Chapitre 30 : Mise au point (partie 1)

La journée s'écoula paisiblement. Linaëlle communiqua mentalement avec ses élèves, qui s'habituaient de plus en plus à leur nouveau corps, et ses proches à Malatir. S'ensuivit une promenade dans les jardins avec Azra, puis elle tint compagnie aux deux réfugiées qui se remettaient doucement de leurs épreuves... Pas de rencontres importantes, de fêtes ou quoi que se soit. Sa mère avait insisté pour qu'on la laisse en paix et ce n'était pas pour lui déplaire. Néanmoins elle devrait bientôt rencontrer les membres les plus importants de l'Archiduché de l'Ouest, qu'elle devrait régenter pendant presque huit ans, jusqu'à la majorité de sa sœur.

Quand elle s'était étonnée que sa mère n'assure pas le rôle après la majorité de Manoël, elle lui avait rappelé qu'elle aurait alors atteint la sienne puisque celle pour diriger un Archiduché demeurait fixé à vingt-et-un ans. La loi ne permettait pas à Meriem de lui reprendre son autorité ainsi acquise. La jeune fille avait soupiré devant l'absurdité et le manque de souplesse des textes juridiques, mais ne pouvait que s'y soumettre.

Dans l'après-midi, la Directrice Oth'Ferim répondit à son appel et Linaëlle put l'avertir de la situation de Gwendolyne. La magicienne se montra vivement intéressée par l'existence de cette jeune femme et de son futur enfant, intriguée par le fait qu'ils aient hérité du potentiel magique de leur ascendant. En revanche, la présence de l'elfe ne la surprit nullement, ce qui conduisit la jeune femme à se demander combien de volumes pourrait-on écrire avec les secrets que possédait la femme. Amalicia lui assura qu'elle contacterai Richard Gim'Tayan, puis abandonna Linaëlle pour s'occuper d'affaires urgentes.

En fin d'après-midi, elle disputait une partie d'Otrik avec Fiona, ravie de passer du temps avec son amie, quand la Régente entra, laissant son escorte tenir compagnie à celle de sa fille à la porte.

- Votre Excellence, la salua Fiona en se levant.

- Reste assise je t'en prie, j'ai assez de personne qui me font des courbettes toute la journée, l'interrompit la femme d'un geste de la main.

Linaëlle en revanche se leva pour embrasser sa mère et coller un instant son front au sien. Elle la sentait fatiguée et tendue et lui envoya par ce contact une vague de calme et d'amour. Quand elle se détacha, sa mère lui sourit avant de poser un regard intrigué sur la table de jeu.

- Qu'est-ce que ceci ? interrogea-t-elle.

- C'est un plateau d'Otrik, la version enchantée bien sûr, l'éclaira la jeune fille. C'est un jeu malatirien.

- Je n'ai jamais entendu parler de ce jeu, s'étonna Meriem.

- Le principe est fort simple, chaque joueur possède quatre pions qui doivent parcourir une fois chacun les quatre cercles concentriques que vous voyez. Le plus grand possède soixante-quatre cases, le suivant quarante-huit, celui d'après trente-deux et le dernier seize. On commence avec une pièce, puis quand celle-ci a parcouru trente-deux cases, on en libère une autre et ainsi de suite jusqu'à ce que toute les pièces soient en jeu. En début de partie, chaque joueur tire un dé à huit faces pour savoir par quel cercle il doit commencer. Le dé coloré est lancé quand une des pièces tombe sur une case spéciale, vert ou bleu, l'effet est négatif, violet ou orange, il est positif. Fiona vient de tomber sur une case spéciale, donc elle doit lancer le dé.

La magicienne s'exécuta et lança l'objet à huit faces. Celui-ci tomba sur l'une des faces bleue et une vague illusoire balaya la table, faisant reculer la pièce concerné de cinq cases.

- Une petite vague, commenta Linaëlle.

- Oui, mais c'est jamais agréable, râla Fiona.

- Jusqu'à combien peut-on jouer ? se renseigna la Régente.

- Huit. C'est surtout un jeu de hasard, mais ça permet de faire passer le temps de façon agréable, lui apprit sa fille.

Curieuse, la femme les regarda terminer la partie, remportée de peu par Fiona, avant d'en disputer une seconde avec elles, qu'elle gagna. L'heure du repas approchait et Linaëlle lui fit remarquer, mais elle la rassura aussitôt :

- Nous n'avons exceptionnellement aucune obligation pour dîner ce soir, je pense qu'Azra et nos deux invitées seront ravies de manger puis jouer avec nous.

Elles convinrent de prévenir les autres qui s'empressèrent d'accepter. La soirée se déroula sans accrocs, entre rires et exclamations faussement contrariées. Alors que tous le monde se retirait pour la nuit, Illiana s'attarda un instant.

- Il semblerait que tu te soit réconciliée avec ta Déesse, commenta-t-elle.

- Effectivement, même si nos différends ne sont pas encore tous réglés. Elle m'a dit que tu savais des choses qui pouvaient m'être utiles contre les Tfigunï, confia Linaëlle.

- Je n'ai jamais combattu contre eux, et je ne me suis jamais vraiment intéressée à ces créatures. J'ignore en quoi je pourrais t'aider, petite sœur.

- Je ne suis pas plus avancée que toi, soupira la jeune fille. Si jamais tu penses à quelque chose, n'hésite pas à m'en faire part.

- Je vais réfléchir à tout cela, approuva l'elfe avec un mouvement du menton. Bonne nuit.

- Bonne nuit, Illiana.

Linaëlle avait à peine posé la tête sur l'oreiller qu'elle se sentit aspirée vers l'inter-monde. Elle ouvrit les yeux dans cet endroit immaculé la tête pleine d'interrogations. Elle s'installa sans un mot à côté de sa protectrice, qui posa sa tête  sur son épaule.

- Par quel sujet commençons-nous ? lui demanda doucement celle-ci.

- Avez-vous réellement abandonné les Tfigunï à leur sort ? attaqua directement sa marquée en s'éloignant pour pouvoir la regarder dans les yeux.

Oui, commence donc par le sujet qui fâche.

Le beau visage de la Déesse s'obscurcit et elle soupira :

- J'ai naïvement fait confiance à mes frères ce jour-là... Je les ai cru quand ils m'ont assurés qu'il n'y avait rien de vivant sur la planète. Oui, je les ai abandonnés en faisant preuve de négligence, car déjà à l'époque je ne voulais pas voir les défauts des deux seuls êtres qui me ressemblaient... J'ai commis une erreur qui leur coûtent, et à vous aussi, terriblement cher. Et mes frères n'ont jamais voulu réparer leurs torts, malgré mes demandes répétées.

- Alors pourquoi vouloir que je ferme la faille ? s'intrigua la jeune fille.

- Si il a jamais eu du bon en eux, Linaëlle, crois-moi, il a disparu depuis des millénaires. Ils sont devenus des créatures incapable de penser à autre chose qu'à s'emparer de votre monde et à l'anéantir. Leur évolution tout entière est concentrée sur cela. Le fait que celle qui a pris possession de l'Impératrice est usée de magie d'auras pour essayer de te convaincre montre qu'ils progressent de plus en plus.

- Elle a utilisé la magie sur moi ?!

- Bien sûr, comme elle le fait depuis des années pour soumettre Daniela, Hamir... Comme elle l'a fait avec ta mère également, mais celle-ci s'en est heureusement rendu compte puisqu'elle ne lui portait aucun sentiment.

- Donc tout ce qu'elle m'a dit à propos de cette histoire de vivre ensemble...

- C'est impossible, lui assura fermement la Déesse.

Vraiment ?

- Vous ne les connaissez pas, c'est facile d'accuser sans preuves, bougonna Linaëlle.

- Je t'en prie, Linaëlle, chasse-la de ton esprit. Elle te manipule... Ne crois pas à ses mensonges.

Et ses mensonges à elle, hein ?

- L'intégralité de ce qu'elle m'a révélé est donc faux ?

- Certaines choses sont vraies, avoua la Déesse.

- Comme ?

- Comme le fait que tu es Tis'shamar et qu'il est probable que refermer la faille te tuera, soupira-t-elle en détournant les yeux.

- Donc vous me sacrifiez pour réparer vos erreurs...

Exactement.

- Parce que je n'ai pas d'autre choix ! s'exclama Delthéa. Si je pouvais le faire moi-même, je le ferai sans hésiter. Ta mort est la dernière chose que je souhaite, malheureusement, c'est un risque à prendre pour sauver Arkholis. Néanmoins, tu es libre de choisir de ne pas lutter contre eux et de ne pas sceller la faille, et personne ne pourra t'y forcer parce que tu es Tis'shamar. Tu pourras alors admirer le résultat des manipulations de celle qui possède ta tante.

Linaëlle secoua la tête, quelque chose clochait, sa Dragonne le savait et grondait dans sa poitrine.

Elle n'a pas de preuve, elle ment sur nos intentions, elle viens de t'avouer qu'elle ne feras rien pour t'empêcher de mourir...

- Ne vois-tu donc pas ce qu'ils essayent de faire ? s'écria soudain sa protectrice en bondissant sur ses pieds. Ils veulent te séparer de moi ! Sans ma protection, ils pourront te tuer dans l'instant et saccager ton monde ! Et les autres Dieux ne feront rien car Dagmar a décidé que vous pouviez disparaître pour qu'il recrée un monde meilleur où les gens le vénèreront sans poser de questions ! Je refuse que cela t'arrives, je refuse que cela vous arrive à tous, tu m'entends ! Arkholis est ma création, ma responsabilité, et je dois les regarder la détruire sans rien pouvoir faire !

Poings serrés, au bord des larmes, elle tremblait en la regardant. La jeune fille resta muette, soufflée par la détresse qui émanait de sa protectrice.

Parce qu'elle sent que tu lui échappes, murmura la voix de sa tante. Ne te laisse pas avoir...

Linaëlle se prit la tête à deux mains. Depuis quand cette voix lui chuchotait-elle à l'oreille sans qu'elle s'en rende compte ? Sa partie animale rugit en repoussant la voix, déchirant le voile qui obscurcissait ses pensées et sa magie. Avec un hoquet, elle se rendit compte que Kadsuan avait bloqué sa capacité à distinguer le mensonge de la vérité. À pleine vitesse, les quatre derniers jours défilèrent dans son esprit, tandis que sa magie traitait les informations. Une fois ce retard rattrapé, elle perçut clairement les mensonges de l'ex-Impératrice et surtout l'honnêteté de Delthéa qui semblait sur le point de s'écrouler.

- Je... Mais... Elle ... balbutia-t-elle.

Incapable d'aligner une phrase cohérente, elle se leva et enlaça sa Déesse qui soupira de soulagement en lui rendant son étreinte. Doucement la jeune fille la ramena sur le canapé, l'installa les jambes en travers des siennes et la tête sur son épaule et attendit que ces tremblements s'apaisent. La tempête de son esprit s'était dissipée, laissant un espace clair et presque serein dont elle profita pour rassembler ses pensées tandis que Delthéa reprenait des forces.

Déposant un baiser sur sa tempe, sa protectrice finit par murmurer :

- Tu m'as manqué...

- Comment ai-je pu ne rien remarquer ? s'interrogea Linaëlle.

- Ce n'est pas ta faute, c'est ta sensibilité qui te rend vulnérable à ce genre de sort.

- Hmpf... Il faudrait vraiment que j'apprenne à la contrôler.

- Tu ne peux plus, il aurait fallût que tu ais un professeur pour t'aider à développer ta magie d'aura. Mais sache qu'à part Kadsuan, peu de gens, voir personne ne peut user de cette manipulation sur toi, il faut que le mage qui lance ce sort possède une puissance supérieure à celle de sa victime.

Après un temps, elle reprit :

- Il te reste des interrogations.

Sa marquée soupira. Une part d'elle ne voulait pas continuer cette conversation éprouvante, mais l'autre réclamait des réponses... Après une hésitation, elle se lança.

- Notre rencontre était-elle vraiment dûe au hasard ?

- Elle est le fruit de ta nature, de la volonté d'Eladriel de te sauver et de la mienne d'avoir à nouveau un contact avec les humains... Elle n'a pas grand chose à voir avec la chance, mais en aucun cas cela n'a influé ma décision de te protéger et de te revoir. J'aurais pu ne pas te marquer et te laisser repartir, mais j'ai choisi d'agir.

- Pour me permettre de mourir plus tard... lui rappela Linaëlle.

- Ce n'est pas une obligation, souffla sa protectrice. Il reste toujours un espoir pour que tu survives.

- Une chance sur combien ? Cent, mille ?

- Je ne sais pas... Mais ce n'est pas pour tout de suite.

- Vous m'avez dit dix ans, commenta la jeune fille.

- Un peu moins maintenant, mais oui, confirma Delthéa.

- Comment vit-on quand on connaît la date de sa mort ?

- Je ne suis pas la mieux placée pour te répondre, mais je sais que les mortels réagissent en général de deux manières. Tu peux choisir de te morfondre, ou tu peux continuer de profiter de chaque instant et affronter ton destin sans regrets le moment venu.

- Facile à dire...

- Essaie de ne pas trop y penser, lui conseilla la Déesse.

- Comme vous le faite pour vos sentiments envers moi en ce moment ?

Pour la première fois, Linaëlle vit sa protectrice réellement surprise. Celle-ci se dégagea de ses bras pour plonger ses yeux dans les siens.

- Que racontes-tu là ?

- Je croyais que vous vouliez arrêter de me cacher des choses...

Delthéa se leva et lâcha un soupir avant de se tourner vers sa marquée qui s'était également redressée.

- Depuis quand le sais-tu ?

- Je m'en doutais depuis un moment, j'en ai eu confirmation le jour où vous m'avez appris que je devais fermer la faille. J'avais fermé les yeux ce jour-là, vous avez cru que je dormais...

- Et tu as tout entendu, compléta la Déesse en soupirant.

Comme elle restait muette, la jeune fille s'approcha et demanda :

- Vous ne comptiez pas me l'avouer, n'est-ce pas ?

- Effectivement, tu ne devais rien savoir, murmura sa protectrice en se détournant à demi.

- Pourquoi ?

- Tu as Adam, tu l'aimes, vous allez vous marier, avoir des enfants... Et puis ce n'est pas très moral, ne crois-tu pas ? Je te connais depuis que tu es enfant...

- Donc je n'ai pas le droit d'avoir un avis sur la question ? insista Linaëlle en se remettant face à elle.

- La question ne se pose même pas, tu ...

Sa marquée ne la laissa pas finir sa phrase. Elle se colla à elle et la réduisit au silence en l'embrassant.

Plop ! Ce chapitre commence bien dit donc ! (Oui je suis une auteur sadique hehe)

Sinon de mon côté je progresse tout doucement vers la fin, et du coup je dois dire que je rechigne un peu à avancer ... Mais ça va le faire ! (J'espère )

Big bisous à vous et à la semaine prochaine !

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