Chapitre 39 : Souvenirs et avenir (partie 1)

       

Chers tous,

Si vous lisez ces lignes, ou si vous les entendez, c'est que je suis morte. Avant tout, je veux m'excuser de la peine que je vous cause, mais j'étais obligée d'agir.

Tout vous raconter en détails me prendrait des pages, mais sachez que si j'ai réussi, les Tfigunï ne seront plus une menace pour personne. J'espère que l'un d'entre nous reviendra vivant de notre expédition, ne serait-ce que pour que vous puissiez connaître notre sort. Mais j'ai confiance en mes élèves, je sais qu'ils retourneront vers vous.

Il y a longtemps que je médite sur ce plan, j'ai choisi de ne rien vous dire pour profiter de vos visages souriants et de nos derniers moments ensemble. Bien que ce dernier mois à vos côtés fut l'un des plus douloureux de mon existence, je ne regrette rien.

Si vous avez trouvé cette lettre, je pense que vous avez également vu les autres. J'ignore si les personnes concernées les ont déjà lu, alors je risque de me répéter.

Je vous aime, tous, et où que je sois à présent, sachez que je veille sur vous. Que nous soyons liés par la magie ou le sang ne change rien, chacun d'entre vous à une place dans mon cœur. Peut-être m'en voulez-vous d'avoir fuit comme une voleuse, j'espère que vous trouverez la force de me pardonner.

Puisse la magie vous être généreuse,

Avec tout mon amour,

Linaëlle.

Elmira rangea la lettre dans le tiroir. Elle n'avait pas le courage de la lire aux autres, pas maintenant. Même si le manque dans son cœur lui indiquait sans doute possible que sa fille était partie, il lui faudrait quelques jours pour rassembler son courage et révéler au reste de la famille les mots qui leur étaient adressés.

Elle dériva longtemps... Ou peut être seulement une fraction de seconde. Pas de souvenirs, pas de pensées, pas de sensations. Rien à l'horizon.

- Linaëlle.

Une voix, très loin... que disait-elle ?

- Linaëlle.

Elle appelait quelqu'un. Pourquoi reconnaissait-elle cette voix ? Pourquoi s'en étonnait-elle ?

- Linaëlle, reviens.

Toujours plus proche, elle insiste. Ce prénom... C'était le sien, mais n'était-ce pas il y a longtemps ?

- Il faut que tu fasses un effort, ou on va rester coincé toutes les deux ici.

Elle ne voulait pas... Elle voulait que la voix s'en aille. Elle était tellement bien ici, sans rien pour la déranger.

- Sang du Dragon, mon œil, tête de mule plutôt !

Une seule personne dans l'univers lui parlait comme ça...

- Fiona ?

En rafale, tout lui revint, toute une vie s'écoula derrière ses paupières closes tandis qu'elle prenait brutalement conscience de quelqu'un qui lui tapotait les joues. Péniblement, elle ouvrit un œil.

- Il était temps, j'ai cru que tu ne reviendrais jamais ! s'exclama sa vassale et amie, penchée au dessus d'elle.

La magicienne restait identique à son souvenir. Un sourire moqueur, ses mèches vertes perdues dans sa chevelure brune, ses yeux violets brillant de malice et la longue robe grise qu'elle portait le jour où elle lui avait juré fidélité.

- Fiona... Qu'est ce qu'on fait là ? Je suis morte et toi... On a échoué ? paniqua Linaëlle en s'asseyant brutalement et en regardant autour d'elle.

Elle connaissait cet endroit, c'était les jardins du palais de Dopalis, un coin où elles aimaient venir jouer et discuter à l'époque où elles apprenaient encore à se connaître. La jeune femme voyait même le château, le fleuve et la cité. Elle aurait pu se croire à la maison, à ceci près que rien ne bougeait, et qu'aucun bruit ne se faisait entendre.

Son amie secoua la tête en lui prenant les épaules, ramenant son attention sur elle. 

- Non, vous avez réussi, Lin'. Mais tu as donné ta vie pour ça.

- Et toi tu...

- Moi, je suis là pour te sauver, sourit la magicienne.

- Fio... Je ne comprends rien à ce que tu racontes.

Sa vassale sourit doucement, et la regarda droit dans les yeux.

- Tu te souviens du serment que j'ai prêté ? « Mon sang avant le tien, ma vie avant la tienne ».

- Bien sûr que je m'en souviens, mais quel rapport avec maintenant ?

- Je ne me réveillerais pas Linaëlle, les blessures que j'ai subi en te protégeant étaient trop graves. Elles ont atteints mon cerveau, ma colonne vertébrale. Et même si la magie peut réparer certaines choses, elle ne peut pas tout faire.

- Mais... Tu respires, tu vas mieux, je le sais, je t'ai veillée moi-même...

- Je sais, je sentais que tu étais là, murmura Fiona. Mais si je suis stable, c'est uniquement grâce à la magie. Je suis condamnée à rester dans cet état, avec de l'espoir, je pourrais peut être ouvrir les yeux, À entendre et sentir tout ce qu'il se passe autour de moi, jusqu'à ce que quelqu'un mette fin à ça. Et je ne veux pas de ça, être un poids pour tout le monde. Surtout quand je peux t'aider toi.

- Fio... gémit la jeune femme.

- Ma vie à moi ne sert plus à rien, je ne peux plus remplir mon rôle. Pourtant, il y a une chose que la magie vassalique m'a permit de faire. Donner ma vie pour que tu puisses garder la tienne.

- Quoi ? Non... s'horrifia Linaëlle. Tu... Non pas toi aussi, Fiona, je t'en prie.

La jeune femme se réfugia contre son amie qui la berça doucement.

- Ne me laisse pas...

- Si, ce sera bien mieux ainsi, crois-moi. Je t'aime comme une sœur, Linaëlle. Je ne te remercierai jamais assez pour tout ce que tu m'as fait vivre. Mais je ne veux pas vivre... survivre péniblement, complètement dépendante de ta famille, alors que toi, tu seras morte. Surtout quand je peux faire autrement.

- Ils prendront soin de toi, ce n'est pas grave, je... commença Linaëlle.

Mais la magicienne secoua doucement la tête en l'éloignant d'elle.

- Non, je ne veux pas d'un semblant de vie comme celui-là, je préfère te savoir heureuse et vivante grâce à moi.

La jeune femme garda un long moment le silence. Quand elle se mit à pleurer en silence, son amie l'enlaça, sereine.

- Je t'aime, Linaëlle, répéta-t-elle. Et je ne veux pas que tu me pleures. Tu as déjà bien assez pleuré comme ça. Je pars sans souffrir, sans regrets en sachant que ma vie te profitera. De toute façon, un jour, nous nous reverrons, pas avant très longtemps, car sinon je te mettrai une paire de baffes, mais nous nous reverrons.

Un nouveau long silence plana, le temps que les larmes de la jeune femme s'assèchent.

- Moi aussi, je t'aime, Fio.

- Fais-moi une promesse, souffla sa vassale.

- Tout ce que tu veux.

- N'appelle pas ta fille Fiona, je déteste ce prénom.

- Comment...

- Promets-moi.

- C'est promis.

- Merci.

La magicienne se leva et l'aida à se mettre sur ses pieds. Elles échangèrent un regard, puis Fiona s'approcha et prit son visage entre ses mains.

- Sois heureuse, petite sœur, murmura-t-elle avant de poser ses lèvres sur les siennes.

Une force immense traversa Linaëlle à ce contact. Elle entendit son cœur battre et le sang courir dans ses veines. Sa Dragonne bailla dans sa poitrine, comme réveillée d'un long sommeil, et la chaleur de la magie parcourut chaque parcelle de son corps.  

Puis le sol s'ouvrit sous ses pieds, et elle sombra.

Linaëlle tombait dans un ciel étoilé. Elle tombait, paniquée, ne sachant pas si la situation était normale ou pas.

Soudain il y eut un éclair dans son esprit.

- Jayden, viens, on va jouer ! s'exclama une voix enfantine.

Elle vit un bref instant le sourire de son frère qui la regardait. Il devait avoir huit ou neuf ans.

Un nouvel éclair.

- Tu es ma petite Princesse, rien qu'à moi, ma chérie.

- Je suis aussi celle de Maman !

- Bien sûr, suis-je bête, rit l'Archiduc. Monte sur mes épaules, on va voir Maman.

Il courrait sur la pelouse, à la consternation des jardiniers, la fillette sur ses épaules riant à perdre haleine.

La jeune femme avait la nausée à force de tomber et tourner dans tous les sens. Un autre éclair traversa sa mémoire.

- Ça fait mal...

- Mais non regarde. Je fais un bisous magique et c'est fini, la rassura Meriem.

Elle venait de s'écorcher les genoux en tombant sur les graviers d'une allée. Assise sur une chaise, sa mère à ses pieds nettoyait les plaies et séchait ses larmes.

Les souvenirs scellés de sa petite enfance lui revenaient enfin. Des sons, des images, des odeurs traversaient ses pensées et reprenaient leur juste place.

Un dernier souvenir.

Elle marchait entre les troncs, terrorisée. Le jour se levait à peine et elle sanglotait en suivant la seule trace familière dans ses lieux. Il y avait des gens autour d'elle, ils ne bougeaient plus, ils étaient très bizarres. Enfin elle arriva au bout de la piste de sentiments qui la guidait.

- Linaëlle, viens, appela doucement son père.

- Papa ?

La petite fille hésita. Son père aussi était bizarre, appuyé contre un arbre, il pressait son ventre, comme s'il avait mal.

- Viens, approche, répéta-t-il en tendant la main.

Elle s'exécuta, prit sa main toute froide.

- Nous ne sommes pas chez nous, Linaëlle. Je suis désolé ma Princesse, mais je ne peux pas te laisser seule ici avec ce que tu sais.

- Papa ? s'inquiéta la petite fille, perdue. Tu as mal ? Il faut que Maman vienne te faire un bisous ?

- Mets ma main sur ton front, Princesse, fit son père en secouant doucement la tête.

La petite fille obéit et son père prononça quelque chose qu'elle ne comprit pas.

- Qu'est-ce que tu as dit ?

- Rien, Princesse, maintenant va-t'en, grimpe dans un arbre et cache-toi.

- Mais... Papa... balbutia l'enfant, effrayée.

- Fais ce que je te dis, va-t'en ! s'exclama-t-il soudain.

La petite fit un pas en arrière, puis un deuxième, les larmes aux yeux, avant de se retourner et de détaler aussi vite que ses petites jambes pouvaient la porter.

Linaëlle revint dans le présent en percutant brutalement quelque chose. D'un seul coup, elle manqua d'air.

- C'est impossible que tu sois encore en vie ! hurla quelqu'un à son oreille.

La jeune femme ouvrit les yeux. Dagmar se tenait debout dans le vide, l'étranglant à bout de bras d'une seule main.

- Je vais devoir faire le boulot moi-même, gronda le Dieu en resserrant sa prise sur sa gorge.

Linaëlle hoqueta, tenta d'aspirer un filet d'air trop insuffisant pour ses poumons en feu.

- Laisse-la tranquille ! rugit une voix bien plus familière.

Quelque chose ou quelqu'un les percuta à pleine vitesse, séparant brusquement la divinité de sa victime qui se remit à tomber, toussant et suffocant à demi.

La jeune femme vit une grande sphère multicolore se précipiter à sa suite, talonnée par un second objet doré. Au moment où la première entra en contact avec elle, elle se sentit enveloppée dans un cocon rassurant.

- Accroche-toi, lui chuchota la voix de Delthéa.

La Déesse changea de trajectoire et sous l'effet de la vitesse, Linaëlle fut presque écrasée.

Tout s'arrêta brutalement et la jeune femme fut catapultée sur une surface moelleuse qui amortit le choc.

- Afrymia, tout va bien ? s'enquit la voix inquiète de sa Déesse.

La jeune femme toussa en réponse, ouvrit les yeux tandis que son âme sœur posait ses mains sur sa gorge, la soulageant aussitôt.

- Ça va, maintenant, chuchota Linaëlle.

- Tu m'as fait tellement peur... j'ai cru... Altog et Wamog, Linaëlle, je t'aime !

La Déesse ponctua sa phrase d'un baiser brûlant que la jeune femme lui rendit. Quand Delthéa l'a laissa se redresser, encore soucieuse, elle s'aperçut qu'elles se trouvaient dans la chambre de leur dernière rencontre.

- Théa, il faut que je te dise...

- Tu n'es pas réellement morte, je sais, je l'ai senti au moment où je t'ai pris dans mes bras, souffla la Déesse.

- Désolée...

- Surtout pas, l'interrompit son âme sœur en la bâillonnant d'une main.

La jeune femme sourit, embrassa la paume qui l'empêchait de s'exprimer et se dégagea doucement.

- Il faut que j'y retourne, je suppose ?

La Déesse secoua négativement la tête.

-Non, ton corps physique doit se remettre de ta blessure et du choc. Il te reste plusieurs heures avant de pouvoir le réintégrer. En attendant, tu restes ici.

- C'est un ordre ? demanda Linaëlle, taquine.

- Prends-le comme tu veux, tant que tu restes près de moi, fit Delthéa avant de l'embrasser à nouveau.

- Qu'est-ce qu'il y a, Théa ? s'inquiéta Linaëlle quand elles se séparèrent.

- Je te pensais perdue, de l'autre côté de la faille, murmura la Déesse d'un ton douloureux. J'ai cru que ton âme souffrirait éternellement là-bas... Jamais je n'aurais pensé que Fiona te sauverait, et te cacherait à mes yeux du même coup.

- Tout va bien, je suis là maintenant, l'apaisa la jeune femme en l'attirant contre elle.

- Et tu vas pouvoir rentrer chez toi, murmura son âme sœur dans son cou.

- Je crois que tant que je n'aurais pas retrouvé mon corps, je ne me rendrais pas bien compte.

- Pourtant, tu as réussi, Liédiska.

Linaëlle frissona en entendant ce mot dont la signification lui échappait totalement. Toujours blottie contre elle, le nez dans sa nuque, Delthéa l'éclaira avant même qu'elle ne pose la question :

-     Ça signifie « âme sœur ». Bien que le terme courant ne soit pas le même. Celui-ci, c'est uniquement pour que je puisse te le murmurer à l'oreille, sussura-t-elle.

La jeune femme rougit, faisant rire sa Déesse.

-     Tu sais, pour l'instant, tu n'es plus parmi les vivants, continua Delthéa en déposant un baiser sous son oreille.

       

-     Il n'y a donc pas de règles à enfreindre, quel dommage, haleta Linaëlle tandis que son âme sœur déposait une ligne de baiser le long de son cou. En plus de ça, nous avons de longues heures devant nous... Ah !

Elle se cambra quand les mains de la Déesse glissèrent sous son pourpoint. Elle avait l'impression que sa peau s'enflammait au contact de son âme sœur. Ses propres mains trouvèrent la nuque de Delthéa, le laçage qui fermait la robe et ses doigts se mirent en action tandis qu'elles s'embrassaient avec une passion nouvelle.



Et on dit merci quiii ? Merci Fiona ! XD.

Je vous ai fait peur, hein ? Moi aussi je vous aime.

Nan, vraiment vous savez à qui vous devez dire merci ? A celles et ceux qui ont choisi, il y a trèèèès longtemps, de sacrifier Fiona au lieu de Noah, à l'aveugle bien sûr. Bah oui, si les rôles avaient été inversés, Linaëlle serait morte définitivement. Et le scénario aurait bien changé pour la suite XD.

Bon, tout n'est pas encore tout à fait fini, il me reste encore quelques parties pour vous embêter ;).

Un gros bisous à vous et à ... dans deux jours ;).

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