- Quoi ?! s'exclama la jeune femme dont la voix avait bondit d'une octave. Où est Delthéa ? Qu'est ce qu'il lui est arrivé ?

- Calme-toi, mon petit, t'énerver ne sert à rien, dit calmement Suprak en s'avançant.

Se tournant vers Gabrön, il ajouta :

- Je ne pensais pas que tu t'opposerais ouvertement à ton époux.

- Je ne pensais pas qu'il oserait aller si loin, admit l'elfe en soupirant. Mais il refuse d'entendre raison. Il veut recréer un monde nouveau, et Delthéa met en péril ses projets. Je n'ai pas pu le convaincre de la relâcher, néanmoins je refuse de la voir sombrer dans le néant. Il ne me reste donc plus que l'attaque frontale comme option.

- Mais... comment... que... balbutia Linaëlle, dépassée par les évènements.

Une main rassurante se posa sur son épaule et elle plongea son regard dans celui de Tillia, oblitérant complètement la discussion des deux autres Dieux.

- Tu es son âme sœur, constata la Déesse sans la lâcher du regard. Cela explique beaucoup de choses.

- Son âme sœur ?! répéta Suprak, stupéfait, en se tournant vers sa femme.

- Maintenant tu comprends pourquoi elle peut nous aider, insista Gabrön.

- Son rôle est bien trop important pour qu'on la laisse participer ! protesta Suprak.

- Donc tu préfères voir Delthéa mourir et Dagmar et Ulcanth dominer ce panthéon et balayer Arkholis ?

Ce fut la phrase de trop pour Linaëlle qui s'écroula dans les bras de la Déesse, évanouie.

- Fais donc attention à ce que tu dis devant elle, s'agaça Tillia en allongeant son fardeau sur un canapé.

- C'est la vérité, je n'y peux rien si elle est sensible à ce point !

- Mage d'auras autodidacte, changeforme, épuisée nerveusement et dans un pan d'univers qui n'est pas le sien, je m'étonne qu'elle n'ait pas tourné de l'œil dès qu'elle nous a vu, diagnostiqua Suprak. Et encore plus qu'elle soit restée là en étant inconsciente.

- C'est moi qui l'ai retenue, je l'ai senti partir quand Gabrön a parlé de Delthéa, affirma Tillia.

- En tout cas, elle n'est pas en état de nous aider ce soir, il faut lui laisser quelques jours pour digérer ça, constata l'homme.

Sa femme passa une main lumineuse au dessus du visage de Linaëlle qui reprit un peu de couleur mais demeura les yeux clos.

- Nous n'avons peut-être pas autant de temps ! protesta l'elfe. Delthéa s'affaiblit de jour en jour et ses frères deviennent de plus en plus puissants !

- Nous n'agirons pas ce soir, répéta Suprak. Si elle veut briser le rituel, il faudra qu'elle soit capable d'encaisser le contre-coup, ce qu'elle ne peut pas faire dans son état. Et nous devons de toute manière établir un semblant de stratégie pour nous attaquer à Dagmar et Ulcanth.

- Elle revient à elle, les avertit Tillia tandis que la jeune femme papillonnait des yeux.

La vision de Linaëlle s'éclaircit, elle fronça les sourcils en découvrant la Déesse penchée sur elle. Ses souvenirs affluèrent et elle s'assit brusquement.

- Oh là ! Doucement, la calma Tillia.

- Delthéa... Dagmar... bredouilla sa patiente, le regard passant d'une divinité à l'autre.

- Nous allons l'aider, ne t'inquiète pas, la rassura Suprak. Néanmoins, si nous voulons réussir, tu dois te reposer. Pour le moment, nous allons t'expliquer comment procéder, puis tu retourneras chez toi et l'un de nous viendra te trouver d'ici deux ou trois jours.

Linaëlle opina du chef, observant les Dieux prendre place en face d'elle. Cette scène lui paraissait surréaliste, mais elle écouta attentivement les consignes de Suprak.

- Ton objectif est de libérer Delthéa et de l'amener ici. Cet endroit est protégé de la magie de ses frères par un puissant artéfact, elle sera en complète sécurité. Pendant ce temps, nous occuperons Dagmar et Ulcanth afin de te laisser le plus de temps possible.

- Je ne peux me déplacer sans votre aide, objecta la jeune femme.

- Grâce à ceci, tu peux, lui affirma Tillia en désignant le Tirfamil à son poignet. Tu n'auras qu'à visualiser cette pièce pour revenir.

- Vous êtes sûre ?

- Es-tu réellement en train de mettre en doute les connaissances d'une Déesse, Linaëlle ? ironisa Gabrön.

Tillia balaya la pique d'un revers de main.

- Il est normal qu'elle s'inquiète. Je peux te confirmer que cela fonctionne, ajouta-t-elle en souriant à la jeune femme.

- Comment vais-je la libérer alors ? Il y a une formule, quelque chose à faire ? s'enquit Linaëlle.

- C'est simplement la puissance du lien que tu partages avec Delthéa qui va agir et la libérer de ceux de ses frères, dont ils se servent pour l'entraver. Il te faudra encaisser le choc, c'est pour cette raison qu'il faut que tu sois aussi en forme que possible.

La jeune femme déglutit. Elle était là, à discuter avec trois Dieux de la meilleure façon d'en libérer une quatrième des mains de deux autres divinités. Elle posa ses coudes sur ses genoux et le visage dans ses mains en expirant lentement.

- Je suppose que ce n'est pas sans danger, finit-elle par dire.

- Effectivement, cela pourrait t'être fatal, confirma Suprak. Et même dans le meilleur des cas, tu en ressortirais affaiblie, magiquement parlant.

- Avant de prendre une décision, il faut que tu saches que tu n'es pas obligée de participer, l'informa Tillia. Nous pouvons réussir à l'aide des liens qui nous relient à Delthéa, ce sera simplement plus délicat pour nous.

- Est ce que... La bénédiction qu'elle m'a donné nous protège toujours, moi et mes proches ? interrogea Linaëlle.

- Oui, ça ne dépend pas d'elle, mais de toi. Même si elle venait à... disparaître, la protection resterait effective, lui apprit la Déesse.

Gabrön les foudroya tous les deux du regard, visiblement contrariée qu'ils révèlent autant de chose à la jeune femme, mais Suprak lui renvoya un regard aussi noir qui l'empêcha de lancer une réplique bien sentie.

Linaëlle garda le silence, évaluant soigneusement la situation. Son cœur lui hurlait de voler au secours de son âme sœur, mais sa raison l'obligeait à se modérer. Aurait-elle encore la puissance nécessaire pour affronter les Tfigunï si elle participait ?  D'un autre côté, elle avait bien compris que les chances de réussites seraient bien moindre si elle ne s'engageait pas avec eux. Le « délicat » prononcé par Tillia avait clairement sonné comme « très proche d'irréalisable ». Si ils échouaient, peu importe les Tfigunï, Dagmar et Ulcanth détruiraient Arkholis.

De toute manière, nous avions déjà acceptés de mourir pour sauver le monde, un peu plus ou un peu moins...

Comment pourrions-nous être plus ou moins mortes ?

Ne joue pas à ça, tu comprends ce que je dis... Un peu plus ou un peu moins de risques si tu veux vraiment chipoter.

Alors, on y va ?

Je suppose que oui.

La jeune femme inspira, se redressa pour les regarder et affirma :

- Je viens.

- Maman, tu dors encore ?

- Plus maintenant, petit monstre, répondit Linaëlle en ouvrant les yeux. Viens là.

La jeune femme souleva les draps et Kalum vint trouver refuge contre elle, calant sa tête sous son menton. Dans son dos, Adam l'enlaça, à demi éveillé.

- Tu as bien dormi, mon cœur ? souffla la maman en souriant.

- Oui. J'ai rêvé de Dragons.

- Vraiment ? s'intéressa Linaëlle

- Ils étaient plein dans le ciel. Avec plein de couleurs. On regardait ensemble.

- Ça devait être un joli rêve. 

- Oui.

Le petit garçon vint déposer un bisous sur sa joue, qu'elle lui rendit. Jayden les rejoignit et vint réclamer lui aussi l'attention de ses parents. Ces moments de tendresse le matin étaient devenus une habitude pour la famille qui passait trop souvent la journée séparée. Au moins un quart d'heure de bisous et de câlins avant que les estomacs des enfants se mettent à gronder. Propres, habillés et le petit déjeuner englouti, les deux garçons rejoignirent leurs cousins auprès d'Emily et Sophia, laissant un peu de liberté à leurs parents.

Linaëlle assista à une réunion des professeurs de l'École des mages et s'arrangea avec les porteurs de Tirfamilï pour que Lukas et Victor puissent revenir dans la semaine. Elle s'entretint également avec la Directrice, qui voulait un maximum de détails sur l'évolution de la situation en Elmakan.

Dans l'après midi, Xavier vint la trouver pour lui demander son avis sur les nouvelles recrues de la garde royale. En raison de son rôle dans la politique elmakaise, Linaëlle avait renoncé à son poste dans l'armée. Elle gardait néanmoins ses réflexes et ses muscles affûtés, et un œil expérimenté pour juger du potentiel des jeunes militaires. Aidés également de William, leur futur beau-frère, ils surveillèrent l'entraînement et échangèrent même quelques coups avec les soldats.

Un dîner, en comité réduit, suivit d'un moment en famille et la journée avait déjà filée entre ses doigts. Évidemment, elle n'avait pu empêcher ses pensées de s'égarer sur des chemins obscurs, mais elle faisait le maximum pour ne rien laisser paraître.

- On doit aller voir le Premier.

- Qu'est ce que tu racontes ?

- On doit aller le voir, c'est important.

- C'est urgent ?

- Non, mais il faudra y aller avant de partir.

- Ça, je m'en serais douté...

Dans les bras d'Adam, Linaëlle ne trouvait pas le sommeil. Quelque chose la maintenait éveillée, en attente. Au bout d'une bonne heure à se retourner dans tous les sens, elle sentit la douleur de son aîné. Elle se leva rapidement et gagna la chambre de Jayden.

- Mon cœur, ça va ? chuchota-t-elle.

- J'ai mal à la tête, Maman, se plaignit le petit garçon, les larmes aux yeux.

Au même moment, dans l'esprit de sa mère, Elmira se manifesta :

« Victoire a des contractions. »

« Jayden ne se sent pas bien, demande à Amalicia de faire un détour par ici avant de rejoindre Victoire. »

« C'est grave ? » s'inquiéta la grand-mère.

« Ça pourrait. » admit la jeune femme.

- Maman, réclama Jayden.

- Je suis là, mon chéri, ça va aller, le rassura Linaëlle en le prenant dans ses bras.

Elle posa une main contre son front, brûlant de fièvre. Encore un symptôme qui coïncidait. La jeune femme berça doucement l'enfant qui gémissait doucement. Sa magie en excès le rendait malade, et malheureusement, sa mère ne pouvait rien y faire, à part le soutenir.

Amalicia entra sans bruit dans la chambre quelques minutes plus tard. Avec un sourire mi-fier, mi-triste, elle posa ses mains sur la tête de Jayden qui sursauta, surpris.

- Doucement, Jayden, l'apaisa sa mère. la Directrice va t'aider, d'accord ?

L'enfant hocha la tête, toujours blottit dans les bras de Linaëlle qui leva les yeux sur la magicienne. Extraire la magie qui se cachait dans le corps de l'enfant n'allait pas être une partie de plaisir. Mais le trop plein allait finir par le tuer si elles n'agissaient pas. Une fois diminuée, le talisman de Théo remplirait son rôle et canaliserait l'énergie du petit garçon sans douleur. Si tout se passait bien, Jayden aurait alors quelques années devant lui avant de devoir entrer sous la tutelle d'un autre Haut Magicien, afin d'en devenir un lui-même.

- Sois courageux, mon chéri, il faut te débarrasser de ce mal de tête, ensuite tu feras un gros dodo et demain, ça ira mieux, d'accord ?

- Oui.

« Tiens-le solidement » la prévint la magicienne.

Sur les lèvres d'Amalicia, elle lut un compte à rebours silencieux. À zéro, elle agrippa le petit garçon tandis qu'un éclair d'énergie illuminait la pièce. Jayden hurla quand la magie quitta brusquement son corps et se dispersa dans la pièce. Presque aussitôt, il commença à trembler et à pleurer.

- Maman... J'ai mal...

- Chhht mon amour, ça va aller, le consola la jeune femme en le berçant. Il n'y en a plus pour longtemps.

Adam débarqua dans la pièce, complètement paniqué. Mais fut retenu à l'entrée par un regard de sa femme.

Un deuxième et un troisième flash suivirent. Le petit garçon s'évanouit sur un dernier cri et Amalicia soupira en ôtant ses mains.

- C'est arrivé plus vite que je ne le pensais, mais ce n'est pas aussi violent qu'on aurait pu le craindre.

- Est-ce que vous pouvez m'expliquer ce qu'il se passe ? s'énerva Adam.

- Vous avez un fils Haut Magicien, annonça platement la magicienne.

- On... Quoi ?

Abasourdi, le métamorphe regarda sa femme recoucher leur fils et le border, puis sortir de la chambre pour revenir un instant après et glisser quelque chose autour du cou de l'enfant, avant de l'entraîner hors de la pièce, la magicienne sur les talons.

- Jayden sera Haut Magicien ? bredouilla-t-il enfin.

- Oui, confirma Linaëlle.

- Mais... Comment ?

- On ne comprend pas plus que vous, mentit la Directrice avant de laisser à Linaëlle le temps de répondre.

La jeune femme lui coula un regard en coin qu'elle ignora et poursuivit en donnant ses consignes :

- Il va falloir le surveiller cette nuit, pour vérifier que toute la magie a bien été éliminée. Si il recommence à faire de la fièvre ou qu'il se plaint d'avoir mal quelque part, prévenez-moi tout de suite. Surtout, laissez-le dormir demain matin si il ne se lève pas, même chose pour les prochaines semaines, le talisman doit lui éviter les crises, mais il risque d'être fatigué le temps de s'adapter.

- Très bien, nous ferons attention, acquiesça Adam.

Sur un signe de tête, la Directrice s'éclipsa. Linaëlle se laissa enlacer par son époux, déposant un baiser doux sur ses lèvres.

- Un Haut Magicien, souffla-t-il, encore surpris.

- Oui, Amalicia le surveillait depuis quelques temps et m'avait demandé de faire attention et de l'appeler au moindre doute.

- Et le bijou ? C'est nouveau ça, non ?

- Oui, c'est une trouvaille de Théo, il devrait canaliser la magie en surplus de Jayden et lui permettre de grandir près de nous, expliqua la jeune femme. De toute manière, Amalicia le prendra en charge si besoin est.

Les épaules de son mari se détendirent aussitôt.

- Mon oncle a dû partir à l'autre bout du pays alors qu'il avait huit ans et mon père et mes grands-parents en ont gardé un très mauvais souvenir. C'est rassurant de savoir qu'il va rester avec nous.

« Dois-je te rappeler que nous avons également besoin de toi ici ? » s'agaça la Directrice dans son esprit.

« Une minute, j'arrive. »

- Tu peux surveiller Jayden ? Victoire va accoucher et j'ai peur qu'elle panique si je ne l'aide pas.

- Va, dit-il en l'embrassant sur le front. Je veille sur lui.

- Je ne donne pas cher de notre peau si Delthéa ou Eladriel apprennent que nous avons réduit ses chances de réussite.

- Comme si nous avions une autre option !

- Nous n'étions pas obligés de la mêler à ça, tu le sais aussi bien que nous. Tes enfants...

- Oublie cette idée Suprak, ils ne peuvent s'opposer à leur père sans que cela leur coûte encore plus cher qu'à moi. Déjà si je peux les convaincre de détourner les yeux de Linaëlle quand elle arrivera, ce sera plus qu'il n'en faut.

- Alors advienne que pourra...

Plooop ! Alala ces Dieux, pas fichus de se débrouiller tous seuls XD.

Bon sinon Jayden est bien Haut Magicien, il ne reste donc que Kalum pour être Porteur du sang ! Espérons que ce soit lui !

Bref, un gros bisou à tous, hésiter pas à commenter, et à la semaine prochaine pour la suite !