Chapitre 37 : Partir sans se retourner (partie 2)

- Tu pars déjà demain ?

Linaëlle en resta muette, la bouche entrouverte. Sa mère lui adressa un sourire triste.

- Tu ne croyais quand même pas pouvoir me cacher ça ? souffla la Reine.

- Je... Mais... balbutia sa fille.

- Tu serais partie sans me dire au revoir ?

- Je... Je voulais t'écrire mais je ne trouvais rien à te dire...

- Viens là, murmura Elmira en l'attirant dans ses bras.

La jeune femme se blottit contre sa mère, appuya sa tête dans le creux de son épaule. Oui, elle n'avait rien pu écrire à sa mère, car leur relation n'était pas faite de mots. Ses adieux, elle ne pouvait lui faire qu'ainsi.

- Je ne reviendrais pas, Maman, il faudra déjà un miracle pour que je réussisse sans Fiona et sans mon potentiel maximum, finit-elle par murmurer.

Elmira poussa un long soupir, passa sa main dans les cheveux blonds de sa fille.

- Si tu pars perdante avant d'avoir livré bataille, tu ne reviendras pas. Il ne faut pas te résigner, trésor.

- Je me suis déjà tellement battu, que je ne sais pas si je tiendrais le coup.

- Linaëlle, tu es une battante née. Le jour où nous nous sommes rencontrés, malgré toute la peur dans tes yeux, il restait encore de la place pour ta volonté de vivre. Tu as pris de violentes claques de la part de la vie, et pourtant tu es resté une fille puis une femme pleine de vie et d'amour. Cassildey dit souvent, et il a raison, qu'impossible recule d'un pas à chaque fois que tu le défies. Si il existe la moindre chance pour que tu survives, je suis certaine que tu sauras la saisir. Mais si tu pars découragée, jamais tu n'y arriveras.

Linaëlle enfouit son visage dans le cou de sa mère.

- Vous êtes mon courage, tous. Depuis le début. Ne rien pouvoir leur dire me ronge à un point que tu n'imagines pas.

- Mais tu ne veux pas gâcher tes derniers moments avec eux, alors tu n'as rien dit. C'est un choix que j'aurais aussi fait à ta place, la réconforta Elmira.

- Je leur ai écrit... Il y a un mot pour chacun dans un des tiroirs de mon bureau. Tu pourras le leur donner, si je ne reviens pas ? chuchota sa fille.

- C'est promis, mon trésor.

Le silence les entoura, apaisant. Malgré les années et le fait qu'elle-même soit mère, Linaëlle avait toujours cette impression de sécurité et de douceur dans les bras d'Elmira, qu'elle ne retrouvait nulle part ailleurs. La Reine venait de raviver dans son cœur l'espoir de revenir, de les retrouver après la victoire, de voir grandir ses enfants, comme dans les légendes que chantaient les troubadours. C'était une pensée plaisante, qui l'aida à terminer sa journée avec un léger sourire.

Les yeux à peine clos, Linaëlle se sentit aspirée vers l'intermonde et aussitôt saisie à la taille pour ouvrir les yeux dans ceux de Gabrön. La Déesse la relâcha et prit un peu de distance, permettant à la jeune femme de l'observer. Yeux cernés, cheveux ternes, traits tirés, l'elfe paraissait fatiguée, voir même... Âgée. La surprise dû se lire sur son visage, car Gabrön soupira :

- La bataille a été rude. Je m'en remettrai ne t'inquiète pas.

- Je suis désolée...

- De quoi ? D'avoir affronté des choses qui auraient détruit la plupart des mortels ? D'avoir réussi là où nous mêmes nous pensions échouer ? Non, jeune fille, il n'y a rien à pardonner, au contraire, nous te sommes redevables.

Linaëlle oscilla d'un pied sur l'autre, gênée.

- Enfin, je suppose que je suis le cadet de tes soucis, deuxième porte à gauche en haut des escaliers, lui indiqua la Déesse avec un clin d'œil.

La jeune femme la remercia d'un signe de tête et suivit les instructions. Les escaliers étaient splendides, en marbre blanc, délicatement taillé et poli, de même que les murs, gravés de scènes mythiques, mais elle passa devant sans s'y attarder. En haut des marches, Tillia lui adressa un sourire. Elle aussi avait payé le combat, en témoignait la canne dont elle s'aidait pour marcher.

- Te voir va lui faire du bien, elle se fait un sang d'encre à ton sujet, la salua-t-elle. File vite.

Linaëlle s'exécuta et prit une grande inspiration en ouvrant la porte. Sa Déesse releva le regard du plateau de jeu qu'elle était en train d'étudier et ses yeux s'agrandirent de surprise en se posant sur elle, tandis que son âme sœur enregistrait aussitôt le réseau pourpre qui se dessinait sur sa joue.

- Linaëlle ? murmura-t-elle, incertaine.

- C'est bien moi, la rassura la jeune femme en s'approchant. Qu'est-ce que c'est ? interrogea-t-elle.

Delthéa porta une main à sa joue en détournant les yeux.

- Des cicatrices du sort. Elles refusent de s'atténuer, souffla-t-elle, honteuse.

- Laisse-moi regarder, fit doucement Linaëlle en ôtant sa main.

Résignée, la Déesse se laissa faire. La jeune femme lui tourna délicatement la tête vers la lumière pour regarder de plus près. De longues lignes pourpres courraient sur sa joue droite, comme un réseau de racine, l'une filant vers sa tempe, l'autre sur son menton, la troisième jusque en dessous du nez. Elles se rejoignaient sous l'oreille et descendaient dans le cou où d'autres petites branches se dessinaient, et disparaissaient dans le décolleté de la robe.

- Ça se poursuit encore beaucoup ? demanda Linaëlle.

- Jusqu'au sternum et j'en ai partout, sur les bras, les jambes... Ils m'ont marquée comme un animal... non, pire, comme un objet...

- Théa, murmura la jeune femme en prenant sa tête entre ses mains.

Sa Déesse releva des yeux remplis de larmes vers elle avant de l'enlacer à la taille et de poser sa tête contre son ventre.

- Je t'aime, tu sais, même comme ça, ça ne change rien.

Delthéa étouffa un sanglot.

- Il te faisait dire tellement de choses avec ses illusons... J'avais beau savoir que ce n'était pas toi... Redis-le, s'il te plaît, geignit-t-elle.

- Je t'aime, je t'aime et je t'aime, Théa, répéta son âme sœur en lui caressant les cheveux. Peu importe que tu aies des cicatrices de ce qu'ils t'ont fait subir.

Linaëlle s'installa à califourchon sur elle pour se mettre à sa hauteur, prit son visage entre ses mains et posa un baiser léger sur ses lèvres, une autorisation muette que la Déesse lui accorda en venant chercher le contact. Elle entrouvrit les lèvres et la langue de son âme sœur vint chercher la sienne, tendrement, entamant une danse plus rassurante que sensuelle.

- Je t'aime aussi, susurra Delthéa quand elles rompirent le baiser.

La jeune femme glissa ses bras autour de son cou et leva les sourcils.

- On dirait que ça s'en va ! s'exclama-t-elle.

- Vraiment ?

- Oui, ça s'écoule, comme de l'eau qui reflue.

La Déesse fronça les sourcils et Linaëlle se remit sur ses pieds pour qu'elle puisse aussi se lever et se placer face à un psyché qui apparut de nulle part. Effectivement, les lignes pourpres avaient reculé sur la joue de Delthéa, regagnant les plus grosses.

- C'est toi qui a fait ça ? s'étonna la Déesse.

- Je ne sais pas, j'ai posé ma main sur ta joue mais je n'ai rien fait de spécial.

-Tu voudrais réessayer ?

La jeune femme s'approcha et posa les doigts sur la racine plus grosse au niveau de l'oreille. Au bout de quelques secondes, celle-ci commença à rétrécir sous les yeux stupéfaits des deux femmes. Linaëlle déplaça ses doigts jusque sous l'oreille de son âme sœur et descendit en partie dans le cou avant que Delthéa ne l'interrompe en saisissant ses doigts :

- Arrête, on ne sait pas ce que cela pourrait provoquer chez toi. C'est peut être encore une ruse de mes frères.

- J'ai plutôt l'impression que ça rétablit ton équilibre. Ton aura est moins floue, commenta Linaëlle.

- Qu'est ce que tu entends par là ?

- En entrant, j'avais l'impression que ton aura était trouble, comme reflétée et affaiblie. Là, elle s'est un peu renforcée.

- Tu as peut être raison, mais on ne sait pas si c'est dangereux pour toi, Lin', insista la Déesse.

- Pour l'instant je ne ressens rien d'anormal. Je peux effacer ses cicatrices, et tu as envie de les voir disparaître. Laisse-moi faire et surveille-moi, comme ça tu pourras me dire d'arrêter si tu détectes quelque chose.

- Je ne sais pas... Il y en a vraiment partout... hésita Delthéa, gênée.

La jeune femme la prit par la main et la fit asseoir sur le lit. Devant les yeux étonnés de son âme sœur, elle délaça le col de la chemise longue qu'elle portait, en ôta les manches et la laissa tomber à ses pieds.

- Comme ça, nous serons à égalité, souffla-t-elle.

La Déesse promena son regard sur son corps nu, et une lueur de désir s'alluma dans ses prunelles avant qu'elle ne s'empourpre quand la jeune femme s'assit près d'elle et posa un baiser sur sa tempe.

- Tu n'as pas à en avoir honte, lui murmura-t-elle. Je vais les effacer et ce ne sera plus qu'un mauvais souvenir.

Delthéa déglutit, se leva et tendit la main vers la porte qui émit un cliquetis. Elle venait de mettre le verrou. Ensuite elle passa les mains dans son dos et délaça sa robe, qui tomba bientôt à ses pieds. Elle enleva ensuite ses sous-vêtements tandis que son âme sœur observait l'étendue des dégâts. Son sternum était le point central des lignes qui courraient sur tout son corps, jusqu'à ses pieds, ses mains, dans son dos et sur son ventre. La Déesse baissa les yeux, et Linaëlle s'empressa de la rassurer en lui prenant les mains. En douceur, elle l'assit à côté d'elle puis la fit s'allonger sur le dos.

Sans un mot, la jeune femme commença par une main, sagement assise près d'elle. Elle remonta le long du bras, sans que Delthéa ne la quitte un seul instant des yeux. Elle nettoya l'épaule, glissa le long de la clavicule jusqu'entre les seins. Elle posa son regard dans celui de sa Déesse et ôta ses doigts avant de saisir l'autre main.

Il n'y avait rien d'érotique ou de sensuel dans ses gestes. Le contact de ses doigts contre la peau restait doux, rassurant, et la Déesse se détendit progressivement. Les yeux clos, elle faisait entièrement confiance à son âme sœur. La jeune femme dû aventurer ses gestes jusqu'à l'intérieur de sa cuisse, tout près de son intimité, mais ne chercha pas à profiter de l'occasion. Delthéa s'assit pour lui permettre d'effacer les dernières traces dans son dos et l'embrassa presque timidement quand elle eut fini.

- Merci, prononça-t-elle finalement.

- De rien, sourit la jeune fille avant de se laisser retomber sur le matelas.

La Déesse s'allongea à son tour, appuyée sur un coude. À nouveau, elle laissa dériver son regard sur le corps de Linaëlle. Quand elle la voyait ainsi, des idées pas très sages lui venaient à l'esprit. Elle se pencha et effleura ses lèvres. La jeune femme sourit mais la repoussa gentiment et roula hors du lit pour se rhabiller.

- Ce ne serait pas raisonnable, tu le sais.

- Ces fichus règles ne vont plus faire long feu, je te le dis, gronda la Déesse.

- Je te signale que celle qui concerne la fidélité aux vœux du mariage datait déjà de bien avant, c'est même toi qui l'a édictée, il me semble, s'amusa son âme sœur.

- Il y a quelques millénaires, c'était une bonne idée, je ne pouvais pas deviner qu'elle m'empêcherait de t'aimer... Je peux peut être la révoquer.

Linaëlle se figea une seconde en la regardant avant de secouer doucement la tête.

- Ne donnons pas à tes frères une raison supplémentaire de s'opposer à nous en détruisant une règle comme celle-ci. Surtout que nous aurons tout le temps pour ça plus tard. Qu'allez-vous faire à leur propos, d'ailleurs ? demanda la jeune femme.

- Je l'ignore pour l'instant, ici, ils ne peuvent rien contre nous, mais Vélinol et Forgram sont toujours là bas et il est certain qu'ils doivent subir des pressions de la part de leur père. Nos actions vont donc beaucoup dépendre d'eux.

- J'ai l'impression d'avoir tout fichu en l'air...

- Linaëlle, non, l'interrompit fermement Delthéa en se levant pour la rejoindre.

D'un geste de la main, elle appela ses vêtements qui s'ajustèrent sur son corps et enlaça la jeune femme.

- Tu n'as fait que déclencher un conflit qui aurait eu lieu même sans toi, peut être dans une décade ou un siècle, mais c'était inévitable, nous nous déchirions depuis trop longtemps pour pouvoir espérer revenir en arrière. Mais pour l'instant, tu n'as pas à t'en préoccuper, seulement à te concentrer sur ta tâche.

Son âme sœur soupira et se blottit dans ses bras, rassurée de voir les choses reprendre leur juste place. La voir aussi fragile la dernière fois l'avait ébranlé, et sentir sa Déesse de nouveau bien dans son esprit et son corps la rassérénait.

- Il faut que tu retournes chez toi, chuchota la Déesse au bout d'un moment.

Linaëlle se serra plus fort contre elle.

- Je pars demain... enfin tout à l'heure.

- Sois courageuse, Afrymia, d'une manière ou d'une autre, tout sera terminé bientôt.

- J'ai peur...

- Je serais inquiète si ce n'était pas le cas. Mais tu réussiras, j'en suis sûre. Et si jamais tu devais te sacrifier, je t'attendrais... Si tu es toujours d'accord.

- Bien sûr que oui.

Delthéa l'embrassa tendrement et elles regagnèrent le salon main dans la main. Gabrön leur lança un regard surpris et Tillia leur sourit.

- Va, et reviens-moi vite, Linaëlle, souffla la Déesse en l'embrassant.

Elle la poussa légèrement en arrière et elle tomba, aussi prête que possible à affronter le lendemain.

La plus grosse cloche du temple sonna minuit, accompagnant leur départ de ses notes graves. Sept silhouettes se faufilent dans la nuit, échappent sans peine aux patrouilles nocturnes et descendent jusqu'au port fluvial. Là, une petite chaloupe de commerce les attendait. Sans bruit, les amarres furent larguées et les voiles déployées, et la coque s'éloigna du ponton pour gagner le courant central et filer à pleine vitesse à contre courant, poussée par un vent qui n'avait rien de naturel.

- Tillia, dis-moi que je n'ai pas halluciné.

- Je te rassure, je l'ai senti aussi, Gabrön.

- Explique-moi comment est-ce possible ?

- Je n'en sais rien, mais n'en souffle pas un mot à Delthéa.

- Mais...

- Non ! Sinon elle est capable de tout envoyer balader et d'y aller elle-même.


Plooop ! On se rapproche dangereusement de la fin, n'est ce pas ? Oui je sais, c'est triste.

Sinon, la semaine prochaine risquant d'être un peu agitée, j'ignore si je pourrais poster le chapitre de vendredi, si c'est le cas, rassurez-vous, il arrivera dès que possible sans que cela influence la parution des suivants.

Voilà, je vous fais des bisous, et à la semaine prochaine, j'espère ^^.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top