Chapitre 38 : Et la lumière s'éteindra (Partie 1)

Accoudé au bastingage, Linaëlle fixait l'horizon, sourde aux appels réguliers de ses proches. Depuis trois jours, alors que leur embarcation filait à vive allure à contrecourant, ils essayaient tous de la joindre. Timothé avait donné à chacun un collier runique qui les empêchait de les localiser, s'assurant ainsi que personne ne se mêlerait de l'affaire au mauvais moment.

Refuser les communications n'étaient pas le pire. Sentir leur peur et leur incertitude rendait la jeune femme malade. Seule Elmira restait calme, sachant où elle était, et elle puisait un peu de réconfort dans leur lien.

- Victor dit que nous serons bientôt en vue de la forêt, annonça Marie, l'interrompant dans ses pensées.

- Tant mieux, plus tôt nous pourrons tenter de prendre contact avec les elfes, mieux ce sera, souffla Linaëlle.

- Tu crois vraiment qu'ils viendront ?

- Illiana a affirmé que oui. Après tout, c'est aussi leur monde, et ils seront les premiers touchés en cas d'invasion massive.

La jeune fille hocha la tête et posa un baiser sur la joue de son ancienne professeure.

- On va y arriver, Linaëlle, affirma-t-elle.

Son aînée ne répondit pas mais lui adressa un petit sourire. Ils croyaient tous dur comme fer à leur réussite et à leur retour indemne. Leur espoir était contagieux, et la jeune femme se surprenait parfois à y croire également.

Les heures passèrent et le soleil descendit lentement à l'horizon quand ils amarrèrent la chaloupe à une vieille souche, dans un bras mort du fleuve. La forêt d'Amon les entouraient, silencieuse et sereine. Le groupe se dispersa pour trouver ce qu'Illiana désignait comme un arbre-frère, un très vieil arbre, entretenu par la magie des elfes. C'est Léane qui trouva l'immense sapin en question. Il aurait fallu une vingtaine de personnes pour faire le tour de la base du tronc, le résineux étant facilement trois fois plus haut que ses voisins.

- Sacré bout de bois ! s'exclama Lukas quand ils furent tous rassemblés au pied du géant, le nez en l'air.

- Cet arbre est rempli de magie, c'est incroyable ! s'exclama Timothée.

- On dirait presque qu'il pense, ajouta Rémi.

- Le petit a raison, il est presque conscient de son environnement. On dirait qu'il essaye de me parler.

- Oui, je l'entends aussi, c'est stupéfiant.

- Qu'est ce qu'on doit faire maintenant ? s'informa Léane.

- Poser une rune d'appel sur le tronc et attendre qu'un de nos amis à oreilles pointues daigne se montrer, l'éclaira Linaëlle. Que certains d'entre vous retournent au bateau et rapporte le matériel, on va monter le camp ici.

- Tu veux que je le fasse, Lin' ? proposa Timothée.

- Non, je vais m'en charger, ça aura plus d'effet si c'est ma magie que les elfes sentent.

Le jeune homme hocha la tête et partit avec Lukas et Victor chercher les fournitures nécessaires. La jeune femme s'approcha du tronc, appela sa Dragonne et sa main s'illumina d'une lueur verte. Posant sa paume sur le tronc, elle traça un premier trait horizontal puis un second oblique au premier, les deux formant une croix. La lumière disparue de sa main mais resta nettement visible sur le tronc, pulsant à un rythme lent.

- Combien de temps vont-ils mettre à ton avis ? questionna Marie.

- Je l'ignore, mais j'espère qu'ils ne tarderont pas, la faille peut s'ouvrir dans très peu de temps, frissonna Linaëlle.

L'attente commença pour le groupe. Monter le campement et manger leurs rations occupa une première partie de la soirée. Sur les recommandations d'Illiana, ils ne firent pas de feu et se contentèrent de viande séchée. Par précaution, Léane établit un sort pour éloigner les prédateurs du campement et un tour de garde fut mit en place. Malgré l'été entamé, il faisait frais sous les branches de l'arbre-frère et personne ne se fit prier pour regagner sa tente et les petites sphères chauffantes qui les réchaufferaient cette nuit.

Aucun habitant de la forêt ne se montra sous les rayons de la Lune, et pas davantage la journée suivante. Linaëlle s'inquiétait, bien que sa cousine par alliance lui ait expliqué qu'il fallait parfois du temps aux siens pour se manifester. Les appels mentaux de ses proches se faisaient moins fréquents mais plus douloureux, et la jeune femme avaient beaucoup de mal à y résister, surtout contrainte à l'oisiveté.

Le soleil se couchait quand elle décida d'aller faire un tour dans le ciel pour tromper l'ennui. Elle s'éleva au-dessus des cimes d'abord grâce à la magie puis libéra sa Dragonne qui grognait d'impatience. Ensemble, elles exécutèrent quelques figures avant de monter toujours plus haut dans le ciel, là où l'air se faisait rare et supportait à peine leur poids.

- Tout est si petit d'ici.

- Oui, même nos problèmes semblent moins importants.

- Nous devrions passer notre temps à voler, loin de tout...

- Mais nous ne pouvons pas les abandonner, ne serait-ce que pour protéger le Sang et assurer le retour des miens.

- Je sais. Mais restons encore un peu.

Elles redescendirent lentement, en larges cercles concentriques. Arrivées au ras de la futaie, Linaëlle rompit la transformation et amortie sa chute grâce à la magie. Elle venait de poser les pieds au sol quand une voix derrière elle prononça en ancienne langue :

- Il y a longtemps qu'aucun Dragon n'avait survolé notre sanctuaire.

La jeune femme pivota sur elle-même. Dans l'obscurité, elle appela la vision de sa Dragonne qui lui permit de distinguer une haute silhouette perchée sur une branche d'arbre. Étendant ses sens magiques, elle perçut plusieurs autres consciences dissimulées alentours.

- Que les Dieux veillent sur vous, Enfants de la forêt. Je suis venue solliciter votre aide contre le mal qui veux anéantir ce monde.

L'elfe sauta au sol en souplesse, permettant à la jeune femme de distinguer ses traits anguleux et ses vêtements dont les teintes se fondaient dans celle des arbres. Il lui adressa un petit sourire et sur un geste de sa part, trois autres elfes, deux femmes et un homme, sortirent de leurs cachettes.

- J'ignore si les Dieux veillent encore sur nous, petite sœur, mais il faut croire que nous avions tort d'abandonner la lutte, puisque tu es finalement arrivée.

- Vous savez pourquoi je suis là.

Ce n'était pas réellement une question, mais son interlocuteur opina du chef, de même que ses compagnons.

- Nous savons. Par chance, le lieu que tu cherches n'est qu'à une grosse journée de marche de votre campement, mes amis et moi vous y emmènerons demain matin, je suppose que les jeunes sont avec toi.

- Oui, bien que l'idée de les entraîner dans cette lutte ne me tente guère, je n'ai pas le choix.

À nouveau, l'elfe approuva gravement. Au même moment, un bruit de pas leur fit tourner la tête vers Rémi qui arrivait, une lanterne à la main. Le jeune homme pila net en s'apercevant que son ancienne professeure n'était pas seule. Incapable d'émettre un son, il ouvrit et ferma plusieurs fois la bouche avant de se tourner vers Linaëlle et de débiter :

- Je ne te voyais pas revenir alors j'ai pensé que tu t'étais peut être blessée en atterrissant...

- Tout va bien, Rémi, je faisais juste connaissance avec notre escorte de demain, l'apaisa la jeune femme.

- Ah...

L'elfe leva un sourcil, son regard allant d'un humain à l'autre.

- Les humains ont fait beaucoup de progrès en matière de magie, déclara-t-il soudain.

- Si votre dernier contact avec nous date de l'époque d'Amon, oui, il y a eu du changement, affirma Linaëlle.

La jeune femme sentait la curiosité des elfes. Elle était aussi intriguée qu'eux malgré le contexte peu favorable de cette rencontre. Amon, souverain à l'époque du grand empire d'Elmatir, qui avait donné son nom à cette forêt, régnait bien avant la séparation des deux pays, il y a un millénaire de cela. Ce contact était historique entre les deux races, du moins sur ce continent, puisque Illiana et Gwendolyne venait de celui d'à côté, et que la première n'était à priori pas représentative de son peuple.

Le visage de leur interlocuteur se ferma soudain. Il recula d'un pas et annonça :

- Nous viendrons vous chercher demain. Soyez prêts à partir une heure après l'aube.

- Très bien, répondit Linaëlle, un peu surprise par ce revirement soudain.

Les quatre Enfant de la forêt se fondirent dans les ombres sans un bruit, laissant les deux humains seuls et perplexe.

- Étrange, commenta Rémi, on aurait dit qu'il voulait discuter avec nous et d'un seul coup... plus rien.

- Oui, c'est curieux... Rentrons, nous avons besoin de repos, et les autres vont être atrocement déçus d'avoir manqué ça.

Le soleil peinait à éclairer le sous-bois en ce début de journée. Linaëlle avait effacé la rune d'appel et les garçons finissaient de replier les tentes. La jeune femme, adossée au tronc, avait déployé ses sens magiques et cherchait à repérer l'approche de leurs guides. Elle finit par percevoir deux consciences s'approcher et s'arrêter à la limite de l'abri que leur fournissaient les immenses branches de l'arbre-frère.

Linaëlle ouvrit les yeux et déplia ses jambes pour s'approcher des deux elfes, ses protégés dans son sillage. Se préparant mentalement à converser en langue ancienne, elle s'arrêta à quelques pas d'eux. Le premier était celui avec qui elle avait échangé quelques mots la vieille, la seconde était une femme aux yeux très noirs. Les deux avaient les cheveux argentés, coupés courts pour l'homme, nattés et fixés sur le côté pour sa compagne. Ils dépassaient aisément la jeune femme d'une demi-tête et portaient chacun deux épées courtes à la taille. Habillé d'un tissu que la jeune femme ne connaissait pas et de hautes bottes souples, ils examinaient les humains aussi attentivement qu'ils le faisaient.

- Je suis Gaöffey et voici Ayalïn, annonça finalement l'elfe.

- Je suis Linaëlle et mes compagnons se nomment Marie, Léane, Timothée, Rémi, Lukas et Victor, présenta la jeune femme en les désignant tour à tour.

Ayalïn, légèrement en retrait par rapport à son compagnon, haussa brièvement un sourcil à la mention de son prénom mais resta silencieuse.

Ils se mirent rapidement en route à travers la forêt. Linaëlle ignorait comment les deux elfes faisaient pour se repérer sans voir le soleil, mais ils ne marquaient jamais une hésitation et semblaient savoir parfaitement où ils allaient. Au bout de deux bonnes heures de marche entre les troncs, Ayalïn qui se trouvait à l'arrière de leur groupe, remonta la colonne pour se placer au niveau de Linaëlle et cala son allure sur la sienne. L'humaine devinait sa curiosité dans son aura. Mais même sans son don, les regards en coin de l'elfe et ses mouvements saccadés lui indiquaient qu'elle voulait l'interroger.

- Je ne mords pas, tu peux me poser ta question, s'amusa Linaëlle.

Son interlocutrice souffla avant de se lancer.

- Pourquoi tes parents t'ont donnée ce prénom ?

- Je l'ignore, je dois avouer que je n'ai jamais posé la question.

L'elfe hocha la tête avec un petit pincement de lèvres.

- Pourquoi mon prénom t'intéresse-t-il ?

- C'est un vieux prénom elfique, la Reine qui l'a porté a conclu le premier pacte avec les Dragons, expliqua Ayalïn. Je trouvais la coïncidence trop grosse pour être honnête.

- Et pourtant, mes parents étaient loin de se douter que je deviendrais Porteuse du Sang. Je ne suis pas née Ol'Darith, j'ai été adoptée.

- Étonnant, commenta l'elfe.

Cette réflexion ramena Illiana dans les pensées de la jeune femme. Quand elle lui avait conté son histoire, la compagne de Gwendolyne avait eu le même genre de réflexion. Ayalïn trébucha à côté d'elle, la ramenant brusquement au moment présent. L'elfe se figea et planta son regard dans le sien.

- Qui-est ce ? Où l'as-tu vu ? demanda-t-elle vivement.

- Je te demande pardon ?

- Celle a qui tu pensais à l'instant, précisa Ayalïn, légèrement agacée.

Leur arrêt avait fait stopper tout le groupe qui les entourait. Gaöffey s'approcha en disant :

- Je l'ai vu hier, également.

- Vous lisez dans mes pensées malgré mes défenses ? se vexa Linaëlle.

- Nous ne lisons pas vos pensées, nous captons simplement celles qui ressortent, l'apaisa Gaöffey. C'est pour cela que le visage de notre sœur dans tes pensées nous intrigue.

- Je connais Illiana depuis presque une décade, elle vit avec sa compagne et leur fils à Almador.

- Elle devrait être morte, souffla Ayalïn.

- La dernière fois que je l'ai vu, elle était bien en vie, affirma la jeune femme.

- Et elle vit avec une humaine ? la relança Gaöffey.

- Oui.

Les elfes se turent, pensifs.

- Nous avons encore du chemin, reprenons la route, finit par lancer Gaöffey.

Ils reprirent leur marche et Ayalïn regagna la queue de la colonne, bien que Linaëlle sentait toutes les questions qu'elle aurait voulu poser.

La nuit tombait quand ils arrivèrent à destination, fatigués par une longue marche à peine interrompue pour déjeuner. La première chose que la jeune femme remarqua, ce fut le silence. Tous les animaux, petits et grands, avaient déserté l'endroit. Ensuite, comme un voile glacé qui se posa sur sa peau, et un sentiment de malaise constant, celui de ne pas être à sa place en ces lieux. Les elfes avançaient, le visage fermés, jusqu'à ce que Gaöffey s'arrête au sommet d'une petite butte.

- C'est là, annonça-t-il gravement, en tendant la main devant lui.

Linaëlle s'avança à son côté et distingua, entre les arbres, ce qui ressemblait fort à une ancienne cavité, obstruée par une construction qui luisait légèrement dans la pénombre. Une étrange coulée noire s'échappait d'une fissure sur la partie gauche de la construction, formant une flaque visqueuse. Poser les yeux dessus donnait d'irrépressibles frissons de peur à la jeune femme. Un coup d'œil autour d'elle lui apprit que ses protégés étaient eux aussi victimes du phénomène.

- Vous arrivez à temps, elle peut s'ouvrir d'un moment à l'autre, constata Ayalïn.

- En quoi est fait le mur ? interrogea Linaëlle.

- Personne ne le sais, murmura Gaöffey. C'est la magie des Dragons qui l'a créé. Nous n'allons pas plus loin. Bonne chance à vous.

Sur ses derniers mots, les elfes adressèrent un petit salut à Linaëlle et disparurent dans les bois.

- Au revoir, ironisa Lukas.

Il y eut un instant de flottement puis la jeune femme carra les épaules et dit :

- Allons examiner ça de près, et trouver un endroit oùmonter le camp.



Ploop ! Et oui, me voilà, avec un jour de retard, mais bien là.

Ils sont bizarres les elfes hein ? Oui je sais, en plus de ça, des noms à coucher dehors et à faire hurler mon correcteur XD.

La suite arrive vendredi prochain, comme prévu, bisous à tous, et à la semaine prochaine ^^.

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