Le Roi se leva et se dirigea vers la sortie, Linaëlle sur les talons. Il marchait à grand pas et l'enfant était obligée de trotter pour ne pas se laisser distancer. Il s'en rendit compte et ralentit un peu le rythme, ce qui équivalait quand même à une marche soutenue pour la fillette. Ensemble, ils descendirent les escaliers pour se rendre au premier étage du palais, dans une aile où Linaëlle ne s'était encore jamais rendue.

Arrivés devant une immense porte dorée à double battant, ils retrouvèrent le couple princier en grande discussion avec Manahau et un homme brun qui leur tournait le dos et que Linaëlle ne connaissait pas. Tous portaient des habits de Cour, même Manahau qui avait consenti à enfiler une robe, bien que très simple, dans les tons verts. Ils interrompirent leur discussion à l'arrivée du Roi et Manahau et l'homme inconnu se fendirent d'une parfaite révérence.

- Linaëlle, je te présente le capitaine Tarquin, des Gardes du palais, annonça Elmira. Capitaine Tarquin, laissez-moi vous présenter Linaëlle.

Linaëlle adressa au militaire un sourire timide. Plus âgé qu'Elmira et Malvius, le capitaine avait déjà les tempes grisonnantes. Même en habits d'apparat, il possédait un maintien et une rigueur militaire : Bottes noire impeccablement cirée, pantalon noir sans faux pli et chemise blanche repassée de frais. Sa cape grise sur laquelle on devinait un dragon doré avait des épaulettes indiquant son grade dans l'armée. Rasé de près, il avait des traits anguleux et un front haut avec son nez légèrement proéminent et ses yeux noirs, il ressemblait à un oiseau de proie.

- Enchanté de te rencontrer, jeune demoiselle, dit celui-ci avec un hochement de tête à l'intention de l'enfant.

- Puisque les présentations sont faites, nous allons pouvoir passer à la suite, fit Malvius vivement. Manahau, tu vas prendre Linaëlle avec toi et veiller sur elle.

- Entendu, Votre Altesse, répondit la femme avec un hochement de tête. Tu viens, blondinette ? fit-elle en tendant la main à Linaëlle.

- J'arrive, répondit Linaëlle en souriant devant l'emploi du surnom qu'utilisait Emily.

Elle prit la main de Manahau et celle-ci l'entraina le long d'un couloir perpendiculaire vers une autre porte également à double battant mais bien moins imposante que la précédente et en bois poli. Sans hésiter Manahau ouvrit la porte et entraina la fillette avec elle. Le bruit de dizaines de conversation assaillit alors les oreilles de Linaëlle qui eu un mouvement de recul. Manahau se tourna vers elle et lui adressa un sourire rassurant.

- Ne t'inquiète pas, ils ne mordent pas enfin en général.

Linaëlle réussit à lui adresser un sourire crispé et elles entrèrent dans la salle, l'enfant cramponnée à la main de la guerrière. Heureusement pour Linaëlle, elles avaient pénétré dans la salle par la porte latérale aussi leur entrée passa-t-elle inaperçue, donnant à Linaëlle l'occasion d'observer les lieux.

La salle immense était pleine à craquer. D'immenses piliers de pierre répartis en deux colonnes de part et d'autre de la salle contribuaient à l'impression d'immensité de la salle. Sur chacun d'entre eux, la bannière de Malatir, le dragon or et l'étoile à huit branches noire sur fond gris était visible.  À leurs pieds se trouvaient plusieurs centaines de nobles, tous en grande tenue d'apparat. Au centre, un  tapis bleu à bordure or coupait la salle en deux sur toute sa longueur, de l'immense porte dorée jusqu'aux marches menant aux trônes à l'opposé.
Huit marches en marbre blanc menaient à un haut trône en or particulièrement imposant. Sur le haut du dossier était gravé un dragon identique à ceux des bannières. Hormis le fait qu'il était fait en or massif, le trône paraissait relativement simple : Pas de pierres précieuses ni de fioritures. Sur l'avant dernière marche, deux trônes identiques taillés dans le marbre et polis encadraient le trône d'or. L'ensemble de la scène se trouvait éclairé par une immense fenêtre ronde où l'on devinait une étoile à huit branches taillée dans le verre.

Face à toute cette splendeur, Linaëlle se sentit soudain insignifiante. Manahau sentit son trouble et l'entraîna vivement vers un petit groupe se trouvant assis aux pieds des marches des trônes. Linaëlle ne connaissait aucune des cinq personnes présentes mais remarqua que les femmes comme les hommes portaient un dragon en vol tatoué au creux du cou à l'encre noire. Cependant, tous semblaient déjà connaître Linaëlle quand Manahau annonça qui elle était. Ils s'installèrent tous aux pieds des marches sur des sièges en pierre polie à dossier bas, face à la foule. N'ayant pas de siège attribué, Linaëlle s'installa sur les genoux de la jeune femme, assise tout au bout de la rangée.

C'est alors qu'elle s'aperçut que le volume sonore avait grandement diminué, réduit à des chuchotements et que les regards de l'assemblé se fixaient peu à peu sur elle. La dizaine de mètre qui séparait le bas des marches de la foule des nobles lui parut soudain dérisoire et elle se recroquevilla sous ses regards curieux. Manahau attira sa tête dans le creux de son cou et resserra son étreinte sur elle.

- Ne t'inquiète pas, ils vont bientôt trouver un autre sujet d'attention, murmura la jeune femme.

- Rassure-toi, glissa l'homme assit sur la gauche, ils n'ont encore jamais mangé personne enfin pas que je sache.

- Ce n'est pas le moment de faire de l'humour Peter, grogna Manahau.

- Au contraire ma chère, il me semble que c'est le moment idéal, rétorqua le dénommé Peter.

Manahau ne put s'empêcher de pouffer. C'est alors que la porte s'ouvrit en grand et que le héraut annonça d'une voix de stentor qui résonna dans toute la salle :

- Le Roi Althis, trente-quatrième souverain de Malatir et gouverneur des Iles Corjarés !

Un bruissement de tissu accompagna cette déclaration tandis que l'assemblée des nobles s'inclinait au passage de son suzerain qui foulait d'un pas vif le tapis bleu marine. Le Roi portait un ensemble bleu et une cape grise à larges épaulettes. Sur sa tête brillait une couronne en or sur laquelle était serti un unique saphir d'une taille plus qu'impressionnante. Alors qu'il parvenait au pied des marches, Manahau, Peter et les autres se levèrent et s'inclinèrent, la main droite posée à plat sur le cœur et l'annulaire replié. Le roi exécuta le même geste sans s'incliner. L'instant d'après, le héraut annonçait :

- Le Prince héritier Malvius et son épouse, la Princesse Elmira !

Nouveau bruissement tandis que le couple princier entrait à son tour, se tenant par la main. Le Roi gravit les marches et s'arrêta au sommet, faisant face au public et attendit qu'Elmira et Malvius effectuent le même rituel au pied des marches qu'ils gravirent à leur tour. Ils se dirigèrent ensuite vers les trônes qui leur étaient destinés, le Prince à droite et la Princesse à gauche. Les trois membres de la famille royale s'assirent autorisant par ce geste les autres à en faire autant. Linaëlle se rassit sur les genoux de Manahau, rassurée que l'attention de la foule se soit dirigée vers les trônes et non plus sur elle.

- Mes chers vassaux, commença le Roi d'une voix posée qui résonna néanmoins dans toute la salle, aujourd'hui nous sommes réunis en des circonstances particulières. Je ne m'appesantirais pas sur les faits qui se sont déroulés ces derniers jours car l'ensemble de cette noble assemblé est déjà plus qu'informé. Aujourd'hui, nous nous intéresserons au pourquoi de ces faits. Et pour cela, il nous faut entendre le principale responsable des derniers évènements.

Le Roi fit une pause comme des murmures d'approbation montaient de la foule. Il ramena le silence d'un geste de la main puis ordonna :

- Faites entrer l'accusé !

Les porte s'ouvrirent à nouveau pour laisser entrer une dizaine de gardes avec à leur tête le capitaine Tarquin. Linaëlle fut parcouru d'un frisson tandis qu'elle apercevait l'homme qu'ils encadraient. Même enchainé, crasseux et avec une barbe de plusieurs jours, Iatus dégageait encore une aura menaçante. Les gardes le firent avancer jusqu'à l'espace dégagé devant le trône et le mirent à genoux. Le mage leva les yeux et croisa le regard terrifié de la fillette.

- Toi ! s'écria-t-il d'une voix enrouée et nasillarde. Toi ! Tu devrais être morte ! Deux fois que tu nous échappes, c'est deux fois de trop ! Je vais te ...

- Assez ! tonna le Roi tandis que les soldats luttaient pour maîtriser un Iatus enragé et que Linaëlle se blottissait dans les bras de Manahau. Mage Iatus, vous comparaissez aujourd'hui devant cette assemblé et moi-même pour répondre de vos crimes envers le peuple de Malatir. Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ?

L'ex-conseiller éclata d'un rire grinçant, un rire fou qui fit frissonner la foule.

- Oh, mais avec joie Votre Majesté, dit-il et dans sa bouche, le titre sonnait presque comme une insulte. Je suis coupable ! s'écria-t-il. Coupable d'avoir ensorcelé les mages pour qu'ils me suivent aveuglément tels de gentils petits chiots et tuent pour moi ! Coupable de vous avoir manipulé durant de longues années et déclaré une guerre sans fin par votre intermédiaire ! Coupable d'avoir essayé de tuer cette gamine un peu trop chanceuse qui vient contrecarrer mes projets ! Coupable d'encore plus de crimes que vous tous ici ne pouvez l'imaginer !

Il éclata de nouveau de rire, il semblait complètement fou et des murmures apeurés parcouraient la foule.

- Et peut-on savoir la raison de tout ceci ? interrogea Elmira d'une voix glaciale.

- Ah ma chère Elmira ! Toujours aussi belle et fougueuse ! rétorqua le mage. Si vous ne vous étiez pas entichée de cette gamine, les choses auraient été tellement plus simples ! Oh oui, tellement !

- Répondez à sa question, ordonna Malvius d'une voix encore plus glacée que celle de sa femme. 

- Vous ne pouvez pas comprendre, pauvres petits mortels que vous êtes, ricana le mage. Vous avez peut être réussi à contrecarrer nos projets la dernière fois, mais maintenant, plus rien ne nous arrêtera !

Sur cette dernière phrase, une onde de choc repoussa violemment les gardes et les projeta à terre. Un lézard d'une trentaine de centimètre sortit de nulle part apparu sur l'épaule du mage. Ce dernier, toujours enchainé, fut brusquement entouré d'une aura noire comme la nuit. Sans cesser de rire comme un damné, il leva les mains et deux rayons incandescents partirent des yeux du lézard, l'un vers Linaëlle et l'autre vers Elmira.

Le temps sembla ralentir brusquement aux yeux de Linaëlle. L'étoile sur son épaule se mit à la picoter presque douloureusement. Les cris, le rire de Iatus, le Roi qui se levait, tout semblait se dérouler au ralentit. Un tintement retentit dans son esprit et elle entendit la voix de Delthéa qui lui disait : « Tant que ton cœur m'appartient, il ne peut rien t'arriver de mal. » Prise d'une soudaine inspiration, Linaëlle se mit sur ses pieds, contourna le siège et grimpa à tout allure les marches pour s'interposer entre Elmira et le rayon qui arrivait . Le temps reprit son cours et le rayon frappa Linaëlle en pleine poitrine, se dissipant sans lui faire de mal.

Au même instant deux rayons bleus frappèrent le mage qui s'écroula. L'aura noire sembla se racornir face aux flammes bleues qui consumaient l'ancien conseiller. Celui-ci hurla de douleur, un bref hurlement avant que le feu ne fasse son œuvre. En un laps de temps record, le cadavre du mage et de son animal destructeur furent consumé. Il ne resta même pas une poignée de cendre.

Un silence de mort tomba sur l'immense salle du trône. Linaëlle se tourna vers Elmira et vit que des larmes silencieuse roulaient sur les joues de la Princesse guerrière tandis qu'elle fixait le bas des marches. Linaëlle dirigea à son tour son regard dans cette direction. Elle avait oublié le second rayon. Celui-ci avait continué sa course et frappé la première personne se trouvant sur sa route. Manahau était étendue de tout son long sur le sol, ses yeux verts fixant le plafond qu'elle ne pouvait plus voir. Sur son visage, on lisait encore une expression de surprise. Les larmes jaillirent des yeux de l'enfant sans prévenir. Elle s'écroula dans les bras d'Elmira tandis qu'une voix brisait le silence.

- Par tous les Dieux, c'était un enchanteur !