Chapitre 4 : Premier Croisement

       

Linaëlle courrait aussi vite que lui permettaient ses jambes. Les murs poussiéreux des passages secrets défilaient de chaque côté, éclairés par la sphère lumineuse qui flottait au dessus de la tête de la jeune magicienne.

Depuis trois mois elle explorait ce labyrinthe qui parcourait la quasi-totalité du palais et elle le connaissait presque entièrement par cœur. Elle n'avait plus peur depuis longtemps et avait pris pour habitude d'utiliser ce réseau inconnu de la plupart des habitants pour se promener. C'était un moyen de tromper l'ennui et surtout le chagrin qui la poursuivait dès qu'elle se trouvait seule.

Néanmoins, si elle courrait aujourd'hui, c'est parce qu'elle avait commis une erreur. Alors qu'elle se promenait dans la galerie des portraits, elle s'était retrouvée nez-à-nez avec le mage Iatus, proche conseiller du roi. Celui-ci s'était lancé à sa poursuite, rameutant plusieurs gardes du palais. Toute la troupe s'était engouffrée à sa suite dans les passages et maintenant elle tentait de leur échapper. 

Arrivée à un croisement, elle dérapa et tourna sans hésitation sur sa gauche. Au bout du couloir, elle enclencha le mécanisme qui permettait d'ouvrir la sortie. Elle bondit dehors et s'empressa de repousser le pan de mur. Elle éteignit la sphère et continua sa course folle. Elle dévala un escalier, sortit dans la cour intérieure et se réfugia dans les écuries où elle grimpa à l'étage où les palefreniers stockaient le foin.

  Allongée de tout son long dans la paille, elle reprenait son souffle tout en tendant l'oreille, à l'affut du moindre bruit lui annonçant la présence de ses poursuivants. Le soleil se couchait et Linaëlle aurait du rejoindre les cuisines pour récupérer son repas du soir. Milo allait s'inquiéter mais il ne pouvait pas quitter son poste. Elle s'approcha doucement du rebord de la mezzanine et observa discrètement le remue ménage qui se déroulait en dessous.

L'animation qui régnait était typique de la fin de la journée.  Les patrouilles rentraient, d'autres sortaient, les nobles arrivaient avec leurs escortes et les domestique revenaient de leurs courses. Tout cela fit prendre conscience à la petite fille qu'il allait être compliqué de sortir de là sans se faire remarquer. Il fallait qu'elle attende que ça se calme. Elle se mordilla la lèvre inférieure, Milo allait vraiment beaucoup s'inquiéter et il ne manquerait pas d'avertir Sophia et Emily.

Soudain, elle aperçut Iatus qui arrivait à grand pas vers la porte principale encadré par deux gardes à l'air pas commode. Elle plongea tête la première dans le foin tandis que le mage abordait  le maître d'écurie. Le pauvre homme ne savait plus où se mettre tandis que Iatus l'interrogeait sévèrement. Linaëlle n'entendit pas clairement sa réponse mais elle entendit très nettement les pas lourds des deux colosses qui se rapprochaient tandis qu'ils inspectaient les stalles des chevaux. Les pas s'éloignèrent puis revinrent dans l'autre sens avant de s'arrêter non loin de l'entrée. De nouveau la voix sèche de Iatus s'éleva. Puis elle les entendit s'éloigner.

Linaëlle s'extirpa du foin et soupira de soulagement. Néanmoins, elle devait vraiment sortir d'ici avant que l'un des commis ne la découvre. Jetant de nouveau un œil en dessous, elle profita de l'arrivée d'une patrouille de la garde royale pour s'éclipser en zigzagant entre les jambes des soldats trop occupés pour la remarquer. Elle se dirigeait vers la cuisine en rasant les murs quand elle sentit qu'on l'attrapait par le col de sa tunique.

- Tiens, tiens, mais qu'avons nous là ? interrogea une voix nasillarde.

  Suspendue à cinquante centimètres du sol, Linaëlle regardait éberluée Iatus et l'un des deux garde qui l'accompagnaient. Plutôt petit, brun et d'un physique banal, on retenait surtout du personnage son nez proéminent en forme de bec de rapace et ses yeux gris brillant d'intelligence. Le mage la regardait avec un sourire en coin qui fit frissonner la petite fille.

- Eh bien, il semblerait que l'empire Elmakan envoie des enfants pour nous espionner maintenant hein, gamine ? continua le mage comme elle ne disait rien. Le roi va être très fâché d'apprendre que les Elmakanais s'abaissent aussi bas.

- Qu'est ce qu'on en fait, Til'Iatus ? demanda une voix grave dans le dos de la fillette.

- À ton avis, balourd, siffla le mage, on l'emmène devant le roi bien sûr ! Il a dit lui même que ce genre de chose devaient lui être personnellement adressées quelque soit l'heure de la journée. Aller, direction la salle à manger royale !

  Sur ces paroles, le mage tourna les talons et se dirigea vers l'intérieur du palais les gardes sur ses talons, l'un tenant toujours Linaëlle par le col comme un chien désobéissant. La petite fille se laissait faire, complètement abasourdie par le choc. Elle ne pensait qu'à une chose : Milo, Sophia et Emily allaient se faire vraiment beaucoup de soucis. 

  Le trajet jusqu'à la salle à manger parut affreusement court à Linaëlle. Elle n'avait jamais vu cette salle. Tout ce qu'elle en savait, c'était qu'elle se situait au même étage que les appartement du roi, soit le deuxième, et que c'était là que la famille royale dînait quand il n'y avait pas de réception officielle.

Au moment où Iatus ouvrit la porte sans se faire annoncer, Linaëlle songea que Xavier lui avait dit qu'on servait son dessert préféré ce soir et que par sa faute il n'allait pas vraiment en profiter. La famille royale au grand complet se trouvait dans la salle et tous interrompirent leurs gestes au moment de l'entrée du groupe.

- Iatus, j'espère que tu as une bonne raison de nous interrompre ainsi, fit le roi Althis visiblement agacé.

- Votre Altesse, vous savez que je n'oserai pas vous interrompre sans une bonne raison, se récria le mage faussement outragé. Raison que voici justement : cette jeune demoiselle se promenait impunément dans nos couloirs. Elle est Elmakaise, précisa-t-il en désignant Linaëlle encadrée par les deux soldats.

Celle-ci baissa les yeux après cette tirade mais elle avait eu le temps de voir Xavier et Sollia bouche bée de stupeur et Elmira qui manqua de s'étouffer avec ce qu'elle avait dans la bouche. Un silence pesant ne tarda pas à s'installer dans la pièce. Le roi Althis se leva, contourna la table et se planta devant la petite fille qui regardait toujours ses pieds. Il inspirait pour prendre la parole quand la voix d'Elmira brisa le silence.

- C'est ma faute, Votre Altesse, dit-elle calmement. C'est moi qui l'ai amenée ici.

Lentement, le roi se retourna vers sa belle fille très calmement assise sur sa chaise.

- Qu'as-tu dit Elmira ?

- J'ai dit que cette enfant est ici par ma faute. Elle est revenue avec moi de la frontière il y a trois mois et se cache dans le palais depuis, répéta-t-elle posément.

- Enfin Elmira ! As-tu pris un coup sur la tête ? s'exclama Malvius, empêchant son père de prendre la parole. Ramener cette gamine ici est une pure folie ! As-tu la moindre idée des conséquences ...

- Je connais et j'assume ses conséquences, l'interrompit sa femme. Je suis la seule responsable  dans cette histoire, ajouta-elle en relevant fièrement le menton.

- Mais qu'est-ce que tu ...

- Sa Majesté sait donc probablement à quelle sentence elle s'expose en aidant une ennemie de la nation à vivre et espionner sous notre toit, persiffla Iatus, interrompant son prince.

- Iatus, vous êtes un sombre abruti, s'exclama Elmira. Une enfant de cet âge, envoyée pour espionner le Roi ? Vous ne vous rendez pas compte des bêtises que vous proférez !

- Je ne permettrai pas que l'on me parle sur ce ton ! J'étais déjà conseiller du roi quand vous n'étiez encore qu'une enfant occupée à jouer avec des épée en bois ! lui rétorqua le mage sur le même ton.

- Vous vous oubliez, Conseiller, grinça le prince. Je ne permettrai pas qu'on parle à ma femme sur ce ton ! De plus, j'estime que le moment est extrêmement mal choisit pour amener cette affaire devant nous.

- Je ne veux que le bien du royaume, Prince Malvius, se récria aussitôt Iatus. Ayant découvert cette jeune magicienne étrangère qui rôdait dans nos couloirs, je me suis empressé de la capturer et de la mener devant le Roi, comme ses ordres l'exigeaient.

- Magicienne ? S'étonna Elmira.

- Bien sûr Votre Majesté, cette jeune demoiselle possède un potentiel magique très important, même vous devriez être capable de le sentir, fit Iatus fort satisfait de montrer sa supériorité.

- Assez ! s'écria violemment le roi, faisant sursauter toutes les personnes présentes. J'en ai entendu assez !

  Il inspira puis expira doucement, pinçant entre ses doigts l'arête de son nez. Il luttait visiblement pour garder son calme. Le calme s'installa à nouveau dans la pièce. Xavier et Sophia, assis en bout de table observaient l'altercation complètement sonnés. Linaëlle observait toujours ses pieds, de plus en plus crispée par le drame qui se jouait sous ses yeux. La salle à manger paraissait soudain trop étriquée pour accueillir une telle avalanche d'émotions. Colère, haine, peur, surprise ... Tout se mélangeait dans sa tête. Elle sentit une main lourde se poser sur son épaule.

- Regarde-moi, gronda le roi.

  Linaëlle releva les yeux et les écarquilla, surprise, quand les yeux du roi se plantèrent dans les siens. Ses pupilles étaient verticales comme celles des chats. Pendant un instant suspendu, Ils se regardèrent, les yeux d'émeraude de la fillette soutenant le poids de ceux, bleu saphir, du roi. Il y eu un déclic, comme un tintement silencieux dans l'esprit de l'enfant puis le roi détourna le regard pour s'adresser aux autres personnes présentes.

- Cette enfant a en effet un potentiel magique important, cependant je doute qu'elle sache l'utiliser. Pour l'instant il est tard et nous avons tous besoin de nous reposer. Je rendrai ma décision demain en ce qui concerne le sort de la petite, déclara-t-il.

  Un silence surpris accueillit ces paroles tout à fait mesurées et inhabituelles chez lui quand il s'agissait d'Elmakan. Iatus se reprit le premier.

- Très bien dans ce cas, soldats, emmenez la prisonnière à la prison extérieure, ordonna-t-il.

  Linaëlle se raidit comme les gardes venaient l'encadrer à nouveau, terrorisée à l'idée de passer une nuit dans un endroit inconnu et probablement peu confortable. C'était sans compter sur la voix enfantine qui protesta violemment avant qu'elle ne franchisse la porte.

- Non ! Vous ne l'emmènerez pas là-bas ! protesta Xavier.

- Xavier ... commença sa mère, contrariée par son intervention.

- Non maman, je refuse ! l'interrompit le jeune garçon. Elle peut très bien dormir avec Sollia comme elle en à l'habitude, une nuit de plus ne changera rien !

- Tu as l'air très bien renseigné sur la présence de cette jeune fille, Xavier, commenta le roi.

  L'intéressé devint écarlate, se rendant compte qu'il avait vendu la mèche. Sa mère poussa un soupir découragé tandis que le regard de Malvius alternait entre sa femme et son fils ne sachant plus quoi dire.

- C'est à d-dire ... Euuuuh... Grand-père je ... bafouilla le jeune prince.

- Vous êtes dans le coup tous les deux n'est ce pas ?

- Oui, Grand-père, répondit Sollia à la place de son frère encore plus rouge qu'avant. On l'aide à se cacher depuis le début.

  Le roi resta silencieux et passa la main dans ses cheveux blancs en émettant un léger soupir.

- Sortez, ordonna-t-il soudain. Tous autant que vous êtes, allez-vous en.

- Votre Altesse... commença Iatus vexé d'être ainsi congédié.

- Je me fiche de savoir où elle dort Iatus ! rugit le roi. Je vous ai demandé de partir ! Tous !

  Elmira réagit la première. Contournant la table, elle se dirigea vers la porte en entrainant ses enfants dans son sillage. Elle attrapa Linaëlle au passage avant que le mage ait le temps de réagir et ramena tout son petit monde à l'étage où elle envoya chacun se coucher. Les deux petites filles entrèrent dans la chambre qu'elles partageaient depuis plus de trois mois et se mirent en pyjama en silence, secouées par cette soirée. Elles se blottirent sous les draps et Linaëlle vint se réfugier dans les bras de son aînée.

Elmira pénétra dans la chambre quelques instants plus tard. Elle n'eut que le temps de s'asseoir sur le lit avant que les deux fillettes ne se précipitent dans ses bras. Elle les berça, les rassura et finit par les allonger et les border avant de s'asseoir sur le bord du lit. Deux paires d'yeux inquiètes, l'une verte et l'autre bleue marine la fixaient.

- Vous n'avez rien à craindre mes trésors, murmura-t-elle. Tout se passera bien. Je ne laisserai personne vous faire du mal.

  Si Sollia sembla rassurée, Elmira voyait bien que Linaëlle n'était pas dupe. Néanmoins, elle les embrassa toutes les deux sur le front et quitta la chambre en éteignant les sphères magiques qui l'éclairait. Elle avait à peine fermé la porte que son regard croisa celui de son époux. Dans les yeux bleu de Malvius se lisaient la colère et l'inquiétude.

- Il faut que l'on parle, dit-il simplement.

  Je dois avouer qu'à ce moment là, j'étais particulièrement énervé contre ma jeune Tis'shamar. Cette enfant avait réussi à prendre le seul croisement qui mettait encore sa vie en danger. Sur les dizaines de possibilités qui existaient, elle avait pris le chemin le plus compliqué. Mais également celui qui débouchait sur le meilleur avenir possible. Au fil des ans, je devais beaucoup tempêter contre cette jeune fille qui n'en faisait qu'à sa tête en me donnant des cheveux blancs, me compliquant sérieusement la tâche. Néanmoins, je résolus de donner un "coup de pouce" comme vous dites au destin. La première étape consistait à donner une insomnie au roi de Malatir. J'espérais pouvoir régler ce problème au plus vite car un autre pointait le bout de son nez de l'autre côté de l'océan qui allait requérir toute mon attention.








Voilà enfin le chapitre 4 ! Désolé de vous faire attendre aussi longtemps mais les révisions du bac me prenne un peu (beaucoup !!!) de temps...

Comme d'habitude n'hésiter pas à commenter.

Un petit bonus : le drapeau de Malatir fait par mes soins avec l'aide de gimp (pasque je suis archi-nul en dessin !!!)

Le dragon vient de là : https://fr.pinterest.com/pin/235313149255152857/

Bonne lecture à tous !

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