Nessie Et Moi

On voit souvent dans les films une histoire d'amour entre un animal et un enfant, ou adolescent, qui se trouvent au moment de leur vie où ils ont le plus besoin d'un ami. Je pensais vivre ce rêve un jour. Quand je suis allée chercher Chouquette, une jeune chatte de huit mois, chez mon oncle, je pensais trouver l'animal parfait. Je voulais que, comme dans les films, mon chat soit toujours à mes côtés, me suive partout, me réveille le matin, et m'aide à faire des choses. J'espérais que ce serait l'amour fou entre nous, que l'on soit reliées. Puis, un jour, fin mars, je suis allée la chercher. Je me suis rendue chez mon oncle, où je l'ai vue pour la seconde fois de ma vie.

La première fois, quand elle avait à peine trois mois, elle était toute petite et fragile. C'est avec stupeur que j'ai trouvé une Chouquette agile, gracieuse et grande. Elle est blanche avec des taches rousses. Elle a des yeux verts, et des toutes petites pattes. Nous la ramenons chez moi. Elle se cache dans un coin de ma chambre, où je lui mets de l'eau et de la nourriture, ainsi que sa caisse. Je l'aime déjà énormément. Tout ne se passe cependant pas comme dans un film. Elle ne bouge pas de la chambre durant les quatre premiers jours. Je lui chante une chanson, toujours la même : baby mine, tirée de Dumbo. Je lui parle, lui promets que tout ira bien, que je l'aime plus que ma propre vie, et que je ferais d'elle le chat le plus heureux du monde.

Au bout d'une semaine, elle se décide à sortir de ma chambre, à se balader dans l'appartement. Elle ronronne gaiement, mais ne vient jamais nous voir, et nous évite. Je meurs d'envie de la caresser, de lui faire des câlins. Seulement, étant donné que nous ne sommes pas dans un beau film, je ne peux pas l'approcher. Un jour, mon père m'annonce fièrement que Chouquette, de son nouveau nom Nessie, est venue s'allonger sur son torse. Je pense, qu'à ce moment, l'on pouvait lire tout le désespoir, et toute la jalousie du monde sur mon visage. Je n'ai compris que bien plus tard à quel point nous étions faites l'une pour l'autre.

Un soir, j'étais rentrée fatiguée, et triste. J'avais eu une journée abominable, passée à écouter les rumeurs sur moi, les professeurs se plaindre, et à voir les mauvaises notes pleuvoir. J'étais déçue, et avais besoin de réconfort. C'est alors qu'elle est venue se frotter contre moi, puis s'allonger à mes pieds. Je ne sais pas pourquoi, sûrement une intuition, mais je ne l'ai pas touchée, je n'ai pas bougé, mais nous sommes restées toutes les deux à nous fixer, nous transmettant nos énergies et nos ondes. J'ai alors compris que dans cette façon de faire, elle me montrait son amour, sa sincérité, et toute la gratitude qu'elle avait pour moi.

Elle est réservée, fragile, mais d'une grandeur d'esprit incroyable. Une âme si pure dans un si petit être. Elle me ressemblait dans sa façon d'être et de montrer ses émotions. C'est ainsi que nous avons appris à nous connaître, et à nous comprendre. Je sais quand quelque chose ne va pas avec elle, qu'elle n'est pas satisfaite. Elle sait quand je ne vais pas bien, que j'ai le moral dans les chaussettes, et que j'ai besoin de réconfort. Je l'aime, et elle me le rend bien. Ce n'est peut-être pas comme dans un film, mais le lien est là, il existe, je le sens. Rien ne nous séparera plus, ni ma mère, ni la peur, ni le monde.

Du moins, c'est ce que je pensais quand j'ai reçu sa carte d'identification, le 16 janvier 2020. Ce jour-là toute ma crainte d'être séparée d'elle s'est envolée avec son ancienne identité. Elle était enfin mienne, et personne ne comprenait à quel point cela me soulageait, sauf elle. On avait vécu de si bon moment en ayant peur, que cela nous rendait heureuses de savoir qu'on allait pouvoir en partager d'autres sans cette crainte que ce soit le dernier. Cependant, lorsqu'une peur s'envole, une autre la remplace.

Aujourd'hui, je n'ai plus peur que ma mère la renvoie à la SPA, ni qu'on me la prenne de force. La justice, la loi, et sa puce électronique sont de mon côté. En revanche, je vis dans l'angoisse de devoir me séparer d'elle pour son bien. Ma mère va perdre notre logement à la fin du mois, à cause du divorce. Elle va sûrement perdre son travail si on ne trouve pas rapidement une solution. Quant à moi, je devrais soit placer mon chat dans une pension animalière, soit la laisser chez quelqu'un, soit m'en séparer à jamais.

Mon chat m'a sauvé la vie. Elle m'a retenue quand j'ai failli faire une erreur fatale. Elle m'a empêchée de sombrer entièrement dans la dépression. Elle est celle qui me console le soir, qui partage mes douleurs, mes peurs, mes insomnies, ma vie. Quand je fais une crise d'angoisse au lycée, c'est à elle que je pense. Quand je faiblis, c'est toujours à elle que je pense. Pourtant, maintenant que cette peur de devoir la laisser alors que je lui avais fait une promesse est présente, mes crises d'angoisse deviennent violentes, fatigantes, et je perds mon point d'ancrage.

Je ne demandais qu'une chose : son bonheur. Ses souffrances font mes douleurs, ses peurs font mes phobies, sa vie fait la mienne. S'il y a Nessie, il y a moi. Là où elle ira, je veux être. Alors, qui pour m'aider à tenir cette promesse qui me maintient en vie ?

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