Chapitre 8 : Reflets d'argent (partie 3)

À ce moment, le lien qu'il partageait avec sa mère vibra. Linaëlle était de retour. Seule.

Pendant un bref instant, il perçut la tempête d'émotions qui l'agitait avant qu'elle ne se barricade derrière les murailles les plus solides qu'il ne lui avait jamais vues.

– Kalum ? l'interpella Vélinol.

Il reporta son attention sur la Déesse, soudain conscient qu'elle devait être au courant depuis le début.

– Vous saviez que c'était elle, n'est-ce pas ? l'accusa-t-il.

– Que veux-tu dire ?

– Vous saviez qu'elle était la mère de la nouvelle Déesse ! Que Delthéa et elle ont une fille !

Son interlocutrice en resta bouche bée de stupeur. Elle vacilla sur ses pieds, maintenue par Tamara qui le regardait sans comprendre.

– C'est ma tante qui... Altog, comment... Elles sont vraiment... balbutia la divinité.

– Je ne comprends pas, de qui parle-t-on ? s'informa la jeune femme.

L'adolescent pesta mentalement. Ils ne pouvaient pas évoquer le sujet devant la domestique, fût-elle leur amie.

Comme Vélinol peinait encore à se remettre de sa surprise, le jeune garçon intervint :

– Tamara, je vais être honnête avec toi, il vaut mieux pour nous tous que tu n'entendes pas la conversation qui va suivre.

La jeune femme chercha le regard de la Déesse qui confirma d'un hochement de tête. Elle s'écarta de sa patiente et se fendit d'une révérence avant de tourner les talons.

– Tamara, attends, la retint Kalum. Ce n'est pas contre toi, je...

La domestique pivota pour le regarder, solennelle. 

– Ne vous inquiétez pas, monsieur, cela je le comprends. Ma mère a eu le temps de m'apprendre certaines choses, malgré tout.

– Qu'est ce que...

La jeune femme tendit une main vers lui et une autre femme la remplaça.

« Si tu suis mes traces, ta vie ne sera pas ordinaire. Tu partageras leurs joies, leurs peines, tu les verras grandir, vieillir, et la famille s'agrandir. Viendra un jour où tu serreras l'un d'entre eux dans tes bras et où tu t'apercevras que tu en fait aussi partie, ils seront ta famille. Tu vivras pour eux et si nécessaire, tu donneras ta vie pour eux. Mais tu auras beau être aussi proche d'eux que leurs frères et sœurs, être considérée comme un membre de la famille, aussi loyal et fidèle qu'il est possible de l'être, il y aura toujours un moment où tu atteindras la limite. Un moment où le secret sera si énorme qu'ils ne pourront pas te le confier. Parce que quand bien même tu emporterais tous les autres dans les flammes, celui-ci, tu seras incapable de le porter ou de le défendre. Malgré tout l'amour qu'ils auront pour toi, tu devras partir sans demander pourquoi et de préférence oublier ce que tu as entendu avant. Justement parce qu'ils t'aimeront, ils voudront te protéger. N'oublie jamais que tu seras leur faiblesse, celle par qui leurs ennemis pourront passer pour les atteindre. Là est la limite, entre toi et eux. Ceux qui servent au plus près la famille royale le savent. »

Aussi soudainement qu'elle était apparu, Émily s'effaça de son esprit. Il ne possédait pas de souvenirs d'elle, il était trop jeune à l'époque de son décès. En revanche, la voix avait fredonné à ses oreilles comme un air musical qu'il aurait oublié. Le temps qu'il se remette de ses émotions, Tamara avait quitté la pièce.

Vélinol se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche, encore sonnée, posa un instant son regard sur l'elfe qui dormait dans le divan, et soupira :

– J'avais oublié comme la vie chez les mortels peut être agitée.

Kalum s'assit près d'elle.

– Vous ignoriez tout de cette histoire, vraiment ? l'interrogea-t-il.

Elle reporta son attention sur lui et secoua la tête.

– Je mentirais en disant que je ne savais pas pour la relation entre ta mère et Delthéa. Dès notre rencontre, j'ai compris que Linaëlle n'avait rien d'ordinaire. Déjà avant, je l'avais aperçue dans mes visions aux côtés de ma tante. J'avais également conscience d'une nouvelle divinité qui se cachait aux yeux de tous depuis plusieurs années. Ce que j'ignorais, c'est qu'il s'agissait de ma cousine.

– Plusieurs années ? répéta Kalum.

Comme la Déesse hochait la tête, il se rappela soudain son arrivée sur Arkholis.

– La nuit où vous êtes tombée, j'ai rêvé de vous...

– C'était donc toi... Ce n'étais pas vraiment un rêve, plutôt un voyage d'esprit. Je cherchais quelqu'un pour m'aider et je savais que ta mère était porteuse du Sang. Dans ma confusion, j'ai bien touché un Dragon, que j'ai attiré à moi, mais ce n'était pas elle, visiblement.

– Vous saviez ?

– Non, mes souvenirs de ce soir-là sont très flous. Je ne savais même pas si j'étais parvenue à contacter quelqu'un ou si ta mère avait juste déduit ce qu'il fallait faire de son propre chef. Mais quel est le rapport ?

– Il y avait quelqu'un d'autre ce jour-là, confia l'adolescent. Je l'ai dit à ma mère qui a soigneusement esquivé le sujet. Elle a dû ternir le souvenir comme elle sait le faire pour que je n'y pense plus, mais ça devait être elle. Ça ne peut être qu'elle, une petite fille du même âge qu'Émelyn, qui lui ressemble trait pour trait mais qui a les cheveux blancs.

Vélinol réfléchit un instant avant de répondre :

– Oui, c'est possible. Elle aurait conçue des jumelles et l'une d'elle aurait été imprégnée par Delthéa. Ce qui explique le fait que personne ne l'ai remarqué.

– Mais...

– Je sais ce que tu vas dire. Ton père a effectivement participé. Pour autant, cette petite ne tient pas de lui.

– Elerinna, corrigea Kalum.

Devant l'air inquisiteur de la demi-elfe, il précisa :

– C'est son prénom, c'est tout ce qu'elle a eu le temps de me dire avant de me renvoyer.

– Elerinna... murmura la Déesse, un sourire aux lèvres. Parfaitement adapté pour la fille de Delthéa.

Il y eu un instant de silence, où chacun d'eux digéra la nouvelle, avant que Kalum ne demande :

– Est-ce que ça fait de moi votre cousin ou quelque chose dans ce goût-là ?

Vélinol eut un petit rire.

– Par alliance, peut être, encore que Linaëlle et Delthéa ne soient pas mariées.

Elle fronça les sourcils et le regarda :

– D'ailleurs, ton père... et... Altog, je viens seulement de me rendre compte qu'une elfe ici n'a rien de commun, que s'est-il passé ?

Le jeune garçon lui résuma donc en quelques phrases les évènements de la matinée.

– La colère de ton père me surprend, mais mes repères datent d'un autre temps, conclut la Déesse. C'est malheureusement un problème qu'ils doivent régler entre eux.

– Ma mère est revenue seule tout à l'heure, je crains que ce soit loin d'être terminé.

– Et je te retiens pendant que ta famille a besoin de toi, constata la Déesse.

– Non, pas du tout, je ne saurais pas quoi faire ou dire. Je ne sais même pas ce qu'en pense mes oncles et tantes ou mes grands-parents.

– Et toi, qu'en penses-tu ? l'interrogea la demie-elfe.

– Que c'est ma sœur et qu'elle a besoin d'aide, souffla l'adolescent en passant une main nerveuse dans ses cheveux. Quand tout le monde sera à l'abri, nous aurons le temps de nous déchirer sur tous les sujets possibles.

Vélinol intercepta sa main sur le retour et le regarda droit dans les yeux :

– Alors qu'est ce que tu attends pour les convaincre ?

– Ils ne m'écouteront pas.

– Qu'en sais-tu ? Tu n'as même pas essayé. Elle est aussi de ma famille. Si je pouvais, je serais déjà partie à sa recherche. Si je peux t'aider à les convaincre d'agir, n'hésite pas à me le dire.

L'adolescent serra gentiment sa main. Il carra les épaules et se leva.

– Je suppose que je peux essayer. Vous veillerez sur notre invitée ?

– Ne t'inquiète pas pour elle, va, l'encouragea-t-elle.

Il lui sourit, sa main toujours dans la sienne et s'inclina avant de la relâcher.

– Je vous tiendrais au courant, assura-t-il avant de s'éclipser.

Vélinol resta assise, les yeux dans le vague. Ce garçon lui rappelait quelqu'un qui avait tenu une place dans son cœur, des siècles plus tôt. Ils avaient le même sourire, franc et généreux.

– Ma dame ? l'interpella une voix.

La Déesse sursauta et prit conscience de la présence de Tamara. La discrète jeune femme était revenue avec le repas du midi, si elle en croyait son odorat.

– Vous étiez partie dans une autre époque, j'ai l'impression, s'amusa la domestique en installant le couvert.

– Plus ou moins, sourit la demi-elfe.

– À quoi pensiez-vous, si je-puis me permettre ?

– À un homme que j'ai aimé, il y a une éternité, souffla Vélinol.

– Et celui que vous pensez aimer aujourd'hui ? compléta la domestique.

La Déesse pivota pour l'observer, bouche entrouverte.

– Ah, rassurez-vous, je ne dirai rien, la rassura Tamara.

Vélinol se reprit et secoua énergiquement la tête.

– Son destin et le mien ne sont pas liés de cette manière.

– Je croyais que vous aviez perdu vos dons de voyance en même temps que le reste, s'étonna la jeune femme.

– En effet, mais ce sont des visions que j'ai eu avant ma chute. Pas à propos de lui, mais de moi.

– Sauf votre respect, mon père m'a toujours dit de me méfier des prédictions des voyants, car le futur n'est jamais certain.

– Il a raison. Néanmoins, certains évènements ont une probabilité plus élevée que d'autres de se produire. Comme mon arrivée ici, ou notre rencontre, expliqua la Déesse.

– Vous saviez ce qui allait vous arriver ?

– Je ne connaissais pas les circonstances exactes, c'est souvent le problème des prédictions, et c'est essentiellement pour ça que je n'ai pas pu éviter que cela arrive. Il y avait certaines visions où je ne survivais pas, mais je savais que dans les cas où j'étais sauvé, il y avait de fortes chances pour que tu sois choisie pour t'occuper de moi. Mais comme tu dis, rien n'est vraiment certain.

– Il y a d'autres évènements de ce genre qui risquent de se produire ? s'inquiéta la domestique.

Vélinol posa les yeux sur l'elfe, toujours inconsciente sur le canapé.

– Beaucoup trop...

Le vent hurlait dans les oreilles d'Elerinna. Cramponnée de toutes ses forces à sa monture qui filait au galop, elle voyait enfin leur objectif.

– Là-bas ! s'exclama-t-elle en désignant les pierres qui se dressaient à quelques centaines de mètres sur la gauche.

Debra, montée sur Rouf, obliqua vers la frontière du sanctuaire, tenant le cheval de la petite fille par la longe.

Une flèche siffla au-dessus de la tête de la petite Déesse qui se pencha par réflexe. Un regard en arrière lui apprit que, malgré leurs efforts, leurs poursuivants gagnaient du terrain. La veille, elles pensaient avoir gagné un peu d'avance, mais ils les avaient trompés pour mieux se rapprocher.

De nouveaux sifflements lui apprirent que le trait manqué n'était qu'un éclaireur, toute une volée le suivait. L'une d'elle se planta juste devant ses mains, dans le corps de sa monture qui hennit de douleur et trébucha.

Elerinna eut le réflexe prodigieux de se rattraper au bras de Debra, qui manqua d'être désarçonnée. Au prix d'un effort de la part de l'humaine et d'un peu de magie, l'enfant se retrouva à califourchon devant elle.

Tendues vers les pierres qui marquaient leur salut, la respiration affolée, le cœur battant au rythme du souffle de Rouf qui écumait, elles entendirent arriver les flèches suivantes.

Un hennissement déchirant, et l'horizon bascula violemment. La petite fille eut conscience de Debra dans son dos qui enroula ses bras autour d'elle pour la protéger de la chute. Elle eut à peine le temps de s'apercevoir de la douleur que ses pieds entraient en contact avec le sol et que sa protectrice lui hurlait :

– Cours ! Cours, on peut y arriver !

Elerinna ne réfléchit pas et s'élança de toute la vitesse de ses jambes. Maintenant, elle entendait les aboiement des chiens qui se rapprochaient. Le sang battait à ses tempes, la peur réduisait son champ de vision à ses trois roches qui se rapprochaient lentement.

Une nouvelle volée la distrait et elle tomba, quelques mètres trop tôt. Trois choc sourd et un gémissement étouffé la firent se retourner. Debra tomba à genoux, une flèche dépassant de son épaule, deux autres tâches rouges au niveau de sa poitrine et de son ventre. Dans son dos, les chiens arrivaient, les cavaliers derrière eux.

– Cours... murmura la jeune femme.

– Non... gémit sa protégée.

– Va t'en, Elerinna... Ta famille t'attends...

– Debra...

Déjà, du sang coulait au coin de sa bouche, ses yeux devenaient vitreux. La petite Déesse devinait qu'elle mourrait, elle sentait le lien entre elles s'effilocher. Elle se remit sur ses pieds, fit un pas vers la jeune femme qui la repoussa d'un regard.

– Va t'en...

Le cœur déchiré, la petite fille eut à peine conscience d'obéir et de s'élancer vers le sanctuaire. Plus rapide que les autres, un molosse la rattrapa et referma ses mâchoires sur sa jambe. Elle hurla, tomba. Un coup sourd, un piaillement, les crocs desserrèrent leur emprise. Quelqu'un la souleva et franchit la frontière au pas de course. Fidèle à son rôle, celle-ci reconnu son essence divine et ses blessures et activa aussitôt tous les sorts de protection.

– Debra... 


*Verrouille la porte du bunker*

Je ne suis pas là, lalalaaa !

(Bisous à tous et bonnes fêtes si je ne reposte pas d'ici là !)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top