Chapitre 7 : Quand s'éteignent les étoiles (partie 1)
Les mâchoires du chien claquèrent à quelques centimètres de la cheville d'Elerinna. Avec un cri de peur, la petite Déesse bondit sur le côté. Attaché, son adversaire ne put la poursuivre au-delà de quelques foulées. Il se mit alors à aboyer furieusement après la petite fille qui accéléra.
Elle devait partir d'ici très vite, son instinct le lui hurlait. Alors quand tous les hommes qui l'entouraient avait été endormis, elle avait découpé magiquement les cordes qui lui liaient les mains et les pieds. Elle ne savait ni où aller, ni comment, mais malgré tout son corps douloureux, sa faim et toutes les sensations étranges et inhabituelles qu'elle subissait, elle devait partir. Ses dents claquaient sans qu'elle le veuille et elle serra ses bras autour de son ventre nu tandis que le vent soufflait dans son dos.
Le chien glapit soudain et une voix rude grogna quelque chose qui échappa aux oreilles d'Elerinna. Elle se figea, persuadée que l'un de ses gardiens allait lâcher le molosse à ses trousses. Mais le calme revint et après avoir essuyé les larmes sur ses joues, elle recommença à se faufiler entre les tentes.
De l'un des abris montaient des sanglots qui stoppèrent l'enfant dans sa progression. Elle savait qu'il y avait d'autres personnes comme elles, que les hommes avaient attrapés. Elerinna n'avait pas tout compris, mais ils voulaient les amener à un endroit où ils gagneraient de l'argent. La petite Déesse ne comprenait pas, ses mères ne lui avaient jamais parlé de ça. Comment pouvait-on vendre quelqu'un ? Depuis sa chute, deux jours auparavant, elle découvrait un monde qui ne ressemblait en rien à celui que lui avait décrit les adultes.
L'enfant souffla, indécise. Elle ne voulait pas que la personne qui pleurait reste ici avec les méchants. Quand elle n'obéissait pas assez vite, ils la frappaient. Probablement qu'ils avait dû lui faire très mal à elle aussi. Et puis, si elle l'aidait, elle voudrait peut être l'aider aussi. Concentrer sur cette idée, elle se faufila dans l'ouverture de la tente.
Il faisait encore plus noire à l'intérieur. La petite Déesse se concentra et utilisa sa magie d'auras pour repérer son allié potentiel. C'était une femme, plus jeune que sa mère mortelle, recroquevillée sur le sol, attachée comme l'avait été Elerinna. Elle s'agenouilla près d'elle et posa une main sur son épaule, la faisant hurler.
– Chuuut ! Je veux t'aider ! l'interrompit l'enfant en posant une main sur sa bouche.
Elle attendit quelques secondes pour être sûre que la femme ne crierait plus et enleva doucement sa main.
– Je veux t'aider, répéta-t-elle plus doucement.
– Que... Qui es-tu ? Pourquoi es-tu là ? demanda finalement la prisonnière.
– Je m'appelle Elerinna. J'ai été attrapée comme toi.
– Quel âge tu as ? s'inquiéta soudain son interlocutrice en tâtonnant dans le noir à sa recherche.
– J'ai douze ans, répondit la petite Déesse en saisissant ses mains liés.
– Pauvre chou... compatis la femme. Comment tu as fait pour sortir de ta tente ?
– J'ai utilisé ma magie, affirma simplement l'enfant.
– Tu... tu es magicienne ?
– En quelque sorte...
– Tu peux me faire sortir ?
– Oui, c'est facile.
– Si tu sais utiliser la magie, pourquoi tu les as laissés te capturer ? se méfia la femme.
Affaiblie et déboussolée, Elerinna n'avait pas résisté quand les cavaliers l'avaient entourée puis jetée en travers d'une selle. Sous le choc, elle avait perdue connaissance et ne s'était réveillée qu'au matin quand elle avait reçu une outre d'eau glacée en plein visage. On lui avait donné un drôle de morceau dur qu'un des hommes avait appelé « pain ». En observant autour d'elle, elle avait plus ou moins compris comment le manger. Ensuite, ils l'avait hissée sur un cheval, attachée les poignet à la selle et repris leur route... La petite fille secoua la tête.
– J'étais trop fatiguée et j'avais peur... Je croyais que j'allais trouver ma Maman, pleurnicha-t-elle.
– Ne pleure pas, petit chou, il faut qu'on parte très loin d'ici, lui rappela la prisonnière, adoucit. Tu peux me détacher ?
– Oui... renifla Elerinna.
Elle glissa sa main jusqu'aux poignets entravés et appela sa magie. Elle passa un doigt sur la corde qui se trancha net.
– Mais tu sais vraiment le faire... s'émerveilla la femme.
– Bien sûr que oui !
– Chut ! Fais pareil avec mes pieds et après, on file loin d'ici.
Elerinna recommença avec la corde autour de ses chevilles et elle entendit le soupir de soulagement de sa nouvelle alliée. Celle-ci se redressa et se dirigea vers la sortie, l'enfant sur les talons.
– Viens, il faut trouver mon cheval, ordonna-t-elle. J'ai mes affaires dans les sacoches de selle et il nous permettra de fuir plus vite.
Effrayée, la petite fille glissa sa main dans celle de la femme. Avec un sourire encourageant, elle se pencha et l'embrassa sur la tête, puis à la lumière faiblarde de la Lune, s'aperçut que quelque chose clochait :
– Tu n'as pas de vêtements ? Tu n'as pas froid comme ça ?
– Je... Je sais pas... balbutia la petite Déesse.
– Hmmm, s'ils n'ont pas sorti mes affaires de mes sacoches comme je le pense, on devrait pouvoir arranger ça, conclut la femme sans s'attarder sur la réponse de l'enfant.
Traverser le campement endormi se révéla plus difficile que prévu. Plusieurs hommes armés montaient la garde, et elles durent plusieurs fois faire un détour ou rebrousser chemin. Heureusement, elles parvinrent assez vite à l'endroit où les cheveux étaient attachés. Sans bruit, la plus âgés se glissa entre eux et libéra un des plus petits. Dans le noir, sa robe semblait tacheté.
– Ils ne t'ont même pas dessellé, mon vieux, murmura la femme à son compagnon à quatre pattes. Heureusement, ils n'ont rien pris dans tes fontes, ils voulaient probablement les revendre aussi.
Avec un bruit dédaigneux, elle fouilla dans ses affaires et en sorti une chemise en laine épaisse qu'elle tendit à Elerinna.
– Tiens, petit chou, enfile ça.
La petite fille s'exécuta. Le vêtement était trop grand bien sûr, lui tombant presque aux genoux. La femme reboula les manches pour qu'elle puisse sortir ses mains avant de la porter pour l'installer sur la selle du cheval. Elle prit ensuite les rênes à la main et s'éloigna du campement à pied.
Après avoir mis une cinquantaine de mètre entres eux et le campement, elle grimpa derrière Elerinna et mit le cheval au trot. Quelques foulées plus loin, les sabots de l'animal trouvèrent la piste que les hommes suivaient depuis que l'enfant se trouvait avec eux. Un claquement de langue de sa cavalière et il entreprit de suivre la route.
– Je m'appelle Debra, annonça soudainement la femme.
La petite Déesse commençait à piquer du nez, appuyée contre la poitrine de sa nouvelle amie. La chemise la grattait, mais elle ne claquait plus des dents et elle s'éloignait enfin des hommes qui la terrorisaient.
– D'accord, souffla-t-elle, à demi-assoupie.
– Dis-moi, petite Elerinna, elle est où ta maman ? demanda Debra.
– À Dopalis.
Sa magie lui transmit l'étonnement de la cavalière et elle craignit d'avoir dit une bêtise.
– Dopalis... La capitale du royaume de Malatir ?
– Oui, tu sais où c'est ? On est loin ? s'informa Elerinna, qui repoussa le sommeil pour l'écouter.
– Il y a la moitié d'un continent, un océan et presque tout un autre continent entre ici et Dopalis... souffla Debra.
– Ah, c'est loin alors...
– Tu es sûre que ta maman est là-bas ?
– Oui ! Je devais la retrouver, mais je crois que je me suis perdue...
– Tu n'inventerais pas des histoires parce que tu ne veux pas me dire la vérité, petit chou ?
– Mais non, c'est vrai ! C'est mon autre maman qui m'a demander d'aller la retrouver parce que mes oncles ont détruit la maison où on vivait et ils veulent nous faire du mal !
– Que... Tu as deux mamans ?
– Oui, et elles me manquent, j'aimerais bien qu'on soit toutes les trois...
– Et ton papa ?
– J'ai pas de papa...
L'étonnement et le doute de sa nouvelle amie allaient croissants au fur et à mesure de ses questions. Pourtant Elerinna ne racontait que la vérité, et pour elle, sa situation n'avait rien d'extraordinaire.
– Et ton autre maman, elle vit où ?
– Au ciel.
– J'en suis désolée, petit chou, compatit la femme en la serrant contre elle d'un bras. Je ne voulais pas te rappeler de mauvais souvenirs. C'est parce qu'elle est partie que tu veux t'en aller loin ?
– Tu en parles comme si elle était morte, s'étonna l'enfant.
– Tu m'as dit qu'elle était au ciel, seuls les gens morts peuvent y aller.
– Les morts, les Dieux et ceux qui peuvent sentir les vibrations de l'Ether, corrigea la petite Déesse.
– Lé... quoi ?
– L'Ether, c'est... c'est compliqué à expliquer mais pour les mortels cela représente l'endroit où va votre âme quand vous mourrez. Mais nous, avec ma maman, Suprak, Tillia et Gabrön, on vivait là.
– Mais... Merde ça peut pas être vrai... souffla Debra.
– Quoi ?
– Les prêtres n'arrêtaient pas de proclamer partout que... Et puis les Enfants de la Lune... Ce serait trop gros pour n'être qu'une coïncidence... réfléchit la femme, en ignorant sa question.
Elerinna ne comprenait plus rien. Les émotions de sa sauveuse tournaient à toute vitesse. La petite fille se demanda soudain si elle avait eu raison de dire toute la vérité à la femme. Elle avait l'air gentille, mais pouvait ne pas l'être tant que ça.
– C'est toi la nouvelle Déesse dont tous les religieux parlent ? La fille de Delthéa ?
– Oui, c'est moi.
Un grand silence ponctua sa phrase et pendant un très bref instant, la nuit s'illumina comme en plein jour.
– C'est toi, répéta Debra. Mais tes oncles alors...
– C'est Dagmar et Ulcanth, confirma l'enfant.
– Pourquoi ils te veulent du mal ?
– Parce que mes mamans ont enfreint pleins de règles stupides qu'ils ont établies, raconta Elerinna. Elles n'auraient pas dû pouvoir m'avoir, moi. Elle n'auraient même pas dû se rencontrer. Avant, on était à l'abri mais ils ont cassé le sort qui nous protégeait et ils ont tué Tillia. Après j'étais toute seule avec Gabrön. Mais ils nous ont retrouvé et ils ont encore attaqué. Alors ma maman, enfin, Delthéa, m'a dit que je devais rejoindre mon autre maman, Linaëlle. Mais Ulcanth nous attendait et il a attaqué et je suis tombée... et j'ai atterrit très loin.
Soulagée d'avoir pu raconter ses malheurs, elle s'aperçut qu'elle avait encore plus perturbé Debra. La femme resta longtemps silencieuse et tendue. Dos à elle, l'enfant percevait le bouillonnement de ses pensées.
– Tu sais, petit chou, je n'ai jamais vraiment cru aux Dieux et aux histoires qu'on raconte sur vous... Et pourtant, tu es là, tu me racontes une histoire folle complètement à l'opposé de celles qu'on m'a appris et je te crois. Quelque part au fond de moi, je sais que c'est la vérité et que tu es bien une Déesse. C'est... étrange.
– Non, c'est normal. C'est ce qu'on appelle la voix du cœur. Je t'ai donné mon nom et je t'ai dit qui j'étais et comme tous les mortels ont un lien avec l'Ether, la magie, tu sais que c'est vrai, comme les prêtre ont su que j'étais née.
Nouveau long silence. Debra a besoin de réfléchir, l'enfant le sent. Et elle a terriblement envie de dormir, blottie contre elle. Mais avant, elle doit poser une dernière question :
– Debra, pourquoi tu m'appelles « petit chou » ?
– C'est un surnom affectueux qui m'est venu... Tu ne veux pas que je t'appelle comme ça ? s'inquiéta la femme.
– Ça ne me dérange pas... Mais c'est quoi un chou ?
– C'est un légume, ça se mange.
– Tu ne veux pas me manger, hein ?
– Mais non ! C'est juste un surnom.
– Ah... c'est joli un chou ?
– Euh... ça dépend, je suppose qu'il y en a des très jolis, oui.
– Hmmm.
Il fallut un moment à Debra pour comprendre que la petite fille entre ses bras s'était assoupie. Avec un soupir, la femme secoua la tête. Elle avait échappé aux marchands d'esclaves avec une Déesse ! Enfin, une petite, et qui semblait tout ignorer du monde. Elle se demanda soudain avec angoisse si ses oncles allaient venir la récupérer. Bon sang, dans quelle genre de guêpier était-elle fourrée ? Il était inutile de nier qu'elle avait de l'affection pour la petite, mais courir le risque de se faire foudroyer par la colère divine ne lui disait rien.
Pour l'instant, échapper aux esclavagistes restaient sa priorité. Eux représentaient une menace bien réelle. Ensuite, elle aviserait. Dans la prochaine ville ou village, il y aurait bien quelqu'un pour lui indiquer le chemin d'un monastère ou d'un sanctuaire quelconque. La petite devrait y être relativement en sécurité, et les religieux pourvoiraient à ses besoins. Avec un peu de chance, ils accepteraient peut être de l'abriter le temps que ses amis retrouvent sa trace.
Forte de sa nouvelle décision, elle roula des épaules et de la tête pour en chasser la raideur. Que la petite dorme. Car si c'étaient bien un Fils de la Lune que Debra avait vu dans le campement, elles seraient poursuivies dès l'aube.
Plop vous, la rentrée n'a pas été trop dure ? Pour moi ce sera la semaine prochaine finalement ^^.
Un peu rassuré sur le sort de notre petite Déesse ? Rassurez-vous, ce n'est que le début de ses (més)aventures. Je suis curieuse de savoir ce que vous inspire Debra :).
Sur ce, je vous fait de gros bisous, et à la prochaine ^^.
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