Chapitre 31 : Éclaircies (partie 1)

- Tu es magnifique, ma chérie.

- Maman a raison, tu es trop belle ! s'exclama Azra.

Linaëlle leur renvoya un sourire lumineux. Depuis sa prise de contact agitée avec les Conseillers de l'Archiduché, une semaine auparavant, elle avait passé de nombreuses heures avec eux dans la bibliothèque sud. La présence de Fiona l'avait aidé à supporter ses hommes à l'égo surdimensionné et à l'esprit étroit. Entre menaces et compromis, la jeune fille parvenait néanmoins à ses fins bien qu'avec une lenteur qui l'exaspérait.

Aujourd'hui, elle finissait les dernière retouches sur la robe qu'elle porterait lors de la cérémonie qui marquerait officiellement sa prise de pouvoir en tant que Régente d'Azra, le lendemain. Il lui resterait ensuite trois jours pour donner ses consignes avant de devoir retourner à Dopalis, où sa famille et ses élèves l'attendaient. Ce décompte, elle pouvait le lire dans les yeux de sa mère à chaque fois qu'elle croisait son regard. Elle l'avait surprise plusieurs fois à pleurer ses derniers jours, voyant approcher la date de son départ et celui de sa benjamine, qui devait retourner à Olmetho du fait de son héritage précoce.

- Il faut raccourcir un peu les manches je pense, proposa la Régente, avec la dentelle, c'est trop long.

Sa fille approuva d'un mouvement de tête et aussitôt, une couturière vint piquer des aiguilles pour prendre les mesures. Pour ceux qui ne la côtoyait pas en privée, la dirigeante ne laissait jamais rien paraître.

- Tu vas avoir des aiguilles partout, gare au déshabillage, s'amusa Azra.

- Au lieu de dire des bêtises, donne un peu ton avis, rit Linaëlle.

- Moi je la trouve très bien comme ça, affirma l'enfant.

Sa sœur releva un regard interrogateur sur Meriem qui répondit :

- Je ne vois pas d'autres changements à faire, mais regarde par toi même.

La jeune fille pivota prudemment et s'observa dans le large miroir en pied. La robe était splendide. Entièrement en soie bleue azur, avec de larges manches évasées, cousue de fils d'or et de dentelles, elle s'ajustait sous la poitrine avant de cascader jusqu'au sol, dessinant légèrement ses hanches. Le décolleté restait très sage, ce qui convenait très bien à Linaëlle. Elle avait relevé ses cheveux en chignon haut pour les essayages et son reflet lui paraissait soudain bien plus adulte dans cette parure de cérémonie. La seule fois où elle avait porté une tenue semblable, le jour de son couronnement en tant que Princesse Héritière, elle s'était sentie étrangement à l'aise, comme une confirmation que c'était sa place. En se contemplant ainsi, elle ressentait la même chose.

- Je vois difficilement comment faire mieux, souffla-t-elle, étonnée.

- Moi, je sais, annonça sa mère en revenant près d'elle.

La jeune fille n'avait même pas remarqué qu'elle s'était éloignée. Meriem se posta dans son dos et glissa un collier doré incrusté de trois pierres à la couleur assortie au tissu autour de son cou, provoquant un hoquet chez sa fille.

- Sadima, ce sont ...

- Des aigues-marines, compléta sa mère.

- Ces pierres sont hors de prix ! Les Colrithiens les distribuent au compte-gouttes !

- Je sais. C'était le cadeau que m'a offert ta grand-mère le jour où tu es née. Tu es en âge de le porter maintenant.

Linaëlle passa la main sur le bijou, effleurant les pierres taillées en forme de gouttes. Ses grands-parents elmakais étaient tous décédés de maladie, ou à cause de la guerre. Dans un murmure, elle dit :

- Je ne peux pas accepter...

- Tu peux, et tu le feras, affirma sa mère en l'embrassant sur la tempe. Je l'ai gardé en souvenir de toi pendant des années sans jamais le porter, il est grand temps qu'il serve. J'ai également les boucles d'oreilles assorties quelque part.

- Merci... articula la jeune fille, ne trouvant rien d'autre à répondre.

Les couturières ayant terminée, elle se laissa déshabiller et revêtir d'une autre robe bien moins habillée, gris souris. Les domestiques s'éclipsèrent ensuite, et Azra fila rejoindre son précepteur non sans avoir embrassé sa mère et sa sœur au passage. Celle-ci eut tout juste le temps d'enlacer Meriem avant qu'elle ne fonde en larmes sur son épaule. Elle pleurait sans bruit, mais chaque goutte salée qui glissait sur ses joues équivalaient à de douloureux sanglots.

- Maman...

- Je ne pourrais pas supporter ça toute seule, Linaëlle.

- Ce n'est que provisoire, et Manoël t'aide déjà beaucoup, même si il commet parfois des maladresses.

- Deux ans, sept mois et vingt-deux jours... Une éternité sans vous, gémit-elle.

- Je reviendrais te voir aussi souvent que possible, la rassura sa fille. Et je m'arrangerais pour qu'Azra revienne également.

- Veille bien sur ta sœur, souffla la Régente. Maintenant qu'elle est la clé pour accéder à l'Archiduché, elle va être très courtisée.

- Ne t'en fais pas, je la protègerais des prétendants importuns. Et si ils insistent, je leur ferai faire un petit vol entre les pattes d'une Dragonne, ça devrait les refroidir.

Sa mère étouffa un rire dans son cou. La jeune fille accompagna cet élan par une vague d'affection et de calme qui permit à Meriem de se reprendre. Elle se détacha de Linaëlle et se tamponna les yeux d'un mouchoir avant de le glisser dans sa manche. Prenant une grande respiration, elle s'assit dans un fauteuil, invitant sa fille à en faire autant.

- Daniela va partir avec vous à Olmetho, annonça-t-elle sans préambule.

- Pardon ? s'exclama Linaëlle.

- Elle a besoin de s'éloigner de Falm et de la Cour Impériale, déclara sa mère.

- C'est absolument hors de question ! Tu m'écartes de l'affaire pendant une semaine pour m'annoncer ça maintenant ?! Je ne laisserai pas Azra seule avec elle ! Quand bien même elle aurait été manipulée par Kadsuan ou je ne sais pas trop quoi !

- Moi aussi, elle me tenait sous son joug, assena Meriem. Cela ne t'a pas empêchée de me donner une seconde chance.

- Ce n'est pas du tout la même chose, vous n'aviez rien fait pour me nuire !

- Si la Reine n'avait pas détecté le problème, j'aurais été obligée de faire des choses horribles, Linaëlle. Daniela a été influencé par sa mère depuis sa petite enfance. Kadsuan avait éteint son don à force de la tromper... Je t'en prie, soit indulgente avec elle, avec de l'aide, elle peut remonter la pente.

Linaëlle gronda en écho à sa Dragonne. L'une se méfiait de ce retournement de cape, l'autre avait envie de griller Daniela pour ce qu'elle avait fait.

- Mais Sadima...

- Daniela n'est plus dangereuse maintenant qu'elle a récupéré son don. La moindre émotion trop forte la perturbe, elle doit apprendre à se contrôler et elle n'y parviendra pas ici où tout lui rappelle sa situation d'avant.

- Est-elle vraiment repentie ? Elle a réussi à tromper tous les mages d'auras quand elle s'en ait pris à Azra. Je ne lui fait aucunement confiance.

- Je comprends que tu puisses douter mais va la voir, discutez ensemble. Tu arriveras à la même conclusion que moi, je l'espère, et peut être qu'un jour tu parviendras à lui pardonner.

La jeune fille soupira et passa une main sur son épaule droite. Elle avait parfaitement conscience que son comportement ressemblait à un caprice de petite fille et que sa mère avait l'obligeance de ne pas le lui faire remarquer. Néanmoins Daniela ne lui inspirait ni compassion ni pitié. Elle avait tué Jayden pour se venger des mensonges de sa mère et cela lui restait en travers de la gorge.

- J'essayerai... souffla-t-elle.

Meriem hocha la tête. On frappa à la porte et un domestique annonça la visite de la Directrice Oth'Ferim. La Régente l'autorisa à entrer et quelques secondes plus tard, la magicienne franchissait la porte.

- Votre Excellence, salua-t-elle, j'ai de bonnes nouvelles pour vous.

Linaëlle n'entendit pas la réponse de sa mère, toute son attention fixée sur le jeune homme qui était entré derrière Amalicia. Adam lui sourit et elle bondit dans ses bras à peine la porte close.

« Que fais-tu ici ? » s'étonna-t-elle.

« Je viens rencontrer ma cousine et assister à ta prise de pouvoir. Une réunion au sommet a décidé qu'il était important que je me montre à tes côtés. » répondit-il en déposant un baiser sage sur sa joue.

- On vous dérange, jeunes gens ? railla la Directrice.

La jeune fille pivota dans les bras de son fiancé en sentant ses joues rougir. La femme les regardait, un sourire amusé aux lèvres, installée en face de Meriem qui observait Adam avec un mélange de curiosité et de nostalgie.

- Navré, Ma Dame, il semblerait que je soit un sujet de distraction pour Sa Seigneurie, plaisanta le jeune homme.

- Vous vous distrairez plus tard, répliqua la magicienne. Il me semble que des présentations s'imposent, sinon personne ne sera concentré.

Linaëlle hocha la tête et annonça avec un sourire timide :

- Sadima, je te présente Adam Gim'Tayan, fils de Éric Gim'Tayan, mon probable futur époux.

- Probable ? répéta celui-ci, vexé.

- Jusqu'à l'annonce officielle, tu peux encore changer d'avis, l'éclaira la Directrice avec un sourire en coin. Vouloir se lier à cette famille est pure folie, je te préviens.

Le commentaire fit sourire la Régente qui s'approcha du couple et prit la main de sa fille.

- Je suis heureuse de te rencontrer, jeune homme, j'ai beaucoup entendu parler de toi.

- De même, Votre Excellence, répondit Adam en s'inclinant poliment.

Meriem les regarda à tour de rôle. Les yeux brillants, un sourire un peu niais aux lèvres, ils étaient clairement jeunes et amoureux. Les voir la renvoya presque un quart de siècle en arrière, quand elle même avait rencontré le père de ses enfants... Que le temps passait vite.

- Je vois que vous n'avez pas attendu mon avis sur la question, déclara-t-elle. Mais il est de toute évidence inutile. Puissiez-vous être heureux le plus longtemps possible.

Elle confia avec ces mots la main de Linaëlle à Adam dans un geste aussi solennel que tendre. Le jeune homme entrelaça ses doigts à ceux de sa fiancée mais retint ceux de la Régente de sa main libre pour y déposer un baiser léger. La femme sourit devant cette marque de respect désuète et regarda avec affection sa fille s'appuyer sur l'épaule de son soupirant.

- Pouvons-nous reprendre maintenant ? demanda Amalicia.

Linaëlle manqua de sursauter. La magicienne s'était complètement effacée durant la scène, mais sa remarque polie signifiait gentiment qu'il était temps d'abréger la séance émotion.

- Oui, évidemment, veuillez-nous excuser, Til'Amalicia, que veniez-vous nous annoncer ? rebondit la Régente.

La mention de son titre de Haute-magicienne fit grimacer la femme mais elle s'abstint de toute remarque face à la dirigeante d'Elmakan.

- Une nouvelle qui va accrocher un sourire encore plus grand sur le visage de votre fille, si cela est possible.

- Ils ont accepté ? s'émerveilla la jeune fille.

- Tiens, fit-elle en lui tendant une bourse soigneusement fermée qui pendait à sa taille.

Linaëlle se saisit de l'objet et dénoua les cordons pour s'emparer d'un bracelet métallique qu'elle s'empressa de passer à son poignet gauche. Le Tirfamil se réchauffa aussitôt et la jeune fille sentit les symboles gravés à sa surface s'incruster dans sa peau. Elle tendit prudemment son esprit vers l'objet et la forme de conscience que l'artéfact possédait s'agrippa aussitôt à sa conscience. Laissant sa Dragonne faire connaissance avec ce nouveau morceau d'elles, elle adressa un immense sourire à la Directrice qui l'observait attentivement prendre contact avec le bracelet.

- Je ne sais comment vous remerciez...

- Continue d'éduquer tes élèves, c'est tout ce que je te demande, l'interrompit la magicienne. « La magie qui les a fait grandir semble être celle des Dragons, ce qui me pousse à continuer de croire qu'ils auront un rôle important à jouer tôt ou tard. »

« Les Dragons ? » répéta Linaëlle.

Un souvenir de Noham lui murmurant que ses frères lui avaient fait un cadeau lui revint en mémoire. Ainsi c'était donc ça. Pourquoi avaient-ils jugé cela nécessaire, la jeune fille l'ignorait, mais elle retournerait voir le Premier, c'était certain, il lui restait trop de choses à apprendre.

Elle fut interrompu dans ses réflexions par une question de sa mère.

- Les Tirfamilï sont d'anciens artéfacts magiques dont la recette s'est malheureusement perdue, répondit Amalicia. Ils peuvent emmener leur propriétaire ainsi que tous ceux qu'il désire instantanément d'un bout à l'autre du continent. Il existe seulement deux limites à leur utilisation. Premièrement, leur temps de recharge est proportionnel au nombre d'utilisation sur une journée. Si il est utilisé une fois, il sera disponible le lendemain, deux fois, le surlendemain et ainsi de suite. Deuxièmement, il faut que le porteur soit déjà allé sur les lieux où il veut se téléporter.

- Je comprends pourquoi tu désirais tant en posséder un, admit la Régente en se tournant vers sa fille. Avec ceci, tu pourras venir ici, aller à Dopalis et à Olmetho sans perdre de temps.

- Néanmoins, il lui faudra quelques jours avant de pouvoir l'utiliser, le temps que l'artéfact et elle s'accorde, nuança la magicienne.

Meriem hocha la tête, un peu éblouie malgré tout par ce simple objet capable de lui ramener sa fille plus vite que n'importe quel moyen de transport.

- Bien, je vais vous laisser, si je reste trop longtemps loin de Dopalis, il risque d'y avoir une catastrophe, s'exaspéra la magicienne.

Elle partit telle une bourrasque, après un salut à la Régente qui la suivit plus modérément pour affronter une nouvelle journée à la tête de l'Empire.

- Adam...

- Oui, princesse ?

- Il faut que je t'avoue quelque chose...


Plop tous ! début d'un nouveau chapitre, qui s'annonce une peu plus calme que les précédents (enfin on l'espère !). Linaëlle commence à dominer la situation, et je pense que vous savez ce qu'elle veut avouer à Adam ;).

Bon, je tiens à signaler que je pars en vacances trois semaines à compter de demain, et que j'ai par conséquent décidé de ne pas poster de chapitres pendant ce temps là. Je serais toujours là pour lire et répondre à vos commentaires, mais je tiens à profiter de mes vacances avant la rentrée. La suite sera donc postée le 31 aout, sauf changement de dernière minute.

Voilà, un gros bisous à vous et à dans trois semaines donc, ou à bientôt si on se croise dans les commentaires, ici ou ailleurs.

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