Chapitre 36 : Sauvegarde (Partie 1)
Les pleurs du nouveau-né libèrent Linaëlle de sa transe. Empêcher Victoire de sombrer dans la panique avait été un numéro de haute voltige. Malgré la présence d'Elmira, d'Amalicia et d'Emily, la future maman ne parvenait tout simplement pas à se raisonner et se détendre, obligeant sa belle-sœur à un usage en profondeur de son don, chose qu'elle n'avait fait qu'une fois, dix ans auparavant.
La jeune femme avait des vertiges et se laissa tomber sur un siège qui était miraculeusement apparu là. Deux mains se posèrent sur ses tempes et attirèrent son attention. Les deux tâches violettes qui dansaient dans son champ de vision devinrent peu à peu les yeux inquiets de Fiona.
- Linaëlle ? Ça va ?
Engourdie, sa suzeraine fit non de la tête, elle était complètement vidée de toutes sensations.
- Maman... articula-t-elle péniblement, la bouche pâteuse.
Sons. Mouvements. Linaëlle papillonna des yeux, les prunelles face à elle ont changé de couleurs, viré au gris orage. Maladroitement, elle s'agita, mais Elmira avait déjà compris. La Reine colla son front contre celui de sa fille, laissant tout son amour s'écouler au travers de leur lien. La jeune femme gémit doucement, fit le plein.
Quand Elmira se détacha, Linaëlle était fatiguée mais de nouveau de plein pied dans la réalité. Sa mère lui adressa un sourire qu'elle lui rendit, éclaircissant aussitôt les iris d'acier.
- Ça va ?
- Maintenant, oui, la rassura la jeune femme.
- Bon Sang, Lin', tu m'as fait peur ! Je ne t'avais jamais vu comme ça ! réagit aussitôt Fiona.
- J'ai utilisé tout mon potentiel émotionnel, ça ne m'était jamais arrivé, souffla sa suzeraine. Heureusement, ce n'est pas grave du moment que j'ai quelqu'un à côté pour me remettre d'aplomb.
- Et ça ne pouvait pas être moi ?
- Si, bien sûr, mais je ne pouvais pas t'expliquer, j'avais besoin de quelqu'un qui comprenne instinctivement. Et il n'y a qu'avec ma mère que je partage ça.
Fiona hocha la tête, compréhensive. Linaëlle se leva sous le regard inquiet des deux femmes mais elle semblait tenir le coup.
- J'ai le droit de voir mon neveu ? interrogea-t-elle.
- Oui, mais assise, jeune fille, la réprimanda Amalicia.
Levant les yeux au ciel, elle s'exécuta et la Directrice lui déposa son fragile fardeau dans les bras. Elmira et Fiona retournèrent auprès de Victoire tandis que la jeune femme admirait le bébé.
- Salut, Maël, chuchota Linaëlle en caressant un petit poing.
- Un beau petit garçon, commenta Amalicia, émue.
La jeune femme releva les yeux sur elle. Depuis qu'elle gardait son secret, elle comprenait mieux certaines réaction de la magicienne, notamment celle qu'elle avait après chaque naissance dans la famille royale.
Tout en se demandant si ça marcherait, Linaëlle invoqua la bénédiction de Delthéa sur son neveu. Elle fut aussitôt rassurée par le fourmillement familier qui courut de son épaule jusqu'à sa main pour se transmettre à l'enfant qui remua faiblement en réaction.
Elle garda quelques minutes le nouveau né dans les bras avant de le rendre à sa mère, qui l'accueillit en pleurant. Xavier faisait les cents pas devant la porte et manqua de tourner de l'œil quand sa sœur lui annonça qu'il pouvait entrer voir son fils.
Linaëlle laissa Elmira et Émily veiller sur le couple et le bébé et se dirigea vers ses appartements en baillant à s'en décrocher la mâchoire. Heureusement qu'elle était censée passer une nuit calme et reposante. Elle fit un crochet par la chambre de Jayden où Adam lisait un livre à la lueur d'une lampe de chevet, surveillant le garçon qui dormait à poing fermé, bordé de près.
- Tout le monde va bien ? J'ai ressenti quelque chose de bizarre à travers le lien tout à l'heure, murmura Adam.
- Rien de grave, un peu d'émotion, surtout. Maman et bébé vont bien, papa est complètement paniqué mais il s'y fera, fit sa femme en étouffant un bâillement
- Va te coucher, tu ne tiens plus debout, fit-il en la voyant faire.
- Oui chef, acquiesça Linaëlle en souriant.
Elle s'endormit en posant la tête sur l'oreiller.
Le matin venu, elle ne sentit même pas Adam déposer Jayden auprès d'elle avant de les border tous les deux. L'heure du déjeuner approchait quand les boucles blondes du garçon la réveillèrent en lui chatouillant le cou.
D'instinct, elle passa un bras protecteur autour de son fils, tandis que son autre main se posait sur son front.
- Je vais bien, Maman, assura Jayden en levant les yeux sur elle.
En effet, la peau de l'enfant était tiède sous sa paume. Rassurée, elle passa la main dans les cheveux ébouriffés et l'embrassa sur le haut du crâne.
- Tu sais pourquoi tu as été malade cette nuit ?
- Oui, la Directrice m'a expliqué, dans ma tête.
Linaëlle secoua doucement la tête. Amalicia prenait déjà son rôle de tutrice très au sérieux.
- Elle t'a dit que tu devais garder le collier autour de ton cou ?
- Oui.
La jeune femme soupira, pensive.
- Tu m'aimes encore, hein Maman ? chuchota Jayden.
- Bien sûr que je t'aime, qu'est ce que c'est que cette question ?
- Ben, je suis pas un Dragon, et je suis différent des autres...
Linaëlle s'assit, installa le petit garçon sur ses genoux et le regarda droit dans les yeux.
- Écoute-moi bien, Jayden. Tu es mon fils et je t'aime. Peu importe que tu ne sois pas un Dragon, que tu sois destiné à devenir Haut Magicien. Même si tu avais les oreilles pointues et la peau violette je t'aimerais. Même quand tu seras grand et probablement parti loin, je t'aimerais. Je t'aime depuis que je sais que tu existes, quand tu étais encore dans mon ventre, et je t'aimerais pour toujours. Rien dans tout l'univers ne peut changer ça. Tu comprends ?
Jayden hocha la tête et serra fort les bras autour de son cou.
- Moi aussi je t'aime pour toujours, Maman.
Linaëlle le serra contre elle, se promettant de dire deux mots à Amalicia sur sa façon de parler à son fils. Quand elle le sentit complètement rassuré, elle proposa doucement :
- Que dirais-tu de prendre un énorme petit-déjeuner et d'aller voir le bébé de Victoire et Xavier ?
- Victoire a eu son bébé ? s'exclama-t-il, ravi.
- Oui, pendant que tu dormais cette nuit.
- On va aller le voir ?
- Je viens de te le dire, petit monstre, rit Linaëlle en commençant à le chatouiller.
Il éclata de rire en se tortillant, sans apercevoir Sophia qui entrait dans la pièce, un grand plateau dans les mains.
- Je vois que tout le monde est en forme ici, s'amusa la domestique. On m'a chargé de vous apporter le petit déjeuner au lit.
Tandis que Jayden attaquait son repas, sa mère sourit :
- Merci, Sophia.
- De rien, c'était surtout une excuse pour savoir comment vous alliez tous les deux.
- Comme tu peux le constater, tout va bien.
La domestique bavarda avec eux le temps qu'ils se restaurent puis les laissa se préparer. Ils rendirent visite à Victoire, plus heureuse que jamais, et enchantée de présenter son nouveau cousin à Jayden. Xavier les rejoignit très vite, couvant sa femme et son fils d'un regard émerveillé que sa sœur ne lui avait encore jamais vu.
- Tu gagatises, Xav', se moqua-t-elle gentiment, hors de portée d'oreille de sa belle-sœur qui surveillait de près Jayden qui essayait de dégager son doigt de l'emprise du bébé.
- Oui, sans doute, mais ça fait dix ans qu'on l'attend ce petit et il y a longtemps que je n'ai pas vu Vicky aussi heureuse.
- Maman, il veut pas lâcher mon doigt ! s'exclama Jayden.
- Tu vas devoir lui laisser, je ne vois pas d'autre solution, rigola son oncle.
Comme l'enfant ouvrait de grands yeux effarés, sa mère secoua la tête et tapa sur l'épaule de son frère.
- Arrête de raconter des bêtises, grand dadais ! Il va finir par te relâcher, mon chéri, ne t'inquiète pas.
Une fois Jayden libéré, ils laissèrent la famille au calme et profitèrent d'une après-midi tranquille en compagnie d'Adam et Kalum. La jeune femme se surprenait à chérir tous ces petits moments de bonheurs, qu'elle savait probablement être les derniers.
Le soir venu, Linaëlle ne s'attarda pas auprès de ses frères et sœurs comme elle en avait l'habitude. Elle souhaitait se coucher de bonne heure et profiter de quelques heures de sommeil supplémentaires avant de devoir voler à la rescousse de Delthéa, si ses alliés avaient décidés d'agir. Cette pensée lui fit secouer la tête. Les Dieux se déchiraient là haut, et rien ici ne le laissait deviner.
Malgré ses attentes, elle passa une nuit sans soucis, la première depuis plus de dix jours. Se réveiller reposée au matin lui parût presque étrange.
La journée s'écoula sans heurts et la suivante aussi. Sans l'idée redondante de son futur sacrifice et son tatouage toujours gelé, elle aurait pu croire que tout allait pour le mieux. Comme un poison lent, l'appréhension coulait dans ses veines, effaçant les couleurs, atténuant les lumières et les sons. Pourtant de l'extérieur, elle ne laissait rien paraître. Même Elmira ne voyait pas l'océan de peur qui se dissimulait derrière la façade souriante et enjouée qu'elle affichait devant tout le monde. Seule à voir derrière le masque, Fiona la soutenait de son mieux, jamais très loin quand elle la sentait en difficulté.
À peine allongée dans son lit, La jeune femme n'eut pas le temps de s'endormir. Elle avait à peine posé la tête sur l'oreiller qu'elle se sentit attirée dans l'intermonde. Deux bras la cueillirent à l'atterrissage et un battement de cœur plus tard, elle était face à Tillia et Gabrön. Les deux Déesse avaient le visage fermé et le regard déterminé. Tournant la tête, Linaëlle salua Suprak d'un mouvement du menton, qu'il lui rendit.
- Prête ? demanda l'elfe.
- Non, mais il est trop tard pour reculer, souffla Linaëlle.
Tillia s'avança et posa le bout des doigts sur les tempes de la jeune femme, qui sentit un étrange courant la traverser.
- Cela te donnera quelques minutes avant qu'ils ne te repèrent, ils ne pourront ni te voir ni te sentir. Tâche de faire vite.
Linaëlle hocha la tête, concentrée. Dans son esprit, sa Dragonne connecta ses sens aux siens, et elle sentit la force de sa partie animale l'envahir. Son cœur s'emballa, sa raison protesta mais elle s'obligea à se dominer. Elle devait rester calme, même si tout ceci bouleversait tout ce qu'elle savait sur les Dieux et faisait se cabrer son esprit qui protestait contre l'irréalité de ce qu'elle s'apprêtait à faire.
Gabrön tendit la main et la jeune femme déposa sa paume par dessus, suivit du couple de divinités. Un battement de cil, et ils se trouvaient devant un immense jardin, au bout duquel trônait un château tout droit sorti d'un conte pour enfant. Des murs blancs étincelants, des balcons dorés et des hautes tours qui grimpaient vers un ciel rougeoyant sans autre but apparent que de subjuguer le spectateur.
Linaëlle sursauta, leva les yeux vers le ciel rouge sang et posa un regard interrogateur sur ses alliés.
- Le ciel reflète habituellement l'humeur des habitants de la maison, il a pris cette couleur depuis que Dagmar et Ulcanth ont enfermé Delthéa, lui expliqua Gabrön.
Rapidement, elle ajouta :
- Venez, il faut nous dépêcher. La porte de derrière est normalement déverrouillée, Linaëlle passera par là tandis que nous ferons diversion devant.
Ils acquiescèrent en silence et se dirigèrent vers le bâtiment. Assez vite, la jeune femme s'éloigna du groupe pour le contourner de loin. Elle ignorait combien de temps la magie de Tillia lui donnerait, aussi partit-elle en petites foulées.
Elle mit de longues minutes à parvenir à la porte, le cœur battant et les mains moites. Refoulant sa peur, elle grimpa les quelques marches et s'approcha d'une grande porte de bois précieux, à la poignée dorée. Les runes gravées de chaque côté semblaient inactives, ce qui n'empêcha pas Linaëlle de poser précautionneusement la main sur la clenche et de la tourner en douceur.
Le battant pivota sans bruit et elle découvrit une pièce encombrée d'objets visiblement abîmés mais dont l'utilisation échappait complètement à sa compréhension. Un frisson parcourut sa nuque et au même moment, une explosion retentit de l'autre côté du manoir. Comprenant que les choses sérieuses avaient commencé, elle se hâta d'atteindre l'autre bout de la pièce et d'ouvrir une seconde porte. Elle donnait sur un couloir illuminé par de jolies sphères lumineuses. Un sifflement suivi d'un tremblement du mur la fit sursauter. Elle devait trouver sa Déesse avant que ses frères ne se débarrassent des autres.
Elle abaissa ses défenses mentales juste assez pour sentir l'immense quantité d'énergie qui brûlait devant le bâtiment. Les deux camps ne faisaient pas les choses à moitié.
Linaëlle souffla, abaissa un peu plus ses défenses, ignorant les explosions et les ondes magiques qui résonnaient dans les murs. La puissance déployée par les Dieux ne lui facilitait pas la tâche. Néanmoins, elle finit par percevoir un courant d'énergie sous le sol, ainsi que des émotions qui la firent hoqueter douloureusement.
La jeune femme s'entoura d'un solide mur mental et se secoua. Elle devait trouver l'accès au sous-sol, et vite. Soudain, comme si elle venait de déclencher un sort, le plan du bâtiment s'inscrivît dans son esprit.
- Merci, Gabrön, chuchota-t-elle avant de partir au pas de course.
Elle remonta le couloir et traversa en toute hâte le fond de l'immense hall d'entrée, ne s'autorisant même pas un regard par l'immense porte ouverte. Nouveau couloir, elle dérapa à une intersection et se heurta violemment à quelque chose. Le nez douloureux, elle releva les yeux pour croiser le regard incrédule d'une jeune femme à la peau d'albâtre et aux yeux vairons, l'un violet, l'autre vert.
Une nouvelle explosion secoua les murs et une sphère lumineuse s'écrasa près d'elles, brisant l'instant. Linaëlle bondit en arrière et adopta une posture défensive, prête à réagir face à celle qu'elle devinait être Vélinol. Son adversaire secoua doucement la tête, la contourna et continua calmement son chemin au milieu du vacarme. La jeune femme en resta coite avant d'être rappelée à l'ordre par sa Dragonne qui lui infligea mentalement l'équivalent d'une tape à l'arrière du crâne.
Elle reprit son chemin et trouva sans difficulté la porte du sous-sol. À l'instant où elle posa la main sur la poignée, un hurlement de rage et de colère à la limite de l'humanité lui transperça les tympans.
Et la réalité vola en éclat.
Plop ! Oui je sais vous me détestez actuellement ;).
Il n'est strictement rien arrivé à Maël et Victoire, n'en déplaise aux gens qui étaient persuadés du contraire ;P.
Voilà, c'est tout pour moi, gros bisous à vous, et à la prochaine ^^.
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