Chapitre 38 : Et la lumière s'éteindra (partie 3)
Deux heures avant l'aube, Linaëlle ouvrit soudain les yeux, tous les sens en alerte. Sans savoir comment, elle devinait sans peine pourquoi.
Ils arrivaient...
Elle se redressa, croisa les regards nerveux de Léane et Marie. Elles aussi les sentaient approcher. Rapidement, elles s'habillèrent, dominant la peur et l'adrénaline qui nouaient leurs muscles et faisaient battre leurs cœurs et sortirent armes à la main. Tenir sa Risthero à la main donna l'impression à Linaëlle de retrouver une vieille amie. Elle savait pouvoir compter sur sa Dragonne pour compenser son manque d'entraînement de ses derniers temps. Mais elle comptait user d'un minimum de magie pour s'approcher de la faille.
Dehors, les garçons sortirent de leur propre tente une fraction de seconde après elles. Les visages restaient fermés, déterminés. La tension qui bourdonnait dans l'air pesait lourdement sur leurs épaules. Pourtant, c'est le pas ferme qu'ils rejoignirent Timothée, qui avait insisté pour prendre un tour de surveillance cette nuit. Malgré l'obscurité, tous y voyaient relativement clair, grâce à une potion « empruntée » dans la réserve de la Directrice.
L'atmosphère vibrait de magie. Mais pas celle qui chantait à leurs oreilles quand ils usaient de leurs dons. Cette puissance là était sombre, visqueuse, semblait coller à leur peau et remplacer l'air dans leurs poumons. Linaëlle déglutit et carra les épaules en regardant le mur près à céder.
- Vous savez ce que vous avez à faire, chuchota-t-elle.
Sa voix parut presque déchirer le silence de mort qui les enveloppait. Ses protégés hochèrent la tête et se placèrent en arc de cercle derrière elle, épée dans une main et l'autre levée, prêts à appeler leur magie.
L'étoile sur l'épaule de la jeune femme se mit soudain à pulser douloureusement. Des fissures se dessinèrent à la surface de la paroi, et, accompagné d'une violente onde magique, l'obstacle vola en éclat, les morceaux tombant dans la flaque visqueuse et disparaissant sous la surface, laissant la faille entre les deux mondes à l'air libre.
Les mains s'illuminèrent de flammes mortelles, pendant un instant suspendu, il ne se passe rien. Puis les ondulations de ce que Linaëlle se résolut à appeler un portail s'accélèrent et une unique silhouette émergea.
- Quel charmant comité d'accueil tu m'as préparé là, Linaëlle, la félicita celle qui s'exprimait par la bouche de sa tante.
- Votre retour dans ce monde sera bref, rétorqua la jeune femme en dévisageant leur ennemie.
À y regarder de plus près, la créature qui se tenait devant elle n'avait plus grand chose en commun avec l'ancienne Impératrice. Sa silhouette enveloppée d'une longue robe noire était bien trop maigre, son visage émacié et ses veines noires ressortaient sur sa peau d'une pâleur mortelle. La Tfigun la dévisagea un instant avant de soupirer :
- Linaëlle, Linaëlle... tu t'es encore laissée embobiner par les beaux yeux de ta Déesse, n'est ce pas ? Elle a fini par te convaincre que tu pouvais réussir.
- Vous ne m'aurez plus comme ça, rétorqua la jeune femme en redressant le menton. Ce qui sort de votre bouche n'est que mensonge.
Kadsuan secoua la tête, dépitée.
- Quel gâchis que Delthéa t'est désignée comme sa marquée. Personne ne peut posséder ton corps à cause d'elle.
Elle n'avait pas fini sa phrase que Linaëlle laissait échapper un rayon destructeur de son étoile, qui percuta la Tfigun en pleine poitrine. À la stupéfaction de Linaëlle, elle absorba le rayon avec un sourire amusé.
- Moi aussi j'ai des alliés. Et plus puissants que tu ne l'imagines.
Son visage se ferma brusquement quand elle ajouta :
- Je vois que tu as fait ton choix, et tes petits protégés aussi. Tant pis pour vous, vous allez mourir.
La créature bondit sur elle a une vitesse inhumaine. Empruntant la force de sa Dragonne, Linaëlle ne chercha même pas à l'esquiver. Elle se campa sur ses pieds et l'accueillit d'un formidable coup de poing dans la figure. Un craquement sinistre étira les lèvres de la jeune femme en un sourire aux dents pointues. La Tfigun recula encore plus vite, se tenant le nez d'où coulait abondamment un sang noir. Les prunelles vertes de l'ancienne Impératrice foudroyèrent la jeune femme d'une violente colère.
L'horizon du portail s'agita soudain, et des silhouettes sombres sortirent du portail, accueillies par les flammes des protégés de Linaëlle. Certains brûlèrent aussitôt, d'autres esquivèrent le feu, mais un plus grand nombre sortait du portail.
- Tuez les autre, mais laissez-la moi, gronda Kadsuan.
La jeune femme nota l'aura noire qui se développait autour de son adversaire, et deux épées courtes, plus noires que la nuit, apparurent dans ses mains. L'étrange robe noire se modifia subtilement, et devint combinaison moulante sur ce corps trop maigre pour être humain.
Sans porter la moindre attention à son nez brisé, la créature repartit à l'attaque et Linaëlle se jeta à sa rencontre, la Dragonne dans sa poitrine grondant comme jamais.
Attaque, parade, riposte, elles enchainaient les mouvements à une vitesse stupéfiante, dansant un ballet mortel qui ne pourrait se terminer qu'une fois l'une des deux mortes. La jeune femme puisait sans vergogne dans les talents de sa Dragonne pour rivaliser avec la Tfigun. Elle avait à peine conscience de ses alliés qui combattaient à coup de flammes et d'épées, essayant de contenir le nombre de plus en plus impressionnant d'envahisseurs qui franchissaient le portail.
Profitant d'une fraction de seconde d'inattention de sa part, l'une des épées de Kadsuan se planta dans sa cuisse. Malgré la douleur, Linaëlle en profita pour lui administrer un solide coup de tête sur son nez déjà démoli. Surprise, son adversaire recula en piaillant. La jeune femme se dégagea et dans un sifflement sinistre, l'une des lames de la Risthero mordit l'abdomen de la créature.
Malgré les blessures, elles reprirent leur combat infernal. La profonde entaille dans sa cuisse gênait Linaëlle dans ses mouvements, mais la Tfigun était également ralentie et le combat se poursuivit à armes égales.
Néanmoins la jeune fille s'essoufflait de plus en plus vite. Après avoir brisé un énième assaut de la créature en lui administrant un coup de pied en pleine poitrine qui l'envoya rouler au sol, Linaëlle recula, un grondement sourd sortant de sa gorge. Elle s'affaiblissait, elle devait mettre fin rapidement au combat. Tandis qu'elle s'éloignait un instant de son ennemie pour reprendre son souffle, sa Dragonne se manifesta :
- Ça suffit, arrête de jouer, tu vas perdre.
- Et qu'est- ce que tu proposes ?
Le feu qui couvait au fond de son esprit irradia soudain dans tout son corps. Reconnaissant les prémices de sa métamorphose, la jeune femme paniqua :
- Qu'est ce que tu fais ?
- Je vais lui montrer que tu n'es pas la seule qu'il faut vaincre.
Le pouvoir de son sang rugit soudain dans ses veines et Linaëlle eut à peine conscience d'ouvrir grand la bouche pour cracher une fantastique langue de flamme qui obligea la Tfigun, qui se précipitait suur elle, à reculer de plusieurs mètres.
- Tu m'as jamais dit qu'on pouvait faire ça !
- Parce que c'est trop dangereux pour toi. Les humains ne sont pas faits pour cracher du feu. Mais il faut nous débarrasser d'elle avec un minimum d'efforts. Et comme c'est dans ma force que réside ce pouvoir, tu ne fatigueras pas. D'ailleurs, tu peux aussi libérer du feu par les mains.
- Les mains ? Pourquoi ?
- C'est vraiment le moment de poser ce genre de question ?!
La jeune femme se concentra de nouveau sur le combat. Kadsuan l'observait attentivement, de nouveau en garde. Son bras gauche semblait sévèrement brûlé, et elle ne tenait plus qu'une épée dans sa main droite. Mais Linaëlle la sentait bien moins assurée qu'au début du combat.
Ignorant sa jambe blessée, Linaëlle se campa solidement face à elle, sa Risthero à l'horizontal dans une main.
- Alors, ça chauffe ? lança-t-elle, un sourire ironique aux lèvres.
Il n'en fallut pas plus à la Tfigun pour se jeter sur elle, mais trop lentement. Linaëlle la vit arriver et sut ce qu'elle devait faire. Elle pivota, ses lames tournoyèrent, bloquant l'épée tout en laissant la charge de la créature se poursuivre. Quand elle passa à son niveau, la jeune femme lui fit tout simplement un croche-pied qui la fit trébucher et agrémenta son attaque d'une nouvelle rasade de flammes.
Kadsuan hurla et se jeta au sol pour étouffer le feu qui lui brûlait le dos. Linaëlle en profita pour lui transpercer la poitrine et la clouer au sol, son autre main s'allumant de flammes qui ne demandaient qu'à l'achever.
La créature posa ses yeux dans les siens, dont les pupilles verticales étaient la seule différence notable. La jeune femme vit le changement dans ses iris sans le comprendre, jusqu'à ce que Kadsuan tousse :
- Tout aurait été tellement différent, si tu avais grandi près de moi, regretta-t-elle. Finalement, ils se sont trompés, ce n'est pas à ton père que tu ressembles, mais à moi.
Linaëlle déglutit. Elle avait la certitude que celle qui s'exprimait actuellement était sa tante, la vraie.
- Oui, c'est la même détermination que je lit dans tes yeux... continua la femme avec une grimace de douleur. Bien que je n'ai jamais tenu une arme entre mes mains.
- L'autre... elle est partie ? interrogea la jeune femme.
- À ton avis, hoqueta l'ancienne impératrice avant de tousser à nouveau, laissant une trace sanglante sur sa joue.
- Ne l'écoute pas ! la Tfigun te manipule !
- Mais... Et si...
- Non ! Et même si c'était elle, nous ne pouvons pas la guérir. Et elle serait condamnée à vivre une vie cachée car les Elmakais la tueraient si ils la découvrait vivante.
Linaëlle s'agenouilla et posa sa main sur la joue de celle qui avait été sa tante.
- Pardon, chuchota-t-elle.
Kadsuan hoqueta, cracha à nouveau du sang.
- Je crois... que c'est moi... qui... devrait m'excuser, toussa-t-elle. Fait... attention à toi. La corruption... est parfois plus profonde... qu'on ne le pense.
- Qu'est ce que...
La jeune femme se tut. Avec un dernier souffle, la lumière dans les yeux de sa tante s'envola.
Linaëlle ferma un instant les yeux. Quand elle les rouvrit, ils étaient devenus deux joyaux de colère brute. Elle se releva et hurla mentalement à ses protégés :
« À terre ! »
Elle leur laissa une poignée de secondes pour exécuter son ordre avant d'effectuer un demi-tour sur elle-même, libérant de ses deux mains de longues langues de feu qui carbonisèrent sans pitié tous les Tfigunï présents, y compris ceux qui s'extirpaient encore du portail. Certains arbres commencèrent aussi à brûler, mais la jeune femme n'en avais cure. Elle pivota face au portail et attendit la nouvelle vague d'envahisseurs, tandis que les Prodiges la rejoignait.
Elle leur jeta un bref coup d'œil. Malgré leurs blessures, ils restaient déterminés. Victor s'approcha, posa sa main sur l'entaille de sa cuisse et la guérit d'un sort tandis que les autres abattaient méthodiquement tout ce qui tentaient de sortir de la faille.
- On va fermer cette saloperie, gronda Linaëlle.
Elle ferma les yeux, s'ouvrit sans limites aux liens qui les unissaient. L'énergie des jeunes gens coula soudain à flots dans son esprit et elle s'avança vers le portail, entourée de près par ses protégés.
Sa Dragonne rugit et elle sentit son corps se couvrir d'écailles. C'est une main griffue qu'elle tendit à la limite entre les deux mondes. La formule ancestrale, gravée dans son esprit, se déroula sous ses yeux. Tandis que les autres à ses côtés incendiait l'autre côté du portail, elle vit, en une fraction de seconde, le paysage de désolation gris et déchiqueté, l'obscurité perpétuelle, les ombres innombrables qui fonçaient vers eux. Parmi elles, d'étrange silhouette reptilienne se détachaient. Elle se rappela alors des lézards qu'avaient vu Émily, de celui qui avait jeté ses rayons meurtriers sur Manahau et Elmira. Ces créatures leur ressemblaient. Ainsi, elles appartenaient elles aussi à ce monde... Tant mieux, elles seraient bannies en même temps que les autres.
Pendant cette seconde infinie, elle hésita. Elle savait qu'elle n'avait pas la puissance nécessaire, que l'énergie qui bouillonnait en elle la traverserait de part en part, emportant tout sur son passage, sans rien laisser. Que ceci était la dernière chose qu'elle ferait dans cette vie.
Elle soupira, carra les épaules. Elle ne pouvait plus reculer maintenant, l'avait-elle pu un jour ? Elle l'ignorait. Alors elle récita :
- Da éti onu Manviki. Vota kin raplar onu Manviki. Lonu ota kalior di lonu foltin na Kravor.
Le dernier mot prononcé, Elle demeura clouer sur place. Son énergie, celle des Prodiges, même celle de sa Dragonne, furent emportées par l'exigence de la magie ancestrale qui s'éveillait. Un à un, elle sentit les jeunes gens tomber dans l'inconscience, tandis que le sort réclamait encore.
Brusquement, elle ressentit une vive douleur dans la poitrine. Elle baissa les yeux pour découvrir la lame sombre qui dépassait d'entre ses côtes, releva le regard pour découvrir une silhouette humanoïde de l'autre côté du portail, qui se refermait enfin. Elle bascula en arrière. Le flot de magie s'était interrompu, mais la vie s'écoulait de son corps en même temps que son sang abreuvait le sol de la forêt.
Quelque part, un oiseau chanta et la jeune femme s'aperçut avec stupeur que l'aube se levait. Les rayons du soleil jouant à travers les branches des arbres provoquaient une lumière agréable à regarder. Son corps s'engourdit, la douleur disparut, elle n'avait plus l'énergie pour ressentir quoi que ce soit.
Après tout, c'était un beau jour pour mourir. Elle ferma les yeux, et expira lentement.
Elmira se réveilla brutalement. Elle avait l'impression qu'un trou béant lui traversait le cœur. Dans un sanglot, elle en comprit l'origine, une seconde avant qu'éclate le chagrin de tous les membres de la famille. Le puissant lien affectif qu'elle partageait avec sa fille venait de rompre.
- Linaëlle... gémit-elle.
- Ma sœur ?
- Je sais Gabrön, j'ai entendu.
- Alors pourquoi...
- Elle est perdue, je ne la ressens plus... Altog, que ça fait mal... J'avais presque oublié.
- Tiens bon, elle finira peut-être par revenir.
- Que sais-tu que je ne sais pas, pour espérer encore ?
- Qu'il y a des lumières plus difficile à éteindre que d'autre.
*S'enfuit en courant très très loin.*
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