Chapitre 3 : Tombée du ciel (partie 3)
Elerinna courrait, mais ses poursuivants gagnait inexorablement du terrain. Elle n'avait aucune idée du temps qui s'était écoulé depuis qu'elle avait été séparé des autres, depuis que leur petite parcelle de monde avait volé en éclat. En revanche, elle savait que ceux qui cherchaient à la rattraper ne lui voulaient pas du bien.
Le décor changea à nouveau, se transforma en une immensité sableuse qui l'empêchait d'avancer. Depuis qu'elle avait quitté la sécurité de la maison, elle ne cessait de traverser des paysages inquiétants et remplis d'obstacles qui la ralentissait.
Elle trébucha soudain, s'étala dans le sable et roula jusqu'au bas de la dune. Ses ennemis se rapprochaient, elle sentait leur approche saturer ses sens magiques. Terrorisée, elle éclata en sanglots nerveux et ferma les yeux.
Un énorme déplacement d'air lui vrilla les oreilles. Elle hurla de peur, se recroquevilla sur elle-même tandis qu'autour d'elle, le sable se soulevait. Derrière ses paupières closes, une lumière intense se dégagea soudain, ses oreilles perçurent le grondement sourd au-dessus d'elle et ses poursuivants disparurent de son horizon mental dans un cri de douleur qui fit redoubler ses pleurs.
« C'est fini, ne pleure plus, je suis là. » gronda une voix au creux de son esprit.
Fébrile, l'enfant ouvrit les yeux pour tomber nez à nez avec un énorme museau vert et écailleux. Deux grosses pattes avec de longues griffes acérées l'encadraient, des pattes de Dragon... Non de Dragonne. Elle n'eut pas le temps de se remettre de sa surprise que deux bras au parfum familier l'entouraient et la berçaient doucement.
– Ma... Man, hoqueta la petite Déesse avant de pivoter pour se blottir dans son étreinte.
– Chhht, mon cœur, ça va aller. Nous sommes là, ça va aller, la rassura Linaëlle.
De longues minutes s'écoulèrent avant que la petite fille ne s'apaise et s'interroge enfin sur le sens de ce « nous ». Elle se détacha juste assez de sa mère pour lever le nez et croiser le regard de deux immenses yeux verts aux pupilles verticales, qui clignèrent doucement pour la saluer.
– Anil ? chuchota-t-elle.
Les paupières battirent à nouveau et Linaëlle confirma :
– Oui, nous nous sommes séparées pour te chercher.
– Vous pouvez faire ça ? s'étonna l'enfant.
– Ici, oui.
– Comment ?
– Nous sommes deux esprits pour un même corps, et dans le monde qui est le tien, il n'y a pas de contraintes physiques, nous pouvons exister séparément sans que l'une ne cède sa place à l'autre. En revanche, cela nous rend plus vulnérables, puisque chacune ressent les blessures de l'autre, et nous sommes privées des capacités de l'autre. Le faire trop souvent n'est pas non plus conseillé, car la réunion en devient de plus en plus difficile.
Un ronronnement sortit de la poitrine de la Dragonne, qui allongea son cou pour poser sa tête près de sa moitié. Curieuse, Elerinna posa une main sur le museau, faisant s'agiter les narines de l'animal. Les petites écailles autour des naseaux étant très fines, elle sentait la peau douce et chaude sous sa paume. Elle n'avait jamais vu la Dragonne qui partageait l'âme et le corps de sa mère, et cette rencontre chassait la terreur et la solitude qu'elle ressentait un instant plus tôt.
Linaëlle leva la main, la posa près du grand œil vert qui les observait et expira à fond, les yeux clos. Anil se fondit à nouveau en elle, retrouvant sa place familière dans sa poitrine. Cela se fit sans accroc, en quelques battements de cœur, la femme percevant la force de la Dragonne couler dans son corps.
Quand elle rouvrit les paupières, sa fille l'observait attentivement.
– Je crois que je vois la différence maintenant, vous avez la même aura, mais ses émotions se voient aussi, parce qu'elles ne sont pas tout à fait les mêmes que les tiennes, souffla-t-elle.
Sa mère l'embrassa sur le front et Elerinna se serra contre elle.
– Que s'est-il passé, Eli ? finit par demander Linaëlle. Pourquoi es-tu là toute seule ?
– Je ne sais pas, j'étais avec Sadima et les autres, ils consolaient Gabrön, ils parlaient d'agir contre Dagmar et Ulcanth... Et d'un seul coup, il n'y avait plus rien, que moi qui tombait, et puis je suis arrivée dans une forêt, j'ai vu Kalum qui parlait avec Vélinol mais elle était mourante, et après ils ont essayé de m'attraper alors j'ai couru... J'ai peur... gémit la petite fille.
– Chhht, je suis là, maintenant.
– Mais tu pourras pas être là tout le temps, s'effraya l'enfant.
– On va retrouver Théa, ou te trouver un endroit sûr où tu pourras te cacher en attendant. Je ne te laisserai pas toute seule sans aucune sécurité, assura sa mère.
Elle se leva, sa fille dans les bras et activa le Tirfamil à son poignet pour se rendre au refuge de Suprak et Tillia.
Elles trouvèrent la maison en ruine, encore fumante et vibrante d'énergie destructrice. Linaëlle posa Elerinna au sol et s'avança prudemment, les mains brillantes de magie, l'enfant collée à ses talons.
Étrangement, l'artefact au cœur du bâtiment demeurait intact au milieu du chaos. Sauf mais inactif, vidé de toute énergie. La petite sculpture de bois représentait grossièrement une silhouette féminine, une étoile à huit branche sur le ventre, et des runes gravées au dos. La petite Déesse la prit dans ses mains, tenta de lui insuffler de la magie mais l'objet resta inerte.
– Je crois que le sort est brisé, on ne peut plus mettre d'énergie dedans, annonça Elerinna à sa mère.
– Tu as une idée de comment cela a pu se produire ?
La petite fille secoua la tête.
– Sadima disait que rien ne pouvait l'arrêter car il tirait sa puissance directement de la source primordiale. Ça n'aurait pas dû pouvoir se produire.
Elle releva les yeux sur la femme et chuchota :
– Tu crois qu'ils sont encore vivants ?
Linaëlle se pencha pour être à sa hauteur et prit sa main pour la glisser sous sa tunique, sur l'épaule droite, là où Delthéa l'avait marquée, il y a des années. L'étoile était chaude sous les doigts de l'enfant qui soupira.
– Je ne sais pas pour les autres, mais elle va bien, affirma sa mère. Et Vélinol va s'en sortir, elle est chez moi, à Malatir.
– Elle est tombée sur Arkholis ? s'horrifia une voix qu'Elerinna reconnut aussitôt.
Elle pivota pour voir Gabrön, titubante, se rattraper à un pan de mur encore debout. Elle se précipita vers elle, précédée par sa mère qui intercepta la Déesse avant qu'elle ne chute.
– Vous avez besoin de soins, constata Linaëlle en la déposant délicatement au sol.
Effectivement, les bras et le corps de l'elfe étaient couverts de profondes griffures qui saignaient abondamment. Elerinna pâlit devant le spectacle, et sa mère s'en aperçut.
– Eli, va voir si tu peux trouver des serviettes de bain, ou n'importe quel tissu propre qui pourrait servir à faire des bandages, lui demanda-t-elle gentiment.
L'enfant hocha la tête et s'éloigna rapidement.
– Dagmar a visiblement créé des créatures pour détruire la barrière et nous traquer... De gros félins infatigables et à l'aise sur tous les terrains, y comprit dans l'eau... souffla Gabrön.
– Oui, ça correspond à la vision qu'Anïl m'a transmise. Ils poursuivaient Eli également, mais ils ne sont plus qu'un tas de cendre maintenant.
L'elfe grimaça quand la femme emprunta les griffes de sa Dragonne pour découper sa robe et décoller le tissu des plaies.
– Il y a des chances pour que ce soit empoisonné, souffla-t-elle, méfie-toi.
– Il y a des poisons capables de vous nuire ? s'étonna Linaëlle en déchirant le tissu restant pour l'appliquer sur les plus larges plaies.
– Avec un peu de magie divine, oui, un certain nombre, grogna la Déesse. Pas forcément les plus mortels, mais ils peuvent nous empêcher de cicatriser ou couper l'accès à notre magie. Quant aux antidotes, il y avait une réserve dans une des bibliothèques mais j'ignore si elle a échappé à la destruction de la maison.
– Je suppose qu'user de ma magie sur vous ne vous guérira pas...
– Exact, en revanche, ta fille peut m'aider dans une moindre mesure, bien sûr, mais au moins refermer les plus dangereuses...
Justement, Elerinna revenait avec un tas de serviettes dans les bras.
– Elles étaient par terre, mais elles sont propres, affirma-t-elle.
– C'est bien ma chérie, ça devrait suffire.
La petite fille déposa son fardeau près d'elle et observa sa mère les déchirer en bande pour les panser les blessures de Gabrön.
– Tu as vu Sadima ? demanda-t-elle à l'elfe au bout d'un moment.
La Déesse secoua lentement la tête.
– Nous avons été séparés quand ils sont arrivés. Ta mère a eu le réflexe de t'envoyer ailleurs, ce qui t'a donné de l'avance et permis de leur échapper.
L'enfant hocha doucement la tête, au bord des larmes. Linaëlle tourna la tête vers elle, inquiète.
– Ça va aller, Eli, je suis sûre que nous allons la retrouver. Viens.
La femme l'attira près d'elle, l'embrassa sur le front. L'enfant faisait tout son possible pour ne pas regarder les blessures de Gabrön, qui prit doucement sa main.
– Pium, tu veux bien être courageuse et m'aider ? chuchota la Déesse.
Le surnom affectueux fit se hausser le sourcil de Linaëlle, mais Elerinna semblait avoir l'habitude et posa son regard dans celui de l'elfe.
– Ne regarde pas si tu ne peux pas, je vais guider ta main, continua Gabrön. Il y en a trois à soigner, d'accord ?
L'enfant pris une grande respiration, déglutit et hocha la tête. La Déesse croisa le regard de Linaëlle qui lui donna son accord d'un léger mouvement du menton. Elle posa donc la main de la petite fille sur les premières griffures, au niveau de la clavicule.
Elerinna trembla en sentant le sang chaud et la peau de plus en plus froide sous sa paume. Elle ferma les yeux, puisant du réconfort dans la présence de sa mère qui lui caressait doucement le dos. Elle avait déjà refermé de petites plaies, quand elle s'entrainait sur Delthéa, mais ses sens magiques lui apprirent que celles-ci étaient beaucoup plus graves.
– Tout va bien, chérie, tu peux le faire, murmura Linaëlle dans son oreille.
La petite fille souffla puis libéra sa magie pour refermer les plaies. Elle sentit les vaisseaux se raccorder, les muscles se réassembler et la peau se remettre en place sous ses doigts, comme sa propre énergie diminuait.
– C'est bien, mon cœur, plus que deux et c'est fini, l'encouragea sa mère.
Les secondes se trouvait au niveau du nombril. Elle fut plus difficile à traiter car certains organes avait été touchés, en surface, mais l'enfant dut en reconstruire une partie. Enfin, les dernières, sous le bras, avais pénétré entre deux côtes.
– Voilà, c'est fini, tu t'es débrouillée comme une grande, la félicita Linaëlle.
Fatiguée, tant mentalement que physiquement, Elerinna soupira et s'appuya contre le mur.
Linaëlle se redressa et les observa un instant avant d'annoncer :
– Je vais voir si je peux trouver ces antidotes. Je ne détecte rien, mais la guérison n'a jamais été mon point fort.
Linaëlle se dirigea vers les restes de la bibliothèque tandis que sa fille restait près de la blessée.
– Pardon, Jadima, je voudrais pouvoir t'aider plus... s'excusa Elerinna.
– Je peux difficilement t'en vouloir d'être encore trop jeune, Pium, l'apaisa la Déesse. Tu as déjà fait beaucoup aujourd'hui.
– Je voulais sortir de la protection... Maintenant j'aimerais bien qu'elle soit encore là...
– Nous ne pouvons plus revenir en arrière, hélas.
En faisant attention, la petite fille appuya sa tête sur son épaule et ferma les yeux. Linaëlle revint finalement avec un coffret en bois et déclara :
– Malheureusement, certains flacons ont été brisés.
Elle déposa sa trouvaille sur les genoux de Gabrön et en ouvrit le couvercle, révélant une douzaine d'emplacement pour les fioles, dont quatre vides.
– À priori je ne suis pas gravement atteinte, sinon j'aurais déjà des symptômes, mais il vaut mieux garder ça à portée de main, souffla l'elfe.
Elle referma le coffret et leva les yeux sur la femme.
– Ma fille...
– Elle s'en sortira, la coupa doucement Linaëlle. Elle a eu la chance de s'écraser dans les jardins de Dopalis. Avec les prières de la population et l'aide de la magie runique, nous allons la tirer d'affaire.
– Altog merci, près de toi elle ne craint rien, murmura la Déesse, soulagée. Elle mettra du temps à récupérer ses pouvoirs, surtout si quelqu'un a provoqué sa chute, mais finalement, Arkholis est peut être l'endroit le plus sûr pour elle en ce moment.
– En parlant d'endroit sûr, en existe-t-il un où vous pourriez être un tant soit peu à l'abri ? demanda la femme.
– La maison de Delthéa me parait le plus approprié. Sans être aussi inviolable que celle de l'artefact, elle bénéficie d'une certaine protection. J'ai encore assez d'énergie pour nous y transférer toutes les trois, en revanche, si il y a une quelconque menace là-bas, je ne pourrais pas aider.
– Non, je vais vous y emmener en volant, garder votre magie, vous en avez besoin, décida Linaëlle. Eli, prend la statuette, on ne sait jamais.
Sans se diviser, Linaëlle se métamorphosa. Un peu de magie aida la blessée à grimper à la base de son cou, et Elerinna suivit le mouvement, la sculpture de bois serrée dans ses mains. Sous les directives de la Déesse, la Dragonne décolla et traversa l'éther pour finalement parvenir à une jolie maison dissimulée au cœur d'un bosquet.
Usant autant de ses sens magiques que de ceux, bien plus affûtés, de sa Dragonne, la femme fouilla la demeure sans y trouver quoi que ce soit de suspect. Elle dénicha en revanche des vêtements propres pour Gabrön et de quoi faire de vrais bandages pour les jours suivants. En revanche, nulle trace récente de Delthéa ou de qui que ce soit.
– Cela fait très longtemps que je ne suis pas venue ici, elle a changé beaucoup de choses, constata l'elfe avant de se laisser tomber dans un divan.
Elerinna ne dit rien et se contenta de se coller à sa mère. Elle savait qu'elle allait partir, elle était déjà restée trop longtemps.
Linaëlle se baissa et la prit dans ses bras.
– Ne pars pas, gémit la petite Déesse.
– Il le faut, mon cœur, mais je reviens très vite, je te le promets. Ici, vous serez tranquille pour reprendre un peu de force.
– J'ai peur, Maman.
Sa mère posa son front contre le sien, l'inonda d'une vague d'amour en la serrant contre elle.
– Il faut que tu sois courageuse, Eli, je sais que c'est très dur, mais tu n'es pas toute seule, et on va tout faire pour que la situation s'arrange le plus vite possible, d'accord ?
L'enfant renifla et hocha la tête dans son cou. Linaëlle la redéposa sur ses pieds. Toutes les deux avaient les yeux pleins de larmes.
– Je t'aime, ma petite Déesse, murmura sa mère en déposant un dernier baiser sur son front.
– Moi aussi je t'aime, Maman.
Je détachais enfin mes yeux de la surface du miroir. Le changement avait enfin lieu, après plus d'une décade d'attente. Il fallait maintenant attendre de voir lesquels survivraient.
Plop ! Pas très gaie cette fin de chapitre, je sais.
Les Dieux sont en galère, c'est la pagaille la plus totale et ça ne fait que commencer ! (Mouahaha je suis diabolique)
Bref ! Un gros bisous à vous, et à la prochaine, ici ou ailleurs ^^.
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