Chapitre 1 : Le puîné (partie 2)

L'étage royal était silencieux et le soleil encore couché quand l'adolescent se réveilla quelques heures plus tard. Il sortit de son lit, s'étira, et s'habilla rapidement. Il traversa les couloirs et dévala les escaliers pour sortir dans la cour intérieure, puis passa sous l'immense porche en saluant les gardes en faction. Habitués à le voir sortir à une heure aussi matinale, les hommes lui rendirent son salut sans s'inquiéter.

À peine sorti de l'enceinte du château, le jeune homme se mit à courir. Les allées des jardins étant maintenues dégagées malgré la neige, elles offraient un terrain sur lequel il pouvait s'exercer tous les jours. Sa respiration régulière formait de la buée dans l'air glacé et il invoqua une sphère de lumière pour ne pas se blesser sur les allées de terre gelée.

Deux heures plus tard, tandis que la neige scintillait sous le soleil levant, il revint à son point de départ, essoufflé mais satisfait. Un des soldats l'attendait et lui apporta une gourde d'eau fraîche, qu'il accepta avec reconnaissance avant d'effectuer une série d'étirements. Il aurait voulu poursuivre par des exercices de musculation mais il savait qu'ils étaient attendu à Olmetho pour le petit-déjeuner.

Il remercia donc le planton pour son eau et prit le chemin des thermes. Après son décrassage, il fila dans ses appartements et fut accueillit par David, son serviteur attitré, lui servant aussi de confident et de garde du corps, pas forcément dans cet ordre.

La vingtaine tout juste atteinte, le jeune métisse mesurait une bonne tête de plus que Kalum et possédait une carrure impressionnante. Tout en muscle, ce jeune prodige jouait de deux haches courtes à double tranchant dans le plus pur style colrithien. Il avait appris son art de son père et s'était ensuite lancé à l'aventure sur les routes du continent à la mort de son géniteur. Mais il s'était vite lassé de dormir à la belle étoile sans un sou en poche et s'était présenté au palais pour postuler en tant que membre de la garde royale. Kalum l'avait pris en amitié et il s'était retrouvé à son service, ombre dévouée, toujours prêt à rendre service.

– Je t'ai préparé tes affaires, lui indiqua David quand il franchit la porte. Combien de temps restons-nous chez ta tante ?

– Quelques jours d'après ce que j'ai compris, l'informa Kalum en commençant à s'habiller. Mes parents doivent assister à l'anoblissement de plusieurs familles de marchands et d'officier, comme chaque début d'année, en présence de l'Empereur. De plus, ma mère veut discuter avec Daniela de l'apprentissage d'Émelyn et des progrès d'Abigaël.

– Daniela ... C'est la cousine un peu excentrique de ta mère ? La sœur aînée de l'Empereur ? hésita le jeune métisse en attrapant les vêtements sales.

– Si par excentrique tu entends cultivée et célibataire, alors je suppose que oui.

– C'est pas elle qui a... Enfin tu vois...

– Si, c'est elle qui a tué mon oncle dont Jayden porte le nom. À priori, un Tfigun la contrôlait quand elle l'a fait.

– Ah.

– Tu n'as pas l'air convaincu, remarqua Kalum en passant sa chemise.

– Si si, mais je la tiendrai à l'œil, par précaution.

L'adolescent haussa un sourcil amusé vers son ami qui lui renvoya un regard sérieux. Il prenait très à cœur son rôle de protecteur et s'inquiétait de la moindre menace qui pourrait peser sur son Prince, bien que le jeune garçon soit presque aussi habile avec sa Risthero que lui avec ses haches.

Kalum enfila ses chausses, ajusta son pourpoint et glissa ses pieds dans une paire de bottes souples en cuir montant jusqu'à mi-mollet.

– Dieux que je déteste ce genre de tenue officielle, se plaigit-il. Non seulement je ne suis pas à l'aise dedans, mais en plus, on croirait qu'ils ont pioché un élément du costume par époque. Vivement la prochaine réforme de l'étiquette que je puisse retrouver mes pantalons !

– Je trouve que ça a un certain charme, commenta David. Évidemment, ça ne va pas à tout le monde.

– Tu te donnes beaucoup de mal pour me dire que je suis ridicule, grogna l'adolescent.

– Au contraire, je trouve que ça te va bien.

Avec un soupir, le jeune homme s'examina dans le miroir fixé la lourde armoire en chêne. Les longues heures passées à suer pendant que d'autres apprenaient les arcanes de la magie lui avait octroyé une solide carrure malgré son jeune âge. Le pourpoint grenat brodé d'argent, assorti à des chausses noires, affirmaient sa silhouette bien moins dégingandée que certains garçons de son âge. Il donna un coup de peigne pour discipliner ses cheveux blonds qu'il portait courts. Un examen rapide de son visage lui permit de vérifier qu'il n'avait pas de bouton trop visible, privilège de l'adolescence dont il se serait volontiers passé.

Il lança un coup d'œil à son reflet qui lui renvoya ce regard à la couleur si particulière. Ces prunelles mauves qui intriguaient tant les gens. Personne ne savait d'où pouvait venir une teinte comme celle-ci. Ni les mages, ni les historiens n'avaient la réponse. L'adolescent s'en serait moqué si cela n'avait pas contribué à l'écarter encore plus des autres. Non seulement il n'était pas magicien mais en plus, il avait ses yeux étranges qui déstabilisaient ses interlocuteurs. Il pinça les lèvres et se tourna vers David.

– De quoi j'ai l'air ?

– D'un parfait petit Prince, le taquina son ami.

– Parfait, je suppose que je suis prêt dans ce cas, ironisa l'adolescent.

Sur un rire du métisse, ils traversèrent le couloir pour toquer à la porte des appartements de Linaëlle et Adam. La porte s'ouvrit d'elle-même, autorisant les deux garçons à entrer.

Jayden et son père discutaient, appuyés sur le linteau de la cheminé. Ils s'interrompirent à leur arrivé. Si Kalum avait des traits communs avec ses deux parents, son aîné ressemblait presque traits pour traits à son père. Même taille, même gabarit, même visage, bien que celui de son frère soit plus fin et moins anguleux. Surtout même yeux d'un bleu profond aux longs cils qui charmaient les filles en un claquement de doigts. Tous les deux avaient revêtu le même costume que le jeune garçon, ne changeait que le pourpoint, gris souris pour leur père et vert forêt pour son frère.

– Bonjour Papa, salua Kalum en s'approchant.

Son père ébouriffa ses cheveux et l'adolescent râla :

– Je viens de me coiffer !

– Justement, s'amusa Adam.

Avec un grognement, Kalum se mit hors de portée et remit de l'ordre dans ses mèches rebelles.

– Bien dormi, Jay ? demanda-t-il à son frère un sourire au coin des lèvres.

De larges cernes sous les yeux et le teint un peu verdâtre, le concerné semblait tirer une sacrée gueule de bois.

– J'ai connu mieux, marmonna Jayden.

– Aurais-tu mal au crâne ? insista le cadet en parlant volontairement plus fort.

– Oh la ferme, s'agaça son frère en balayant l'air de la main.

– Quelle bonne humeur ce matin ! s'exclama Kalum, toujours plus proche de son oreille. C'est l'idée d'avoir dix-neuf ans qui te remplit de joie ?

Jayden tenta de le repousser et il esquiva en ricanant.

– Tu vieillis, frangin, tu étais plus vif avant !

– Suffit, Kalum, laisse ton frère tranquille, intervint Linaëlle en sortant de la chambre d'Émelyn, la benjamine sur les talons.

Malgré son ton réprobateur, un sourire malicieux éclairait son visage quand elle embrassa ses fils sur le front. Émelyn se pendit au cou de son père, puis de ses frères pour réclamer un bisous. La petite dernière de la famille avait des cheveux d'un blond tirant sur le roux qui encadraient un visage aux pommettes constellée de légères tâches de rousseur. Sa silhouette encore enfantine annonçait néanmoins les prémices d'un corps en pleine transformation. Vêtue d'une jolie robe d'un rose clair, et d'une bonne humeur communicative, elle était à croquer. Kalum l'embrassa avec plaisir et elle lui rendit la pareille.

– Puisque tout le monde est là, nous y allons, prévint Linaëlle en tendant les mains.

L'adolescent s'empara de la main de David et prit celle de son frère. Un battement de cœur plus tard, ils parvenaient dans leurs appartements elmakais.

La porte s'ouvrit sur le doux sourire de leur grand-mère qui n'eut que le temps d'ouvrir les bras avant qu'Émelyn ne s'y précipite. Tout aussi heureux de la voir, les deux garçons vinrent l'embrasser d'un pas plus mesuré.

Meriem posa un baiser sur le front d'Adam avant de serrer Linaëlle contre elle, front contre front. Le sourire de sa mère se fit aussitôt plus serein, et les yeux de sa sœur s'illuminèrent quand la plus jeune des deux femmes la souleva pour qu'elle puisse profiter du contact.

– Vous êtes les derniers arrivés, nous n'attendions plus que vous pour passer à table, les informa la grand-mère en se dégageant de l'étreinte.

– La famille impériale est déjà là ? s'étonna Adam. Ils ne devaient arriver que demain.

– Tu connais Manoël, il adore surprendre ses nobles, rit Linaëlle.

– Et pour une fois que je peux vous avoir tous sous le même toit, je ne vais pas me priver, ajouta Meriem.

– Yaël a abandonné son poste aussi ?

– Eh oui, et il a ramené tout son petit monde. Quand j'ai dit que nous n'attendions plus que vous, c'était dans le plus pur sens du terme.

Effectivement, à peine entrés dans la salle à manger privé, où un nombre conséquent de couverts avait été ajouté, ils furent assaillis par les saluts de l'ensemble de leurs cousins.

Émelyn s'empressa de s'installer près de ses deux cousines les plus proches en âge, Myriam et Shani, la première étant la fille de Manoël, la seconde l'aînée d'Azra. Jayden prit place avec Anoli et Abigaël, les deux plus vieux de l'Empereur. Kalum se glissa à côté de Keren, le plus âgé des deux fils de Yaël. Les plus jeunes furent installé près des adultes de l'autre côté de la table. Par respect et affection, Manoël céda le bout de la table à Meriem dont les yeux pétillaient de ravissement d'avoir toute sa famille présente.

Avec le temps et la mort confirmée de Kadsuan, l'ancienne Impératrice, ses enfants s'étaient rapprochés de leur tante et avait comblé leur manque d'amour maternel auprès de l'Archiduchesse douairière qui en avait à revendre. Et si en public, ils ne laissaient rien paraître, protocole oblige, ils ne se privaient pas de gestes affectueux dans l'intimité.

Comme on pouvait s'y attendre, le déjeuner fut animé, moins qu'à Malatir, mais avec autant de jeunes autour de la table et les retrouvailles des adultes, les conversations et les rires allaient bon train.

La journée fila ensuite entre moments de détentes entre cousins et cérémonies officielles auxquelles l'adolescent ne pouvait plus échapper comme il y a encore quelques années. Maintenant que ses seize ans approchaient, il se devait de tenir son rang et de participer de plus en plus activement à la vie de la Cour, tant ici qu'à Malatir.

Le dîner lui sembla interminable, et il gagna ses appartements, soulagé de se soustraire à la foule. Comme d'habitude, la première partie de la soirée s'était déroulée sans soucis. Mais quand les garçons de son âge avaient quitté la table pour se mêler à d'autres groupes ou tenter d'obtenir une danse avec une jolie fille, il s'était retrouvé seul. Il aurait pu tenter de s'imposer aux côtés de son frère et de ses cousins. Mais il savait qu'il demeurerai à faire de la figuration ou à répondre à des questions sur sa famille pendant que les autres s'amuserait. Il avait donc choisi de se dissimuler derrière un rideau fermant une petite alcôve et d'observer la fête de loin.

Il se coucha en adressant, plus par habitude que par réelle ferveur, une prière aux Dieux qui semblaient tant apprécier sa mère. Si ils pouvaient se pencher, ne seraient-ce qu'un court instant, sur lui et lui accorder de quoi le faire briller un peu aux yeux des autres, il leur en serait infiniment reconnaissant.

– Bonjour, petite Déesse, comment vas-tu ?

– Ça va. Câlin ?

Elerinna soupira d'aise quand sa mère la cueillit pour la blottir dans ses bras. Elle enroula ses jambes autour de sa taille et nicha sa tête dans son cou. Son autre mère s'approcha et les enlaça toutes les deux, provoquant une puissante vague d'amour dans l'esprit de la petite fille. Elle adorait ces moments partagés à trois.

Elle aurait voulu avoir ses mamans pour elle toute seule, tout le temps. Mais Linaëlle ne pouvait pas encore venir avec elles. Elle avait une vie à Arkholis, cette planète qu'elle ne connaissait que par les histoires que lui racontaient les adultes. Et cette vie comprenait d'autres enfants, dont elle était un peu jalouse, car ils lui prenaient sa mère, mais qu'elle aurait aussi voulu connaître car ils faisaient partie de sa famille.

Elle ne connaissait pas ses deux oncles divins, qui étaient fâchés avec le reste du panthéon. L'aura de Delthéa brillait toujours de tristesse quand elle lui parlait d'eux. À cause de leur dispute, elle ne pouvait pas sortir de la maison de Suprak et Tillia et aller voir toutes les belles choses que sa mère divine lui racontait. Elle devait se contenter de voir à travers les souvenirs que la Déesse lui montrait.

Parfois, Elerinna pensait à partir à l'aventure, mais elle avait peur de ne plus voir ses deux mamans, alors elle se résignait à remettre ses rêves à plus tard, même s'ils se faisaient de plus en plus insistants.

Pour l'instant, elle avait ses deux mamans avec elle, et elle comptait bien en profiter. Avec un sourire, elle demanda une histoire, une autre qui nourrirait ses rêves en attendant qu'elle puisse les réaliser.


Plop vous ! Je sais, il y a beaucoup trop de personnages dans cette partie ! Un petit cadeau pour ceux qui galèrent juste en dessous :

Ça va mieux ? J'espère en tout cas ^^ De toute manière, ceux dont l'histoire a vraiment besoin auront droit à une présentation dans les règles plus tard, don't panic !

En tout cas, je vous fais un gros bisous, et à la semaine prochaine !

PS : Oui, ce chapitre est posté un jeudi soir pour raison de vacances, mais vous aurez le prochain vendredi comme d'habitude ^^.

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