Chapitre 4.2 - La lettre froissée
Il devait être une heure du matin lorsque Sydney ouvrit les yeux. L'obscurité l'enveloppait complètement, à l'exception d'un rayon de lune qui traversait le minuscule puit de jour. Il passa une main dans ses longs cheveux emmêlés et se tourna dans son petit lit. Comme chaque nuit, une mélodie lugubre perçait les ténèbres, il entendait les chuchotis, les rires affreux, les raclements d'ongles contre les portes et les murs, les balades sanguinaires chantées par des voix geignardes. Et puis, pire que tout, il les entendait, les hurlements venus des entrailles de l'hôpital. Il savait ce qu'il se passait en bas à la nuit tombée. Il savait qu'une fois les dernières lueurs du jour évanouies, les docteurs venaient chercher leurs jouets, un patient, au hasard, le plus miséreux, le plus tordu, et ils l'entraînaient vers leur pièce maudite, où ils devenaient le sujet de toutes sortes d'expériences plus atroces les unes que les autres. Parfois il arrivait que l'un d'eux décède. Alors, on faisait discrètement disparaitre son corps Dieu seul savait où. Et on n'entendait plus jamais parler du malheureux.
On ne réclamait quasiment jamais les corps, Bedlam n'était pas un établissement pour les gens qui avaient les moyens, pour cela il existait d'autres institutions plus cossues qui portaient un nom charmant et un mobilier remarquable. De toute façon personne ne se souciait du sort de ces gens, après tout ce n'étaient que des rebus de la société. La belle affaire ! Personne ne viendrait se plaindre si on se débarrassait d'eux.
Sydney serra les poings. Il se tourna et se retourna avec agitation dans son lit grinçant. Mais les bruits ne s'évanouissaient pas. Il ouvrit les yeux et rencontra son plateau repas au beau milieu de ses carnets étalés. Il avait dû être déposé sous sa porte et il ne l'avait pas entendu. Le ventre vide et incapable de dormir, il quitta son lit et s'agenouilla sur le sol sale, près de sa gamelle. Il en renifla le contenu et tira la langue dans une grimace de dégoût, cette bouillie ne lui disait rien qui vaille. Contre toute attente son estomac gargouilla, il avait faim, ce qui était plutôt rare depuis le jeûne forcé qu'il faisait ici, il humecta ses lèvres sèches et craquelées.
- Bon appétit... s'encouragea-t-il sans réelle conviction.
Il prit la gamelle à deux mains quand un bout de papier plié dégringola sur le sol. Sydney haussa un sourcil, ce devait être une de ses notes qui s'était éparpillée. Quant à savoir comment elle s'était retrouvée devant la porte de sa cellule, sous sa gamelle, ça, c'était une autre question. Il prit le papier et se précipita sur son lit, sous la faible clarté de la lune, il le déplia et le déchiffra comme il put. Ce n'était pas son écriture. Les lettres avaient été inscrites à l'aide d'une plume fine, il ne pouvait pas voir la couleur de l'encre dans la nuit, mais la calligraphie était élégante et le papier de bonne qualité. C'était un message. Un message pour lui. Le cœur battant et le cerveau en ébullition, il lut la missive. Voici ce qui était écrit :
« Cher Mr. Sydney Barrossa,
Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais. J'ai lu moults journaux qui comptaient vos exploits, je dois vous dire que suis impressionné ! Je suis un fervent admirateur de votre travail et je m'intéresse beaucoup à votre histoire. J'ai eu vent de votre situation actuelle pour le moins contrariante. Vous comme moi savons que votre place n'est pas ici, et qu'elle n'est certainement pas due au fruit du hasard. En tant qu'ardent défenseur de la liberté et du génie, j'ai envie de vous offrir mon aide. Voici ma proposition : je désire vous engager. Rien de bien compliqué, je veux que vous retrouviez quelqu'un pour moi, en échange je vous donnerai cette vérité à laquelle vous tenez tant, je comblerai ces affreux trous de mémoire qui vous rongent. Vous pouvez refuser Mr. Barossa, mais vous auriez beaucoup à y perdre. Le temps presse, songez au nombre d'ossements qui pourraient reposer dans ce tombeau.
Amicalement vôtre,
Mr. Albert-Nicholas O'Nyme »
Le cœur de Sydney battait si fort qu'il crut un instant que sa poitrine allait exploser. Il ne savait pas comment cet étrange message s'était retrouvé sous sa porte, et il n'avait pas non plus la moindre fichue idée de qui était cet Albert-Nicholas O'Nyme. Un Irlandais peut-être ? La seule et unique chose que son cerveau retint de ce sordide message fut le mot « vérité ». Des réponses. Il allait enfin avoir des réponses, il y avait finalement quelqu'un dans toute cette maudite Angleterre qui pouvait combler les trous de sa mémoire. Et pour cela il devait quoi déjà ? Retrouver quelqu'un ? Allons, si ce n'était que cela. Une simple formalité qui ne devrait pas lui coûter trop.
Un sourire fendit son visage terne. Incapable de contrôler son excitation, il passa une main tremblante sur son visage. De l'action. Il allait enfin passer à l'action. Cette perspective délia ses membres engourdis par ces deux années d'atrophie. En moins de temps qu'il ne fallut pour le dire il fut sur ses pieds, tournant en rond comme un lion en cage. Il lui fallait un plan d'évasion, et vite, il avait déjà résolu l'énigme de ce message, il n'avait aucune seconde à perdre.
Le billet froissé entre ses doigts, il se laissa tomber entailleur sur le sol et réfléchit à toute vitesse. En dix minutes, il avait un plan. Ce soir il quittait Bedlam. Demain, la vérité serait à portée de main. Il entendit le bruit d'une chaise roulante, un nouveau patient venait d'être emporté en guise de cobaye, Sydney ferma les yeux. Il était désormais deux heures du matin. Plus que trois heures à attendre et il serait libre comme l'air.
Cinq heures tapantes. Sydney entendit les pas lents du gardien Tracy qui venait prendre son service. Tracy était un gars assez massif, mais il était plutôt long à la détente et se méfiait très peu de Sydney. L'oreille dressée, l'œil vif, à l'affût comme un loup, Sydney était bien ancré sur le sol, les jambes comme des ressorts. Quand il entendit le sifflement nonchalant du gardien, il coinça le papier à sa taille et se cacha derrière la porte de sa chambre. Lorsque le sifflement du gardien fut suffisamment près de sa porte, il se mit à pousser des gémissements plaintifs. Le sifflement du gardien s'interrompit, il tendit l'oreille, fronça les sourcils et, quand il fut sûr qu'il n'avait pas rêvé, il s'avança prestement vers la chambre de Sydney.
- Hé, Barossa ? Y'a un souci ? demanda Tracy l'air inquiet.
Quoi qu'on dise à son sujet, Sydney était peut-être le plus sain des résidents de Bedlam. Il savait se tenir et n'avait jamais causé de soucis à qui que ce soit. Il avait même conseillé Tracy dans son problème de disparition inexpliquée de brandy chez lui en démasquant le voleur, son voisin. Il était donc évident que Tracy ne se douterait pas une seule seconde des manigances de Sydney.
- Ahhh... râla-t-il. J'ai eu quelques différents avec Jimmy lors de ma promenade aujourd'hui. Nous avons eu quelques désaccords sur un sujet et l'imbécile m'a rossé de coups, souffla Sydney entre deux halètements. Je n'ai pas dormis de la nuit, mes côtes me font affreusement souffrir. J'ai bien peur qu'il ne faille m'examiner... Aïe !
- Ah... lâcha le gardien indécis. Et... ça n'peut vraiment pas attendre ? Le doc' De Quincey doit arriver dans une heure ou deux. J'pourrais lui dire d'aller t'examiner ?
- J'en doute fort, poursuivit Sydney en jouant la comédie jusqu'au bout. Je... J'ai la tête qui tourne.
Un bruit sourd retentit dans la chambre. Sydney venait de lâcher plusieurs carnets sur le sol pour mimer le bruit de sa chute, puis il attendit patiemment, silencieusement. Il entendit Tracy pousser un juron et se battre avec la clé derrière la porte.
- Barossa ? l'appela-t-il paniqué.
Sydney ne répondit rien, prêt à bondir comme un félin.
La porte s'ouvrit enfin dans un crissement et Tracy se précipita dans la chambre sombre sans se méfier une seule seconde. Le pauvre eut à peine le temps de tourner la tête que Sydney bondit sur lui. Il lui arracha son casque puis lui balança un crochet directement dans la mâchoire. Tracy était redoutable et, faute d'action et de bons traitements, Sydney demeurait un homme faible. Il fallait qu'il agisse vite et avec intelligence. Il frappa de nouveau dans l'estomac et enchaîna dans un coup contre sa tempe. Sonné, Tracy rata son coup quand il tenta de lui asséner une droite, et le pauvre eut le malheur de se retrouver dos à Sydney qui en profita pour lui asséner un coup ferme avec la tranche de la main dans la nuque et Tracy tomba lourdement sur le ventre.
Sydney ne perdit pas son temps, le bruit avait sûrement attiré du monde, si ce n'était pas le cas on risquait de s'interroger sur Tracy si on ne le voyait pas revenir. Sydney ferma rapidement la porte. Il déshabilla Tracy et se dévêtit à son tour, il enfila son uniforme sombre de gardien, bien trop grand pour lui et qui ne faisait qu'accentuer sa maigreur, puis il cacha ses longs cheveux sous son casque. Pour sa propreté et sa barbe négligée il ne pouvait malheureusement rien faire, du moins pas dans l'immédiat. Il se contentera de rester discret et de baisser la tête. Il souleva Tracy avec difficulté et l'installa sur le lit qui plia sous son poids. Matraque à la ceinture, trousseau de clés dans la main et message de son secret et nouvel employeur caché précieusement à l'intérieur de sa veste, il fit quelques pas de plus vers sa liberté.
- Désolé mon vieux, dit-il.
Puis il ferma la porte clé dans son dos.
Sydney avait pour ainsi dire parfaitement choisi son moment. L'heure matinale correspondait au roulement du personnel, les gardiens de jour venaient relayer les gardiens de nuit qui s'en allaient, les paupières lourdes et baillant à s'en décrocher la mâchoire, rejoindre avec hâte les bras de Morphée. La tête enfoncée dans son uniforme, le casque trop grand de Tracy bien ancré sur son crâne, Sydney baissait la tête et filait à vive allure à travers les couloirs à demi éclairés.
Peu de gens savaient qu'il était ici, à Bedlam, et encore moins pouvaient se targuer de connaître les traits de son visage. C'était une chance, et il s'y cramponnait comme à une planche de salut, car une fois son absence remarquée, et Sydney ne doutait pas une seule seconde parvenir à s'enfuir, c'était Scotland Yard que l'on lancerait à ses trousses. Non pas qu'il soit inquiet, il n'avait rien en à se reprocher, du moins rien dont il ne se souvienne, mais il n'était pas particulièrement pressé de se retrouver en tête-à-tête avec ce cher inspecteur Stanford et ses petits yeux porcins. Il comptait donc bien prendre la poudre d'escampette. Discret et silencieux comme une ombre, il se fondait presque avec les chimères qui hantaient les couloirs de l'hôpital. L'agitation inépuisable des patients lui permettait de progresser d'un pas rapide. Pour autant, le détective avançait avec prudence, l'œil hagard, en perpétuelle quête du moindre mouvement suspect.
En dépit des rayons de l'aube qui commençaient à transpercer les fenêtres, effleurant son visage et risquant de dévoiler son identité à tout moment, il s'efforçait de garder un calme olympien. Les dents serrées à s'en faire mal à la mâchoire, son cœur bondit brusquement dans sa poitrine lorsqu'il repéra l'infirmière Nelly qui souriait chaleureusement aux gardiens. « Merde. Il ne manquait plus qu'elle. » Se plaignit-il intérieurement.
Sydney baissa hâtivement la tête, sans prendre le temps de réfléchir davantage il fit demi-tour. Il entendait dans son dos l'infirmière Nelly continuer d'avancer, souhaitant le bonjour à tous ceux qui se trouvaient sur sa route. Si elle parvenait jusqu'à Sydney nul doute que cela ne serait pas un bon jour pour lui, pas bon du tout même. Plus le détective avançait, et plus il sentait l'infirmière se rapprocher dangereusement.
- Bonjour ! lança-t-elle dans son dos.
Un peu d'action comme je les aime ! Les tentatives d'évasion, la tension, le sentiment d'être traqué... J'adore. Mais ce que j'adore davantage se sont les petites énigmes et les petits indices saupoudrés çà et là... Les évidents comme les plus sournois...
Alors, avez-vous réussi à résoudre l'énigme comme Sydney ? Bon j'avoue j'ai un peu triché, j'ai usé de mes connaissances littéraires, mais vous ne m'en voudrez pas n'est-ce pas ? Croyez-vous que ce message soit sincère ou s'agit-il d'un piège ? Que pensez-vous de cette mission ? Et avez-vous une idée sur cette "vérité" derrière laquelle notre petit détective court avec tant d'ardeur ? Mais la question principale est pour le moment : va-t-il réussir à échapper à le tyrannique infirmière Nelly ?
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