Chapitre 2 : Pressentiment (partie 2)

– Si tu veux entendre toute l'histoire, il faudra attendre Linaëlle.

Elerinna fit la moue, mais sa mère l'embrassa sur le front avant de se lever et de regagner l'intérieur du bâtiment. Boudeuse, l'enfant resta assise, persuadée que ses mères trouveraient encore le moyen d'esquiver le sujet.

Le lien qu'elle entretenait avec sa mère mortelle l'informa qu'elle venait d'arriver. Elerinna sentit son inquiétude. Quand Linaëlle la rejoignit à l'extérieur et s'installa près d'elle, elle ne réagit pas.

– Tu boudes maintenant ? C'est nouveau ça ? la réprimanda la femme.

– Vous me mentez, lâcha sa fille.

– Nous ne t'avons pas menti. Tu étais simplement trop jeune pour entendre, et surtout comprendre, certaines parties de l'histoire. Nous avons préféré te cacher certaines choses, expliqua Linaëlle. Mais aujourd'hui, je suppose qu'il est temps.

– Vous allez me racontez ? s'enthousiasma Elerinna.

Sa mère plongea son regard dans le sien. Son expression grave effaça aussitôt le sourire du visage de l'enfant.

– Viens, souffla Linaëlle en ouvrant les bras.

Sa fille s'installa sur ses genoux et elle referma son étreinte sur elle, l'enveloppant dans un cocon chaud et rassurant. Elerinna cala sa tête sous son menton et resta silencieuse, attendant la suite.

– Ce que je vais te raconter n'a rien de drôle ou de plaisant. Théa et moi avons décidé il y a longtemps que ce serait moi qui me chargerai de t'apprendre ce qu'il s'est passé, car certains passages sont difficiles à évoquer pour elle. Je veux que tu ouvres grand tes oreilles, même si tu connais déjà certains passages, car ce que je vais t'expliquer est très important, d'accord ?

– Oui, Maman.

Linaëlle ferma les yeux et plongea dans ses souvenirs.

– Je venais d'avoir sept ans quand j'ai rencontré Théa pour la première fois, commença-t-elle. Elle a visité mes rêves tandis que j'étais gravement malade, et elle m'a sauvée. Ce jour-là, elle m'a également offert l'étoile sur mon épaule, pour me protéger, en enfreignant une des règles que Dagmar a édictées.

– Celles qui sont inutiles et stupides ? interrogea Elerinna.

Oui, celles-ci, sourit sa mère. Il n'empêche qu'elle aurait dû les respecter, et en les ignorant, elle s'exposait à une sanction de la part des autres Dieux. Heureusement pour nous, personne ne l'a découvert avant que je sois plus grande.

– Grande comment ?

– J'étais presque adulte à ce moment-là, j'avais dix-neuf ans. Les Tfigunï ont commencé a attaquer Arkholis, et Théa a dû me révéler que je devrais me battre contre eux. Peu de temps après, je tombais dans un de leurs pièges et ils tuaient Jayden, le frère que je venais juste de retrouver, sans que je puisse rien y faire.

Linaëlle marqua une pause. Sa fille sentait la douleur que ce décès provoquait encore chez elle. Elle captait de la  colère et de la rancune également, mais ces sentiments lui étaient moins familiers. Son esprit tournait à toute vitesse pour recouper les informations avec ce qu'elle savait déjà. Elle connaissait les Tfigunï, mais ignorait qu'ils étaient revenus récemment sur Arkholis. De même qu'elle se souvenait que l'année de ses dix-neuf ans, il y avait eu plein d'évènements importants dans la vie de sa mère.

– À ce moment-là, j'en voulais énormément à Théa, repris la femme. Je la tenait pour responsable de la mort de Jayden. Elle n'avait pas tenté de me mettre en garde, et ne m'avais pas permis de lui dire adieu.

– Mais tu lui as fait mal, si tu lui envoyais de la colère, non ? s'inquiéta Elerinna en levant les yeux sur elle.

– Elle a beaucoup souffert à cause de moi, elle était très affaiblie, presque au point de disparaître, avoua sa mère. Heureusement, Gabrön est intervenue et elle nous a permis de nous retrouver et de discuter de tout ça, y compris de l'amour qu'il existait entre nous.

– Tu l'as embrassée ? s'intéressa l'enfant.

– Oui, mais elle ne voulait pas que je l'aime, c'était trop dur pour elle, alors elle m'a rejetée.

– Mais pourquoi ?

– À cause de toutes les différences qu'il existe entre nous, et le fait que j'étais aussi amoureuse de mon futur mari, l'éclaira Linaëlle.

– Oh... se renfrogna sa fille.

– Finalement, encore grâce à Gabrön, j'ai fini par la convaincre que nous pouvions nous aimer même si j'aimais aussi Adam. Et nous avions gagné un sursis du côté de ses frères qui acceptaient plus ou moins ma présence régulière dans l'inter-monde. Mais c'est aussi à cette époque qu'elle m'a annoncé que dix ans plus tard, je devrais peut-être mourir pour vaincre les Tfigunï.

Elerinna lisait beaucoup de peine dans son aura et se blottit fort dans ses bras, gardant le silence.

– Les années sont passées, je me suis mariée, j'ai eu des enfants, mais même sans m'en rendre compte, j'avais peur de voir le temps s'écouler sans pouvoir l'arrêter. Quand la faille a laissé échapper de plus en plus de Tfigunï et qu'ils ont commencé à se regrouper pour attaquer des gens partout sur le continent, j'ai voulu me précipiter pour les en empêcher. Mais Théa me l'a interdit, car il fallait attendre qu'elle soit complètement ouverte pour pouvoir la sceller et ainsi gagner la partie. J'ai dû attendre, et chaque personne qui mourrait sous leurs coups me rendait malade. Je faisait de grosses crises de larmes quand on m'annonçait des attaques...

À nouveau, Linaëlle se tut. Elerinna se recula un peu pour la regarder et vit les larmes dans ses yeux. Elle n'avait jamais vu sa mère pleurer, et sentir sa peine malgré les années remuait son petit cœur. Elle fit la même chose que faisait les adultes qu'elle connaissait quand elle était triste, elle l'embrassa sur la joue. La femme referma ses bras sur elle, la serrant presque à lui faire mal. L'enfant posa son front contre le sien et lui envoya tout l'amour qu'elle ressentait pour elle dans l'espoir de chasser ses larmes. Cela fonctionna puisque les yeux de sa mère s'éclaircirent et qu'elle posa un baiser sur son nez.

– Excuse-moi, ce n'est pas facile pour moi non plus, souffla Linaëlle.

Sa fille se nicha dans son cou, attentive. Au bout d'un moment, la femme reprit :

– Juste avant que je ne doive partir pour affronter les Tfigunï, Dagmar et Ulcanth ont compris que l'affection que Théa me portait allait lui faire faire des choses qui aurait pu la tuer, et briser l'équilibre de leur univers, les détruisant eux aussi. Alors, ils se sont servis de leurs liens pour la capturer et enclencher un sortilège visant à la tuer, tout en leur remettant la part d'Altog et de Wamog de l'âme de leur sœur.

Effrayée, Elerinna frotta son front contre son cou. Linaëlle parlait ni plus ni moins que d'arracher son âme à sa mère divine, ce qui d'après ce qu'elle avait appris, était l'une des choses les plus douloureuse qui existe. La femme caressa doucement ses cheveux en continuant :

– Ce que Théa a subit là-bas, pendant que les autres Dieux et moi mettions au point un plan pour la sauver, elle ne m'en a jamais parlé. Mais je sais qu'ils lui ont fait beaucoup, beaucoup de mal, Eli, et c'est une des raisons pour lesquelles elle craint tant que tu quittes cette maison.

– Mais tu l'as sauvée... murmura l'enfant.

– Je l'ai sauvé, puis je suis allée affronter les Tfigunï. Elle était trop affaiblie, et elle ne pouvait se permettre de m'aider. Je suis morte ce jour-là.

Elerinna se figea, leva les yeux et trouva le regard douloureux de sa mère.

– Je suis morte, mais Fiona s'est sacrifiée pour que je puisse continuer à vivre. Elle a donné sa vie sans hésiter pour que je puisse voir grandir mes enfants et vieillir aux côtés de ma famille. Je suis celle qui a réussi à vaincre l'envahisseur, mais l'héroïne de l'histoire, c'est elle.

Linaëlle soupira, cligna plusieurs fois des paupières puis termina :

– Quand Théa m'a récupérée, Gabrön nous a révélé que j'étais enceinte. J'attendais deux filles, dont l'une était une future petite Déesse. Alors Théa t'a pris, pour te mettre à l'abri dans son ventre, où tu pourrais grandir sons souci, et moi j'ai gardé ta jumelle qui vit sur Arkholis. Depuis, je vous retrouve ici aussi souvent que je le peux, et nous sommes sans nouvelles de tes oncles et de tes cousins...

Le silence les enveloppa tandis que l'enfant assimilait les révélations de sa mère. Linaëlle ne la pressa pas, la laissant réfléchir en lui caressant doucement les cheveux.

– Finalement, vous ne voulez pas que je sorte parce que vous avez peur qu'ils m'attrapent et me fasse du mal, énonça Elerinna.

– Ça, et aussi le fait que si tu allais en dehors de la protection qu'offre cet endroit, le clergé et les voyants d'Arkholis sentiraient ta présence. Hors tu es encore trop jeune pour supporter les prières de tout ces gens.

– Et ils n'arrêteraient pas de t'embêter aussi, avança sa fille, puisqu'ils apprendront forcément qui sont mes parents.

– Ça, tu ne dois pas t'en inquiéter, la rassura Linaëlle en lui embrassant le front.

Elerinna sourit, frotta son nez contre sa joue, apaisée. Maintenant qu'elle comprenait, elle supportait mieux d'être enfermé dans ce petit bout d'univers. Elle bailla et se frotta les yeux, la fatigue se faisant sentir. Avant d'avoir eu le temps de s'en plaindre, sa mère se levait pour la porter jusque dans son lit.

– Non, je veux rester encore, réclama l'enfant.

– Même une jolie Déesse comme toi doit dormir de temps en temps, répliqua gentiment Linaëlle.

– Je veux pas dormir quand tu es là...

– Mais tu vas le faire quand même, parce que c'est important si tu veux grandir et devenir aussi forte que Théa.

– Tu me racontes une histoire avant ? négocia Elerinna.

– D'accord, mais une seule.

Un bon quart d'heure plus tard, la petite Déesse dormait à poings fermés et Linaëlle frappait doucement à la porte de Delthéa avant d'entrer.

– Elle dort, annonça la femme en enlaçant sa Déesse, accoudée à la fenêtre.

– Tu lui as tout raconté ?

– Oui.

– Mais a-t-elle tout compris ?

– Je ne sais pas, admit Linaëlle. Elle sais que nous la gardons ici pour son bien, mais je ne suis pas sûre qu'elle soit vraiment consciente des enjeux de cette situation. 

– Ce n'est pas une vie pour une enfant de cet âge, soupira la Déesse. Surtout curieuse et pleine de vie comme elle. Pour son bien, il faudrait que la situation sorte de l'impasse. Mais j'ignore ce que Dagmar et Ulcanth ont fait pendant tout ce temps. Qui sait s'ils n'ont pas piégés chaque mètre carré en dehors de cet endroit.

– Gabrön est toujours sans nouvelle des jumeaux ?

– Elle les sait vivants, guère plus. De temps en temps, elle perçoit des choses, des éclairs de colère ou de peur. Leur père doit les garder à l'œil. Elle ne dit rien, mais elle s'inquiète énormément pour eux.

– Vous n'avez aucun moyen d'entrer en contact avec eux ? Ou avec tes frères ?

– Pas à partir d'ici. Depuis qu'ils ont tenté autrefois de s'en prendre à Suprak et Tillia, l'artefact que j'ai enchanté empêche tous les sorts ayant un lien avec eux, qu'ils soient lanceurs ou cible. Et grâce à un processus qui m'échappe, ils nous empêchent de contacter Vélinol et Forgram.

– Et si moi j'essayais ? interrogea Linaëlle.

– N'y pense même pas ! paniqua la Déesse en pivotant pour la saisir par les épaules.

– Calme-toi, Théa, ce n'était qu'une hypothèse, l'apaisa son âme-sœur en prenant son visage en coupe.

– Ils te détruiraient d'une simple pensée, Liédiska, murmura-t-elle en l'enlaçant.

Elle posa son front contre le sien, les yeux clos. Son amante savait qu'elle culpabilisait énormément, se sentant responsable de l'enfermement des autres Dieux. Eux ne lui en voulaient pas, même si la cohabitation forcée leur pesait parfois. Dagmar et Ulcanth avait malheureusement l'éternité pour eux, empêchant leurs rivaux de reprendre sérieusement contact avec les mortels, comme ils avaient prévu de le faire lors de la victoire de Linaëlle.

Delthéa la ramena avec elle en allant chercher un premier baiser sur ses lèvres, puis un second. Dans les yeux de la Déesse brillait une lueur qu'elle connaissait bien, une question muette à laquelle elle s'empressa de répondre par un sourire mutin avant de l'entraîner vers le lit.



Plop vous !

Ouais je sais, j'ai résisté deux chapitres avant de reprendre le point de vue de Linaëlle XD.

En vrai, il fallait une petite explication mère-fille. Et une discussion entre Théa et Lin pour que vous soyez bien au point sur le bazar de là haut. Donc, ça c'est fait.

Je vous fait un gros bisous, et à plus ! ^^.

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