CHAPITRE 1 - Dans le Sang et les Flammes

« Les satisfactions égoïstes conduisent à la destruction, la renonciation conduit à l'immortalité. »

- Gandhi

___________________

Le sang perla en cette nuit de fin d'automne. Comme le feuillage prend la triste couleur du couchant, les chemises et armures se tâchèrent d'un pourpre brûlant.

Ce soir-là, le château fut pris d'assaut par les troupes félonnes. Autrefois beau et majestueux, le château n'était à présent plus qu'un immense brasier suffocant. L'agitation ne cessait pas, les combats ne faisaient que s'intensifier à chaque nouvelle minute. Quand la bataille a-t-elle commencer ? L'alarme, sonnée à l'heure du couchant, avait ébranlé les solides fondations de la cité et résonnait encore, appelant aux armes les valeureux encore debout. Encore capable de tenir une arme. Encore apte  à faire rempart de leur corps pour l'ultime honneur qu'est celui de défendre sa nation contre la perfidie et l'avarice.

« Ce soir, nous prendrons la tête du Noble Roi ! Ce soir, nous couronnerons notre nouveau souverain et notre pays retrouvera sa gloire ! » Hurla l'un des assaillants richement armé, frappant de son arme avec vigueur contre le métal de son bouclier par soucis de faire entendre sa voix dans le brouhaha de la bataille.

Les quelques hommes autour de lui prirent de l'élan, poussant un grand cri qui accompagna le mouvement du bélier contre les imposantes portes qui entravait encore leur route. Le bois craqua, plia, les gonds commencèrent à s'échapper de leurs coches...
Une flèche vola depuis les remparts, transperçant à la gorge  l'agitateur dont le corps chuta avec fracas sur le sol, piétiné dans l'action par ses camarades. Il fut bien vite remplacé par un autre combattant à la voix tonitruante, ce dernier beuglant comme un animal : « Allez, plus fort ! Défoncez cette porte, qu'on en finisse ! »

Les traîtres redoublèrent d'effort, les muscles de leurs bras se bandèrent alors que certains se reculaient déjà, armant arc de flèche pour viser les hauts murs en quête du moindre archer à abattre. Les gonds cédèrent et la porte éventrée, arrachée, laissait à présent  libre accès à la cour et aux dernières forces armées du Roi qui s'y étaient repliée. Les chevaliers tirèrent leurs épées, les archers à leurs côtés décochèrent pour une première salve destructrice. Les traîtres en première ligne tombèrent, ceux derrière eux chargeant dans un cri de rage terrifiant. Un nouvel assaut, une nouvelle escarmouche.

Beaucoup de morts, bien trop de morts. Anciens frères d'armes et aujourd'hui ennemis. Cette amertume, était-ce le goût de la déception dans leur bouche ? 

Dans la bataille, un maigre escadron fit une percée dans les rangs des défenseurs, courant à vive allure pour prendre d'assaut la tour de l'Ouest. Le Roi ne pouvait qu'y être. Un homme se détacha du groupe, prenant les devants. Plus rapide, il poussa de l'épaule les battants de bois sur son passage, tirant sa lame pour planter d'une estoc la gorge du soldat blessé qui tenta de l'intercepter. Du pied, il éloigna le corps amorphe de son adversaire balayant le sang de son arme d'un revers. Les hommes laissés derrière parvinrent à sa hauteur, l'un d'entre eux posant sa main ganté sur l'épaule de l'épéiste avec prudence :

« Prince Kordell, prenez garde je vous prie » le somma-t-il avec insistance : « Ne prenez pas d'initiative de cette manière, nous ne pouvons pas nous permettre de vous perdre. »

Le Prince laissa un rire lui échapper, balayant la main du lieutenant d'un geste négligé de la main. Son regard pourpre se posa sur le visage du malheureux qui osait lui faire une « leçon », ce dernier semblant soudain pris d'un frisson.

« Mon frère n'a plus d'issue, la majeure partie des ennemis pourrissent déjà dans leur sang derrière nous. Détendez-vous un peu, nous avons déjà gagné la bataille. »

Un sourire narquois au coin des lèvres, Kordell fit volte-face aux escaliers, ces derniers grimpant vertigineusement vers les appartements royaux. Ses pupilles cramoisies reprirent leur teinte onyx naturelle alors qu'il entamait sa montée vers les sommets. Vers ce frère aîné dont il ne partage que la moitié du sang. Vers sa future couronne.

Ϯ

Trois silhouettes encapuchonnées montaient les marches de la tour à une allure soutenue, le visage noirci et suant à grosses gouttes dans cette fournaise qui les entourait. A bout de souffle, ils stoppèrent leur course face à la porte menant aux toits, l'homme en tête de file poussant cette dernière pour libérer la voie. Le vent s'engouffra dans la tour, portant avec lui l'odeur de la mort.

Les capuchons tombèrent uns à uns. Le premier homme était un svelte garçon d'une vingtaine d'année à peine, ses cheveux châtains laissant entrevoir quelques reflets blonds, éclat ternit par l'obscurité omniprésente. Ce dernier tira sa dague, entailla sa main et entama, agenouillé au sol, le tracer d'un cercle formé de symboles anciens. Le second homme, pour sa part, était à l'opposé du premier : une montagne de deux mètres, solidement charpentée, aux épaules larges et puissantes, aux cheveux bruns, à la peau tannée par le soleil et dépassant largement la trentaine. Ses mains, visible sous son armure, étaient calleuses, couvertes de cicatrices courant jusqu'à ses poignets et ses bras. Ce dernier gronda à l'attention de jeune homme, son ton tendu et impatient :

«  Combien de temps avant que le portail ne soit ouvert, Dann ? »
- Laisse-le se concentrer Houlong » le somma le troisième homme, ce dernier lui tendant sa cape « Occupe-toi de ton bras. »

Le géant grommela, prenant l'étoffe pour l'enrouler autour de son bras gauche sanguinolent. La colère se lisait dans ses yeux noisette, ces derniers guettant la porte dans son dos :

« Connerie de Nobles... »

Dans le dos de la montagne, le dernier membre du trio s'avança jusqu'au bord de la tour, son regard de jais se posant avec appréhension sur le champ de bataille en contre-bas, ses cheveux ébènes agités par le souffle tiède du vent.

« Quelle a donc été ta folie Kordell... Mon frère... Pourquoi souhaites-tu tant tout détruire ? » Questionna-t-il, ses paroles se perdant dans la nuit.

Avec rage, il fit s'envoler son poing contre la balustrade, brisant la pierre sous l'impact. Son visage était crispé par la rage et l'amertume, ses dents serrées. Cette révolte, il en était responsable... Il le savait, et il le regrettait si amèrement... Ces soldats sacrifiés, ces vies perdues aujourd'hui... Il aurait tant souhaité rester, se battre aux côtés de ses hommes comme il l'avait toujours fait. Lorsque les traîtres n'avaient pas encore envahis les rangs.

Houlong approcha de son seigneur, la peine se lisant sur ses traits bourrus :

« Votre Majesté... Je sais que vous n'avez pas envie de l'entendre, mais les morts de cette nuit le seront en vain si vous ne préservez pas votre propre vie... Nourrissez votre rage jusqu'à ce qu'il soit temps pour vous de revenir et de leur donner juste compensation en reprenant le trône... Vous êtes le Noble Roi, le plus grand que le peuple d'Oberyn a connu jusqu'à aujourd'hui... Les Esprits vous bénissent, avec ceux qui ont péri en ce jour... »

Le Roi se retourna vers son général, son visage trahissant l'entièreté de son chagrin. Ce dernier se saisit de son bras dans une accolade fraternelle, ferme. La dernière. Le vétéran sourit de toutes ses dents, raffermissant sa prise en inclinant sobrement la tête :

« Ce fut un plaisir de me battre à vos côtés toutes ces années, votre Majesté... J'espère vous revoir dans une autre vie, et à nouveau traverser le champ de bataille. Quand vous reviendrez... Prenez soin de Marylise pour moi.
- Je m'en occuperais Houlong... » Souffla le brun, son regard cherchant une faille dans la résolution de son si vieil ami.
- Je veillerais sur elle. Je lui dirais à quel point son homme aura été grand aujourd'hui... Et avec quelle fierté elle pourra porter ton nom. Je te le promet. »

Le géant recula, dégainant son épée de son bras valide, brandissant cette dernière dans un ultime salut militaire qu'il avait répété durant des années, un geste mécanique et réflexe imprimé dans ses membres. Arme contre la poitrine, il l'abaissa d'un geste souple jusqu'à ce que la pointe embrasse le sol entre ses pieds. Le Roi inclina la tête avec respect devant lui, le combattant faisant alors volteface jusqu'à, en quelques pas, s'engouffrer dans l'obscurité des escaliers de la tour. Le souverain emboita le pas du géant, fermant la porte derrière lui dans un claquement sourd. Le son métallique du loquet brisa le silence. Houlong venait de sceller son destin.

Le bruit des estocs résonna dans la tour, ramenant durement le souverain à la réalité. Houlong leur faisait gagner du temps, il n'était pas envisageable de le gâcher. Le Gardien se hâta, ses doigts imbibés de sang traçant les dernières lignes du cercle magique. Gardant  son regard obstinément fixé sur la porte close, le Roi s'attendait à voir surgir l'ennemi à tout moment. A voir le bois craquer, la porte céder et le sang couler.

Le châtain traça le dernier symbole, le cercle s'illuminant progressivement d'une couleur or. Le regard du Roi, attiré par la lumière, fini par se tourner vers le cercle. Il était temps de fuir, en lâche. De laisser tomber sa couronne...

« C'est l'heure. » fit finalement savoir l'arcaniste lorsque leurs regards se rencontrèrent, le cercle s'embrasant à ses mots.

Tendant les mains vers l'avant, le regard jade du jeune homme s'illumina en même temps que ses mains, les flammes gagnant en puissance. La porte claqua, une fois. Deux fois. Ils étaient là, et ils arrivaient. L'odeur du sang était de plus en plus forte, les flammes grandissaient encore et encore, irradiants tel un soleil en pleine nuit. La voix de l'arcaniste se fit entendre dans un chuchotement:

« Iris naemdi kira di steris ! »

« Esprits, ouvrez la voie » traduisit mentalement le souverain, sa vision se posant avec angoisse sur la porte dans son dos, cette dernière claquant une nouvelle fois, le glas sonnant au rythme du bois se fendant sous les assauts des assaillants.
La colonne de feu se replia sur elle-même en une sphère chatoyante, s'ouvrant alors à la manière d'un cocon pour laisser entrevoir un être humanoïde de la taille d'un homme flottant au-dessus du sol, ce dernier ouvrant largement les bras pour laisser voir, dans sa poitrine, une fente brillante. Le Guide était là... Le Portail était ouvert.

La porte s'arracha de ses gonds sous un nouvel impact, laissant voir les sauvages, arme au clair, le sang et l'écume quittant leurs mâchoires serrées. Ils étaient blessés, leurs armures cabossées. Houlong n'était plus mais son dernier combat ne fut pas sans honneur.

Le roi tira la lame de l'arcaniste de son fourreau, faisant volte-face à ses adversaires alors qu'une voix lui étant bien trop familière tonna derrière les assaillants.

« Mon frère ! Les Esprits ne te sauveront pas ce soir ! Je suis et je resterais le nouveau Roi d'Oberyn! »

Kordell. Le prince s'avança, traversant le groupe, arbalète armée, souverain en joug. Le visage fermé, le roi tendit son épée dans sa direction, son regard d'ébonite virant au rouge le plus sanguin.

« Que crois-tu Kordell ? Les Esprits ne trouveront jamais en toi un être digne de tenir le rôle de Roi d'Oberyn. Ta folie t'aveugle, trop de sang a coulé. Je ne pourrais jamais pardonner le crime que tu as commis ce soir...
- Tais-toi !! J'en ai assez de tes discours de Noble et Digne Roi. Rend toi et couronne moi, je te promets une exécution rapide. A moins que tu préfères... T'enfuir comme un lâche ? Que je t'abatte comme un chien ? »

Le souverain abaissa sa lame, la mâchoire crispée, tandis que Kordell continuait de savourer son instant de gloire.

« Tu ne comprends rien, Kordell... Tu n'as jamais compris... Ils t'ont menti et monté contre moi...
- C'est toi qui n'as jamais compris, Kael. Ton peuple s'est divisé à cause de tes choix... Et je l'unifierais sous mon règne, comme autrefois. » Le prince releva son arbalète, rajustant sa visée. - C'est ta dernière chance, mon frère. Rend toi, ou meurt. »

Combattre, à quoi bon ? Le Roi tourna le dos à ces ennemis, se précipitant vers l'être de lumière. Un sifflement raisonna à ses oreilles, lui glaçant le sang. Mais nulle douleur ne traversa son corps comme il s'y attendait. Tournant son regard un bref instant vers l'arrière, ses pupilles rougeoyantes reprirent leur couleur d'origine, alors que son visage ne faisait que devenir plus blême encore. Les bras du guide entourèrent sa silhouette, l'emportant  dans un éclat éblouissant tandis que le corps de l'arcaniste chutait, transpercé d'un carreau en pleine poitrine.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top