Chapitre 37 : Partir sans se retourner (partie 1)
Comme un animal blessé, la Maison royale a léché ses plaies et entreprit de sauver ce qui pouvait l'être. Les Tfigunï ont fait des ravages dans les rangs des domestiques et de certaines maisons nobles, obligeant des ajustements et des rebondissement imprévus. Rassurés par la convalescence en bonne voie de leur Reine et de ses enfants, les Malatiriens mirent les bouchées doubles pour que tout reviennent à la normale le plus rapidement possible.
Les funérailles de ceux qui étaient tombés face aux envahisseurs furent célébrés dans les jardins du palais, au même endroit qu'il y a plus de vingt ans. Obligées de rester alitées, Elmira et Linaëlle ont assisté à la cérémonie depuis la fenêtre des appartements royaux. Mère et fille reprenaient lentement des forces sous les yeux vigilant de leurs proches et malgré le deuil qui les frappaient.
Même si elle n'oubliait pas Cassildey et Énora, c'est surtout avec ses deux aînés qu'elle passa sa convalescence. La jeune femme avait pleuré la perte de tout ceux qu'elle connaissait, sans pouvoir s'enfermer dans l'état apathique dans lequel elle avait glissé à la mort de son frère, retenue par les envolées colériques de Xavier et l'ironie mordante de Sollia. Eux aussi traversaient cette épreuve, mais ils savaient mieux que personne à quel point elle avait besoin d'être piquée pour ne pas devenir une loque, tout comme elle savait les apaiser quand ils s'énervaient contre leurs ennemis ou dérivaient vers un humour trop noir. Les liens tissés à l'époque de son arrivée à la capitale, ajouté à un fort sentiment de déjà vu, les poussèrent naturellement à se soutenir les uns les autres, délaissant un peu, elle dût bien l'avouer, leurs moitiés et progénitures respectives, qui surent heureusement se rappeler à leurs bons souvenirs.
Dans la morosité ambiante et avec son inquiétude pour Fiona, toujours inconsciente, Linaëlle n'eut pas besoin de justifier sa tristesse et sa douleur. Car depuis son réveil trois jours plus tôt, aucune nouvelle ne lui était parvenue du côté des Dieux. Elle espérait que, puisque il n'y avait aucun signe de fin du monde, le sauvetage avait réussi mais s'inquiétait de la guérison de Delthéa. La Déesse lui avait paru tellement faible et fragile dans ce sous-sol obscur. Mais elle savait que c'était pure folie que de tenter de gagner l'intermonde sans qu'une des divinités la convoque. Elle prenait donc son mal en patience.
Alors qu'elle avait enfin le droit de sortir de sa chambre, la jeune femme passait la plupart de son temps au chevet de Fiona, souvent accompagnée d'un de ses fils, qui ne la quittaient plus. Et quand elle ne veillait pas la magicienne, elle tenait compagnie à sa mère, se relayant dans ce domaine avec ses frères et sœurs.
La fin de semaine arriva, et Linaëlle ratura une case de plus sur son décompte. Trois semaines que sa Déesse lui avait annoncé la date fatidique. Aujourd'hui, elle annonçait la nouvelle à ses protégés. Elle leur avait donné rendez-vous dans leur ancienne salle de classe. La jeune femme s'assit sur un banc et attendit, le cœur lourd.
Léane et Marie se présentèrent les premières, Leur ancienne professeur leur fit signe de prendre place. Devant le silence de Linaëlle, les deux jeunes filles s'installèrent sans bruit sur un banc en face du sien.
Les garçons arrivèrent les uns après les autres, et tous se turent avec un soupçon de crainte en s'asseyant près de leur protectrice. Celle-ci observa longuement leurs visages avant de prendre la parole.
- Si je vous ai réunis ici aujourd'hui, c'est pour vous parler de quelque chose d'extrêmement sérieux et important. C'est un sujet délicat à aborder, aussi je voudrais que vous ne m'interrompiez pas, vous pourrez poser toutes vos questions après.
Les jeunes gens hochèrent la tête. Victor, le plus proche, lui prit spontanément la main, et elle lui adressa un léger sourire de remerciements. Prenant une profonde inspiration, elle commença :
- Vous savez tous que je suis Porteuse du Sang des Dragons depuis que le flamhur de la famille royale m'a mordu. Ce jour-là, j'ai aussi gagné l'étoile tatouée sur mon épaule. C'est un symbole du lien entre Delthéa et moi, une bénédiction qu'elle m'a accordée quand elle est venue visiter mes rêves, en prévision de ce qui m'attendait. On raconte dans les vieilles légendes que les Dragons ce sont unis pour combattre une menace qui aurait pu détruire le monde. Cette menace est de retour, vous aurez probablement compris que je vous parle des Tfigunï. J'ai consulté les Mémoires des Dragons, et le seul moyen de les empêcher de détruire notre monde, c'est de sceller la faille qui leur permet de passer de leur univers au nôtre. Étant Héritière de Noham, je suis la seule à pouvoir prononcer la formule et mettre fin à leur invasion. De plus, la bénédiction de la Déesse me protège, et vous à travers moi, de leur pouvoir de possession. Vous êtes là car vous êtes les seuls, grâce aux liens d'éveil qui nous unissent, à pouvoir me fournir la puissance nécessaire pour fermer le passage entre les mondes et sauver ainsi le nôtre.
Un long silence suivit son explication. Ses protégés la regardaient, tantôt incrédules, tantôt circonspects.
- Tu as vraiment rencontré Delthéa ? interrogea Léane.
- Vous êtes libres de ne pas croire cette partie de l'histoire, sachez simplement que vous êtes à l'abri de leur corruption.
- Pourquoi ce rendez-vous en cachette ? enchaîna Lukas. Si nous pouvons mettre fin aux attaques, il faut le dire à tout le monde !
Linaëlle le regarda et répondit doucement :
- Je n'ai rien dit, premièrement parce que certaines personnes auraient pu me prendre pour un prophète, ou une folle, de prétendre avoir rencontré une Déesse. Et deuxièmement, parce qu'il est très probable que je meurt, même en cas de réussite, et que vous soyez vous aussi tué par le sort.
Nouveau blanc dans la conversation, que Marie finit par briser en murmurant :
- On se lance dans la mission sacrifice de la dernière chance, en fait.
- Votre mort est la dernière choses que je veux, mes petits, et j'espère ne pas être responsable de ça, soupira Linaëlle. Vous êtes bien trop jeunes pour mourir.
- Ce n'est pas ta faute, la consola doucement Viktor en serrant sa main. Ce sont les Tfigunï qui nous obligent à ce sacrifice.
Leur protectrice se tut, hocha la tête. Ils prirent vraiment la mesure de ce qu'ils auront à surmonter quand Linaëlle murmura les phrases gravées dans son esprit depuis une décade. Même sans faire appel à la magie, la formule sembla emplir la pièce, vibrer d'un pouvoir mystique ayant traversé le temps pour retentir dans leurs oreilles, bouleversant leurs âmes, dérangeant leurs esprits.
- C'est incroyablement puissant, souffla Timothé.
- Trop même, fit Rémi en secouant la tête. Ce genre de chose ne devrait pas se trouver dans les mains de simples humains. C'est une magie qui vient du fond des âges, de la magie de Dragons...
- Vous comprenez maintenant pourquoi je ne veux pas que tout le monde soit au courant, reprit Linaëlle.
- Ça c'est sûr, confirma Léane.
Le silence s'étendit, pensif. Linaëlle baissa les yeux. Le poids de son secret lui semblait soudain bien plus léger à porter maintenant qu'elle leur avait enfin avoué. Marie se leva soudain et la surprit en s'asseyant sur ses genoux et en l'enlaçant. La tendresse et la compréhension qui émanaient d'elle amena des larmes dans les yeux de la jeune femme.
- Je pense que je parle au nom de tous, Linaëlle, déclara solennellement Viktor, quand je dit que nous te suivrons peu importe ce que tu nous demandes. Nous te devons tout ce que nous sommes, et tu es pour chacun d'entre nous une grande sœur de cœur et une petite maman. Même si cette histoire semble tout droit sortie d'un conte, moi je te crois, et s'il faut que je sacrifie ma vie pour celle de tous les gens de ce pays, de ce monde que tu aimes tant, et bien soit, je le ferais.
- Vik a raison, nous sommes tous avec toi, enchérit Lukas.
Un à un, ils approuvèrent tous les paroles de leur ami, faisant couler les larmes que leur protectrice tentait de retenir. Elle serra Marie contre elle tandis que les autres lui offraient une étreinte collective.
- Vous êtes merveilleux, pleura Linaëlle.
- C'est ta faute, c'est toi qui nous a tout appris dans ce domaine, plaisanta Lukas, tentant d'alléger l'ambiance.
- Je suis fière de vous, souffla leur ancienne professeur en souriant à travers ses larmes.
La jeune femme s'abandonna aux liens si spéciaux qu'ils partageaient, les laissant dissoudre son appréhension et sa tristesse, et se nourrissant de la tendresse et de la détermination qu'ils lui offraient. Quand ils s'écartèrent pour reprendre leur place, Linaëlle était presque détendue.
- Bon, on est quand même d'accord que le but c'est que tout le monde reste en vie, n'est ce pas ? s'inquiéta Viktor.
- Bien sûr que oui, fit Léane en roulant des yeux. Même si y'a peu d'espoir, on s'accroche et on décroche les étoiles.
Leur protectrice sourit. Ils étaient emplis de l'espoir qui lui manquait. Ils bousculaient sa résignation et lui permettait de rêver à un autre avenir.
- Et sinon, où on doit aller et quand ? s'informa Timothé.
- Dans la forêt d'Amon. On part demain, tard dans la nuit, annonça Linaëlle.
- Tu as déjà tout prévu ?
- Il manque les provisions, on se servira dans les cuisines en partant. Je me suis arrangée pour qu'on ait un bateau à disposition. Il faudra le diriger nous mêmes en revanche.
- Ce ne sera pas un problème, la rassura Lukas. Les navires, ça me connaît.
Ils discutèrent encore quelques minutes de l'organisation, puis chacun se dispersa pour vaquer à ses occupations, le cœur lourd, malgré les fanfaronnades, de la responsabilité qu'ils venaient d'endosser.
Linaëlle se rendit d'abord au chevet de Fiona, dont l'état restait préoccupant mais stable. Elle trouva Amalicia en train d'examiner sa vassale. La Directrice avait repris des couleurs depuis qu'Elmira avait repris conscience et que les autres blessés avaient été pris en charge par des mages de moindre puissance. Néanmoins la magie avait prélevé son tribut, elle avait maigri et ses traits restaient tirés.
- Rien de nouveau ? s'enquit la jeune femme.
- Absolument rien, soupira la Directrice. La magie vassalique a presque entièrement guéri ses blessures, pourtant, elle reste plongée dans l'inconscience. Son esprit est pourtant intact, pour autant que je puisse en juger.
- Qu'est ce qui pourrait la sortir de son coma, à votre avis ?
- Je l'ignore, Linaëlle, c'est au delà de ma compétence, j'en ai peur. C'est presque comme si elle refusait de revenir...
La jeune femme s'approcha, s'assit sur le bord du lit et posa un baiser sur le front de son amie.
- Il faut que tu reviennes, Fio, on a besoin de toi ici... murmura-t-elle.
Sa supplique demeura évidemment sans réponse. À peine un frémissement dans l'aura de la blessée qui indiquait qu'elle sentait sa présence.
Amalicia posa une main compatissante sur son épaule.
- Si tu le souhaites, je peux faire appel à d'autres guérisseurs, ils comprendront peut être ce qui m'échappe.
- Faites pour le mieux, et s'il faut les rémunérer ou les loger, n'hésitez pas à demander des fonds.
La magicienne hocha la tête et l'embrassa dans les cheveux avant de s'éclipser sans bruit. Linaëlle s'attarda quelques minutes, avant de la laisser aux soins d'une jeune domestique qu'elle n'avait encore jamais vu. Visiblement, la Maison Royale recrutait pour combler ses pertes.
La jeune femme se rendit jusqu'aux appartements de ses parents, elle trouva sa mère alitée et entourée des plus âgés de ses petits-enfants, Jayden et Joffrey. Les deux garçons écoutaient sagement l'histoire que leur contait leur grand-mère, celle du Dragon qui avait avalé la Lune. Linaëlle sourit et s'appuya contre le chambranle de la porte. Elle connaissait cette histoire par cœur, comme tous les enfants de Malatir.
- ... Finalement, le Dragon, embêté de ne plus pouvoir souffler le feu, recracha la Lune et celle-ci reprit sa place dans le ciel. Néanmoins, il garda pour tout le reste de sa vie des écailles couleur d'argent pur, en souvenir du jour où il avait mangé la Lune. Certains de ses descendants héritèrent de cette couleur bien particulière, et quand les humains les voyaient passer, ils se souvenaient de l'histoire que je vous ai raconté aujourd'hui.
- Il a vraiment mangé la Lune, Mamie ? demanda Joffrey.
- Bien sûr, les Dragons peuvent faire plein de choses surprenantes, Jof', affirma Linaëlle en avançant dans la pièce.
- Tu pourrais avaler la Lune, toi, Maman ? interrogea Jayden.
- N'étant pas entièrement Dragon, je ne peux pas le faire, mon cœur.
- Oh... soupirèrent les enfants, déçus.
La Reine et sa fille échangèrent un regard complice devant l'innocence naïve des deux enfants. Linaëlle s'installa sur un fauteuil au plus prêt de la tête de lit tandis que les deux cousins se sauvaient en gambadant, non sans lui adresser un clin d'œil maladroit.
- Vous complotez donc tous contre moi pour ne pas me laisser seule une minute, s'amusa Elmira.
- On s'inquiète pour toi, Maman, tu nous as fait très peur, fit doucement Linaëlle en lui prenant la main.
La Reine soupira, pressa la main de sa fille.
- Je sais, je n'ai plus la force et l'adresse de mes vingt ans, mais je n'allais pas jouer les vieilles dames impuissantes pendant que ces créatures s'attaquaient à mes petits-enfants. Ils sont bien plus précieux que moi.
Linaëlle lui embrassa le dos de la main, elle comprenait parfaitement ce qu'elle voulait dire, ils étaient l'avenir de leur pays, tandis qu'elle avait déjà fait son temps. Et même si la jeune femme refusait de la perdre, son côté politicienne comprenait son raisonnement.
- Qu'a dit Amalicia à propos de ton cœur ? s'enquit la jeune femme.
- Qu'il lui fallait du repos, et que de toute manière, il ne s'en remettrait jamais entièrement. Me voilà réduit à faire de la figuration lors des sorties officielles, grogna Elmira.
- Tu sais que c'est faux, la contredit gentiment sa fille.
- Ce sera de plus en plus vrai à mesure des années. Tes frères et sœurs et toi gérez déjà une grande partie des affaires courantes, et tu sais que ton père veut céder la main à Cassildey et Polgara dès que leurs enfants seront plus âgés. C'est ainsi, ça fait partie de la vie.
- Tu pourras te mettre au tricot et radoter toute la journée, s'amusa Linaëlle.
- N'exagérons rien non plus, râla sa mère en levant les yeux au plafond.
La jeune femme sourit, amena son front contre le sien, partageant l'amour qui les liait. Quand elle se recula, Elmira lui lança un regard perçant, de ceux qui lisaient au fond de son âme depuis qu'elle était enfant, et lui demanda :
- Tu pars déjà demain ?
Plop tous ! Je suis désolée pour ceux qui n'ont pas pu profiter de cette partie au réveil, mais je suis en vacaaaaances depuis hier soir après mes partiels, donc j'avzis un peu la tête à autre chose ^^.
Sinon, on arrive dans la dernière ligne droite, Linaëlle va devoir partir, et Elmira l'a visiblement deviné (comme d'habitude XD).
Bref, gros bisous à tous, et à la semaine prochaine ^^.
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