Chapitre 3 : Tombée du ciel (partie 2)

Le matin arriva beaucoup trop tôt au goût de Kalum. Surtout que sa mère mit tout le monde sur le pied de guerre dès le petit déjeuner. L'objectif était d'organiser une grande célébration en l'honneur de Vélinol. Émelyn avait reçu pour consigne de rester auprès de la blessée, inconsciente, et de lui transmettre régulièrement des vagues d'affection.

Une agitation festive gagna Dopalis. La Porteuse du Sang avait décidé que tout le monde mangerait à sa faim ce soir, et que des banquets seraient organisés dans toute la ville. Cette fête impromptue, un jour où l'on priait normalement Ulcanth, étonna les membres du clergé qui n'osèrent cependant pas protester en public.

Encadrés par une solide escorte, les membres de la famille royale se mêlèrent à la foule dans les rues de la ville. À son habitude, Kalum resta en retrait, et s'éclipsa dès qu'il put. Il monta retrouver sa sœur au chevet de la Déesse et la trouva endormie dans un fauteuil.

Il hésita un moment à la réveiller avant de la laisser se reposer en lui déposant une couverture sur les épaules. Se tournant vers le lit, il observa la jeune femme. Elle respirait régulièrement, sans bruit, ses brûlures semblaient avoir meilleur aspect que cette nuit. Était-il possible que ces améliorations viennent des milliers de gens qui chantaient et priaient dehors ? L'adolescent secoua la tête, tout cela le dépassait. En revanche, il pouvait peut être essayer le sort sur lequel il réfléchissait depuis ce matin.

Le jeune homme retourna à ses appartements, s'empara d'un grimoire et de son matériel d'étude. Il vérifia soigneusement l'usage des runes qu'il voulait utiliser, puis retourna auprès de Vélinol et de sa sœur toujours assoupie.

Il s'installa en tailleur au bout du lit, ouvrit la bourse en toile qui contenait les vingt-quatre jetons sur lesquels les runes étaient gravées. Simples pièces de bois polis, celle-ci servaient aux élèves durant leur travaux pratiques et étaient donc peu puissantes. S'il se trompait, les dégâts resteraient limités.

Il disposa les runes devant lui, dans l'ordre, en trois lignes de huit, les trois aettirs. Il s'intéressa aux runes du premier aett, celui de Delthéa, associée aux formes primordiales et à la vie. Après réflexion, il choisit trois jetons, le cinquième, sixième et septième, représentant Rhaido, Kenaz et Gebo et rangea les autres.

Il se leva, les runes dans la mains et découvrit le ventre de sa patiente. Inconsciente, celle-ci ne réagit pas.

L'adolescent ferma les yeux, se concentra et ouvrit son esprit à la magie. Pas celle venant du fond de lui-même, mais celle qui courrait sous la terre. Sous Dopalis se trouvait un immense nœud de courants magiques, facile à trouver, même pour des débutants. Kalum étudiait les runes depuis plusieurs années maintenant, et se connecter au flux ne lui prit qu'une seconde.

Il sentit la puissance gronder dans tout son corps, attendant qu'il la libère. Il s'empara de Rhaido, la cinquième rune et lui transmit la magie. La gravure se mit à briller, gorgée de puissance. Il l'invoquait en premier car elle était la rune guide, celle qui permet de suivre le bon chemin, qui guérit les blessures et mets en mouvement les énergies.

Il déposa le jeton au dessus du nombril de la jeune femme, sans obtenir de réaction. Il prit ensuite Gebo, qu'il utilisait pour sa capacité à attirer les flux et permettre les échanges d'énergie. Cette rune symbolisait aussi le lien entre les mondes et l'adolescent la pensait approprié pour aider une Déesse. Il chargea le jeton d'énergie et le posa sous le nombril de sa patiente, sur la droite.

Enfin, il prit la dernière rune, Kenaz, celle du feu créateur et contrôlé, aussi utilisé pour amplifier la puissance d'un sort. Il inspira et recommença la même manœuvre qu'avec les deux précédentes, puis la mit à sa place, sous le nombril à gauche.

De cette façon, les trois runes formaient un triangle dont la pointe la plus longue était Rhaido, puisque elle devait maintenir et maitriser les deux autres.

La main au dessus des runes, Kalum mobilisa une dernière fois la magie tellurique et lia les runes en prononçant :

– Rhaido guide, Gebo échange, Kenaz crée.

Les gravures se mirent à pulser à l'unisson d'une douce lumière mauve. L'adolescent relâcha le flux magique qu'il utilisait. Le sort créé, et les runes solidement liées, il n'avais plus besoin de jouer les intermédiaires. La magie nourrirait le sort jusqu'à ce que Kalum l'interrompe ou que quelque chose le brise.

Le jeune garçon remit doucement la couverture en place et s'installa en tailleur au bout du lit. Maintenant, il lui fallait vérifier que son enchantement soit bénéfique. Il patientait depuis quelques minutes quand Jayden entra dans la pièce.

– On dirait qu'elle va mieux, constata l'aîné à voix basse.

– Oui, l'idée de Maman à l'air de fonctionner, répondit son frère sur le même ton.

– Je ne sais pas combien de temps nous allons pouvoir cacher aux gens qu'elle est ici, s'inquiéta Jayden.

– Alors tu crois que c'est vraiment une Déesse ?

– Pourquoi, pas toi ?

– Je ne sais pas, hésita Kalum. Ça parait tellement improbable.

– C'est parce que tu n'es pas aussi sensible à la magie que moi... Je t'assure qu'elle possède une puissance incroyable, même dans son état. En plus... Je ne sais pas comment qualifier ça, mais elle est... attirante.

L'adolescent tourna la tête vers son frère, un sourcil levé.

– Ah oui, vraiment ? se moqua-t-il.

– Pas comme ça, souffla Jayden en roulant des yeux. Je veux dire qu'elle a une espèce de... charisme magique ?

– Ouais, je vois ce que tu veux dire, je pense. Comme si elle était une source de magie, ou un artéfact très ancien, elle dégage la même énergie.

L'ainé approuva de la tête.

– Bon, je ne reste pas plus longtemps, j'ai encore des exercices à faire avec Amalicia avant le dîner, ajouta-t-il.

– Mamie n'a toujours pas réagit à propos de sa parenté ?

– Je ne sais pas trop, grimaça Jayden. Je crois qu'elle aimerait en discuter avec elle, mais leurs emplois du temps sont difficilement compatibles...

– Ça ne m'étonne pas.

Le plus âgé s'éclipsa sur un dernier haussement d'épaule. Kalum se plongea dans le grimoire qu'il avait apporté. Il devait terminer de le lire pour la semaine prochaine et il avait également un contrôle en herbologie. Même si les enfants royaux suivaient un cursus adapté, ils n'en avaient pas moins de travail à fournir. Alors, tout en surveillant sa sœur et la blessée endormies, il parcourut plusieurs chapitres sur les combinaisons de runes. La nuit le trouva encore en pleine lecture, et il sursauta quand deux mains se posèrent sur ses yeux.

– Tu vas abimer tes yeux à lire dans la pénombre, le rabroua gentiment sa mère.

L'adolescent déposa le volume sur ses genoux et attrapa les poignets de sa mère pour dégager sa vision.

– Je ne voulais pas réveiller Émelyn, sourit-il en levant la tête.

Linaëlle l'embrassa tendrement sur le front avant de contourner l'extrémité du lit pour s'asseoir près lui.

– C'est très prévenant de ta part, mon chéri, néanmoins je pense que ta sœur a suffisamment dormi.

Sur ces mots, elle alluma les deux sphères lumineuses, fixées de part et d'autre du lit, du bout des doigts. Un grognement monta de sous la couverture d'Émelyn, faisant pouffer l'adolescent. Un sourire aux lèvres, sa mère se leva pour embrasser les mèches éparses qui dépassaient, avant de poser son front contre celui de l'enfant.

– Aller, l'endormie, il faut se réveiller, chuchota-t-elle.

Émelyn passa les bras autour de son cou et consentit à ouvrir un œil.

– Pourquoi les Dieux pourraient pas tomber du ciel en plein jour... marmonna-t-elle.

Kalum pouffa et sa mère rit doucement en l'embrassant sur le nez.

– Je l'ignore, en revanche ce que je sais c'est que tu devrais aller prendre un bon bain avant de te préparer pour la fête de ce soir, murmura Linaëlle.

Sa fille bailla à s'en décrocher la mâchoire puis s'étira longuement.

– Je vais rejoindre Isayra, Astéria et Julie, annonça-t-elle en se levant, elles sont déjà dans l'eau.

Sa mère approuva d'un signe de tête et la regarda partir.

– Tu n'y vas pas ? s'étonna Kalum.

– J'irai après, avec les adultes. Je n'ai pas envie de me retrouver prise dans une nouvelle bataille d'eau, souffla Linaëlle.

Un sourire étira les lèvres de l'adolescent. Les quatre plus jeunes de la famille royale étaient spécialistes dans le domaine, à tel point qu'il se demandait si ce n'était pas une stratégie pour avoir la paix pendant leur baignade.

– Qui lui a jeté un sort runique ? demanda soudain la femme en se levant.

Kalum sursauta. La lueur dégagée par les runes se devinait au travers de la couverture.

– C'est moi, avoua-t-il.

Sa mère posa un regard perçant sur lui, le mettant mal à l'aise.

– Tu l'as mis en place il y a combien de temps ?

– Plusieurs heures... Je voulais juste l'aider, je pensais que c'était une bonne idée ! se défendit-il.

Linaëlle se redressa, enleva la couverture et observa les runes qui pulsaient à l'unisson.

– Je vais les enlever si tu...

– Chhht ! l'interrompit-elle, sourcils froncés.

L'adolescent se tut tandis qu'elle passait une main au-dessus du corps de Vélinol. Elle prit le bras non-immobilisé de la Déesse, en déroula le bandage. Les chairs à vif, cloquées, avaient disparu, remplacées par une couche de tissus en train de cicatriser, sous laquelle se voyaient des nervures de lumière mauve.

– Elle accepte la magie runique, s'étonna Linaëlle.

Elle releva les yeux sur son fils qui se tenait immobile, ne sachant quel comportement adopter.

– Amalicia devait avoir la tête ailleurs pour ne pas y avoir pensé...

« J'y ai pensé, figure-toi, mais elle a rejeté Rhaido, comme les autres formes de soins. » se manifesta la concernée dans leurs esprits.

« Mais je n'ai pas utilisé Rhaido pour son sens de guérison. » expliqua Kalum. « Je l'ai utilisé pour guider Gebo et Kenaz, pour lui fournir de l'énergie, amplifier celle qu'elle avait déjà et qu'elle reçoit de nos prières. »

Il y eu un silence puis la Directrice déclara :

« Il se peut que tu viennes de lui sauver la vie, ou de raccourcir très nettement son temps de guérison. Nous discuterons de cela plus tard. »

Elle disparut de leur horizon mental aussi vite qu'elle était arrivé. Linaëlle s'approcha de son fils et passa une main dans ses cheveux avant de l'embrasser sur le front.

– Tu vois que tu sais faire des choses que les autres ignorent, le félicita-t-elle.

– Ça ne veut toujours pas dire que je suis un Dragon...

– Arrête d'y penser, ça viendra quand tu seras prêt. Sois un peu fier de toi, je pense que tu le mérites.

Kalum lui adressa un faible sourire. Elle posa un nouveau baiser sur son front et l'attira contre elle.

– C'est vraiment une Déesse, Maman ? demanda-t-il.

Linaëlle caressait ses cheveux courts et soupira doucement.

– Je crains que oui, Kal'.

– Comment elle va faire pour retourner là-haut ?

– Je ne sais pas mon chéri, à vrai dire, je ne pensais même pas qu'elle survivrait à ses blessures... Mais j'ai surtout peur qu'elle ne soit pas tombée accidentellement et que ceux qui lui en veuillent ne viennent la chercher ici si ils apprennent sa présence.

– Mais qui pourrait lui faire du mal, là d'où elle vient ?

– Les Dieux ne s'entendent pas aussi bien que nous le raconte les légendes, Kalum, lui confia Linaëlle.

– Alors on ne pourra pas l'aider... soupira l'adolescent. On ne peut rien faire contre un Dieu. Ou une Déesse.

– Qui te dis que nous devons l'aider ?

– Si elle faisait partie du camp que tu ne soutenais pas, tu n'aurais pas déployé autant de moyen pour tenter de la sauver, si ?

Sa mère le fixa un instant avant de secouer doucement la tête et de reporter son attention sur Vélinol.

– Tu deviens perspicace. Néanmoins je ne sais pas encore où elle se situe. Ce n'est pas avec elle que j'ai eu le plus de contact ces dernières années. Et tant que je n'en saurais pas plus sur la situation là-haut, il vaut mieux que le minimum de personne sache qu'elle est là et que je peux peut-être l'aider.

– Alors il faut attendre qu'elle se réveille ?

– Pour l'instant, c'est ce qu'il y a de mieux à faire.


Plop vous ! Un peu d'estime de soi pour Kalum dans ce chapitre, ça lui fera un peu de bien.

Pour ceux qui se posent des questions sur les runes qu'utilise notre héros, je n'ai rien inventé, il s'agit du vieux futhark, l'alphabet des vikings. J'ai remanié certaines choses à ma sauce, vu que les Dieux de Kalum ne sont pas les mêmes que ceux des vikings mais à part ça, tout viens de recherches et de livres que j'ai lu.

Sur ce, je vous fais un gros bisous, et je vous dis à plus tard ^^.

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