Chapitre 5 : Discussions nocturnes



Malvius explosa à peine la porte de leurs appartement refermée.

- Par les Dieux Elmira ! Dans quelle histoire t'es-tu encore fourrée ! Et tu entraînes les enfants avec toi en plus ! ... Tu m'écoutes quand je te parle ?!

À vrai dire, Elmira n'écoutait pas le moins du monde. Elle surveillait mentalement les deux fillettes allongées dans le noir de l'autre côté du couloir. Un sourire étira ses lèvre quand elle perçut la présence de Xavier avec elles. Ces trois-là étaient devenus vraiment proches en peu de temps. La question de son mari suivie d'un choc sourd la ramena dans la pièce, sur le canapé où elle était assise. Malvius venait d'écraser son poing contre le mur et fixait ses phalanges à vif avec l'air de se demander si elles supporteraient un choc de plus.

- Tes phalanges céderont avant le mur, annonça platement Elmira. Et si tu pouvais éviter de faire trop de bruit, je te rappelle que Cassildey dort dans la pièce d'à côté.

Malvius inspira très lentement en se tournant vers sa femme. Les pupilles devenues verticales, il gronda d'une voix sourde :

- Alors explique-moi.

Elmira le fixa en réfléchissant. Visiblement, elle avait sous-estimé sa colère. Il était tellement hors-de-lui que ses barrières mentales avaient cédées laissant à sa femme libre accès à ses pensées. Ce qu'elle y lut la surpris en lui apportant la raison de cette colère disproportionnée.

- Tu penses que Linaëlle est ma fille, murmura-t-elle suffoquée.

- Parce que ce n'est pas le cas ? l'interrogea-t-il

Ce fut au tour d'Elmira de se mettre en colère. Elle se leva du canapé et commença à marcher de long en large.

- Mais bien sûr que non ! s'exclama-t-elle. Je ne vois même pas comment tu peux avoir une idée pareille ! Bonjour la confiance ! Comment veux-tu que j'ai trouvé le temps de te faire un enfant dans le dos ? Je passe six mois sur le front et le temps que je passe ici, je dors avec toi tous les soirs ! En plus je te rappelle espèce de crétin qu'au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, une femme est enceinte pendant neuf mois, pas six ! Alors à ton tour de m'expliquer d'où te viens cette idée lumineuse ! Franchement ...

Au fur et à mesure de la tirade d'Elmira, le visage du prince héritier de Malatir avait viré au rouge sous la confusion. Il comprenait seulement maintenant l'énormité de ce qu'il venait de balancer à la figure de sa femme qui continua de vitupérer après lui pendant cinq bonnes minutes. Alors qu'elle s'interrompait pour reprendre son souffle, il lui prit les mains et l'embrassa sur le front. Elle lui servit un regard meurtrier qu'il décida d'ignorer et lui déclara calmement :

- Je crois que j'ai bien compris à quel point je suis un abruti fini qui ne te mérite pas. Cependant si tu n'y vois pas d'inconvénients, j'aimerais que nous revenions au sujet premier de notre discussion.

Le regard d'Elmira s'adoucit et elle soupira songeuse. Encouragé, Malvius tenta de l'enlacer mais elle s'écarta et retourna s'asseoir sur le canapé. Il grimaça, comprenant qu'il n'était pas encore pardonné. Il s'assit donc à son tour et attendit patiemment les explications de sa moitié. Elle s'adossa au canapé et rejeta sa tête en arrière.

- Il y a un peu plus de cinq mois, mon bataillon patrouillait dans la région de Vaklar, commença-t-elle. Le soir, les éclaireurs sont rentrés sans signaler de troupes ennemies et nous avons installé le campement comme à notre habitude. Au matin, les Argrims étaient nerveux. Sachant le nombre de fois où ils nous ont évités des ennuis, je les ai envoyés à la recherche de ce qui les perturbait tant. C'est là que nous avons découvert la légion d'Elmakais que j'ai ensuite signalée dans mon rapport. Ce que je n'ai pas signalé, c'est qu'il y avait une survivante.

- Mais pourquoi l'avoir ramenée ici ?

- Parce que, soupira-t-elle, je n'ai pas trouvé de solution plus appropriée. Aucune famille de chez nous n'aurais voulu l'adopter alors que tout en elle crie ses origines. J'aurais voulu la rendre à son peuple mais nous n'avons plus croisé l'ennemi après cet évènement et je ne pouvais me permettre d'envoyer une équipe de soldats en territoire ennemi. En plus, je dois avouer que je me suis attachée à cette petite. J'ai comme un besoin de la protéger, de veiller sur elle.

- Comment s'appelle-t-elle d'ailleurs ? Tu ne me l'as pas dit.

- Linaëlle...

- Linaëlle, répéta-t-il. Un prénom qui vient de loin...

Un silence apaisé s'installa dans la pièce. Elmira étouffa un bâillement puis sourit en voyant Malvius faire de même par empathie. Les pupilles de son époux étaient redevenues normales, signe que sa colère s'était dissipée. D'un commun d'accord, ils allèrent se coucher. Blottie dans les bras de Malvius, Elmira étendit son esprit et constata que les trois enfants dormaient ensemble. Elle sourit et s'endormit à son tour malgré l'inquiétude qui lui rongeait le cœur. En tant que soldat, elle savait qu'il lui fallait avoir l'esprit clair pour le lendemain.

Linaëlle se réveilla en sursaut alors que le tintement silencieux retentissait de nouveau dans sa tête. Elle se redressa et observa les visages endormis de Sollia et Xavier, couchés chacun d'un côté. Leur présence rassurait beaucoup la fillette. Soudain, elle sentit un autre esprit effleurer le sien.

« Viens me voir. » chuchota la voix grave du roi « Je ne te ferais pas de mal. »ajouta-t-il en percevant sa peur. Puis il partit aussi discrètement qu'il était venu. La petite fille frémit mais décida d'obéir. Elle entreprit de se dégager des draps sans réveiller ses deux aînés. Pieds nus, vêtue d'une longue tunique bleu pastel qui lui servait de chemise de nuit et lui arrivait à mi-mollet, elle sortit sur la pointe des pieds et entreprit de parcourir les larges couloirs du palais endormi. Il faisait sombre mais la lune éclairait les lieux à travers les fenêtre par intervalles réguliers. Les appartements du roi se situaient à l'étage du dessous. Arrivée devant la porte, l'enfant entra sans frapper, elle savait qu'il l'attendait.

La pièce dans laquelle elle entra lui rappela le salon des appartements qu'Elmira partageait avec son mari. Trois canapés rouge bordeaux entouraient une table basse en bois foncé. Sous la fenêtre se trouvait un espace de jeu dédié au Keshet identique à celui se trouvant dans la salle de jeu de l'étage supérieur. Une vaste cheminée allumée occupait le mur opposé. Près de cette cheminée se trouvait un fauteuil assorti aux canapés dans lequel le roi Althis était assis. Il portait encore la même tenue que Linaëlle lui avait vu au dîner malgré le fait que c'était le milieu de la nuit.
Curieusement, il avait un petit animal couché sur ses genoux. La petite fille se hâta de s'approcher de la cheminée, les couloirs, en plus d'être déserts, étant glacials en ce début d'hiver. Le roi posa ses yeux bleus perçants sur elle mais demeura silencieux, se contentant de l'examiner de la tête aux pieds.

Plutôt petite et frêle pour son âge avec des cheveux blonds coupés aux épaules et de grands yeux verts, la fillette qui se tenait devant lui n'avait rien d'une menace. Sa peau pâle éclairée par les flammes de la cheminée lui donnait un air de fantôme. Impression renforcée par le fait qu'elle ne portait qu'une tunique. Il percevait tout de même un fort potentiel magique chez cette enfant. Songeur, il lui fit signe d'approcher. Elle obtempéra docilement et s'arrêta juste devant lui, observant avec curiosité la créature roulée en boule sur ses genoux.

- Tu n'as jamais vu de flamhur, n'est ce pas ? interrogea-t-il de sa voix de basse.

- Non jamais, murmura la fillette en continuant son observation.

- C'est normal, lui indiqua le roi tout en caressant doucement le flamhur qui ouvrit les yeux et s'étira comme un chat. Ces créatures vivent dans le désert de Manghour, loin au sud en Corilth. Elles sont apparentés aux dragons bien qu'elles ne crachent pas de feu et soient omnivores. Néanmoins, leur morsure est extrêmement venimeuse.

Le flamhur ressemblait en effet à un petit dragon. Il avait des ailes membraneuses, une longue queue et des écailles dorées. Mais à la différence de son lointain parent, il possédait des griffes rétractables et un cou quasi inexistant. « On dirait un lézard avec des ailes. » pensa Linaëlle. En réaction, le flamhur montra les dents et se retourna en se roulant à nouveau en boule sur les genoux de son maître.

- Je crois que tu l'as vexé en le comparant à un lézard, constata le roi.

- Il lit dans les pensées ? interrogea la petite.

- C'est un de ses talents, oui. Ce sont des créatures très intelligentes et magiques avec ça. Ici, on les utilise pour garantir les lignées nobles. Ils sont capables de savoir si une personne possède des liens de sang avec la famille à laquelle ils sont liés. Celui là est lié à ma famille. Et ses descendants le seront aussi. Et pour répondre à ta question, il se nomme Ordeth.

Linaëlle releva les yeux et croisa le regard du roi sans parvenir à déterminer quel sentiment dominait dans son regard. Colère, peur ou haine ? Si il avait accès ses pensées, des murs infranchissables défendaient les siennes. La jeune exilée se demandait pourquoi il l'avait faite venir au milieu de la nuit. Le flamhur ne paraissait pas une raison valable. Un mince sourire étira les lèvres du roi comme il suivait le fils de ses réflexions.

- Vois-tu, tu me mets dans une situation compliquée, déclara-t-il. D'un côté, il y a une loi qui demande ta mort, une loi que j'ai moi même promulguée. D'un autre côté, si j'applique cette loi je vais devoir exécuter également ceux qui t'ont aidé à savoir ma belle-fille et deux de mes petits enfants. Ce qui me pose un sérieux problème. Et même si je gracie ma famille, ils vont tous m'en vouloir énormément à cause de toi. Me voilà donc en train de chercher une autre solution.

La petite fille se mordilla la lèvre inférieure. Quelle que soit la solution, elle mourrait. Cette constatation la fit frémir. Détournant les yeux, elle fixa les flammes dans la cheminée. Le feu. Il y avait des gens qui jonglaient avec des torches. Elle entendait les exclamations admiratives du public et le rire de son frère. Et les flammes tournoyaient dans les airs, encore et encore, illuminant la nuit. Linaëlle cligna des yeux et la vision disparut. Elle se retrouva assise par terre aux pieds du roi qui l'observait avec curiosité.

- Gâcher un tel potentiel, quel dommage, murmura celui-ci d'une voix étrange comme pour lui même.

Brusquement Ordeth quitta les genoux de son maître pour se percher sur l'épaule de Linaëlle. La petite fille n'eut pas le temps de réagir qu'elle ressentit une vive douleur au niveau de son épaule droite. Le flamhur venait de la mordre. Les paroles du roi résonnèrent dans son esprit. Leur morsure est extrêmement venimeuse. Elle croisa le regard interloqué du roi tandis que la douleur se répandait dans son corps. Elle cria et tomba sur le dos. Et le monde implosa.

Quelque part à l'autre bout du continent, une femme assistait à un spectacle donné par une troupe itinérante. Soudain, les larmes lui montèrent aux yeux et elle s'éloigna du lieu de la représentation. Le lien déjà fragilisé par la distance s'était définitivement brisé. Elle s'assit sur un banc et pleura encore une fois. Ils l'avaient tuée. Elle sanglotait encore quand une autre femme s'approcha. Elle s'assit à son tour.

- Ils l'ont tuée, Reina, sanglota la première. Ils me l'ont définitivement enlevée.

La dénommée Reina l'enlaça et lui chuchota à l'oreille :

- Ils vont nous le payer au centuple, je vous le promets.






Patatra ! Un nouveau chapitre arrivé plus tôt que prévu du fait d'une sympathique insomnie... Comme d'habitude, n'hésitez pas à commenter et même à voter si l'histoire vous plait ^^.

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