Chapitre 2 : Pressentiment (partie 1)

– Gagné ! s'exclama Kalum, ravi.

– Pu... naise, tu es vraiment devenu un adversaire redoutable, gamin.

Meriem, qui lisait sur le canapé et suivait la partie de Keshet, se manifesta :

– Yaël, ton langage.

– Mais...

– Ne fais pas l'innocent, tout le monde sait ce que tu as voulu dire.

Le concerné roula des yeux dans une attitude exagérée.

– Il n'empêche que même Jayden n'était pas aussi doué à son âge, insista-t-il.

Linaëlle, qui avait perdu bien avant son cousin, lui fit les gros yeux, mais sa mère se contenta d'un petit sourire triste.

– Pourquoi crois-tu que je ne joue plus contre Kalum depuis des mois ? s'amusa-t-elle. Il devient beaucoup trop fort.

– Je n'ai pas encore réussi à battre Kalioska, mais je compte bien y arriver un jour, affirma l'adolescent.

– Tu réussiras, je n'ai aucun doute là-dessus, affirma sa grand-mère.

Un domestique interrompit leur conversation pour rappeler à Yaël et Linaëlle qu'ils étaient attendus auprès de l'Empereur. Ils s'excusèrent donc auprès de Meriem et s'éclipsèrent rapidement, laissant Kalum avec elle.

Le jeune garçon se leva pour s'installer près d'elle et jeter un œil sur sa lecture. Il s'agissait d'un vieux traité historique particulièrement ennuyeux sur les débuts de la création d'Elmakan.

– Tu trouves vraiment ça divertissant ? interrogea-t-il.

Sa grand-mère releva les yeux des pages enluminées pour lui sourire franchement.

– Le style est bien trop lourd et l'auteur se perd dans un nombre incroyable de descriptions inutiles, c'est extrêmement barbant, lui confia-t-elle. Néanmoins, c'est un des rares ouvrages qui a été écrit juste après les faits, et donc le plus proche de la réalité. C'est pour ça que je cherche dans ses pages.

– Et qu'est ce que tu cherches ? s'intrigua Kalum.

– Rien de bien important, des informations sur les Daéorï na Lufa, répondit Meriem.

Le jeune garçon, qui maîtrisait peu l'Ancienne langue, dû faire un effort pour traduire le nom.

– Les... Fils de la Lune ? Non. Les Enfants de la Lune. Je n'ai jamais entendu parler de ça.

– Tant mieux, souffla son aïeule. Ce ne sont pas des gens que je te souhaite de rencontrer un jour.

L'adolescent la dévisagea un instant. Ses prunelles noisettes s'étaient voilées, ses sourcils froncés.

Garima ? l'appela-t-il, inquiet.

Sa grand-mère battit vivement des paupières et secoua doucement la tête.

– Excuse-moi, certains souvenirs sont plus tenaces que d'autres.

– Pourquoi tu fais des recherches sur ces personnes ?

– Parce que les rumeurs parlent d'eux. De plus en plus de gens racontent en avoir rencontré. Ils parlent de magie noire et de croissant de lune peints dans des endroits visibles de tous. Cela fait plusieurs années que ça dure, et je tente déjà de me renseigner sur eux depuis une dizaine d'années, mais c'est à peine si on trouve une mention de tant à autre dans certains livres anciens.

Elle referma le livre poussiéreux et passa une main affectueuse dans ses cheveux.

– Ne te soucie pas de cela, ce sont des idées farfelues de vieille dame.

L'adolescent secoua la tête et l'embrassa sur la joue.

– Mais non tu n'es pas vieille.

– Vraiment ? s'amusa sa grand-mère.

Kalum opina du chef en souriant, ce qui lui valut un baiser sur le front.

– Tu es trop gentil, mon petit.

Le jeune garçon tint compagnie à sa grand-mère durant le restant de l'après-midi. Il aimait beaucoup passer du temps avec elle, soit à partager une lecture ou un jeu, soit se contenter de rester présent tout en faisant une activité différente. La majorité des membres de la famille passa échanger quelques mots avec l'Archiduchesse douairière, avant qu'Ilyass, le petit dernier d'Azra, ne se réveille de sa sieste et réclame l'attention de Meriem.

À trois ans, le bambin était déjà très éveillé et Kalum se fit un plaisir de lui faire des grimaces pendant qu'il prenait son goûter, le faisant rire aux éclats. Observer sa grand-mère pouponner le petit lui rappela des souvenirs où il était à sa place. Une époque où, même enfant, il voyait que l'éclat dans les yeux de sa mère était terni. Il se souvenait avec précision de ces trois jours où le lien qui les unissait avait rompu, laissant un trou béant dans son petit cœur. Puis l'euphorie quand elle était revenu, presque trop forte pour son esprit de petit garçon.

Elle n'évoquait jamais cette période où elle avait, selon les histoires, sauvé le monde des redoutables Tfigunï. La seule confidence que Kalum avait réussi à lui arracher concernait sa vassale, Fiona, qui avait donné sa vie pour la sienne. Linaëlle n'avait repris personne à son service, malgré son droit de le faire, et veillait à ce que l'on se souvienne de son amie comme d'une légende, celle qui avait tout sacrifié par amour pour sa suzeraine.

L'adolescent sortit de ses pensées avec l'arrivée de ses cousins les plus âgés. La nuit, qui tombait tôt en cette période de l'année, avait mis fin à leurs activités extérieures. Il s'attabla avec eux devant un jeu de cartes auquel ils jouèrent jusqu'au dîner, privé pour le plus grand bonheur du jeune garçon.

Au milieu de la nuit, une cacophonie mentale réveilla Kalum. Une pagaille sonore que le jeune garçon mit quelques instants à comprendre. Finalement, le rugissement du Dragon de son grand-père ramena instantanément le calme :

« Sang et fichues cendres, calmez-vous, on dirait une bande de poulets décapités ! » gronda Malvius, son Dragon à l'arrière-plan de son esprit.

Un court silence suivit, très long à l'échelle d'une communication mentale, durant lequel l'adolescent sentit la présence curieuse de la majorité de sa famille malatirienne. Finalement, Jayden se jeta à l'eau en demandant :

« Quel est le problème ? »

L'hésitation des adultes fut presque palpable avant que leur oncle Xavier réponde :

« Des assassins ont tenté de tuer vos grands-parents. »

« Quoi ? » s'horrifia Émelyn.

« Il n'y a rien de grave, petit trésor. » la rassura aussitôt Elmira. « Plus de peur que de mal. »

« Vous voulez qu'on rentre ? » s'informa Linaëlle, tout en administrant une claque mentale à son frère pour son manque de subtilité.

« Non, tout va bien, restez à Olmetho. » l'apaisa Malvius. « C'est valable pour vous aussi, les filles, restez avec la mère de Kalioska, ne vous embêtez pas avec ça. » insista-t-il en s'adressant à Sollia et sa compagne.

« Vous êtes sûrs ? » s'inquiéta leur fille.

« Rassure-toi, on ne peut pas faire un mouvement sans être scrutés de la tête au pied. » s'amusa Elmira.

Linaëlle rit et l'image de la Directrice Ol'Darith s'imposa dans la conversation, amenant l'amusement de tout le monde. Le patriarche renvoya tout le monde se coucher. Quelques secondes après Émelyn poussa le battant de la porte et passa sa tête dans l'ouverture.

– Je peux venir ? chuchota-t-elle.

– Oui, viens.

Sa cadette grimpa sur le lit et se glissa entre les draps pour venir se coller contre lui.

– Papi et Mamie vont bien, il ne faut pas t'inquiéter, tu sais, la rassura son frère.

– C'est pas ça... J'ai l'impression que quelque chose ne va pas, mais je ne sais pas quoi, ni pourquoi.

Kalum resta silencieux. Son aîné lui avait fait la même réflexion quelques jours plus tôt. Leur sensibilité magique ne cessait d'étonner l'adolescent, et surtout de l'inquiéter à propos de ce qui les attendait.

– Tu devrais en parler à Maman, je crois, elle pourra peut-être t'aider, conseilla-t-il finalement.

– Je lui dirai demain, bailla la plus jeune.

En quelques secondes, elle s'endormit, la tête sur sa poitrine. Avec un sourire attendri, l'adolescent passa un bras autour d'elle et se laissa à son tour happer par le sommeil.

Debout, il se tenait immobile au sommet d'une falaise. Il ne connaissait pas cet endroit, et pourtant, il semblait familier. Une immense forêt s'étendait à ses pieds. Le ciel était entièrement noir, les étoiles absentes. Une immense lune se leva sur l'horizon. Une lune rousse, qui enflamma la forêt de ses rayons brûlants. D'entre les arbres sortirent des dizaines de Dragons qui montèrent à l'assaut de l'astre. Ils n'eurent pas le temps de s'approcher qu'ils éclatèrent en milliers de paillettes argentés, pulvérisés par des traits de magie brute.

Kalum plissa les yeux, dans la lumière de la Lune, une autre lueur se détachait, et à l'intérieur une silhouette aux longs cheveux, qui pointa un bras vers lui. Une force invisible le propulsa en arrière et le décor tourbillonna autour de lui.

Sa vision stabilisée, il s'aperçut qu'il se trouvait maintenant sur une plage. Sur le sable noir se détachait une série d'empreintes, des petits pieds menus que les vagues n'effaçait pas. Comme une marionnette dont on tire les ficelles, l'adolescent suivit les traces.

L'endroit était paisible. Les oiseaux marins jouaient dans le vent au-dessus de sa tête. Les vagues fredonnaient en rythme dans ses oreilles.

Brutalement, une nouvelle piste se mêla à la première. Des grands pieds, chaussés de bottes. Un cri de détresse le fit bondir en avant. Les empreintes s'espaçaient, les cris gagnaient en force, mais quand il arriva au bout de la piste, il n'y avait plus rien.

Hébété, il passa une main dans ses cheveux, tourna son regard vers la mer. Un immense voilier se détachait de l'eau. Un navire comme le jeune garçon n'en avait jamais vu. Trois mâts, effilé comme une rapière, fendant les flots toutes voiles dehors.

Le ciel bleu s'assombrit soudain, en quelques secondes, des nuages menaçant avaient envahis la voûte céleste et le tonnerre gronda. Un éclair phénoménal déchira le paysage, laissant une empreinte brûlante derrière les paupière de Kalum. La foudre s'abattit sur le bateau, le fendant littéralement en deux. Les poils hérissés de sa nuque et de ses bras apprirent à l'adolescent que cette tempête n'avait rien de naturelle.

Il tenta d'apercevoir d'éventuels naufragés, mais percuta à nouveau ce poing invisible qui l'envoya dans un autre tourbillon.

Le jeune garçon tomba à plat dos sur un sol dur. La respiration coupée, des tâches sombres se baladant sous ses paupières, il mit un moment à prendre conscience du lieu où il se trouvait.

Un espace voûté, dont il ne voyait pas les limites, au plafond soutenu par de lourds piliers à intervalles réguliers. Une indénombrable quantité de sphères lumineuses, de toutes tailles, flottaient dans les airs.

Kalum se mit debout, oubliant la douleur de son dos. L'endroit dégageait un sentiment de puissance et de noblesse tel qu'il ne savait pas à quoi le comparer. Il marcha, un peu au hasard, s'apercevant que certaines orbes s'éteignaient et disparaissait, tandis que de nouvelles naissaient, sans régularité ni raison apparente.

Il finit par parvenir sous neufs globes plus gros que les autres, disposés en cercle. Il se demanda si il avait atteint le centre de l'endroit ou si ces lumières signifiaient quelque chose.

Étrangement, il ne lui venait pas à l'esprit de s'inquiéter de trouver une sortie ou la raison de sa présence. Le lieu l'apaisait, le laissait admiratif.

– Eh ! Que fais-tu ici ?

L'exclamation sortit brusquement le jeune garçon de sa rêverie. Un homme de taille moyenne. Les cheveux argentés parsemés de mèches noires, s'avançait vers lui, l'air contrarié.

– Tu n'as pas le droit d'être ici, gamin, poursuivit-il.

Kalum allait ouvrir la bouche pour s'expliquer et demander des informations, mais il se sentit brusquement tiré en arrière et bascula dans le vide.

Avec un sursaut, l'adolescent se réveilla dans son lit. Émelyn dormait profondément à son côté, les draps remontés jusqu'au nez. En faisant le moins de bruit possible, il se coula hors du lit puis de la pièce, encore secoué par le rêve – ou le cauchemar ? – qu'il avait fait.

Il tourna en rond un moment dans le salon qu'il partageait avec sa fratrie, s'interrogeant sur ce rêve dont les moindres détails restaient gravés dans sa mémoire. Finalement, la fatigue le rattrapa et il décida de retourner se coucher. Après tout ce n'était qu'un songe issu de son esprit, qui ne méritait pas de gaspiller des heures de sommeil pour en trouver la signification.

– Ça ne va pas, mon cœur ?

– Je ne sais pas, Maman, soupira Elerinna.

La jeune fille, assise sur un gros coussin informe, observait le petit bout de jardin qui composait la limite de son horizon depuis sa naissance. Delthéa s'installa à côté d'elle, soucieuse. Elle comprenait exactement ce qui arrivait à sa fille : elle s'ennuyait. La maison de Suprak et Tillia avait beau être grande et comporter une belle bibliothèque, elles ne pouvaient pas contenir la curiosité d'une Déesse qui grandissait.

– Pourquoi on ne peut pas aller ailleurs ? interrogea l'enfant.

– Tu sais bien que ton oncle a établi des règles qui...

– Non, je veux connaître la vraie raison, la coupa Elerinna en plantant ses yeux de jade dans les siens.

Sa mère fronça les sourcils.

– Je t'ai déjà dit de ne pas utiliser ta magie sur moi, Eli.

– Mais je suis obligée ! Toi et Madu, vous me mentez à ce propos, je m'en suis rendue compte depuis quelques mois déjà. Tu m'as promis qu'un jour, on irait voir Arkholis, et les autres mondes que tu m'as racontés. Mais le temps passe et tu n'abordes jamais le sujet, alors que tu me répète que le rôle d'un Dieu est de veiller sur les peuples qui le vénèrent. Au lieu d'apprendre à les connaître, je reste ici à faire des exercices de magie ou à écouter des histoires que je voudrais vivre. J'en ai assez d'être enfermée, Maman.

Delthéa soupira et détourna la tête. Il fallait bien que cela arrive.

– Si tu veux entendre toute l'histoire, il faudra attendre Linaëlle.


Plop vous ! Kalum fait des rêves bizarres non ? Ouaip, c'est louche tout ça.

Sinon, on voit un peu plus Elerinna, qu'on avait entr'aperçu au chapitre précédent ^^ (avouez vous voulez savoir ce qu'il se passe/s'est passé là-haut)

Bon un peu plus sérieusement, maintenant. (Pas de panique, il n'y a rien de grave)

Comme vous avez pu le constater, j'ai effectué un sprint final pour boucler le tome un avant le vingt-quatre janvier. Un mois plus tard, j'en suis déjà au chapitre deux de celui-ci. Pour la première fois depuis longtemps, mon imagination sature un peu de devoir travailler sur ces romans. Pour éviter de me prendre la tête et de tout envoyer bouler, (parce que je me connais, si je force, je vais finir par me mettre en silence radio pendant six mois) j'ai donc décidé de ralentir un peu sur Kalum.

Concrètement, ça veut dire que le rythme de publication sera peut être modifié. Si le chapitre de la semaine n'est pas prêt, et bien vous aurez un vendredi sans chapitre. 

Néanmoins, mon rythme d'écriture ne ralentit pas. Donc ça veut également dire que je continue à travailler sur d'autres choses, comme Destinées par exemple, ou peut-être, je dit bien PEUT-ÊTRE, sur un truc nouveau.

Je ne vous abandonne pas, je me contente de lever le pied pour ne pas faire une overdose et me lasser de cet univers qui me plaît tant.

Alors je vous fais un gros bisous, et je vous dit, à la prochaine, ici ou ailleurs ^^.

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