Chapitre 4 : Échos du chaos (partie 2)

Comme s'il venait de sortir la tête d'une eau glacée, Kalum ouvrit les yeux et prit une grande inspiration. Allongé à même le sol, les joues humides de larmes et la poitrine opprimée par la détresse qu'il ressentait, il cherchait à comprendre ce qui venait de se passer.

– Kalum ? appela doucement sa mère.

L'adolescent s'assit, une main sur le front, croisa le regard éperdu de tristesse de Linaëlle, appuyée contre le mur. Elle pleurait en silence et spontanément son fils se blottit dans ses bras, sans savoir vraiment qui réconfortait l'autre.

– Tu l'as vu aussi ? interrogea la femme au bout d'un moment.

– Oui... Tu as une idée de qui ça pouvait être ?

Linaëlle ferma les yeux et sa main trouva son épaule droite. Elle se détendit imperceptiblement avant de murmurer :

– Tillia... ou Gabrön peut être, mais je penche pour la première solution.

– Maman, c'est une Déesse...

– Et c'est pour ça que le monde pleure sa perte, mon chéri. Tu verras que tout le monde aura eu la même vision, du plus jeune des nourrissons au plus âgé de nos anciens. La magie qui pulse dans le cœur de cette planète ressent sa disparition, et nous le fait savoir.

– Et pourquoi pas Delthéa ?

Sa mère secoua énergiquement la tête.

– Cela ne peut pas être elle. Je le saurais avec certitude dans le cas contraire.

Elle tourna soudain la tête, sensible à quelque chose qui échappait à l'adolescent.

– Vélinol est réveillée, murmura-t-elle. Et complètement paniquée.

Elle fut sur ses pieds avant que son fils n'ait le temps de répondre. Le temps qu'il se relève, il dut courir pour la rattraper.

Linaëlle s'arrêta à la porte et se tourna vers lui, presque étonnée de le trouver là.

– Je viens avec toi, annonça Kalum en relevant le menton.

– Je ne comptais pas t'en dissuader, seulement reste prudent, l'avertit-elle.

Le jeune garçon hocha la tête et sa mère poussa le battant.

Contrairement à ses attentes, ils trouvèrent la Déesse recroquevillée dans son lit, silencieuse. Elle ne s'aperçut de leur présence que quand Linaëlle s'agenouilla près du lit, la tête à hauteur de la sienne. Elle contempla les yeux rougis et la mine désolée de sa sauveuse, leva les yeux sur l'adolescent dans le même état derrière elle et des larmes envahirent ses prunelles dissemblables. Délicatement, Linaëlle s'assit sur le bord du lit et posa une main réconfortante sur son épaule. Kalum se tut, attentif.

– C'est de ma faute, murmura Vélinol. Elle est morte parce que je n'ai pas su résister à mon père... C'est à travers moi qu'il est passé pour contourner la protection.

L'adolescent releva les yeux sous le poids du regard de sa mère qui le fixait. Il savait qu'elle s'interrogeait sur les secrets qu'elle pouvait lui confier. Elle l'observait de la même manière quand elle évoquait certains passages de sa vie.

– Comment cela ? demanda-t-elle finalement en baissant les yeux sur la Déesse toujours prostrée entre les draps.

– Il a envahi mon esprit, prit le contrôle de mon corps et de ma magie. Je n'ai rien pu faire, que les regarder lâcher leurs démons sur la maison et ses défenses. Ensuite il m'a jeté dans votre monde comme un outil brisé. Il pensait sans doute que cela me tuerait.

– Heureusement, vous n'êtes pas tombée loin de nous, tenta Linaëlle.

– Pur coup de chance, j'ai probablement été attirée par le nœud de magie tellurique, souffla Vélinol. Mais je n'aurais probablement pas survécu à la chute sans vous. En revanche, vivre dans un corps physique...

– Pourtant votre magie...

– Éteinte. Mon père m'en a arrachée une partie, le reste s'est consumé pour me faire parvenir à Arkholis en plus ou moins bon état. Je n'ai plus rien... et j'ignore si j'en récupèrerais la moindre parcelle un jour.

Les yeux vairons de la Déesse s'embuèrent à nouveau et des larmes amères mouillèrent l'oreiller.

– On va vous aider, affirma spontanément Kalum en s'installant près de sa mère. On trouvera une solution, vous avez des amis ici.

Sa réflexion arracha un demi-sourire à la divinité qui le regarda avec gentillesse.

– Tu es trop gentil, Kalum, chuchota-t-elle. C'est ton sort qui m'a sauvée, n'est-ce pas ?

– Oui, mais c'est l'idée de ma mère qui...

– Non Kal', je n'ai fait que t'apporter des informations, c'est toi qui a tout fait, l'interrompit affectueusement Linaëlle. Ceci dit, reprit-elle en regardant Vélinol, il n'a pas tort sur le reste. Vous êtes l'invitée de la famille royale et vous recevrez toute l'aide que nous pourrons vous apporter.

– Je ne fais faire que vous attirez des ennuis, refusa la Déesse.

– Nous ne pouvons décemment pas vous mettre à la porte dans votre état, répliqua la femme.

– Il faut que je parte.

– Si vous parvenez jusqu'à la grande porte du palais, sans aide, je vous laisserai aller, proposa Linaëlle.

Vélinol lui servit un regard contrarié qui ne récolta en réponse qu'un haussement de sourcil inquisiteur. Elle lança un coup d'œil à Kalum qui retenait un sourire amusé en faisant mine d'être absorbé par le motif de la descente de lit.

Elle soupira, tenta de déplier son corps et de se redresser, mais tous ses muscles protestèrent contre ce simple mouvement qui la laissa la tête bourdonnante, affalée contre les oreillers.

– Donc c'est arrangé, vous restez ici, annonça Linaëlle, implacable, s'attirant un regard noir.

Plus doucement, elle ajouta :

– Il faut que nous allions voir comment se portent les habitants du château et de la cité après ce qu'il s'est passé. Quelqu'un viendra s'occuper de vous dès que possible, si vous pouvez patienter.

– Je peux, confirma la divinité. Allez-vous assurer que vos gens vont bien.

De fait, en dehors de quelques accidents dans les cuisines, de chute dans les escaliers, et d'un soldat transpercé par l'épée de son camarade d'entraînement, il n'y avait rien de grave à signaler dans le château, ou du moins, rien qu'un peu de magie ne puisse réparer. Dans la cité, même constat, les accidents étaient peu nombreux, ce qui rendait l'évènement encore plus étrange. Même les animaux s'étaient figés pendant les quelques secondes qu'avait duré la vision collective du cadavre de Tillia.

En revanche, toute la branche du clergé consacré à la Déesse avait plongé dans un état de profonde détresse. Les plus cohérents des ecclésiastiques balbutiaient que leurs âmes venaient d'être lacérées, les plus paniqués ânonnaient des propos incohérents en différentes langues. Linaëlle et Énora furent dépêchées auprès d'eux pour tenter de les apaiser, la première pour son don d'aura, la seconde pour ses pouvoirs de guérison. Néanmoins, le choc laisserait certainement des séquelles à long terme.

Les gens commencèrent bientôt à se poser des questions. La mort d'une divinité demeurait un fait inédit dans l'Histoire d'Arkholis, et sa disparition n'avait rien de naturelle. Que devait-on faire dans ce cas ? Était-on en train d'assister aux prémices de la fin du monde ? La magie allait-elle abandonner cette planète ? Tant d'interrogations inquiètes, chuchotées entres voisins, qui transformèrent la tristesse omniprésente en une peur poisseuse et tenace.

Les trois jours suivants passèrent lentement, dans un silence morose. La cité si vivante semblait effacée, dévorée par la peur. Des grigris et autres amulettes protectrices fleurirent aux fenêtres et autour du cou des habitants. Dans le palais, même les rires des enfants royaux s'étaient tus. Le réveil de Vélinol était passé inaperçu tant la chape de mélancolie qui pesait sur le monde et la terreur des humains occupaient tous les esprits.

La Reine finit par en avoir assez de tout ceci. Elle se leva au matin du quatrième jour et décréta que cela avait assez duré, elle prit une escorte et se rendit jusqu'au temple pour secouer les Haut-prêtres qui se morfondaient. Elle leur ordonna d'organiser une cérémonie, une commémoration, quelque chose, pour que les gens puissent se recueillir et ensuite mettre fin à cette dépression collective.

Le rassemblement eu lieu le jour même. Toute la population de la cité se rassembla pour prier et chanter une dernière fois la Déesse disparue. En revanche aucun des membres du clergé ne possédait les réponses aux questions que se posaient les gens. Néanmoins les ecclésiastiques détournèrent leur attention avec l'annonce de la naissance d'une nouvelle divinité. La vie revint peu à peu dans la ville, avec cette idée qui courrait désormais, que les Dieux étaient peut être après tout amenés à mourir comme les Hommes, puisque d'autres naissaient également.

Kalum voyait bien à présent que sa mère en savait beaucoup plus qu'elle ne voulait l'avouer sur ces histoires célestes. Il la soupçonnait même de connaître celui ou celle que tout le monde pensait être le ou la remplaçante de Tillia. Cependant, il avait beau chercher, il ne comprenait pas comment sa mère entrait en contact avec les habitants des cieux.

Pour tenter d'éclaircir ce mystère, il passait beaucoup de temps avec Vélinol. La convalescente faisait des progrès chaque jour, à l'abri entre les murs de sa chambre, avec l'aide de Tamara. La jeune fille s'était révélée plus que compétente une fois la surprise passée, de rencontrer dans la même journée la Porteuse du Sang et une Déesse déchue, qui toutes deux connaissaient son prénom. Discrète et efficace, elle prenait soin de la demi-elfe avec patience.

La Déesse avait bien besoin de son assistance. Son nouveau corps physique ayant été presque intégralement brulé, il lui fallait réapprendre à l'utiliser et renforcer ses muscles, un processus long et douloureux qui la laissait fatiguée après chaque séance. C'était dans ces moments-là que l'adolescent avait pris l'habitude de venir lui tenir compagnie, pour jouer, lire ou simplement discuter. Vélinol possédait un répertoire illimité d'histoires en tout genre et semblait ravie de pouvoir les transmettre à quelqu'un.

Au lendemain de la cérémonie, Kalum tenait compagnie à la convalescente et Tamara autour d'un thé bien chaud quand la porte d'entrée s'ouvrit brusquement.

– Sophia ? Qu'est-ce que tu fais ici ? interrogea le jeune homme, sa tasse à la main.

La domestique se tenait figée dans l'encadrement, dévisageant Tamara. La jeune fille pâlit comme la plus âgée s'avança dans la pièce.

– Une promotion que ton père ne pouvait pas refuser, capitaine de la garde royale, souffla Sophia. Il s'est bien gardé de me dire qu'il vous avait ramené ici, toi et ton frère. Trois mois que vous êtes revenus et je l'apprends seulement aujourd'hui. Pourquoi ?

– Papa nous a interdit de vous parler, prononça sa nièce, tendue. Il nous a toujours dit que vous étiez responsable de la mort de notre mère.

Kalum suivait l'échange en silence. La mort d'Émily, tuée par les Tfigunï alors qu'elle veillait Linaëlle, avait finit de ternir la relation entre Sophia et son beau-frère. Jugeant que celle-ci les avait empêché de partir s'installer loin de Dopalis et surtout de leur Princesse Héritière qui attirait les ennuis comme un pot de miel attire les abeilles, il avait arraché les enfants à leur foyer et leurs amis pour partir quelques semaines après l'enterrement.

L'adolescent ne possédait aucun souvenir de ces évènements, mais sa mère avait conçu une grande amertume de voir ainsi partir des enfants qu'elle chérissait comme ses neveux et nièces et qu'elle tenait à mettre à l'abri du besoin. Pour Sophia, cela avait été encore plus difficile à supporter, surtout que leur père avait soigneusement coupé les ponts avec elle.

La réponse de Tamara avait choqué sa tante. La jeune femme l'aurait frappée en plein visage que l'effet aurait été le même.

– A-t-il au moins pris la peine de vous expliquer comment elle est morte ? s'enquit Sophia.

– Oui, il nous a raconté.

– Pas d'un point de vue neutre, je suppose.

– Vous l'aviez convaincu de rester ici, alors que c'était dangereux, elle n'était qu'une domestique ordinaire, elle n'aurait jamais dû...

–- C'est faux, l'interrompit Kalum en s'immisçant dans la conversation. Rien n'est plus faux. Elle a été parmi les premières amies de ma mère quand elle est arrivée clandestinement au palais. C'était une guérisseuse très douée, avec d'immenses connaissances sur les plantes médicinales. Elle a loyalement servi la famille royale pendant des années, en tant que domestique, confidente, gouvernante même. Elle a choisi de rester auprès de nous des années avant que le palais ne soit attaqué. Elle est morte en défendant ma mère contre les Tfigunï. Elle est morte en héroïne, et ce n'est pas moi qui le dit. Demande aux plus anciens membres de la Maison, tu entendras les même louanges. Ta mère était loin d'être quelqu'un d'ordinaire, Tamara. Tout comme ta tante.

Sophia lui sourit fièrement, les yeux brillants de larmes. Elle fit un pas hésitant dans sa direction et il ouvrit les bras, lui donnant l'autorisation de le prendre dans les siens.

– Il faut pas me faire des déclarations d'amour comme ça, mon chou, tu vas me faire pleurer, soupira-t-elle en le relâchant.

– Je n'y peux rien, c'est gravé dans mon sang, s'amusa Kalum, ce qui lui valût une tape sur le bras.

– Ah ça, tu es bien le fils de ta mère, rit son ancienne gouvernante.

Du coin de l'œil, le jeune homme surveillait Tamara qui avait adopté une posture moins défensive. Sa tirade avait fait son effet sur la jeune femme qui se rapprocha d'eux, presque timide devant leur complicité.

– Je... j'ai un peu honte de constater que vous en savez plus sur ma mère que moi, s'embarrassa la jeune femme. Mon père ne parle jamais d'elle.

– Il n'est pas trop tard pour remédier à tes lacunes, surtout que tu as la personne qui la connaissait le plus juste devant toi, sourit l'adolescent en désignant Sophia d'un mouvement du menton.

Tamara rougit et baissa les yeux.

– Je ne sais pas si c'est une bonne idée... Si mon père l'apprend...

– En tout cas, si tu veux venir discuter de ta mère... Ou d'autre chose... Ma porte te sera ouverte, souffla Sophia.

La femme déposa un baiser sur la joue de Kalum et sortit dans le silence. Sa nièce secoua la tête, croisa le regard du jeune garçon qui souriait et se précipita à sa suite.

L'adolescent commençait seulement à entrevoir la complexité du jeu auquel jouait sa mère. Lui qui ne serait jamais destiné à régner n'avait jamais appris l'art de la politique et toutes ses subtilités. Mais à travers cette réunion de famille, il devinait une intention de Linaëlle de ramener les enfants son amie à portée de main. Nommer Tamara pour prendre soin de Vélinol n'avait rien d'anodin non plus, il le comprenait à présent. En revanche, le pourquoi lui échappait.

– Tu es quelqu'un de bon, Kalum, fit soudain la Déesse, rappelant soudain sa présence au jeune garçon.


Plop vous ! Désolée de cette pause involontaire mais j'ai eu pleins d'imprévu, et un emploi du temps plutôt chargé et une rébellion à mâter (mes personnages sont des rebelles). Mais me revoilà ^^.

Que vous inspire ce nouveau chapitre ? Hâte de voir vos réactions ^^.

Des bisous à tous et à bientôt !

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