Chapitre 8 : Reflets d'argent (partie 1)
Le souffle de Kalum formait de la vapeur dans l'air glacé du petit matin. Le soleil se levait sur un ciel totalement dégagé. La nuit avait été glaciale, transformant la neige accumulée en congères. Malgré tout, il ne souffrait pas du froid. Ne souffrait plus, corrigea-t-il, grâce au Dragon niché dans un coin de sa tête.
Depuis qu'il y prêtait attention, il remarquait les changements que sa mère lui avait décrit. Ses mouvements avait gagné en puissance et en rapidité, son œil en acuité, son ouïe en finesse. De même, son odorat et son toucher devenaient plus sensible. Pour le goût en revanche, il ne notait aucun changement.
Cela faisait presque une semaine. Une semaine qu'il savait être le Porteur du Sang. La nouvelle avait été clamée partout dans le pays. Les gens avaient redécouvert qu'il existait. Bien sûr, ils connaissaient son existence, mais on parlait bien plus souvent de son frère ou de sa sœur. Aujourd'hui, il ne pouvait plus faire un pas dans un des nombreux salons de la Cour sans attirer une marée de personnes voulant lui parler, le voir, le toucher, avec cette adoration dans le regard qu'il avait vite appris à reconnaitre.
Le jeune garçon voyait enfin ses rêves se concrétiser. Il brillait par lui-même. Peu importe que son oncle ait décidé de lui astreindre quatre gardes du corps, ou que certains curieux se risquent jusqu'à l'étage royal pour tenter de l'approcher. Il était un Dragon, un Ol'Darith choisi pour perpétuer le Pacte qui permettrait un jour la renaissance des Seigneurs du ciel.
L'adolescent arrêta sa course à l'extrémité de l'île, face au fleuve où des morceaux de glace commençaient à flotter. Torse nu, seulement vêtu d'un pantalon de toile et d'une solide paire de souliers, il exécuta plusieurs fois ses exercices de musculation. Ses enchaînement n'avaient rien d'originaux, il copiait ceux des gardes royaux. Les soldats magiciens devaient garder une excellente condition physique, et bien que n'effectuant pas encore le même nombre de mouvements, il se construisait une solide musculature.
Essoufflé, Kalum parvenait quand même à sentir dans l'air l'odeur des feux qui réchauffaient la cité, peut être même la senteur du pain chaud et des galettes fourrées qui sortaient des cuisines. Mais sa faim et son imagination contribuait peut être à égarer son nez.
Il courut sur le chemin du retour, suivi par ses gardes, silencieux mais approbateurs.
Seul ombre au tableau de sa célébrité toute neuve, il était un Éveillé pur. Par conséquent, et pour une raison que les plus grands spécialiste n'avaient pas encore identifiée, sa partie animale ne s'éveillerait que sous certaines conditions. L'adolescent s'était renseigné sur ces métamorphes spéciaux, parmi les plus puissants de tous. Il avait appris que certains n'avaient jamais vécu de métamorphose, ou alors tardivement. Il refusait d'attendre toute sa vie pour voir son Dragon.
Dans ses moments là, comme s'il réagissait à ses pensées, il avait l'impression d'entendre grogner le Dragon dans son esprit. Il comprenait la réaction de l'animal. Rester coincé toute sa vie dans un coin mental ne l'enchantait guère. Surtout qu'ils ne pourraient pas avoir accès au sanctuaire sous le château que sa mère et son grand-père évoquaient parfois à demi-mot, le sang exigé étant celui d'un Porteur « mature », autrement dit, de quelqu'un maitrisant son don.
Il lui fallait donc trouver les conditions propices à sa libération. Le livre qu'il avait lu sur le sujet parlait surtout de choc émotionnel ou de nécessité de survie. Il se voyait mal annoncer à ses parents qu'il voulait se mettre volontairement en danger, surtout au vu de la situation actuelle, avec les assassins qui tentaient toujours d'atteindre les Témoins.
Un bain et un petit-déjeuner plus tard, Kalum profitait du beau temps et de sa toute nouvelle résistance au froid pour travailler ses leçons sur son balcon, sous le soleil. Un mouvement dans la périphérie de sa vision attira son attention. Il leva les yeux et se mit debout, surpris. Trois silhouettes longilignes traversaient les jardins couverts de neige, approchant du château. Ce n'était pourtant pas le jour d'audience publique et aucune des trois personnes ne lui paraissaient familières.
« Qui a invité des gens à se promener sur l'île ? » demanda-t-il aussitôt dans le réseau familial.
« Il fait un froid de canard, dehors, en voilà une idée bête ! » grogna Kalioska.
« Je démens tout de suite, ce n'est pas moi ! » annonça Xavier.
« Un peu de sérieux, mon frère. » le rabroua Cassildey , un sourire dans le ton. « Que vois-tu exactement, Kal' ? »
« Trois personnes qui marchent droit sur la grande porte du château. Ils ne marchent pas dans les allées. En fait, on dirait qu'ils ne s'enfoncent même pas dans la neige. » décrivit l'adolescent.
Un silence méfiant suivit ses paroles, interrompu par son père :
« La seule personne que je connaisse capable de se déplacer de cette façon, c'est Illiana, l'épouse de ma cousine. »
« Ce serait des elfes ? » s'étonna Prasina.
« Linaëlle ? » demanda son époux.
« Si j'ai localisé les bonnes personnes, oui. En tout cas leurs auras ne sont pas humaines. Je crois qu'ils ne nous veulent pas de mal. » répondit la concernée.
« Tu crois ? » répéta Sollia, à la fois inquiète et intriguée.
« Oui, je crois. Je ne suis pas experte en auras elfiques, figure-toi. Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de m'attarder sur le sujet la dernière fois que je les ai croisés. » répliqua sa sœur, acide.
« Les filles, ne nous énervons pas. » intervint Cassildey alors que Sollia s'apprêtait à répliquer. « Préparons-nous plutôt à les recevoir. »
Kalum sourit. Malgré l'âge, certaines choses ne changeaient jamais. Néanmoins, le lien entre sa mère et lui se teintait d'inquiétude et de peur, à l'opposé de ses propos apaisants sur les arrivants.
« Maman, quelque chose ne va pas ? » demanda-t-il à part.
« Rien, mon chéri, de vieux souvenirs. »
Sa réponse évasive et les émotions refoulées derrière de solides barrières mentales amenèrent l'adolescent à la conclusion qu'il y avait bel et bien quelque chose mais, comme d'habitude, elle se tairait.
Il rangea donc ses affaires et enfila une tenue plus appropriée. David lui manquait. Le jeune homme avait été mobilisé pour des patrouilles dans le sud du pays. Il s'était éclipsé sans un bruit, sans un mot, comme à son habitude. Kalum ne s'en étonnait plus. Leur amitié avait toujours fonctionné ainsi, le guerrier allait et venait à son gré, ne laissant parfois qu'un mot griffonné sur son oreiller. Même s'il préférait la vie confortable des gardes royaux, David avait soif de liberté et d'aventure et son ami le laissait partir, car il le savait plus heureux ainsi.
Ce fut sans surprise que l'adolescent entendit Cassildey convoquer toute la famille dans le salon de réception du premier étage. Au ton du Roi, il devina le sujet important, peut être grave. Il rejoignit son frère à la porte et tous deux descendirent d'un même pas. Il fallait traverser une bonne partie du palais pour se rendre au lieu de réunion et les deux garçons ne passèrent pas inaperçus au premier étage, où les nobles de la Cour passait la majorité de leur temps.
Encadrés par six gardes royaux, ils répondirent aux révérences sans marquer le pas et gagnèrent le salon. Ils se doutaient que la rumeur se répandrait plus vite qu'une traîné de poudre. La famille royale se réunissait rarement dans une pièce aussi accessible du palais, cela laissait supposer des hôtes d'importances et des nouvelles croustillantes.
Quand ils franchirent les portes, gardés par une douzaine de soldats d'élites, presque tout le monde était présent. Ne manquait que Kalioska et Polgara qui entrèrent dans la foulée, et le Roi et la Reine qui devaient escorter les inconnus. La pièce était vaste, mais n'avait de salon que le nom. Une grande table ovale au centre et de hauts sièges servaient ordinairement pour les réunions du Conseil royal, ou des familles des Témoins. Les fenêtres ouvraient sur les jardins et les murs, dans une rare démonstration de puissance, retraçait au travers de tableaux les exploits des descendants de Noham.
Sachant qu'il n'aurait pas à prendre la parole, Kalum s'installa près de son frère sur un appui de fenêtre. Malgré le potentiel chamboulement qu'il pouvait apporter, ce rassemblement restait informel et ils n'étaient pas tenus de s'installer autour de la table. Jayden lui ébouriffa les cheveux, par habitude et avec un manque d'entrain flagrant.
Il portait le deuil d'Amalicia, comme sa grand-mère, un ruban noir enroulé au poignet. La perte de sa tutrice l'accablait, en témoignaient ses yeux cernés et sa pâleur inhabituelle.
Son cadet s'aperçut soudain que, tout à son bonheur de voir ses rêves se réaliser, il en oubliait la souffrance de son entourage. Il chercha sa mère du regard. Assise entre son époux et son père, Linaëlle patientait, mais son regard alternait entre son aîné et sa mère, par-dessus l'épaule de Malvius. L'adolescent, dégrisé par sa prise de conscience, se promit d'être plus attentif à ses proches. Le Soleil ne brillait pas à part égale pour tout le monde.
Il réfléchissait à ce qu'il pourrait faire pour égayer son frère quand les portes s'ouvrirent. Le Roi et la Reine entrèrent, seuls. Les battants se refermèrent dans leur dos et l'instant d'après, trois hautes silhouettes encapuchonnées apparurent derrière eux.
– Vous pardonnerez la mise en scène, mon ami, s'excusa Cassildey envers Romain qui avait bondit hors de son siège. La discrétion dans notre cas était notre meilleur allié.
Le maître espion grommela pour la forme et demeura debout. Kalum aurait parié une main qu'il cachait sur lui suffisamment d'objet mortels pour tuer toutes les personnes présentes.
Sur invitation de la Reine, leurs invités ôtèrent leurs capes. Les trois elfes, reconnaissable à leurs longues oreilles pointues, promenèrent leurs regards perçants sur leur comité d'accueil.
Le plus grand des trois, dont les cheveux argentés tombaient jusque sous ses omoplates, fixa presque aussitôt son attention sur Kalum. Iris mauve et iris d'or se jaugèrent en silence, mais l'attention du plus jeune fut vite détourné par la surprise qui émanait de sa mère.
Celle-ci fixait la deuxième elfe, aux cheveux d'une couleur semblable à celle de son compagnon. Légèrement plus petite, elle possédait en revanche des yeux très sombres, dont on distinguait difficilement la pupille. Une esquisse de sourire au coin des lèvres, elle hocha la tête, saluant la Porteuse du Sang.
– Je ne m'attendais pas à te voir ici, Ayalïn, souffla Linaëlle.
– J'avais envie de voir du pays, répliqua la concernée dans un Malatirien chantant. Et il faut aussi que je m'assure que ces deux-là survivent jusqu'à leur retour.
Elle désigna d'un mouvement du menton ses deux compagnons. Le dernier membre du trio, une femme aux cheveux noirs, lui adressa un regard pointu :
– Tu as négligé de nous dire que vous vous connaissiez.
– Peut-on vraiment connaître quelqu'un quand on l'a fréquenté pendant moins d'une semaine ? répondit Ayalïn.
– Elle n'a pas tort, s'immisça Xavier. D'ailleurs ça confirme les ragots qui racontent tes exploits, Lin'. Tu...
– Pitié, Xavier, nous aurons tout le temps de mettre cette histoire au clair plus tard, le coupa Victoire.
– Effectivement, notre quête ne souffre pas d'attendre, appuya la seconde elfe.
– Quelques présentations, néanmoins, s'amusa Ayalïn. Le silencieux s'appelle Fahyr, il est prêtre de Gabrön. Quant à celle qui me foudroie actuellement du regard, elle se nomme Cathya. Ils cherchent à contacter le parent mortel de notre nouvelle Déesse, qui est tombée sur Arkholis et qu'ils veulent sauver.
Un silence suivit. Le lien d'auras que Kalum partageait avec sa mère frémit. L'adolescent délaissa les elfes pour se concentrer sur elle. Il vit la tension dans ses muscles et sur son visage. Le jeune garçon voyait ses soupçons se confirmer, Linaëlle en savait bien plus sur cette histoire qu'elle ne voulait le dire et les elfes allaient mettre les pieds dans le plat.
– Nous savons que c'est un descendant de Noham, confirma la Reine. Mais ils existent des branches éloignées de la famille qui ne portent plus le nom des Ol'Darith depuis des générations et ce genre de recherches peut prendre du temps.
– Je servais Vélinol... commença Cathya.
– « Sers », corrigea Kalum, sans réfléchir.
– Pardon ? s'exclamèrent les deux prêtres.
Le jeune garçon se mordit la joue. Il ne pensait pas avoir parlé aussi fort. Soudain le centre de l'attention, il chercha l'approbation de sa mère qui approuva du menton.
– En réalité, elle est toujours en vie. Elle s'est plus ou moins écrasé dans les jardins royaux voici un peu plus de deux semaines.
– Vous en êtes certains ? interrogea la prêtresse d'une petite voix.
– Je connais peu de jeune femme aux oreilles pointus et aux yeux vairons s'appelant Vélinol capable de tomber du ciel, railla Xavier.
Il prit un solide coup de coude de sa femme et de Sollia tandis que Cathya vacillait sur ses jambes. Soutenue par Fahyr, elle parvint à s'asseoir sur une chaise. Son confrère fit de même, visiblement surpris. Même Ayalïn affichait sa stupéfaction.
– Voilà une nouvelle inattendue, commenta Fahyr. Elle a donc survécu à sa déchéance ?
Il avait une voix très grave à l'accent bien plus marqué que celui de ses deux compagnes.
– En effet, même si elle n'est pas encore tout à fait remise de ses blessures, confirma Linaëlle. Vous pouvez être rassurée, ici, elle ne risque rien. Sauf peut être la foule de personne qui se présentera à nos portes quand ils apprendront que nous abritons une Déesse.
– Eh bien, nous voilà soulagé d'un poids, soupira Ayalïn.
Elle secoua la tête, comme pour se sortir d'un mauvais rêve. Cathya reprenait des couleurs et se massa les tempes avant de prononcer d'une voix tremblante :
– Je ne pensais pas que vous pourriez nous apprendre une nouvelle d'une si grande importance. Savoir qu'elle est en sécurité sous votre toit me rassure beaucoup.
Elle paraissait très émue et c'est son confrère qui reprit en regardant Linaëlle :
– Néanmoins, cela nous pose un problème. Si vous devez protéger Vélinol, vous ne pourrez pas venir avec nous à la recherche de votre f...
Le regard de la femme l'empêcha d'aller plus loin, mais il en avait déjà trop dit.
– Linaëlle ? articula Cassildey.
– Tu ne leur as pas dit ! s'exclama Ayalïn.
– Bien sûr que non ! C'était le seul moyen de la protéger ! s'écria la concernée.
– Nous dire quoi, bon sang ! s'énerva Adam.
– Que c'est ma fille. La Déesse dont tout le monde attend la révélation est la fille de Delthéa. Et la mienne, lâcha sa femme.
Tin Tin Tiiiiiin (exclamations choquées dans le public) !!!
Plop vous ! Eh oui, patatras, la bombe est lancée ! Reste à savoir quel effet elle aura !
Moi ? Sadique ? je vois pas de quoi vous parlez...
Aller, des bisous, et à la prochaine !
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