Chapitre 30 : Mise au point (partie 2)

Sa marquée ne la laissa pas finir sa phrase. Elle se colla à elle et la réduisit au silence en l'embrassant. Durant quelques secondes, Delthéa se laissa faire avant de la repousser.

- Je n'ai pas besoin de ta pitié.

- Pensez-vous réellement que c'en est ? souffla la jeune fille.

Elle posa de nouveau ses lèvres sur les siennes mais Delthéa posa fermement sa main sous sa gorge et s'écarta.

- Arrête, il ne faut pas.

- Mais pourquoi ?

- Parce que c'est impossible, nous ne vivons pas sur le même plan d'existence, Linaëlle.

- Votre frère est bien marié à une elfe ! Et vous avez déifié Suprak et Tilia vous-même ! protesta la jeune fille.

- C'était avant les règles établies par Dagmar.

- Depuis quand avez-vous besoin de son autorisation pour faire quelque chose ?

- Adam sera...

- Arrêtez de le prendre pour prétexte ! Il ne vous est pas venu à l'esprit que je puisse vous aimer tous les deux ?!

Cette réflexion moucha sa protectrice. Non, elle n'avait jamais pensé à une telle chose. Elle n'aurait même pas imaginé qu'elle puisse l'aimer après tous les autres qui l'avait repoussée. Eladriel l'avait pourtant prévenue qu'elle était imprévisible, qu'il existait une chance pour elles, mais elle avait refusé d'y croire.

- Alors tu ..? hésita la Déesse.

- Je vous aime autant que lui, et depuis plus longtemps. Ne pensez-vous pas que nous aurions eu cette conversation plus tôt dans le cas inverse ?

- Cela ne change rien au fait que notre relation demeure impossible, insista Delthéa.

- Dans dix ans...

- Tu survivras et tu auras une vie heureuse avec ta famille, la coupa sa protectrice.

- Et si je meure ? la provoqua Linaëlle. Vous me laisserez rejoindre mes ascendants et vous resterez seule jusqu'à ce que vous tombiez à nouveau amoureuse de quelqu'un et que le cycle se répète ? Comme avec les autres avant moi ? Combien de fois supporterez-vous cela ?

- Assez ! s'exclama-t-elle en se détournant.

- Non pas assez ! répliqua la jeune fille. Vous voulez mon bonheur, je veux aussi le vôtre ! Et savoir que vous refusez parce que vous vous pensez condamnée à être seule et malheureuse m'horripile !

- Cesse de lire dans mes pensées !

- Alors expliquez-moi ! exigea Linaëlle en l'attrapant par l'épaule.

La Déesse se retourna brusquement et la plaqua contre elle, amenant leurs visages à quelques centimètres l'un de l'autre.

- Comprend-moi bien, chuchota-t-elle. Vouloir embrasser une vie éternelle, cela signifie renoncer au repos des mortels et ne plus revoir tes proches. Tu es très attachée à eux, je sais à quel point. Noham a accepté d'être le gardien des mémoires des Dragons car il ne craignait pas la solitude, les autres ne partageaient pas mes sentiments et peu ont su que je les aimais. Toi, Linaëlle, ton cas est différent. Certes, je pourrais te déifier peu importe les protestations de Dagmar. En revanche, il te sera impossible de revenir en arrière. Dans ces conditions, ton amour pour moi résistera-t-il aux siècles qui passeront sans le remord d'avoir abandonné les tiens ?

Linaëlle déglutit, elle n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle. Son silence amena un sourire triste et beaucoup de regrets dans les yeux de sa protectrice qui la relâcha doucement et s'éloigna.

- Tu vois ? Il vaut mieux oublier cela. Ce n'est bon ni pour toi ni pour moi.

- Mais... je... balbutia sa marquée.

La jeune fille se sentait perdue. Elle avait perdu une occasion de se taire en avertissant sa Déesse qu'elle savait qu'elle l'aimait, et surtout que c'était réciproque. Autant ses sentiments pour Adam s'étaient révélés très vite, autant il lui avait fallu du temps pour comprendre qu'elle ne voyait plus Delthéa comme sa protectrice et confidente, mais comme une femme qu'elle aimait au delà de toutes les barrières qui pouvaient se dresser entre elles. Malheureusement, si elle partageait ses sentiments, la Déesse refusait que leur relation s'engage sur ce sentier, quitte à réduire son cœur en miettes. Au fond, Linaëlle comprenait qu'elle ait peur qu'elle préfère ses amis et sa famille à elle. Néanmoins, ce choix méritait réflexion, ce qu'elle refusait de lui accorder.

- Lin' ? Linaëlle ? Eho, c'est pas le moment d'hiberner !

La voix dans le lointain fit sursauter la jeune fille.

- Tu dois te réveiller, Afrymia, lui annonça Delthéa.

- Je... Tu... Nous n'avons pas fini cette conversation, l'avertit sa marquée.

- Il n'y a rien à dire de plus, je ne te séparerais pas de ceux que tu aimes.

- Crois-tu qu'on ai pu lui lancer un sort ? Il est étrange qu'elle dorme aussi profondément, résonna la voix de Reina plus proche.

- Retourne chez toi, souffla la Déesse.

- Pas avant de t'avoir convaincue de nous donner une chance, gronda Linaëlle en se jetant presque sur elle.

La jeune fille s'agrippa à ses épaules pour l'embrasser à pleine bouche. Un baiser passionné, exigeant, auquel Delthéa ne put s'empêcher de répondre aussi ardemment, les yeux clos. Elle ne pouvait pas résister à ça, elle en avait besoin depuis trop longtemps. L'alerte de son esprit fut balayée par la vague de sentiments inconnus qui la submergea. Quelques minutes de bonheur volé durant lesquelles elle oublia tout et profita de ces sensations toutes neuves.

Néanmoins, sa raison se rappela vite à elle. Elle ne pouvait pas, ne devait pas faire ça ! Non seulement elle abusait de la confiance de sa marquée, mais elle mettait en péril son avenir. Dans un effort de volonté, elle rompit le contact.

La Déesse inspira profondément, rouvrit les yeux en caressant les joues de la jeune fille qui ouvrit à son tour de grands yeux plein d'amour. Son regard transperça le cœur de Delthéa et elle se sentit flancher. Rassemblant son courage, elle lui vola un dernier baiser avant de la pousser en arrière. Sa marquée ouvrit de grands yeux étonnés quand elle bascula dans le vide, et disparut dans la seconde.

Aussitôt, elle se maudit de sa propre faiblesse. Bien sûr que Linaëlle se doutait des sentiments qu'elle éprouvait pour elle, elle comptait parmi les plus puissants mages d'auras de ce siècle. Mais cette relation ne pouvait exister, elle en était convaincue. Le point positif était qu'elle avait regagné la confiance de la jeune fille et que celle-ci ne lui en voulait plus.

- Je suis désolée, Afrymia, mais l'une d'entre nous doit être raisonnable pour deux, murmura-t-elle dans le vide.

Linaëlle se redressa d'un seul coup en criant. Son cœur battait trop vite dans sa poitrine et la tête lui tourna aussitôt. Elle se prit la tête à deux mains, ferma les yeux, cherchant à stabiliser le lit qui tanguait bien trop fort à son goût.

- Enfin te voilà ! Que t'es-t-il arrivée, mon petit ? s'inquiéta une voix.

Comme le monde n'avait pas l'air de vouloir arrêter de tourner, la jeune fille se rallongea et tenta de reprendre son souffle. À peine installée, elle sentit deux mains usées se poser sur son visage.

- Linaëlle ?

Elle reconnut Reina au son de sa voix.

- Oui, articula-t-elle péniblement.

- Comment te sens-tu ?

- J'ai l'impression d'avoir fait un tour dans un tourbillon glacé, gémit la jeune fille.

- Veux-tu que j'appelle un guérisseur ?

- Non, laissez, je vais m'en remettre.

En effet, les vertiges se dissipaient déjà tandis que son cœur consentait à ralentir le rythme. Quelques instant plus tard, Linaëlle ouvrit les yeux pour découvrir le visage ridée de sa gouvernante. Elle s'empressa de lui sourire pour la rassurer et se redressa lentement. Les yeux clairs de la vieille femme ne la quittaient pas tandis qu'elle posait les pieds sur la descente de lit et se levait prudemment.

- Vous voyez ? Tout va bien, déclara Linaëlle.

- Tu mens toujours aussi mal, fit Reina en secouant la tête, lèvres pincées. Viens donc déjeuner et m'expliquer ce qui t'arrive. Tout le monde s'inquiète pour toi.

Avec l'impression de s'être fait réprimandée comme une petite fille, Linaëlle s'exécuta. Il y avait suffisamment à manger pour quatre sur la petite table du salon et la jeune fille se régala jusqu'à être repue. L'excuse d'une insomnie et de cauchemars paru convaincre Reina qui l'avertit qu'elle devait rencontrer le Saltieravo et plusieurs autres responsables de l'Archiduché de l'Ouest cet après-midi. Elle se permit une grimace à l'évocation de certains noms qui apprit à sa protégée tout le bien qu'elle pensait d'eux. Puisque la onzième heure avançait, il restait peu de temps à Linaëlle pour se préparer à cette rencontre. Elle se mit au travail dès que Reina consentit à admettre qu'elle ne risquait plus de faire un autre malaise.

Le Saltievaro étant par traduction littéral le grand majordome, la jeune fille avait supposé qu'il serait son premier et seul interlocuteur. La personne occupant cette charge devait gérer les affaires courantes du royaume ou du domaine et laissait les décisions importantes au Roi ou tout autres nobles. Du moins, cela se déroulait ainsi à Malatir. Hors il s'avérait que dans le système elmakais, cette personne se plaçait sur un pied d'égalité avec le Grand Argentier, le Général des Armées et le Haut-prêtre.

Se demandant comment un imbroglio pareil pouvait maintenir un pays à flots, Linaëlle entreprit de consulter les rapports que sa mère possédait sur chacun d'entre eux. Les pages couvertes d'une écriture élancées et élégantes s'interrompaient parfois pour laisser place à des feuillets manuscrits sur lesquels s'inscrivait invariablement un dragon stylisé, enroulé sur lui-même. Elle sourit en reconnaissant la patte des agents de Romain, renonçant à s'interroger sur la manière dont les parchemins étaient parvenus jusque dans les dossiers privés de la Régente.

Il s'avéra que les quatre hommes passaient plus de temps à se disputer le pouvoir pour savoir qui dirigeraient les autres qu'à faire leur travail. La jeune fille ne comprenait même pas pourquoi le Haut-prêtre se mêlait des affaires d'état, et espérait qu'elle parviendrait à mettre rapidement bon ordre dans tout cela.

Quand Fiona la rejoignit vers la treizième heure, elle s'avança dans son dos et posa ses mains sur ses tempes, soulageant sa suzeraine de la migraine qui pointait son nez suite à son réveil mouvementé et à la masse d'informations qu'elle venait d'avaler.

- Tu sais que je t'aime, toi ... soupira Linaëlle en se renversant dans son siège pour la regarder.

- Ça fait toujours plaisir à entendre, s'amusa la magicienne. Alors, tu envisages une stratégie pour mater la meute affamée ?

- J'envisageai les coups de pieds aux fesses, annonça la jeune fille en haussant un sourcil.

Fiona gloussa, mit fin au traitement magique et s'appuya sur le bord du bureau.

- Non plus sérieusement, quand tu fais cette tête-là, c'est que quelqu'un va en prendre pour son grade, devina Fiona.

- Il va falloir qu'ils comprennent que je ne me laisserais pas mener par le bout du nez, et qu'ils ont intérêt à filer droit et à faire ce que je dit. L'Archiduché de l'Ouest est celui qui a le plus grand potentiel de ressource, les mines d'Elifta, les grandes plaines agricoles au centre du pays, l'axe commercial de la Grande Route, et regarde moi ça ! Depuis dix ans, famines, maladies, criminalité en hausse perpétuelle, routes mal entretenues, économie à ras de terre, parce que ces vieux bonhommes grincheux préfèrent comploter les uns contre les autres !

- Calme-toi, tu ne peux pas débarquer dans la salle de réunion et leur rugir dessus comme ton père le fait à Malatir, ça ne fonctionnera pas.

- J'aimerais tellement, mais tu as raison, ils s'empresseraient de trouver un moyen de se débarrasser de moi. Ce qu'il faut c'est m'imposer et trouver une menace qui aura de l'effet sur eux, tout en leur laissant assez de marge de manœuvre pour qu'ils n'aient pas envie de me découper en tranche, bien que je doute qu'aucun d'entre eux en soit capable. Si seulement la Directrice pouvait me garantir un Tirfamil, je pourrais utiliser cet argument pour pouvoir les contrôler à tout moment... Ou alors...

Elle se tut et Fiona eut un sourire en coin. La magicienne pouvait presque voir les pièces du casse-tête se mettre ne place dans l'esprit de sa suzeraine tandis qu'elle réfléchissait. Brusquement la jeune fille se redressa et attrapa un des nombreux volumes sur son bureau. D'après le titre, il s'agissait des lois concernant les hauts responsables du Royaume.

- Ah ! J'ai trouvé ! s'exclama Linaëlle, ravie.

- Quoi donc ?

- Lit ! lui ordonna-t-elle en lui tendant le livre, le pouce posé sur un endroit précis.

- Il est accordé au nouveau Régent d'un Archiduché de remplacer les membres de son Conseil par leurs successeurs désignés ou toutes autres personnes qu'il estimera digne de remplir les postes à pourvoir, lut Fiona. Les conseillers précédents seront mis à la retraite et écartés de tout poste à la Cour...

- Et le reste ne nous intéresse pas, la coupa sa suzeraine. Cette loi a été écrite à l'époque des guerres civiles d'il y a cent cinquante ans environ quand les grandes familles se disputaient les terres du Sud. Je suis presque sûre qu'ils ignorent que je la connais. Hors cela me permet de les priver de toute influence politique, et cela ils le refuseront. Ce n'est pas l'idéal, ajouta-t-elle comme son amie fronçait des sourcils sceptiques, mais dans un premier temps, ils se tiendront à carreau. Ils auront trop peur que je ramène des Malatiriens pour gérer le domaine. Ensuite, quand je connaitrais mieux les membres de la Cour et les responsables du personnel, je pourrais les remplacer si besoin.

- Adaptabilité comme dirait ton père. Je te laisse gérer l'aspect politique, moi je m'assure que personne ne t'attaque dans le dos pendant que tu es occupée.

Linaëlle hocha la tête, distraite. Mentalement elle était déjà dans la salle de réunion.


Plop ! Voici la suite du chapitre 30 ! On retrouve Linaëlle décidément bien occupée entre ses histoire de cœur et son nouveau rôle. D'ailleurs les deux semblent lui poser des soucis ! Espérons qu'elle va réussir à gérer les deux.

Sinon, n'oubliez pas, une petite étoile, voir même un commentaire pour les moins timides, ça fait toujours plaisir ^^. Promis je ne mords pas !

Sur ce, bisous à tous et à la semaine prochaine !


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