Chapitre 8 : Du sang et des cendres (partie 2)
Linaëlle entendit la porte s'ouvrir lentement et un pas lourd se diriger vers le lit. Elle pivota lentement dans les bras d'Elmira. Le Roi se tenait debout à côté du lit. Il regardait Elmira, son visage sévère ne laissant paraître aucune émotion. La jeune femme lui rendait son regard avec un mélange de colère et d'inquiétude. Le duel des volontés fut finalement remporté par Elmira. Le Roi détourna les yeux le premier et s'assit dans le fauteuil délaissé par son fils un instant plus tôt. Il posa ses coudes sur les bras du fauteuil et joignit le bout de ses doigts. Il cherchait visiblement ses mots.
- Avant toute chose, commença-t-il de sa voix grave, je veux que tu saches que ce qu'il s'est produit la semaine dernière n'est pas de mon fait bien qu'Elmira soit persuadée du contraire.
- Donc selon vous, Ordeth a été pris d'une brusque envie de sauter à la gorge d'une enfant alors qu'il était tranquillement assis sur vos genoux. Comme c'est étrange, ironisa la concernée.
- C'est un phénomène que je ne m'explique pas moi-même, je te l'ai déjà expliqué, rétorqua le souverain un peu sèchement. Ordeth a totalement échappé à mon contrôle alors que cela devrait être impossible.
- Oui bien sûr, comme il paraissait impossible que Iatus vous trahisse ou que les mages manquent à leur serment, ricana Elmira.
Linaëlle releva les yeux sur sa protectrice avec étonnement. Jamais elle ne l'avait entendu parler ainsi à qui que ce soit. Elle pouvait sentir les muscles de la guerrière se tendre au fur et à mesure de la discussion, preuve indéniable de sa colère. A l'inverse, le Roi semblait soucieux de ne pas attiser le conflit mais l'insolence de la jeune femme mettait sa patience à rude épreuve.
- Crois-tu vraiment, dit-il avec agacement, que j'aurais pu délibérément tuer une enfant de six ans de sang froid ?
- Je ne sais pas, après tout vous avez promulguer une loi qui rend cela parfaitement légal ! répliqua sa belle-fille.
- Est-ce que tu t'entends parler, Elmira ? Je n'aurais jamais cru entendre ce genre de propos de ta part. Suis-je donc un monstre dans ton esprit ? Un monstre qui s'attaque aux fillettes de six ans ?! s'exclama le Roi.
Elmira allait répliquer vertement quand Linaëlle décida qu'elle en avait assez. Elle décida donc de prendre la parole.
- J'ai sept ans, pas six, fit-elle très calmement. J'ai eu sept ans le jour où le flamhur m'a mordu. En plus, vous me faites mal à la tête en criant comme ça.
Elle aurait dit cela en hurlant de toute la force de ses poumons que l'effet aurait été moins terrible. Les deux adultes présents la regardèrent complètement abasourdis et un silence bienvenu s'installa dans la pièce. Finalement, le Roi se racla la gorge.
- Bien donc je suppose que nous devrions discuter de manière un peu plus civilisée si nous ne voulons pas nous attirer les foudres d'Emily. Si nous sommes responsable du retour de ta migraine, elle va trouver un moyen pour nous le faire regretter.
L'enfant en resta bouche bée. Le Roi Althis faisant de l'humour ? Voilà qui était totalement nouveau. Elmira en rajouta une couche en pouffant légèrement.
- Oui, elle est intraitable quand il s'agit de ses patients, fit-elle.
Un sourire à peine perceptible se dessina sur les lèvres du Roi. Linaëlle n'en revenait toujours pas. Il y a quelques seconde à peine, ils semblaient près à se sauter dessus et maintenant ils partageaient une plaisanterie ? Décidément, quelque chose n'allait pas du tout.
- A propos de patients, comment se porte le capitaine Tarquin ? interrogea Elmira.
S'ensuivit une discussion qui dériva rapidement sur des problèmes de politique intérieure dont Linaëlle se désintéressa très vite. L'important était qu'ils ne se crient plus dessus. Le Roi resta près d'une heure, après quoi, il se leva en disant :
- Je vous présente mes excuses mesdames mais mon emploi du temps va m'empêcher de jouir plus longtemps de votre charmante compagnie. Je suis déjà en retard sur l'horaire prévu.
Encore de l'humour, décidément. Le Roi embrassa sa belle-fille sur le front et ébouriffa les cheveux de l'enfant en ajoutant :
- Nous nous reverrons bientôt petite demoiselle.
Sur ces paroles, il quitta la chambre. Un instant après, le visage inquiet de Malvius apparut dans l'encadrement de la porte.
- Tout le monde va bien ? demanda-t-il.
- Mais oui, ne t'inquiète donc pas tant, dit son épouse en riant.
- Ah... soupira-t-il. Bon il faut vraiment qu'on y aille Elmira, nous sommes en retard l'hommage aux victimes...
Sa femme soupira à son tour et embrassa Linaëlle sur le sommet du crâne.
- Je dois partir trésor, je reviendrai te voir ce soir d'accord ?
La fillette acquiesça et la laissa partir à regrets. Elmira l'embrassa une dernière fois et s'en alla en fermant la porte derrière elle. Restée seule, l'enfant entreprit de se lever. Ses jambes tremblaient et peinaient à supporter son poids après une semaine d'inactivité. Néanmoins, elle réussit à se rendre jusqu'au pot de chambre et à soulager un besoin naturel qui devenait urgent. Elle regagna son lit d'un pas encore plus hésitant qu'elle s'en était éloignée et se recoucha lentement en se rappelant les consignes d'Emily.
Allongée par dessus les draps, elle passa sa main gauche dans sa manche droite et remonta jusqu'à son épaule pour caresser la marque de Delthéa du bout des doigts. Personne ne lui en avait parlé, hormis Sophia qui l'avait évoqué brièvement. Curieusement, elle semblait toujours plus chaude que le reste de son corps. Un picotement lui parcourut le bout des doigts comme elle suivait du toucher les contours de l'étoile à huit branches. Elle n'eut pas le temps de s'appesentir sur le phénomène que Xavier et Sollia entrèrent et s'approchèrent du lit. Le plus grand portait une chemise bleu marine et un pantalon noir, les deux étant brodés de fils d'argent qui dessinaient un dragon en vol sur le côté droit de sa poitrine. Un dragon identique se trouvait sur la poitrine de Sollia bien que situé du côté gauche. La fillette portait une robe de la même couleur que la chemise de son frère. En fait, Linaëlle réalisa que la robe de son ainée était une réplique miniature de celle d'Elmira bien que plus courte et brodé d'argent au lieu d'or. Comme elle les regardait tous les deux sans comprendre, Xavier lui expliqua :
- On doit se rendre à la cérémonie avec nos parents et Grand-père, Sollia voulait juste s'assurer que tu allais bien avant d'y aller.
- C'est quoi la cérémonie ? l'interrogea Linaëlle.
- Il y a d'abord un défilé des soldats en faction dans la ville et après il y aura un grand feu allumé dans le jardin pour les gens qui sont morts cette semaine.
- Ah, fit Linaëlle.
Le frère et la sœur s'éclipsèrent rapidement et Linaëlle se trouva de nouveau seule. Elle entreprit donc le long trajet qui séparait son lit de la baie vitrée. Après beaucoup d'effort, elle réussit à l'ouvrir et à se glisser sur le balcon qui donnait sur le vaste parc qui couvrait toute la surface de l'île. Assise au sol, la tête entre deux barreau en pierre de la rambarde, elle attendait.
Emily ne tarda pas à revenir et tenta de la recoucher mais elle refusa et la guérisseuse s'en alla. Une foule de gens ne tarda pas à sortir du palais et à se diriger vers l'extrémité ouest de l'île. D'autre arrivaient par les ponts. Les gens continuèrent d'arriver et finirent par se masser le long du chemin.
Malgré le monde, un silence de plomb régnait sur la ville tout entière. De fait, l'enfant les entendit venir de très loin. Dix mille pieds martelaient les pavés en cadence. Les soldats du bataillon des Argrims défilaient en silence. Leurs armures brillaient sous le soleil et ils portaient tous leur cape grise sur laquelle se dessinait le dragon de Malatir. Mais les loups géants ne parvenaient pas à dérider la foule aujourd'hui. Les soldats s'engagèrent sur le pont et continuèrent leur chemin jusqu'à l'immense bûcher qui avait été érigé à l'extrémité de l'île. Ils formèrent un cercle tout autour et s'arrêtèrent d'un seul coup. Le silence revint.
Au loin, une cloche du Temple se mit à sonner. Elle émettait un son particulièrement grave. Linaëlle compta huit coups. A la neuvième sonnerie firent écho plusieurs dizaines de milliers de pieds tapant sur le sol, faisant sursauter Linaëlle. La cloche sonna encore sept fois et sept fois la totalité des personnes présentes tapèrent du pied. Soudain, le bûcher s'embrasa. De son point d'observation, Linaëlle pouvait voir les flammes s'élancer vers le ciel. Des flammes rouges vif, probablement grâce à un enchantement. Rouges comme le sang qui avait coulé durant ces deux jours que certains qualifiaient déjà de coup d'état.
Le soleil avait beau être au zénith, l'hiver était déjà là et Linaëlle frissonna dans son pyjama. Elle se décida à rentrer et referma la baie vitré. Vidée de ses forces, elle s'assit devant celle-ci et appuya son front contre la vitre glacée. Elle vit la foule se disperser et les soldats repartir en sens inverse. Le brasier rouge continua de brûler. Il s'éteignit des heures plus tard alors que la première lune de l'hiver éclairait de ses pâles rayons la ville endormie. Linaëlle se trouvait toujours à la fenêtre mais elle s'était assoupie, le front appuyé contre la vitre. Elle avait mangé mais refusait de quitter son poste d'observation tant que le bûcher ne serait pas éteint. Emily veillait sur elle, assise dans un fauteuil qu'elle avait amené près du lit. Elle aussi regardait le feu qui emportait sa mère.
Voyant qu'il ne restait que des cendres, elle prit la fillette dans ses bras et la déposa en douceur sur son lit. Elle la borda et éteignit la lampe magique qui éclairait la pièce. Puis elle s'installa à son tour sur le lit de camp qu'elle occupait en alternance avec sa sœur.
Demain, les mages viendraient lui apporter le diamant qu'ils auraient fabriqués à partir des cendres du bûcher. A présent, c'était à elle de prendre soin de sa sœur. Elle avait envisagé de partir s'installer loin de Dopalis avec Sophia ou de rebâtir une vie en tant que guérisseuse itinérante. Mais à chaque fois qu'elle pensait s'être décidée à partir, une paire d'yeux verts envahissait ses pensées. Emily se tourna vers le lit où dormait sa jeune patiente et un sourire se dessina sur ses lèvres, le premier vrai depuis quatre jours. Elle voulait voir ces jolis yeux, d'une couleur si rare de ce côté de la frontière, grandir et s'épanouir. Elle voulait être là pour les voir tous les jours. Alors elle resterait. Et que les lézards étranges qu'elle voyait depuis quelques jours aillent voir ailleurs si elle y était.
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