Chapitre 34 : Compte à rebours (partie 3)

       

- ... Non, la seule solution que je vois est de te présenter à l'Empereur en personne. Lui seule pourra vous payer sans mettre de l'huile sur le feu.

- Mais dans ce cas, c'est tout l'Empire qu'on devra protéger, et ce sera bien moins efficace, tu seras bien plus en danger ! protesta Noah.

- Ah, ne recommence pas ! s'agaça la jeune femme. Je suis parfaitement capable de me protéger et de veiller sur ma famille. D'ailleurs tu n'es plus mon vassal, ce n'est plus à toi de me protéger.

- Tu m'as remplacé ? s'exclama-t-il, les yeux écarquillés.

- Non, avoua Linaëlle. Tu n'as pas de successeur.

- C'est parce que je suis exceptionnel et irremplaçable, fanfaronna-t-il.

Il lui adressa un sourire vainqueur et sans réfléchir, elle lui donna une tape sur l'épaule, comme elle avait l'habitude de le faire autrefois quand il la taquinait.

- Idiot, je n'ai juste pas cherché quelqu'un d'autre, les candidatures ne manquaient pas.

- Vraiment ? insista-t-il, moqueur.

Elle soupira en levant les yeux au ciel, ce qui le fit rire.

- Et tes officiers arrivent à te supporter ? Je ne sais pas comment ils font, grommela-t-elle.

- Ils sont habitués, expliqua l'homme, désinvolte. Et puis quand il faut être sérieux, je le suis.

- Hmmm, fit Linaëlle.

- Bon, tu ne veux toujours pas nous engager ? reprit Noah.

- Ce n'est pas une question de volonté, je te l'ai expliqué. Il faut que tu présentes ta demande à Manoël.

- Allons-y tout de suite, alors ! s'exclama-t-il.

- Je peux te déposer et t'obtenir une audience par l'intermédiaire d'Azra, mais je n'ai aucune influence sur les décisions de mon cousin, je te préviens.

- Sérieusement ? s'étonna le mercenaire.

- Notre conception de la famille et la leur sont très différente, lui expliqua la jeune femme. De plus Manoël ne peut pas se permettre de manifester trop ouvertement son soutien à Azra, ça ruinerait ses relations avec les autres nobles.

- Bon sang mais comment ce pays tient-il encore debout ?!

- Je me pose la question tous les jours, avoua Linaëlle. Je vais voir si Azra a un peu de temps à nous consacrer, ensuite, nous verrons si on peut te faire embaucher par l'Empire.

- Dix mille ? Où avez-vous trouvé une armée de cette taille ? s'exclama l'Empereur.

Manoël avait accepté de les recevoir le lendemain, juste après le petit-déjeuner. L'entretien se déroulait dans le bureau du dirigeant, visiblement stupéfait par leur annonce.

- De l'autre côté de l'océan, Votre Majesté Impériale, le renseigna aimablement Noah.

- Pourquoi venir ici proposer vos lames dans ce cas ?

- Parce que la menace des Tfigunï n'a pas encore atteint notre continent, nous serons donc bien plus utile de ce côté de la mer.

- Vous me demandez de faire entrer une armée de mercenaires sur mon territoire sans aucune garantie, grinça l'Empereur.

- Votre Majesté Impériale, je ne peux me porter garant de chacun de mes subalternes, il y a probablement quelques corrompus dans le lot, comme partout, exposa Noah. Néanmoins je puis vous assurez que chacun d'entre eux sera assidu à la défense de votre peuple.

- Tant que je les paierais, ironisa Manoël.

- Effectivement, c'est la base de notre accord. En revanche, rien ne vous oblige à signer, nous pouvons aller proposer nos services ailleurs.

- Ah, ne vous donnez pas cette peine, mercenaire, vous êtes engagés, souffla le dirigeant en se levant.

- Vraiment ? s'étonna Linaëlle.

- Sais-tu pourquoi nous étions si pressé de signez l'accord de paix que le Roi Althis a proposé, il y a vingt ans ?

- Parce qu'Elmakan allait perdre, répondit sa cousine avec un froncement de sourcil.

- Exactement. Et nous perdions parce que nous étions incapables de présenter un front uni comme le vôtre. Chaque gros bourgeois possède sa petite armée personnelle, il n'y a pas de commandement central comme à Malatir. Ajoute à cela des rivalités politiques et des magiciens incompétents, et tu sais pourquoi nous avons perdu. Aujourd'hui, les trois quarts des victimes des envahisseurs sont elmakaises, alors qu'il y a quasiment autant d'attaques des deux côtés. Parce qu'il n'y a aucune communication.

- Tu veux une armée indépendante des autres nobles, comprit la jeune femme. Ils ne vont pas apprécier du tout.

- Je me charge de leur faire avaler l'information, sourit l'Empereur. Je ne vous demande qu'une seule chose, évitez de souligner le lien qui existe entre vous, je n'ai pas envie qu'on hurle au complot visant la domination de Malatir.

- Très bien, je vais vous laisser discuter argent et équipements, je dois rentrer à Olmetho, annonça Linaëlle en se levant.

Elle fit une légère révérence et son cousin la salua d'un signe de tête.

Sans tarder, la jeune femme accrocha le recoin de son esprit lié à l'artefact, à son poignet. Des dizaines de chuchotis résonnèrent dans ses oreilles, les voix fredonnaient un air doux, entêtant, qui la remplissait d'une énergie presque mystique. Elle se concentra sur l'image de sa destination. Une fois le dessin de la pièce fixée dans son esprit, elle s'ouvrit aux voix. Le chant lui emplit les oreilles, augmenta en intensité. Alors qu'il atteignait son point culminant, Linaëlle libéra l'énergie accumulée et se sentit violemment projetée en avant tandis que des centaines de traits colorés emplissaient son champ de vision.

Si le phénomène pouvait paraître long, il se déroulait à la vitesse de la pensée. En une demi-seconde, sans bouger un muscle, elle arriva dans sa chambre, à Olmetho, faisant sursauter Fiona et Adam.

- Bon sang je crois que je ne ferais jamais à tes apparitions, râla son mari en venant l'enlacer.

Elle déposa un léger baiser sur ses lèvres, distraite, avant d'annoncer :

- Manoël a engagé toute la compagnie, il veut une armée qui ne reçoive ses ordres que de lui.

- Je le comprends, approuva Fiona. En revanche, cette décision va provoquer un tollé monstrueux.

- Un tollé ? Tu plaisantes, j'espère, ricana Adam. Aucun noble elmakais, même le plus petit des bourgeois, n'acceptera la présence d'une armée sur ses terres. Manoël va se retrouver mort avant d'avoir eu le temps de mettre son décret en place !

- Pas si je fais ce qu'il faut pour déjouer les tentatives contre lui, réfléchit Linaëlle.

- Qu'est ce que tu comptes faire exactement ? s'informa Fiona.

- Je crois que je viens de lui fournir une pièce maîtresse de son jeu. Il est certain qu'il a quelque chose en tête, il n'aurait pas accepté aussi facilement autrement. Mais les informations à la Cour Impériale filent plus vite qu'un Dragon en plein vol... En informant mon réseau, je pense que je pourrais éventuellement étouffer certains complots dans l'œuf et lui donner un peu de temps.

- Sauf que tes espions travaillent pour ta sœur, désormais, lui rappela Adam.

Elle lui adressa un petit sourire.

- Il y a des domaines où tu es atrocement naïf, mon amour, murmura-t-elle.

Son mari eut un rire bas.

- Il m'arrive encore de te sous-estimer après tout ce temps, souffla-t-il. Hep, je préfère ne rien savoir, ajouta-t-il en plaçant un doigt sur ses lèvres. Chacun son domaine, tu te souviens ?

Elle opina du chef, et après un dernier baiser, ils se séparèrent pour vaquer chacun à leurs tâches. Avec l'aide de Fiona, elle passa la matinée à sélectionner et à préparer une contre attaque pour chacun des nobles qui risquaient de poser problème à Manoël. Il leur suffit ensuite de contacter quelques uns des messagers pour que les pièges soient prêts à se refermer à la moindre alerte.

La jeune femme était particulièrement fière de la toile d'araignée qu'elle avait tissé patiemment pendant des années. Elle avait des agents dans toutes les grandes villes, à des postes stratégiques, des espions dans presque toutes les maisons nobles présentes à la Cour et même plusieurs magiciens dissimulés dans la population. Ils travaillaient uniquement pour elle, et grâce aux mages, les informations lui parvenaient souvent avant que les membres de celui de l'Archiduché ne les apprennent.

Évidemment, Azra ayant repris la tête du domaine, elle devait se montrer encore plus discrète qu'avant. Si il y avait ne serait-ce qu'une rumeur sur cette immense organisation, les conséquences pourraient être dramatiques, tant pour elle que pour ses espions ou même sa sœur. Cependant, elle résolut de mettre la nouvelle Archiduchesse au courant de ce qui allait se jouer. Deux réseaux valait mieux qu'un, et elle devait être prête à réagir dans le cas où les agresseurs potentiels décideraient d'élargir leur cercle de victime.

Toute la journée, elle guetta un appel de son magicien à la Cour, mais visiblement, l'Empereur prenaient son temps avant d'annoncer la nouvelle. Les manœuvres de son cousin demeuraient un mystère pour Linaëlle. Bien qu'approuvant globalement sa politique, elle ne parvenait que rarement à deviner une de ses cartes, et bien souvent le projet se mettait en place quelques jours plus tard. C'est donc inquiète qu'elle rentra à Dopalis le lendemain matin.

Retrouver sa famille de cœur perturba la jeune femme. Le compte à rebours qui alourdissait chaque jour un peu plus le poids sur ses épaules lui semblait encore plus présent au milieu du joyeux bazar du palais royal. Elle devait faire un effort constant pour ne rien laisser paraître devant ses proches, et pour lutter contre cette sensation qui éteignait peu à peu toutes les couleurs et la lumière autour d'elle.

En fin de soirée, l'alerte fut enfin donnée. Apparemment, l'annonce avait été parfaitement mise en scène et avait surpris tout le monde. Des navires avaient été réquisitionnés pour aller chercher les mercenaires sur le continent voisin et la colère grondait déjà à tous les niveaux de la noblesse. Linaëlle ne s'autorisa à dormir uniquement quand on lui eut confirmé la sécurité de Meriem et Azra. Et même ainsi, elle eut du mal à trouver le sommeil. Elle ne pouvait qu'espérer que son cousin ait une stratégie imparable pour faire taire la révolte qui se profilait.

- J'ai cru que tu ne parviendrais jamais à t'endormir, lui chuchota Delthéa à l'oreille.

- Manoël vient peut être de creuser sa propre tombe et celle du reste de la famille, y comprit moi, sans que je comprenne l'objectif de la manœuvre, donc je m'inquiète un peu, rétorqua Linaëlle un peu sèchement.

Elle regretta aussitôt ses paroles. Sa Déesse n'y était absolument pour rien, elle ne méritait pas d'essuyer ses mouvements d'humeur. Pourtant Delthéa ne réagit pas. Blottie dans son dos, les mains sagement posées sur son nombril et la tête sur son épaule, elle ne bougeait pas. Avec un temps de retard, la jeune femme réalisa qu'elle faisait disparaître tous les nuages qui obscurcissaient son esprit, la laissant étrangement vide et légère.

Laissant sa tête basculer sur l'épaule de la Déesse, Linaëlle laissa échapper un soupir de soulagement.

- Je croyais qu'on ne devait pas abuser de cette technique, murmura-t-elle.

- Je sais, mais te voir comme ça me fait trop mal... Au moins tu pourras dormir tranquillement.

- Hmmm...

Brusquement détachée de ses soucis, la jeune femme pivota et alla chercher les lèvres de son âme sœur. Elles s'embrassèrent lentement, accordant toute leur attention à ce contact. Delthéa s'éloigna en sentant les joues humides de Linaëlle sous ses pouces.

- Je ne veux pas mourir, Théa, murmura-t-elle douloureusement. Je vais leur faire tellement mal, à tous...

La Déesse la serra contre elle tandis qu'elle cachait son visage dans son cou, cherchant en vain des mots qui pourraient la réconforter. Elle se haïssait de lui faire subir cela, malgré les affirmations répétées de la jeune femme qu'elle ne lui en voulait pas. Et elle haïssait les règles de son frère qui les avaient conduits à cette extrémité.

- Ça ira, chuchota-t-elle finalement. Tu pourras veiller sur eux d'ici.

- Non, Théa. Je ne veux pas que tu risques tout pour moi, Dagmar t'as prévenu de ce qu'il peut arriver, s'effraya Linaëlle.

- Mais si je n'essaye pas, je ne pourrais pas réussir. Je ne peux pas vivre sans toi, Afrymia. C'est la seule chose que je peux faire pour toi, quand tu en as tant fait pour moi. Peu importe si je risque de d'être contaminée ou d'être aspirée. Je ne peux pas te laisser de l'autre côté de cette faille. Parce que je t'aime.

La gorge nouée, la jeune fille appuya son front contre celui de sa Déesse.

- Moi aussi je t'aime, mais je préfère qu'une seule de nous deux se sacrifie.

- Ne renonce pas, Linaëlle. Si tu renonces, tu échoueras, c'est certain. Tu dois tenir le coup, pour Jayden et Kalum, pour Adam, pour tes frères et sœurs, leurs enfants, tes parents... Et pour nous. Il faut que tu continues à te battre.

Son âme sœur secoua la tête.

- C'est tellement difficile...

- Je sais, j'aimerais pouvoir porter cette responsabilité à ta place...

Delthéa recula légèrement, s'asseyant sur le canapé et l'entraînant avec elle. Installée en travers de ses genoux, Linaëlle se nicha contre elle. Elles restèrent ainsi longtemps, en silence, profitant simplement de la présence l'une de l'autre, jusqu'à ce que la jeune femme doive repartir.

- Delthéa, tu ne peux pas faire ça !

- Tu m'espionnes maintenant ?!

- Là n'est pas la question ! Tu vas tous nous entraîner dans ta chute quand tu échoueras à la ramener.

- Puisque cela te dérange tant, brisons les liens que nous partageons, et n'en parlons plus !

- Mais... Non ! Enfin, tu ne peux pas désirer...

- Tu n'as pas encore l'air d'avoir compris, Dagmar. Je l'aime, et je ne reculerais devant rien pour essayer de la sauver.

- Tu mettrais dans la balance l'équilibre de l'univers pour elle ?!

- N'est ce pas toi qui voulait tout recommencer il n'y a pas si longtemps ?

- ... Je suis désolé, Delthéa, mais tu ne me laisses pas le choix.

- Qu'est ce que... Non ! Dagmar ne fait pas ça !

- C'est pour ton bien.

- Arrête ! Non ! S'il te plaît, Dagmar !


Plop ! On avance bien dans ce chapitre dit donc, vous ne trouvez pas ?

Manoël manigance on ne sait pas trop quoi, espérons que ça ne se retourne pas contre lui.

Bref, un gros bisous à tous, et à la semaine prochaine !


Quoi, Delthéa ? Je ne vois pas de quoi vous parlez... *s'enfuit*

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