Chapitre 38 : Et la lumière s'éteindra (partie 2)
S'approcher du « bouchon » comme l'avait surnommé Léane, était une véritable épreuve. La peur qu'ils ressentaient semblait démultipliée à chaque pas qui les rapprochaient de la construction. Une peur de l'inconnue, d'un élément qui n'appartenait pas à leur monde. L'instinct primitif de la Dragonne de Linaëlle ne cessait de leur hurler de partir d'ici aussi vite que possible. Quand la jeune femme finit par poser sa main sur la surface du mur, le plus loin possible de l'endroit où s'échappait le liquide, un long frisson de dégoût la parcourut. Cette chose était tout sauf naturelle. Elle aurait cru toucher de la glace sans la noirceur de qui semblait onduler sous la surface, prête à bondir dans leur monde. Elle pensa soudain que ce qui ressemblait à une épaisse fenêtre d'environ trois mètre de large sur deux de haut était la seule chose qui les séparait de la destruction et du chaos. Retenant un haut-le-cœur, elle ôta sa main et fit un pas en arrière.
- Eh ! paniqua Timothée. J'arrive pas à retirer ma main !
Linaëlle se tourna vers lui. Le jeune garçon tirait vainement sur son poignet droit de sa main libre en essayant de reculer. Soudain, il poussa un cri aigu en sentant sa main s'enfoncer à travers la paroi.
- Linaëlle ! paniqua-t-il.
La jeune femme le saisit à bras-le-corps et tenta de le tirer en arrière, mais même la force de sa Dragonne ne put dégager son protégé du piège dans lequel il s'enfonçait lentement.
- Ne panique pas, si elles se nourrissent de sentiments négatifs, tu ne vas faire qu'accélérer les choses, conseilla Lukas qui avait mis une bonne distance entre le mur et lui devant la mésaventure de son ami.
- Pourquoi Linaëlle a pu poser sa main et pas lui ? demanda Marie, l'esprit pratique.
- Aucune idée, je n'ai rien fait de différent par rapport à lui, réfléchit la concernée.
- Ah ! Faites quelque chose ! Y'a ... y'a un truc qui... Ah ! hurla Timothée.
- Qu'est ce qu'on fait ? paniqua Victor.
- Mais personne ne sait, andouille ! s'énerva Léane
Timothée poussa un long cri de douleur qui fut suivi d'un lourd silence. Linaëlle posa ses mains de chaque côté de celle du jeune garçon et tenta de rattraper la main mais elle ne parvenait pas à traverser la paroi. À côté, son protégé respirait bruyamment et gémissait de douleur.
- Dommage qu'on puisse pas brûler ce truc, commenta Lukas.
- En faisant augmenter suffisamment la température, peut être que si... fit Linaëlle en fronçant les sourcils.
- Tu peux faire ça sans risque ? s'inquiéta Rémi.
- Je ne sais pas. Reculez tous. Si jamais ça les fait sortir, soyez prêts à les accueillir.
Tandis que les jeunes gens obéissaient, la jeune femme mobilisa sa Dragonne. La chaleur courrait naturellement dans son corps quand le besoin s'en faisait sentir, mais ce qu'elle essayait de faire était bien plus complexe. Les mains de part et d'autre de celle de Timothée qui gémissait toujours, elles firent sortir cette chaleur pour qu'elle intègre le mur.
La réaction fut presque immédiate. Timothée poussa un cri déchirant, la matière noire s'agita brusquement et la paroi sembla se rétracter pour libérer le jeune homme. Celui-ci tomba en arrière en tenant sa main blessée contre lui. Linaëlle le saisit sous les aisselles et le traîna à bonne distance.
- Timothée, ça va ? l'interpella son ancienne professeur en s'agenouillant devant lui.
Il se tenait recroquevillé autour de sa main, tremblant, blanc comme un linge, visiblement sous le choc.
- Eh Timy, fit doucement Léane en lui passant une main dans le dos.
- Mes doigts... murmura-t-il.
Linaëlle prit doucement son bras et dégagea sa main pour l'examiner. Léane eu un hoquet d'horreur en voyant que deux doigts manquaient, le majeur et l'annulaire. Le sang s'écoulait abondamment, tachant le sol, la veste et la manche du jeune homme. Linaëlle jura et ordonna :
- Trouvez moi quelques choses pour nettoyer ça !
Sa phrase provoqua un remue-ménages général, mais qui porta ses fruits. On lui tendit rapidement un tissu imbibé d'eau qu'elle s'empressa d'appliquer sur les plaies.
- Il faut refermer ça, avant qu'il ne perde trop de sang, décida Linaëlle.
- Mais... on pourrait les faire repousser... certains guérisseurs... commença Victor.
- Même si l'un d'entre vous connaissait cette technique, elle demande bien trop de temps et d'énergie, assena la jeune femme. Le mieux que l'on puisse faire c'est de le guérir de manière à ce qu'il ait deux moignons bien propre.
- Mais avec le Tirfamil...
- Victor n'insiste pas, ce n'est pas possible, le coupa Linaëlle en plantant son regard dans le sien. Si je pouvais faire plus, je le ferais. Si j'avais pu, vous ne seriez même pas là. Mais là, hélas, on ne peut pas dépenser du temps et de l'énergie pour le guérir complètement.
- C'est sa main droite... hésita Marie.
Mais Linaëlle secoua la tête. Elle ne pouvait pas se le permettre. Cela lui déchirait le cœur, mais elle n'avait pas le choix. Elle jeta un regard vers Timothée, toujours sous le choc, complètement ailleurs et étouffa les remords qui essayaient de la saisir. Pour cela aussi, le temps manquait.
- Guérit-le Victor, et qu'on en parle plus, cela vous semble peut-être cruel, mais si c'est le prix à payer pour sauver le monde, et bien soit.
- Elle a raison, murmura Timothée d'une voix éteinte.
Sa déclaration surprit tout le monde, il paraissait accepter sa mutilation mieux que tous les autres membres du groupe, bien qu'étant le premier concerné. Leur mentor les laissa entre eux et retourna vers le bouchon, afin d'évaluer les dégâts.
Le trou qui laissait échapper le liquide noirâtre s'était visiblement agrandi et la jeune femme ne pouvait plus toucher la paroi sans mettre les pieds dans la flaque, chose qu'elle se garda bien de faire. Résignée à observer, elle fit quelques pas en arrière, autant pour soulager son cœur de cette terreur tenace que pour tenter de comprendre comment les anciens Dragons avait pu mettre une chose pareille en place.
Alors que la nuit enveloppait complètement la forêt, la jeune femme resta assise à contempler l'œuvre de ceux qui, bien indirectement, partageaient son sang.
- Ce que vous pouvez être idiot vous, les humains... Ou alors c'est cette angoisse omniprésente qui te perturbe...
- Je te remercie !
- C'est quelque chose qui a été créé par des Dragons ! Si tu utilisait mes yeux, et que tu utilisais les Mémoires que tu as visité, tu trouverais peut être la réponse !
La jeune femme s'administra une gifle mentale. Sa Dragonne avait raison. Elle lui emprunta aussitôt ses yeux et remarqua que la paroi reflétait le peu de lumière d'une façon qui lui était étrangement familière.
- On dirait...
- ... Une écaille.
- Ils auraient vraiment utilisé une écaille ?
- Pas une seule. Même les plus grands Anciens n'avaient pas d'écailles aussi grande. Je pense que c'est magique. Rappelle-toi la formule. Tu as traduit : « Nous scellons la brèche », une phrase qui, finalement cache un double sens.
- Je sais que c'est solide, mais à ce point ?
- Rappelle-toi les couplets que chantaient les Enfants de la Forêt.
La Dragonne lui projeta un souvenir qu'elle savait venir des Mémoires ancestrales. Un Dragon écoutait chanter et danser un groupe d'elfes.
Grandes ou petites, jamais ne tombent en poussière,
De leurs parures les Dragons sont fiers.
L'éclat d'un diamant, et pourtant plus résistantes,
À l'épreuve même du sablier du Temps.
Que cherchent et s'épuisent ceux qui chassent leur or,
Les Seigneurs du Ciel ont de bien plus grands trésors.
Le souvenir s'effaça aussi vite qu'il était apparu et Linaëlle secoua la tête. Malgré le temps, les sensations restaient tellement intenses qu'elle avait des difficultés à dissocier les Mémoires de la sienne.
- Donc il faut garder cela à l'esprit quand on créera la barrière.
- C'est certain.
- Ça va, Linaëlle ? interrogea Marie, les tirants de leurs réflexions.
- Ça peut aller.
- Tiens, dit-elle en lui tendant un bol de soupe fumant.
Devant l'air étonné de son ainée, elle ajouta :
- Le feu est magique, on l'a éteint dès qu'on a eut fini mais on voulait tous un repas chaud après ce qui vient de se passer...
Linaëlle hocha la tête et apprécia la nourriture chaude qui apaisa son estomac et réchauffa ses membres.
- Tu sais... On comprend pour Timy... C'est juste que, sur le coup... hésita la plus jeune.
- Ne t'inquiète pas, je ne vous en veux pas, c'est normal que vous réagissiez ainsi, l'apaisa son ancienne professeur.
Marie lui adressa un sourire et posa sa tête sur son épaule. Elles restèrent ainsi à regarder leur objectif, tandis que Linaëlle terminait son bol.
- Qui prend la première garde ? demanda-t-elle au bout d'un moment.
- Moi, répondit la jeune fille. Enfin, le deuxième tour, puisque tu as pris le premier.
Son ainée sourit doucement et leva les yeux vers le ciel, dissimulé par les arbres.
- Tu arriveras à savoir l'heure ? demanda-t-elle.
- Oui, regarde, montra Marie en levant sa main gauche, qui s'illumina brièvement d'un sablier bleu imprimée dans sa chair, dont les grains ne s'écoulaient pas encore.
- Pratique, c'est toi qui a trouvé ça ?
- Eh oui, il faut que je le montre au Conseil un de ses jours, je pense même en créer un plus complexe qui se basera sur les mécanisme de l'horloge du Temple, s'enthousiasma la plus jeune.
- Je ne doute pas que tu parviendras à le mettre au point.
- Et tu seras la première informée, bien sûr, fit Marie en lui adressant un grand sourire.
- Si je suis encore là, soupira Linaëlle, morose.
- Tu le seras, j'en suis certaine, affirma la jeune fille.
Son mentor secoua la tête avec un petit sourire et posa un baiser sur sa tempe en se levant, son bol à la main.
- J'essayerai.
Linaëlle ouvrit les yeux au matin, avec la sensation d'avoir à peine fermé l'œil. Elle soupira en se redressant et passa une main dans ses cheveux en bataille. Elle avait espéré pouvoir trouver du réconfort dans les bras de sa Déesse, mais elle n'était pas venue la chercher. Elle jeta un œil vers Léane et Marie, endormies et enveloppées dans plusieurs couvertures, la plus jeune blottie dans les bras de son aînée. Les regarder lui rappela le temps où elle dormait elle aussi avec ses frères et sœurs. La gorge de la jeune femme se noua et elle sortit rapidement de la tente en refoulant ses larmes.
Pour se changer les idées, elle s'attela à la préparation du petit déjeuner. Elle échangea un signe avec Rémi et Lukas, le premier finissant sa surveillance, le second allant le remplacer. Rémi s'attela à faire chauffer de l'eau avec un feu magique tandis que Linaëlle répartissait les biscuits secs pour chacun et sortait les sachets d'infusion.
- Du nouveau ? interrogea à mi-voix la jeune femme.
- Rien depuis hier soir, répondit Rémi sur le même ton.
- Comment va Timothée ?
- Aussi bien que possible. On a préféré le laisser dormir tranquillement cette nuit.
Linaëlle hocha la tête, compréhensive.
L'ambiance oppressante n'encourageait pas à la discussion et malgré les rayons chaleureux du soleil, presque indécents dans cette situation, la matinée s'écoula lentement et dans un silence surnaturel. À la grande surprise du groupe, Ayalïn vint leur rendre visite, ramenant avec elle une lourde réserve d'eau et un petit artefact magique permettant de chauffer des aliments. Devant les remerciements chaleureux de la troupe, l'elfe parut presque gênée et se proposa pour surveiller, de loin, la faille, tandis qu'ils se restauraient.
Linaëlle la rejoignit, lui proposant une gourde fraîche, sans un mot. Ayalïn la regarda pensivement et accepta, tandis que la jeune femme s'asseyait à côté d'elle.
- Me parlerais-tu de ton amie elfe ?
- Amie est un bien grand mot, souffla Linaëlle. On ne se fréquente malheureusement pas beaucoup. J'ai de ses nouvelles essentiellement par les messages entre sa compagne et mon mari.
- Mais... Elle arrive à vivre parmi les humains, avec une humaine, normalement ?
- D'après ce que je sais, il a fallu un temps d'adaptation mais à priori oui, je dirai même qu'elles sont très heureuses ensemble. À part le fait qu'elle ne mange pas de viande, elle est parfaitement adaptée à la vie avec nous.
L'elfe se tut, releva ses genoux contre sa poitrine.
- Et... tu as dit qu'elle avait un enfant...
- Ce n'est pas vraiment le sien, mais celui de sa compagne... hésita la jeune femme. Disons... Qu'il n'était pas vraiment désiré à la base, mais qu'il fait leur bonheur aujourd'hui.
- Je vois, soupira doucement Ayalïn. Et toi ?
Linaëlle haussa un sourcil interrogatif dans sa direction.
- Tu as des enfants ? précisa l'elfe.
- Ah... Oui j'ai deux garçons, sourit la jeune femme.
Instantanément, ses pensées dérivèrent sur sa famille et son interlocutrice lui lança un regard envieux.
- Une fratrie de cinq ? s'exclama-t-elle.
Linaëlle fronça les sourcils et l'elfe passa une main dans ses cheveux.
- Pardon, s'excusa-t-elle. C'est juste que c'est quelque chose d'impossible chez nous. Déjà quand on a la chance d'avoir une sœur ou un frère, c'est exceptionnel...
- Illiana a dit quelque chose de semblable quand elle a rencontré toute la famille. Vous avez des problèmes pour avoir des enfants ?
Ayalïn eut un infime mouvement de tête que la jeune femme ne sut comment interpréter puis se remit sur ses pieds.
- J'espère sincèrement que vous réussirez. Et que tu reviendras nous voir, quelque soit la façon.
Sans attendre de réponse, l'elfe pivota sur ses talons et disparut rapidement entre les troncs. La jeune femme resta assise, étonnée. Elle en était encore à s'interroger sur le comportement d'Ayalïn quand Marie vint la relever pour prendre son tour de surveillance. La dernière phrase de l'elfe l'intriguait plus que le reste, et elle se demanda quel genre de savoir son peuple gardait caché dans les profondeurs de cette forêt, loin de la folie des hommes.
Plop ! Elle craint cette partie, hein ? Oui, je suis d'accord.
Bref, ça commence sérieusement à sentir la fin, c'est terrible, j'ai pas du touuut envie de mettre un point final aux aventures de Linaëlle, (enfin techniquement, c'est fini mais... tant que la dernière partie est pas publiée, tout n'est pas tout à fait achevé.)
Bref, je vous laisse tranquille, gros bisous à vous, et à la semaine prochaine !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top