Chapitre 11 : Échos du passé (partie 2)

L'ancien Roi leva les yeux à l'approche de sa fille et la salua d'un sourire.

— J'espère que le livre est captivant, s'amusa Linaëlle.

— Des années de pratique m'ont appris à me concentrer même au milieu d'une dispute. Il doit rester des gâteaux sur la table, si tu te sens le courage de tenter une expédition.

— Non merci, ça ira.

Malvius releva le regard vers elle. Il la connaissait par cœur et elle ne refusait jamais quelque chose à grignoter. Sauf rares situations d'angoisse ou de stress.

— Lin'... commença-t-il.

— Ne commence pas, Papa, s'il te plaît.

L'ancien monarque soupira, posa son livre et se pencha vers elle.

— Nous avons pris la meilleure décision. Ce n'était probablement pas celle que tu préférais, mais c'était celle qu'il fallait prendre.

— Et j'ai maintenant deux enfants dans la nature au lieu d'un.

— Ils ne seront pas seuls.

— Ils pourraient croiser mille dangers mortels avant d'être de retour ici !

— Ou aucun.

— Papa !

— Kalum est un garçon intelligent et débrouillard, il est accompagné de trois elfes et d'une Déesse pas tout à fait déchue. Il y arrivera et il te ramènera ta petite dernière saine et sauve.

— Comment peux-tu en être aussi certain ?

— Il a ça dans le sang. Je me souviens d'une jeune fille de son âge qui se battait déjà comme une soldate et qui a remporté neuf des seize épreuves de l'Unification.

Linaëlle soupira en s'enfonçant dans le fauteuil.

— Je ne souhaite pas ça pour eux. Je ne veux pas qu'ils aient à se battre.

— Aucun parent ne le souhaite. Mais chaque génération mène ses propres combats. Il nous appartient seulement à nous, les plus âgés, de veiller à ce qu'ils soient prêt quand vient le jour où ils doivent s'envoler.

— Mais justement, il est jeune, il n'est pas prêt...

— Tu ne l'étais pas non plus, et pourtant, regarde-toi aujourd'hui. Fais leur confiance Linaëlle. Il est temps que tu les laisses prendre leur place sur scène, peu à peu, jusqu'à ce qu'un jour tu sois assise dans les coulisses et tu les regardes à leur tour laisser la place aux suivants.

— C'est donc ça, vieillir ? Devenir impuissant à protéger ceux qui comptent pour nous ?

— Non, c'est savoir où est notre place, connaître nos capacités et avoir confiance dans les leurs. C'est lâcher leur main pour qu'ils avancent seuls et ne plus leur souffler de répliques. C'est savoir que même le travail accompli dans l'ombre est important. C'est ce qui leur permet de briller.

— C'est effrayant.

— La vie est effrayante, quel que soit notre âge.

Linaëlle soupira, réfléchit aux paroles de son père, tandis que derrière elle, le dragon avait finalement vaincu son adversaire.

Trois petites tornades déboulèrent près d'eux et réclamèrent leur attention immédiate, tirant la femme de ses réflexions. Elle afficha un sourire d'abord un peu forcé mais vite sincère face aux jeunes filles. L'après-midi se déroulait sans anicroche quand la dragonne blottie en elle se mit à grogner. Une étrange sensation envahit Linaëlle, à mi-chemin entre un vertige et une poussée d'adrénaline. Elle projeta son esprit à la recherche de l'origine de ce qu'elle identifiait pour l'instant comme une menace potentielle.

Elle s'éclipsa sans inquiéter personne, ses sens magiques et les instincts de sa dragonne en éveil. Ses pas la conduisirent à l'extérieur, vers les jardins. Elle s'arrêta dans un endroit qu'elle connaissait par cœur. Elle avait passé du temps ici, quand elle était encore enfant, avec Fiona et Noah, ainsi que d'autres amis. Une énergie étrange se manifestait ici. À la fois terriblement familière et impossible à reconnaître, elle mettait la métamorphe mal à l'aise.

Je ne comprends pas.

Moi non plus... C'est très étrange.

Aussi vite qu'elle était venue, l'énergie s'évanouit, ne laissant que de faibles traces à peine perceptibles. Pourtant, quelque chose figea Linaëlle. Quelque chose avait changé. Elle observa autour d'elle, mais ses yeux humains ne voyaient rien. Elle se concentra, battit des paupières et laissa la vue de la dragonne prendre le dessus. Aussitôt, elle repéra ce qu'elle cherchait : une bague, accrochée à une branche dénudée, imbibée d'une énergie, d'une aura qu'elle n'avait pas ressenti depuis plus d'une décennie.
Elle saisit le bijou avec délicatesse, et l'identifia aussitôt. Elle l'avait offert à Fiona, il y avait des années de cela. Tout indiquait que la magicienne disparu avait porté cette bague peu de temps auparavant. Mais son amie était décédée depuis des années, son corps avait brûlé et les biens qu'elle possédait, soigneusement distribués. Elle ne pouvait pas avoir déposé ce cadeau ici.

Je perds la tête...

Non, je perçois la même chose.

Mais c'est impossible !

Peut-être... mais quand on a éliminé toutes les hypothèses possibles, il ne reste que ça.

La métamorphe souffla, incrédule. Il faudrait qu'elle demande une confirmation à... Elle arrêta sa pensée, attristée. Non, elle ne pouvait pas demander à Amalicia, puisqu'elle les avait quittés. Elle glissa la bague dans une poche, remonta vers le château. Elle manquait cruellement d'informations et elle détestait ça. Avancer dans l'inconnu était bien trop risqué, si elle voulait affronter la menace, elle devait savoir ce qui l'attendait.

Jayden souffla et se laissa tomber sur son lit. La fatigue, tant physique que psychologique, prenait son dû. Le jeune homme avait mal partout, une migraine grognait à l'arrière de son esprit, et la magie dans son sang pulsait, tentant de compenser la faiblesse de son corps. Sa formation de Haut Magicien se faisait de plus en plus exigeante, sans compter que la disparition d'Amalicia l'avait laisser sans professeur. Les autres Hauts Magiciens faisaient de leur mieux pour compenser, mais rien ne pouvait vraiment remplacer la Dame de la Haute Tour. Surtout qu'en tant que membre de sa famille, le lien de sang entre eux avait rendu son apprentissage bien plus facile.

Il l'ignorait jusqu'à récemment, bien sûr, mais il avait très vite accepté cette parenté. Après tout, il la fréquentait tous les jours depuis plusieurs années, parfois plus souvent que certains membres de sa famille.

Sa famille... Le jeune homme serra ses poings endoloris. Il ne savait plus où il en était de ce côté-là. Le chaos qu'avait semé les révélations de sa mère avait fait éclater la petite bulle de sérénité et de bonheur qui les protégeait. Il avait une demi-sœur, une Déesse, que sa mère leur avait caché, ainsi que son lien avec Delthéa. Jayden passa une main sur son visage... Il se demandait encore si tout ceci était bien réel. Malgré son statut de Haut Magicien, il restait un jeune homme très logique et terre à terre.

Toute cette histoire le troublait. En tant qu'ainé, il se faisait un devoir de protéger ses frère et sœur. Mais ça... Linaëlle les avait trahi, en leur dissimulant des choses, en mentant sur certains événements. Et cette fille qu'il ne connaissait pas... lui avait-elle seulement parlé d'eux ? Sa famille actuelle n'était-elle qu'un bouchon temporaire, en attendant de retrouver celle qui l'attendait dans les cieux ?

Toutes ces questions rendaient le futur Haut Magicien malade. Il avait toujours cru que sa famille ne pouvait être qu'un modèle d'unité et de diversité. Un petit bout de monde où il pouvait vivre sans rien avoir à craindre. Voilà que ses certitudes volaient en éclats tranchants et entamaient sa confiance. Qu'aurait dit Amalicia de cette crise familiale ?

« Les gens que tu aimes, qu'ils soient de ton sang ou non, seront toujours les plus aptes à t'infliger les blessures les plus profondes, et réciproquement, ceux qui sauront toujours te relever. Une famille n'est pas toujours paix et harmonie. Parfois on s'aime, plus que tout, mais on prends des décisions qui font du mal aux autres. Alors il faut s'installer et écouter. Tenter de comprendre et de faire comprendre. Panser les plaies et continuer d'avancer, ensemble, et sortir de cette épreuve plus forts. Si tu n'apprends pas à écouter, alors les choses ne pourront qu'empirer jusqu'à l'irréparable. Et je sais qu'au fond de toi, tu ne veux pas cela. »

Jayden ouvrit les yeux. Il n'avait pas conscience de s'être endormi. Pourtant, ces mots, prononcés avec la douceur et la compréhension de son aïeule, devaient être un rêve. Amalicia était décédé, et son corps avait été rendu aux flammes qu'elle chérissait tant. Oui, impossible qu'il en soit autrement. Il avait déjà dû les entendre et son esprit embrumé les avait rappelé à sa mémoire sous le coup de sa fatigue et de ses interrogations.

Avec un grognement, le jeune homme se releva et se rendit jusqu'à sa fenêtre. Le paysage devant lui, ceint de montagnes escarpées et tranché par une rivière rapide, ne possédait rien de commun avec les douces collines qui entouraient Dopalis. La neige ici était plus lourde, plus dangereuse, et apportait avec elle des manifestations magiques parfois étranges. Les nuages, de cette teinte de gris si particulier, annonçait d'autres flocons dans la soirée. Jayden eu une pensée inquiète pour son frère, lancé sur les routes à la recherche d'une sœur qu'il ne connaissait pas.

— J'espère pour toi que tu vas revenir vite et en un seul morceau, Kalum. Parce que je te jure que je te flanquerai ma meilleure baffe dans le cas contraire, murmura-t-il dans le silence.

Aucune réaction dans son esprit. L'adolescent était probablement déjà loin, et ils s'étaient de toute façon mis d'accord pour réduire leurs liens au strict minimum, afin d'éviter que le cadet ne soit facilement traçable.

— Que les Dieux veillent sur ceux qui sont chers à mon cœur, et qu'ils ramènent chez eux les explorateurs...

— Je ne pensais pas que ça pouvait être toi, belle enfant.

— Directrice ! C'est vous... Oh mes Dieux, ça veut dire que...

— Ah, pas de ça avec moi, mon petit. Comment as-tu fais pour parvenir ici ? Cet endroit n'est pas pour les gens normaux, ni même les magiciens au service de la couronne.

— Je... on m'a arraché ma magie quand j'étais enfant, mais le travail a été bâclé, j'ai pu récupérer mes capacités avec le temps. J'aurais fini par récupérer ce qui m'avait été volé, si on m'en avait laissé le temps. Mais j'en ai décidé autrement, pour ma sœur.

— Oui, j'ai cru comprendre que ta mort n'était pas dû à tes blessures. De quelles lignées descends-tu ?

— La vôtre, et celle des Ol'Tialy. Ça remonte à une dizaine de générations, mes parents n'en avait pas la moindre idée, avant qu'on toque à notre porte, le jour de mon huitième anniversaire.

— Je ne m'étonne plus que tu te sois si bien entendu avec Linaëlle. Et ta persévérance t'aura menée jusqu'ici...

— Exact.

— Impressionnant.

— Vous me flattez, mais vous êtes bien plus douée que moi.

— Seulement parce que je suis plus âgée et que j'ai reçu l'éducation qu'il t'a manqué. Je n'arrive pas à croire que tu étais sous mon nez tout ce temps.

— Vous étiez occupée à autre chose. Assurer l'équilibre, protéger votre famille...

— Tu es de mon sang, j'aurais dû te trouver. Mes tâches n'auraient pas dû m'empêcher de voir qui tu étais. Si je t'ai manqué, toi, combien d'autres en ai-je laissé passé ? J'ai failli à ma tâche, à te donner la vie que tu méritais.

— Non... je n'aurais pas voulu de ça. Ma vie a été celle que je désirais. J'ai pu la passer avec ceux que j'aimais.

— Si tu ne regrettes rien, c'est le plus important, je suppose... Bon, où est le maître des lieux, il faut que je lui parle ?

— Je ne l'ai pas vu depuis des lustres.

— Tu ne peux pas être un peu plus précise ?

— Le temps est confus ici... Quel âge a Kalum ?

— Il a seize ans bientôt.

— Oh... Alors facilement quatre ou cinq ans, je pense.

— Tant que ça ? C'est plus grave que ce que je pensais. Il faut que je me dépêche.

— Que faites-vous ? Eh, Directrice ! Attendez !

— Je n'ai pas le temps, j'ai la fin du monde à empêcher.

— Laissez-moi vous aider !

— Peut-être... Je ne sais pas si tu es taillée pour ça.

— Vous ne le saurez pas si vous ne me laissez pas essayer.

— Très bien. Alors pour commencer, tu me tutoies et tu m'appelles par mon prénom.

— D'accord, très bien, Dir... Amalicia. Par quoi commençons nous ?

— Hm, excellente question. Il faut déjà commencer par comprendre comment fonctionne tout cela, et ensuite...

— Oh, actuellement, je sais comment cela fonctionne. J'ai réussi à faire passer ma bague de l'autre côté, aujourd'hui. Ça manquait de précision, mais Linaëlle l'a trouvée.

— Brave petite, tu n'as pas perdu ton temps !
Montre-moi ça, nous avons du pain sur la planche.

— Mais... la fin du monde... c'était une exagération, hein ?

— Non, pas du tout. Il y a une grande menace qui pèse sur eux et je n'ai pas pu les prévenir. Si quelqu'un lit mes journaux, ils pourront peut-être avoir des indices, mais ce n'est pas suffisant.

— D'accord... Mettons-nous au travail


Plop vous ! J'espère que vous allez bien, et que vous profitez de vos vacances !

Quoi ? La fin du chapitre ? Je ne vois pas ce que vous voulez dire... tousse.

Est-ce que je viens de ramener deux personnages morts auxquels vous teniez et que je vous ai laissé pleurer sans donner un seul indice de leur retour ? Parfaitement. Mais vous devriez le savoir depuis le temps, je suis une autrice sadique. Mais croyez-moi, elles vont avoir du boulot ! Elles ne sont pas de retour pour le plaisir.

Enfin bref, j'espère que vous continuerez d'apprécier la suite, qui est déjà en cours d'écriture. Un gros bisous masqué à tous, et à la prochaine.

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