Chapitre 9 : La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre (partie 2)
– Sinon, quelqu'un a une brillante idée pour éviter l'apocalypse ? lança Xavier.
– Moi, je pourrais aller la chercher, se manifesta soudain Kalum.
– Certainement pas ! s'exclama aussitôt sa mère.
– Tu admettras que c'est la solution la plus raisonnable, raisonna Vélinol en se levant.
– C'est vous qui lui avez mis cette idée en tête ? s'offusqua la métamorphe.
– Elle n'a rien fait du tout, Maman, c'est moi qui suis parvenu à cette conclusion tout seul, j'y pense depuis ce matin, défendit l'adolescent.
– Il est hors de question que... commença Linaëlle.
– Lin', s'il te plaît, je pense qu'on devrait prendre quelques minutes pour réfléchir posément, l'interrompit Sollia. Ce n'est peut être pas une si mauvaise idée.
– Vous ne pouvez pas sérieusement envisager de l'envoyer là-bas ? s'estomaqua la concernée.
Il y eu un silence durant lequel elle transperça du regard chacun des adultes présents. Aucun ne broncha. Ils refusaient d'alimenter son irritation en s'opposant à elle. Finalement, le patriarche se leva.
– Linaëlle, assied-toi, prononça-t-il.
Muette, sa fille obtempéra. Malvius lança un regard à Cassildey qui hocha la tête. Par ce simple geste, il l'autorisait à faire valoir son statut de chef de famille. Après tout, il s'agissait là d'une affaire de famille, aux enjeux disproportionnés, mais une affaire de famille tout de même.
– Tu as dit il y a un instant qu'il fallait un lien de sang avec Elerinna pour la trouver, n'est-ce pas ? interrogea Malvius.
– Oui, répondit la métamorphe. Et avant que tu me le demande, la magie du flamhur n'aura aucun effet. Il aurait fallût qu'Ordeth la reconnaisse.
– Cela nous limite donc à la famille proche, donc toi, Jayden, Kalum, Emelyn, Adam ? continua-t-il.
Linaëlle secoua la tête.
– Pas Adam. Et ni Azra ni Sadima n'ont les possibilités d'aller là-bas.
– Si tu dois rester ici et que Jayden est coincé par sa formation, il ne reste que Kalum et Emelyn. Cette dernière étant trop jeune, Kalum est tout désigné.
– Mais...
– Lin', ça ne nous plaît pas plus qu'à toi, l'interrompit Xavier. Mais très honnêtement, vu le scénario décrit par notre ami aux oreilles pointues, il faut tenter quelque chose.
– Vous semblez oublier que c'est un Dragon, objecta Kalioska. Et si j'ai bien compris ce qu'était un Éveillé pur, l'envoyer là-bas risque de lui poser des problèmes, non ?
– Ou ça pourrait tout à fait faire basculer la situation en éveillant pleinement sa face animale, corrigea Malvius.
– Vous êtes tous tombés sur la tête ? s'exclama Linaëlle. Vous ne pouvez pas l'envoyer seul là-bas !
– Tu oublies qu'il ne sera pas seul, se manifesta Ayalin. Quelle que soit votre décision, nous continuerons notre tâche. Si Kalum part, ce sera avec nous.
– Et avec moi, ajouta Vélinol.
L'adolescent pivota vers elle et s'apprêta à protester, mais sa mère fut plus rapide :
– Vous êtes la raison pour laquelle je reste ici, si vous partez...
– Tu dois rester Linaëlle, l'interrompit Elmira.
– Elle a raison, appuya la Déesse. Ces évènements qu'Amalicia a vu dans le cristal, si il s'agit de ceux auxquels je pense, ne sont pas liés à moi, pas directement. Dopalis aura besoin de ses gardiens. Malatir aura besoin de la Porteuse du Sang pour espérer survivre.
– Autrement dit, vous savez qu'une catastrophe va nous tomber sur le coin du nez et vous ne jugez pas bon d'entrer dans les détails ? pesta Xavier.
– C'est là tout le problème des voyants, répondit Vélinol. Je ne suis pas omnisciente, je ne vois que des morceaux de probabilité. Et pour avoir déjà essayé, je sais que tenter d'influencer le futur en vous révélant son contenu pourrait déclencher quelque chose de pire encore. Ce dont je suis certaine, en revanche, c'est que le cristal ne ment jamais. Tout ce qu'il annonce se réalise, il a été conçu pour ça.
Kalum remarqua que sa mère restait silencieuse et immobile. L'avertissement de la Déesse l'avait plongée dans une réflexion intense. Dans ses iris, il pouvait presque voir les reflets des souvenirs des anciens dragons défiler. Tandis que ses oncles et tantes envisageaient d'autres solutions irréalisables, il la vit soudain relever la tête.
Elle prononça une phrase dans une langue que l'adolescent ne connaissait pas. Quelques mots qui résonnèrent dans sa poitrine comme le bruit sourd d'une immense cloche. Tout le monde se tut soudain, mais Linaëlle fixait Vélinol.
– Je ne peux rien dire, souffla l'ex-voyante.
– Mais il y a de fortes probabilités, n'est-ce pas ? insista la métamorphe.
Le regard de la Déesse dévia sur le jeune garçon près d'elle et revint sur Linaëlle. Elle ne prononça pas un mot, mais sa vis-à-vis pesta tout bas.
– Qu'est ce qu'il se passe, Lin' ? interrogea Cassildey.
– Il y a... Je ne sais même pas si on peut appeler ça une prophétie, souffla sa sœur. Quelque chose à propos d'une lune de sang, et de la destruction d'une étoile... Ces évènements obscurs sont censés précéder le retour des Dragons.
– Oui, je me souviens de ce moment, souffla Malvius. Quand les Dragons ont compris que malgré le Pacte, leur race disparaitrait, ils ont confiés aux Témoins un texte qui doit annoncer leur retour. J'ignore l'étendue des pouvoir des anciens, et beaucoup de Porteurs du Sang ont tenté d'interpréter ces mots. Et même si nous ne savons pas ce qui doit advenir, ce sera une période sombre.
– J'ai pensé pendant un moment que le retour des Tfigunï pouvait correspondre, ajouta Linaëlle. Mais trop de choses ne collent pas.
– Que dit-elle, cette prophétie, exactement ? interrogea Fahyr.
L'intervention de l'elfe surprit l'assemblée. Ils avaient presque oublié la présence de leurs invités, silencieux et attentifs.
– C'est une traduction en Malatirien que je vais donner, expliqua Malvius, je ne me rappelle plus du texte original, il se peut donc qu'il y ait des imprécisions.
Il se racla la gorge et récita :
« Quand l'étoile se brisera et que la lune sanglante se lèvera,
Viendront ceux qui tirent leurs pouvoirs de la nuit.
Ils trancheront les racines, briseront les joyaux,
L'harmonie deviendra chaos et coulera le Passeur Crépusculaire.
Dans l'obscurité, au cœur des trois cercles, le gardien se tiendra et le sanctuaire il protègera.
Délivré par le lever du soleil, il verra revenir les Seigneurs du ciel. »
– Charmant, souffla Cassildey. Je suppose qu'il y a autant d'interprétations que d'interprètes ?
– En effet. La seule chose dont nous pouvons être sûrs, c'est que le gardien est le Porteur du Sang en titre, et que le sanctuaire est ici, sous nos pieds, affirma son père. Je pourrais éventuellement faire des recherches pour tenter d'éclaircir le reste, mais ce ne seront que des suppositions.
– Ce qui confirme ce que nous préconisions, analysa Sollia. Linaëlle doit de toute manière rester ici.
– Alors vous êtes tous d'accord pour envoyer mon fils en mission à l'autre bout du monde, loin de notre sphère d'influence ? grogna la concernée.
– Tu n'étais pas beaucoup plus âgée à l'époque d'Hilarith, commenta Elmira.
Sa fille lui jeta un regard suppliant mais la Reine-mère secoua la tête.
– Au regard de ce que nous avons appris aujourd'hui, tant de ta part que de celle de nos invités, il me semble que c'est la seule option viable, affirma Malvius. Au fond, tu sais que c'est le bon choix, Lin'.
La concernée se leva, posa ses deux poings sur la table et respira profondément. Elle leva les yeux et planta son regard dans celui de son fils.
– Très bien, dans ce cas, vous partirez dès que possible.
Kalum acquiesça du menton. Il n'aurait jamais cru si facile de convaincre sa famille que sa solution était la bonne. Le repas se finit sans événement notable et l'adolescent raccompagna Vélinol à ses quartiers. Tandis qu'ils montaient l'escalier dissimulé, la Déesse trébucha sur une marche et il la rattrapa de justesse. Sa soudaine faiblesse l'étonna avant qu'une idée ne se faufilent dans son esprit.
– Vous n'auriez pas récupéré plus de magie que vous ne voulez bien le dire ? l'interrogea-t-il en la maintenant contre lui.
Elle lui adressa un sourire surpris.
– Il est surprenant de voir l'effet qu'une marqué peut avoir sur ma guérison.
Le jeune garçon secoua la tête.
– Vous n'auriez pas dû. Ils auraient fini par se mettre d'accord.
– Ta mère a encore une influence puissante sur le destin des gens qui l'entourent. Je ne voulais pas qu'elle puisse s'opposer à ce choix, ni au fait que je t'accompagne.
– Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée. Vous n'êtes pas assez remise pour...
– La première partie du voyage sera facile, l'interrompit la divinité. Et la présence de Cathya m'aidera à recouvrer mes forces.
Elle reprit la montée et ils finirent le trajet en silence.
– Marquez-moi aussi, alors, vous guérirez encore plus vite, souffla Kalum, arrivés dans ses appartements.
Vélinol posa les yeux sur lui. Ses iris vairons brillaient d'une expression indéchiffrable pour l'adolescent. Elle secoua la tête.
– Je ne peux pas.
– Pourquoi ? s'étonna-t-il.
– Parce que tu appartiens déjà à Elerinna.
– Comment cela ?
– Vous avez un parent en commun, tu es donc déjà... Dritach. Il n'est pas possible pour les autres divinités de te marquer jusqu'à ce qu'elle renie son droit sur toi.
– En voilà une règle stupide, bougonna l'adolescent.
– Ce n'est pas comme si j'avais vraiment besoin de ça, soupira Vélinol. Cela fait des siècles que je n'ai pas été liée à un mortel. Une seule, c'est bien assez pour le moment.
– Cela vous dérange, analysa Kalum.
La divinité pinça les lèvres.
– Disons que j'aurais préféré que ce ne soit pas une parfaite inconnue, mais je me plains d'aise, souffla-t-elle.
Le jeune garçon pencha la tête sur le côté, interrogatif, mais elle ne le voyait plus. Ses souvenirs dansaient au fond des ses prunelles, et il s'abstint de poser les questions qui lui brûlaient les lèvres.
Elle cligna plusieurs fois des paupières, revenue de loin et avant qu'il n'ai eu le temps de dire quoi que ce soit, elle le poussa gentiment vers la porte.
– Aller, va, tu as des adieux et des préparatifs à faire. Ne me laisse pas te distraire de tes priorités.
Il sourit, s'inclina et sortit sans rien ajouter, comprenant son besoin de tranquillité sous-entendu. Dans le couloir, il s'autorisa une pause. À la pensée de ce qui l'attendait, il sentait son cœur battre plus fort et ses muscles se tendre, comme un appel à partir.
À s'envoler...
Delthéa était assise au bord d'une source magique, tous les sens en alerte, quand un appel retentit dans ses oreilles. Elle pensa aussitôt à Linaëlle, mais son âme sœur savait combien l'intermonde restait dangereux pour elle. Sauf urgence, elle savait qu'elle ne devait pas s'aventurer seule ici. De plus, le ton n'avait rien d'urgent, il paraissait intrigué, à la recherche de réponses. La déesse prêta attention à l'énergie qui émanait de l'âme qui l'appelait et sursauta.
– Eli... murmura-t-elle avant de s'élancer.
Étoile filante, elle traversa l'espace pour se matérialiser sur les escaliers menant au monde des morts, dans le dos de celle qui l'appelait.
– Vous l'avez vue ? demanda-t-elle.
Son interlocutrice pivota. Deux prunelles claires surmontées par des cheveux bruns coupés court, la regardèrent avec surprise.
– Vous existez vraiment... Je crois que je vais avoir des ennuis, murmura la jeune femme.
La Déesse leva un sourcil.
– Oubliez ce que je viens de dire. Oui, je l'ai vue, j'ai même fait un bout de chemin avec elle, avant... Enfin, vous voyez.
– Elle va bien ? s'effraya Delthéa.
– Elle devrait, j'ai réussi à l'amener au sanctuaire, les gardiens l'ont sûrement vu et sauvée.
– Sûrement ? répéta la divinité.
– Si elle n'est pas morte, alors elle est en sûreté pour l'instant, affirma la jeune femme.
– Elle n'est pas morte, cela je peux en être sûre, chuchota la divinité.
Elle attrapa le poignet de la jeune femme, explora ses souvenirs les plus récents. Un sourire étira ses lèvres.
– Merci Debra, souffla Delthéa.
– Je vous en prie, même si ça ne rachètera pas mes mauvaises actions.
La divinité explora le reste de son esprit, étrangement nébuleux. Elle mit ce phénomène sur le compte de sa mort douloureuse.
– On ne choisit pas sa famille. L'important c'est que vous vous en soyez sortie, la réconforta la Déesse.
– J'espère pour vous et votre fille que les choses s'arrangeront.
La jeune femme passa une main dans ses cheveux, et elle remarqua seulement à ce moment le tatouage en croissant de lune sur le revers de sa paume.
– Je crois qu'on m'attend là haut, murmura Debra.
La divinité hocha la tête, et son interlocutrice continua sa montée. Elle resta un instant figée, mais rien ne bougeait aux alentours.
– Eladriel... Est-ce toi qui tire les fils de tout ceci, caché à mon regard ou as-tu disparu, toi-aussi ? demanda-t-elle.
Elle ne reçut aucune réponse, ferma les yeux et s'élança à la recherche d'un nouvel abri.
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