Chapitre 31 : Éclaircies (partie 3)

       

Elle prit sur elle pour frapper poliment à la porte des appartements de sa cousine, très éloignés du cœur du château. Le battant s'entrouvrit sur Daniela, qui eut un mouvement de recul en l'identifiant.

- Tu viens achever ce que tu as commencé ? demanda-t-elle, résignée.

Oui !

- Non, sauf si tu me donnes de bons arguments pour le faire, répondit calmement Linaëlle en chapitrant sa Dragonne.

- Cesse de faire semblant, je vois votre colère, je sais que vous m'en voulez.

- Tu as tué notre frère, gronda Linaëlle d'une voix grave.

Elle sut au sursaut de peur de Daniela que ses pupilles étaient devenues verticales.

- Et qu'attends-tu de moi ? Que je vienne m'excuser ? Que je te dise que je regrette ? Jamais, tu m'entends ! Je préfère mourir ! hurla-t-elle.

Face à ses mots, la jeune femme perdit le peu de contrôle qui lui restait et d'un revers de magie l'envoya contre le mur opposé où elle resta clouée. Daniela hurla quand son dos et ses os encore fragiles entrèrent violemment en contact avec la pierre. En grondant, Linaëlle traversa à son tour la pièce pour venir susurrer à son oreille :

- Si tu veux mourir, ça peut s'arranger.

- Alors tue-moi, qu'on en finisse, gémit sa cousine.

Sa réflexion lui fit froncer les sourcils. Tout au fond l'océan de sa fureur, sa magie d'aura continuait de capter les sentiments de la jeune femme et ce qu'elle y lisait la laissa perplexe. Tristesse, résignation et déception se partageaient les nuances sombres d'une aura qui fit frémir la métamorphe. Daniela n'avait plus envie de vivre, et son aura reflétait le trou noir de sa détresse. Elle voulait sincèrement que Linaëlle la tue.

Pathétique, étranglons la.

Non.

Tu as raison, c'est une mort trop rapide.

Silence, j'essaye de comprendre.

Le rugissement de protestation de sa Dragonne quand elle relâcha Daniela et s'écarta d'elle la fit grimacer de douleur. Sa cousine tomba lourdement au sol en gémissant.

- Tu essayes de me provoquer pour que je mette fin à tes jours, pourquoi ?

- Pourquoi, ricana amèrement Daniela. Tu me demandes encore pourquoi... Tu ne comprends pas...

- Explique-moi dans ce cas.

- Parce que tu me pourris la vie depuis ta naissance ! s'écria-t-elle en bondissant sur ses pieds dans un regain d'énergie. Parce que, même morte, tu restais meilleure que moi dans l'esprit tordue de ma mère !

- Mais...

- J'avais tout le temps droit de me comparer à cette petite fille parfaite que tu étais ! glapit-elle, hors d'elle. Et surtout de me rendre compte que je ne t'arriverai jamais à la cheville ! Quand je maîtrisais un exercice, quel que soit le domaine, elle me répondait que tu le réussissais déjà, et mieux que moi ! J'ai cru que ça s'arrêterai avec ta mort, mais ça a empiré ! Je n'avais jamais droit à un mot gentil, jamais de geste d'affection ! Elle m'a fait subir une telle pression que mon don s'est éteint ! Pendant des années, j'ai souffert des regards de pitié, de la colère de ma mère, j'ai grandi en sachant que j'étais la honte de la famille impériale, que jamais personne ne voudrait m'épouser !

Elle reprit son souffle en plantant son regard désormais uniformément vert dans le iris semblables de sa cousine.

- Et toi, toi, tu reviens après tout ce temps ! s'emporta-t-elle en pointant un index accusateur sur sa poitrine. Plus belle, plus intelligente, plus forte que dans les espoirs les plus fous de ma mère ! Elle ne m'a pas accordé une miette d'attention depuis ta réapparition hormis pour m'ordonner de piéger ta vassale. Alors oui, j'ai tué Jayden parce que j'en avais assez que tout le monde me rabaisse, me dénigre et m'ignore ! Et elle m'a rejetée comme un outil brisé, parce que j'avais contrarié ses plans ! Je n'ai presque pas connu mon père et je n'ai jamais eu de mère à cause de toi, ou si peu que je ne m'en souviens pas ! Alors maintenant, je n'aspire plus qu'à mourir de ta main, que tu m'achèves et que ça s'arrête enfin...

Sa voix se brisa et elle tomba à genoux, de lourds sanglots agitant tout son corps.

- Tue-moi, par pitié, supplia-t-elle.

Linaëlle demeura silencieuse, les bras ballants, la bouche entrouverte. Même sa Dragonne s'était figé face au tourbillon de colère, de haine et de jalousie dont Daniela venait de saturer son esprit, dispersant leur propre rage aux quatre vents. La meurtrière de son frère suppliait à genoux qu'elle prenne sa vengeance, mais elle ne pouvait pas. Plus maintenant, plus en sachant cela. Certes, elle avait commis un acte horrible de sang froid, mais la jeune fille voyait maintenant la petite fille brisée derrière la femme et sans pardonner, elle comprenait et compatissait.

Elle repéra également l'erreur de Meriem. La Régente pensait que Kadsuan avait imposé à ses enfants et à Hamir le même sort qui la contraignait, elle. Hors elle avait fait fausse route, c'était par leur éducation et leur peur qu'elle les gardait sous sa coupe, en les montant les uns contre les autres également. Prise d'une impulsion subite, elle se rendit compte qu'elle aurait pu grandir dans le même environnement malsain si Delthéa n'avait pas décidé de se taire et de la laisser vivre à Malatir. Elle adressa un remerciement muet à sa protectrice avant de reposer les yeux sur Daniela qui attendait sa sentence en pleurant à ses pieds.

La jeune fille s'agenouilla lentement et releva le menton de sa cousine du bout des doigts, l'obligeant à la regarder.

- Je ne te tuerais pas, tu ne mérites pas ça, annonça-t-elle doucement.

- Après tout ce que je t'ai fait, ça devrait pourtant t'être facile...

- Je ne t'apprécie pas, Daniela et tu le sais. Néanmoins je n'ai nullement l'intention de te faire du mal tant que tu n'en feras pas. Il se peut même qu'avec le temps, je t'aide à te reconstruire et à te trouver une place dans ce monde, parce que malgré tout tu es de ma famille. Mais je ne peux pas décider pour toi si tu dois vivre ou pas. Les lois elmakaises t'immunisent contre le moindre jugement et ma mère a décidé de t'envoyer avec moi et Azra à Olmetho. Tu peux nous accompagner et saisir ta chance de recommencer une vie là bas, ou tu peux continuer à te morfondre et à mener une demie-vie sans trouver le courage de mettre toi même fin à tes jours.

- Tu es cruelle, souffla Daniela en se dégageant. Il n'y a rien pour moi ici ou ailleurs, aujourd'hui ou demain. Vivre sur cette terre est un calvaire permanent, et tu me condamnes à continuer un chemin sans but.

- Ne juge pas trop vite ce que tu ne connais pas, jusqu'ici tu n'as vu que le mauvais côté, mais je t'assure qu'il y a des tas de choses dans la vie qui la rende bien plus facile à vivre, conseilla Linaëlle.  En plus tu es en sécurité, tu manges et bois à satiété, tu vis dans un endroit plus que confortable et tu as reçu une bonne éducation. Il y a des gens qui n'ont même pas cela. Soit, j'admet que tu n'as pas eu une existence facile. En revanche, sache qu'on peut toujours trouver plus misérable que soi. Et que personne ne t'aidera si tu ne t'aides pas d'abord toi même.

- Quel genre de chose ? interrogea Daniela en s'adossant précautionneusement au mur.

- Pardon ?

- Tu m'as dit qu'il y avait de nombreuses choses qui rendait la vie plus facile à vivre. J'aimerais savoir quoi.

La naïveté de cette question fit hésiter la jeune fille. Mais sa cousine semblait sincèrement intriguée, ce qui lui fit prendre la mesure des manipulations exercés sur elle par Kadsuan.      

- L'amour, par exemple, commença-t-elle.

- J'aimais ma mère, constata Daniela.

- Ce n'est pas forcément l'exemple le plus parlant pour toi... L'amitié alors, le plaisir de discuter avec des gens qu'on respecte et qui nous respecte, de partager des activités avec eux...

- Ça doit être bien, admit sa cousine en dissimulant une grimace.

- Montre-moi ton épaule, ordonna Linaëlle en apercevant sa douleur. J'ai dû briser de nouveau certains os tout à l'heure, il vaut mieux s'en occuper tout de suite.

- Tu sais guérir ça ? s'enquit Daniela.

- Je peux au moins te soulager en attendant quelqu'un de plus compétent si c'est hors de ma portée.

Lentement, la jeune femme lui présenta son dos. En douceur, Linaëlle délaça le corset et mis l'épaule à nue. De belles tâches jaunes et vertes marbraient encore la peau de sa patiente qui frémit sous son regard. Usant d'un talent qu'elle utilisait rarement, elle caressa la zone meurtrie de la paume, laissant sa magie lui apporter les informations qu'elle ne pouvait voir. Elle ne trouva heureusement qu'une côte fêlée et plusieurs muscles partiellement déchiré qu'elle répara rapidement en fredonnant une formule de guérison. Daniela pris une profonde inspiration quand elle ôta sa main et s'empressa de se rhabiller. 

- Merci, articula-t-elle tout bas en se relevant.

- De rien.

Linaëlle se releva également et elles restèrent un moment face à face dans un silence gênant.

- Je vais prendre congé, murmura la jeune fille.

Avec un raclement de gorge précipité, sa cousine opina et Linaëlle s'éclipsa sur un salut de la tête. La Dragonne cachée en elle se manifesta dès qu'elle s'engagea dans le couloir.

- Il faudra quand même garder une patte sur elle.

- Voilà longtemps que tu ne m'as pas parlé aussi clairement.

- Nous n'étions plus en phase, les dragons grandissent plus vite que les humains et tant que tu n'avais pas suffisamment vieillit, cela nous éloignait.

- Si je t'ai rattrapé, cela signifie donc que je suis adulte ?

- Aux yeux de la magie qui nous lie, oui.

Comme la jeune fille réfléchissait à ce changement de statut, sa facette à écaille repris :

- Nous devrons retourner voir le Premier frère, ils nous restent des choses à apprendre si nous voulons vaincre les sans-pattes. Notamment sur les enfants de la  forêt.

- Les elfes ? Comment le sais-tu ?

- Je le sais, c'est tout.

- Cela attendra, nous avons des choses à faire ici.

- Je sais.

- Tu sais tout ?

- Non, mais je sais plus de choses que toi.

Linaëlle souffla par le nez, agacée et la Dragonne ronronna, amusée. Malgré tout, elles appréciaient de pouvoir à nouveau communiquer aussi facilement. La jeune fille sourit quand l'image de l'animal, enroulé sur lui même, la queue sur le museau, lui parvint. Une étrange paix intérieure la gagna et son sourire ne quitta pas ses lèvres jusqu'à ce qu'elle plonge dans le sommeil.

Elle avait renoncé à essayer de retrouver Delthéa dans l'intermonde, car la Déesse l'avait fui depuis leur dernière entrevue. C'est donc avec une certaine surprise qu'elle ouvrit les yeux dans leur lieu de rencontre.

- Bonjour, Linaëlle, la salua Gabrön quand elle se redressa.

Interdite, la jeune fille dévisagea son interlocutrice, sur la défensive.

- Je ne suis pas là pour te faire des reproches, la rassura la Déesse.

- Pour quoi alors ?

Un battement de paupière plus tard, l'immensité blanche qui les entourait fut remplacé par une clairière entouré d'arbres aux essences multiples, où courrait un ruisseau. Bouche entrouverte, elle fit un tour complet sur elle même avant de reporter son attention sur Gabrön qui la regardait, amusée.

- Delthéa n'a jamais transformé l'intermonde avec toi ?

Incapable de parler, la jeune fille secoua la tête.

- Viens, l'invita la femme en s'asseyant sur une large pierre plate au bord du cours d'eau. Après un temps d'hésitation, Linaëlle s'assit dans la mousse près d'elle, ramena ses genoux contre sa poitrine et les enlaça de ses bras.

- Je reconnais que notre relation n'a pas démarré du bon pied, et j'aimerais que nous prenions le temps de faire connaissance sans nous battre comme des chiffonniers, lui expliqua Gabrön. Il n'est pas dans mes habitudes d'user de violence à l'égard des autres et je tiens à te présenter mes excuses pour mon comportement de l'autre jour, et te féliciter pour ton magnifique crochet du droit.

Linaëlle lui jeta un regard par en dessous, mais nul trace de moquerie dans l'aura de la Déesse. Au contraire, ses iris blanches brillaient d'amusement. Un sourire étira les lèvres de la jeune fille.

- J'ai eu de bons professeurs. J'admets néanmoins que ce n'était peut être pas la meilleure idée qui me soit venue à l'esprit, mais je n'ai pas réfléchi, j'avais tellement mal de la voir souffrir.

- Tu l'aimes, n'est-ce pas ? demanda doucement Gabrön.

- Oui...

- C'est une voie compliquée dans laquelle tu t'engages, souffla la femme en laissant tremper ses doigts dans l'eau claire du ru.

- Vous l'avez parcouru avant moi, ne pouvez-vous pas m'aider ?

- Mon cas différait du tien, souffla la Déesse en admirant les gouttes aux bout de ses doigts. J'avais déjà plusieurs siècle d'existence quand Dagmar a posé les yeux sur moi. À l'époque, les Dieux parcouraient encore le monde d'Arkholis et il n'était pas rare qu'ils choisissent un ou une de leurs marqués pour réchauffer leur couche, le temps d'une nuit. J'ai compris qu'il y avait quelque chose de plus entre nous qu'après plusieurs de ses visites... Et jusqu'à ma déification, je peinais encore à y croire. Tu es très jeune, et les humains ne vivent pas un dixième de l'existence des elfes avant de mourir. De plus, même si je n'approuve pas, mon époux a établi des règles qu'il refuse de voir bafouées et sa colère peut faire de ta vie, et de celle de Delthéa, un enfer...

Linaëlle soupira en posant son menton sur ses genoux. Elle avait déjà réfléchi aux obstacles entre sa protectrice et elle. Les entendre énoncés par quelqu'un d'autre les rendait bien plus réels qu'elle ne le voulait.

- Mais je crains que Delthéa ne se laisse mourir si tu franchis les portes d'Ulcanth, termina l'elfe alors qu'une goutte chutait dans le cours d'eau.

- Quoi ? s'exclama Linaëlle dont la voix avait monté d'une octave.

Elle  se releva brusquement, serra les poings. Ellene voulait pas ça !



Plop ! Alors cette rencontre avec Daniela ? Il semblerait que la bombe soit désamorcée pour l'instant.

Maintenant il semblerait que Linaëlle, ait d'autres problèmes à gérer... Des hypothèses ?

Je vous fait un gros bisous et à la semaine prochaine ^^. Et comme d'habitude, n'hésiter pas à voter et commenter.

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