans ses veines. Les doigts crispés sur l'ouverture de cette satanée fenêtre, Sydney poussa de toutes ses forces. Le verrou de la porte venait d'être forcé, l'on tournait déjà la poignée. Cependant, lorsque l'infirmière Nelly déboula avec trois gardiens derrière elle, la pièce était vide et la fenêtre grande ouverte.

Nelly cligna plusieurs fois des yeux pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas. Vide, la pièce était vide. Pourtant elle aurait juré avoir vu ce drôle de gardien entrer ici ! Non, pas la peine de le jurer puisqu'elle l'avait vu ! Il ne s'était tout de même pas envolé par la fenêtre tout de même ! Bien que Sydney eût approuvé l'idée s'il avait eu des ailes, ce qui n'était pas encore le cas à sa connaissance, alors où diable était-il passé ?

- Infirmière ? l'interrogea l'un des gardiens.

Nous étions au premier étage, alors à moins que son suspect n'ait décidé d'apprendre à voler... Dans ce cas sa place se trouvait à l'intérieur des cellules de Bedlam et non à l'extérieur. Nelly plissa les yeux, son fuyard ne pouvait être que caché ici. Poings sur les hanches et lèvres pincées, l'infirmière Nelly se dirigea d'un pas décidé vers la fenêtre, prête à en découdre

- Infirmière, le docteur De Quincey vient d'arriver, l'informa-t-on.

La jeune femme sursauta ; son devoir l'appelait, et son attraction pour le beau docteur De Quincey aussi. Chiffonnée par cette sordide histoire, elle se contenta de fermer résolument la fenêtre avant de faire demi-tour.

- Très bien, j'arrive tout de suite, dit-elle joyeusement en quittant la pièce d'un pas léger. Messieurs, pensez à verrouiller la porte en partant je vous prie... À double tour, insista Nelly.

La pièce se vida en quelques secondes et l'on suivit à la lettre les ordres de la charmante infirmière. Toutes les issues étaient bloquées, alors où donc se cachait ce diablotin de Barossa ? Une fois le silence revenu entre les quatre murs, ce dernier fut troublé par un grincement de ferraille des plus désagréables accompagné par une flopée de jurons, tantôt en français, tantôt dans une autre langue. Un mouvement fantomatique souleva un drap au fond de la pièce, puis une tête émergea des fauteuils roulant amoncelé dans un coin de la pièce. Sydney surgit de sa forteresse de rouille et de poussière en râlant, balançant ses bras et ses pieds comme un pantin désarticulé. Il tenta de se dégager des roues emmêlées et se prit les pieds dans le drap, s'affalant par terre avec fracas au passage.

- Joder ! maugréa-t-il en tapant du poing.

Il se releva rapidement, priant pour que le bruit de sa chute n'ait pas attiré du monde. Il jeta un rapide coup d'œil circulaire à la pièce ; deux issues possible et l'une d'elles était condamnée, ne restait plus que la fenêtre. En quelques enjambées il fut à l'autre bout de la pièce et cette fois-ci il ne peina pas à ouvrir la fenêtre. De ce côté-ci de l'hôpital il avait une vue imprenable sur un vieil arbre esseulé et... le vide. Il fit claquer sa langue en signe de mécontentement. Il avait le choix, attendre que quelqu'un vienne dans ce cagibi, ce qui pouvait prendre des siècles, un temps qu'il n'avait pas le luxe de se payer, ou bien s'écraser sur le sol, dans ce cas il serait mort, ce qu'il jugeait comme étant une perte bien grande pour l'humanité. Il fit la moue. Aucune des deux solutions qui s'offraient à lui ne lui convenaient, pourtant un choix s'imposait.

L'avantage avec Sydney Barossa, c'était qu'il ne gaspillait pas son temps et son énergie en réflexions et bavardages inutiles, ce dernier ignorait volontairement toute futilité de ce genre aussi indispensable soit-elle. Il scruta avec attention les alentours, le privilège de ce petit coin de désolation résidait en son manque de surveillance. Le détective lança un regard à l'arbre, ses prunelles firent la navette entre le sol et ce pauvre tas de bois décharné, un peu comme lui. S'il arrivait à sauter suffisamment loin il pouvait l'atteindre, avec beaucoup de chance la branche ne céderait pas sous son poids et il pourrait descendre en toute discrétion par-là, ni vu ni connu. Ça c'était la version idéale des faits, la vérité l'était un peu moins. En effet compte tenu de la distance, de la fragilité de l'arbre, et surtout de son corps affaibli manquant cruellement d'exercice depuis deux longues années, la probabilité qu'il fasse un grand saut directement pour l'enfer était nettement plus élevée que la première.

Il jaugea encore une fois la distance. S'il avait été en bonne santé nul doute qu'il aurait pu atteindre la branche, ou bien qu'il s'en serait sorti avec une cheville foulée dans le pire des cas, maintenant cette option apparaissait comme le meilleur des cas. Il pressa sa paume contre le message glissé contre son cœur.

- Advienne que pourra ! lança-t-il.

Il grimpa sur le rebord de la fenêtre avec une légère appréhension, les jambes tremblantes à l'idée de l'effort qui les attendaient, son corps devint soudainement plus lourd qu'il ne l'avait cru devant la perspective d'une mort imminente. Il se risqua à un regard en contrebas, le sol lui parut incroyablement loin alors que l'arbre se dédoublait sous son nez. Il secoua la tête et le casque trop grand de Tracy tinta contre ses tempes. Ce n'était certainement pas le moment d'avoir le vertige ! Sydney ne laissa cependant pas le loisir à son corps de le déstabiliser davantage et donna la priorité à son cerveau, une habitude. Les pieds solidement ancrés sur leur appui, les jambes pliées prêtes à s'élancer, il bondit de toutes ses forces vers la branche salutaire.

Il lui sembla qu'une éternité s'était écoulée depuis qu'il avait quitté sa fenêtre pour rejoindre l'arbre de la délivrance. Il sentait le vide sous son corps qui commençait à ressentir lentement mais sûrement les effets de la gravité. Il allait finir comme un vieux chiffon, lamentablement écrasé par terre de tout son poids et il mourrait sans jamais connaître la vérité. Cette pensée lui était intolérable. Il ne pouvait le concevoir, au même titre qu'il ne parvenait pas à croire que sa main venait de se refermer in extremis sur la branche de l'arbre.

Suspendu au frêle bout de bois, il pouvait percevoir l'attraction de son corps et de la terre. Il lâcha un long soupir, comme s'il pouvait s'alléger en expulsant tout l'air qu'il contenait dans ses poumons. La branche ne poussa aucun bruit de protestation alors qu'elle soutenait son poids, ce qui lui arracha un sourire de vainqueur.

- Eh bien voilà. Ce n'était pas si difficile en fin de compte.

Il ne croyait pas si bien dire. Au même moment, un craquement sinistre lui parvint, la branche venait de se briser, et le minable morceau de bois séché menaçait de rompre dans les secondes à venir.

- Oh, lâcha simplement Sydney.

La branche céda irrévocablement, Sydney chuta et atterrit violemment sur le dos avant même qu'il n'ait eu le temps de dire « ouf ». Son souffle quitta brusquement ses poumons, une douleur sourde irradia de son crâne jusque dans son dos, elle se répercuta dans ses côtes et comprima ses poumons avec force. Était-il en train de mourir ? Il resta quelques secondes à terre, les yeux rivés vers le ciel de plus en plus bleu alors qu'un jour nouveau se levait sur la brumeuse et célèbre ville de Londres.

- Aïe, parvint-il à articuler dans un souffle étouffé.

La tête lui tourna encore quelques instants mais manifestement il était toujours en vie. Il palpa son corps presque intact en se répétant à quel point il s'aimait et qu'il fût heureux que sa précieuse enveloppe charnelle ne soit pas abîmée. Il aurait pu rester encore un long moment à contempler les nuages si la pensée du docteur De Quincey et de Scotland Yard à ses trousses ne l'avaient pas brutalement ramenée à lui. La main sur sa poitrine, là où reposait sa précieuse lettre, il se releva aussi rapidement qu'il le put et repartit au petit trop en dépit de son corps douloureux, plus motivé que jamais à mettre les voiles et fuir cet endroit maudit.

La fin du chapitre 4 (et du peu de travail que j'ai accompli sur ce colossal mais passionnant chantier). J'espère sincèrement que jusque là cette petite histoire vous plaît ? J'ai prévu beaucoup de choses pour la suite, et comme je suis une enfant terrible et que teaser est mon péché mignon je peux d'ores et déjà vous dire qu'au chapitre 5 je vous délivrerai un nouvel indice, ainsi que l'explication de ce premier, et puis surtout, SURTOUT... On va revoir quelqu'un que vous appréciez tout particulièrement... Mais j'en ai déjà trop dit !

Je vous souhaite un merveilleux et joyeux Noël, j'espère de tout cœur que ma petite surprise vous aura plu. <3

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