Chapitre 29 : Trouver son chemin (partie 1)


Plus de deux jours que Linaëlle restait enfermée dans ses appartements, ne voulant voir personne. Fiona, Meriem, Manoël avait tenté leur chance pour trouver porte close. Même Azra, en larmes, s'était vu renvoyée d'un ton sec. Même silence du côté des communications mentales, ses proches à Malatir tentait régulièrement de la joindre, mais elle refusait de leur parler, même si elle sentait la peine d'Elmira faire écho à la sienne. Delthéa n'avait pas donné signe de vie, et la jeune fille doutait, s'énervait... Elle se demandait où était la part de vérité dans ce que lui avait confié Kadsuan, dans les moments où la douleur de son cœur la laissait tranquille.

À cette douleur sourde s'ajoutait un lourd sentiment de culpabilité. Si elle n'avait pas été aussi imprudente, aussi manipulable, son frère serait encore là, et ils auraient pu visiter la ville comme il lui avait promis... Il y avait tellement de choses qu'elle aurait voulu faire avec lui, rêves éphémères balayés en un instant par une sale petite peste.

Comme toujours quand elle en arrivait à ce point de réflexion, elle sentit sa Dragonne gronder. D'un revers de pensées, Linaëlle la renvoya aux tréfonds de son esprit. Sa partie animale ne supportait pas son apathie, et tentait de la faire réagir à sa manière, mais elle n'en tenait pas compte. Dans le salon, elle avait recouvert d'un drap le portrait de famille au-dessus de la cheminée. Elle ne pouvait plus voir ces sourires qui lui rappelait la perte trop récente qu'elle subissait.

On toqua à la porte. Une fois, deux fois, trois fois... Linaëlle allongée sur son canapé, leva un sourcil pour toute réaction. L'importun semblait tenace.

- Linaëlle, ouvre immédiatement cette porte !

- Allez voir ailleurs si j'y suis ! répliqua la jeune fille, les yeux toujours fixés au plafond, sans chercher à identifier la voix qui insistait.

- Je te donne cinq secondes avant que je ne défonce le battant ! persista l'intrus.

Mais elle n'écoutait pas... Ailleurs, elle aurait bien voulu y être. Un endroit où son frère serait encore en vie.

La porte passa au dessus de sa tête et termina sa course sur le balcon, emportant la baie vitrée avec elle. Choquée, Linaëlle bondit sur ses pieds.

- Mais vous êtes malade ! hurla-t-elle en direction de l'encadrement de la porte, identifiant la Directrice Oth'Ferim.

- C'est plutôt à toi qu'on devrait adresser cette réflexion. rétorqua la femme. Puis-je savoir ce que tu fabriques, enfermée dans ta chambre comme une gamine capricieuse, quand ta mère et ta sœur ont besoin de toi ?

- J'avais envie d'être seule...

- Et cette envie implique aussi le fait de ne pas te nourrir, de ne pas t'habiller et de passer la journée à se morfondre ? Tu veux qu'on célèbre deux enterrements au lieu d'un ?

- Allez vous faire foutre ! Vous n'avez pas de reproches à me faire ! Vous n'avez aucune idée de ce que je vis en ce moment !

La baffe magistrale qui suivit sa tirade lui coupa le souffle et l'envoya valser dans le canapé.

- Premièrement, tu vas employer un autre vocabulaire quand tu t'adresses à moi, jeune fille ! Deuxièmement, je te signale que je suis ta supérieure hiérarchique et que je suis dans mon plein droit en ce qui concerne les reproches. Et troisièmement, ne connaissant rien de ma vie privée, je te conseille de cesser tes suppositions douteuses. Maintenant, faut-il que je recommence avec l'autre joue ou peut-on s'exprimer comme des personnes civilisées ?

La tirade de la magicienne n'avait fait qu'accentuer le tourbillon d'émotions qui couvait dans son cœur. Colère, culpabilité, doutes, tristesse trouvèrent soudain une porte de sortie et se déchainèrent sur la cible qui se trouvait devant eux. Un premier poing vola dans la direction de la Directrice, suivit par une pluie de coups plus violents les uns que les autres.

La jeune fille ne sut jamais combien de temps elle passa à libérer ses émotions. Vidée, elle tomba à genoux aux pieds de la femme qui la regardait, les bras croisés, indemne derrière son bouclier qui ne tremblait même pas.

- C'est bon ? Ça va mieux ? demanda-t-elle.

- Comment voulez-vous que ça aille ?! Elle l'a tué et je n'ai rien fait ! hurla Linaëlle avant d'éclater en sanglots.

- Ah, je me disais aussi, souffla Amalicia avant de la rejoindre au sol pour la laisser pleurer sur son épaule.

De longues minutes plus tard, alors qu'elle se calmait enfin, elle se rendit compte de l'incongru de la situation. Que faisait la magicienne ici, à Falm, en train de la consoler ?

- Il fallait quelqu'un pour te provoquer et te sortir de ta léthargie, répondit Amalicia qui suivait le cours de ses pensées. Quelqu'un de suffisamment proche de toi pour te faire réagir mais contre qui tu pourrais te défouler si besoin.

- Je vais passer pour une sauvage, renifla Linaëlle en frissonnant sous la fraîcheur de l'air qui pénétrait par la fenêtre brisée.

- C'est possible, admit la magicienne en lui tendant un mouchoir.

La jeune fille tamponna ses yeux et souffla dans le carré de tissu. Pour la première fois depuis deux jours, elle avait faim, froid, mal à la tête et terriblement envie d'un bain. Elle s'interrogeait également sur le devenir de sa mère et de sa sœur, qui devaient s'inquiéter pour elle.

- Dans un premier temps tu vas prendre un bain et manger quelque chose, tu ressembles à une vieille loque sale et desséchée, la réprimanda doucement la femme. Ensuite, nous irons les voir.

Linaëlle opina et s'exécuta, sous l'œil vigilant de sa supérieure qui ne la quitta des yeux que pour lancer un sort afin de réparer la porte et la vitre brisée. En croisant son reflet dans le miroir, la jeune fille eut presque un mouvement de recul. Teint livide, cernes noires sous les yeux, cheveux sales en bataille, elle se dépêcha de plonger dans l'eau chaude pour faire disparaître ce reflet qu'elle ne connaissait pas.

Une fois propre, repue, et habillée d'un robe vert forêt simple mais élégante, Amalicia l'accompagna jusqu'à la porte des appartements de la Régente. Une légère appréhension noua la gorge de Linaëlle quand elle passa la porte. Sentiment qui se dissipa immédiatement quand Meriem se précipita pour l'enlacer sitôt la porte franchie.

- Linaëlle... souffla-t-elle avant de coller son front au sien.

Le lien lui transmit alors toute l'inquiétude, la peine et la peur de sa génitrice, mais aussi son amour pour elle et la volonté qui l'aidaient à ne pas flancher. Dans un éclair de lucidité, elle comprit que c'était là que résidait la force de celle qui gouvernait aujourd'hui l'Empire. Sa culpabilité et sa colère fondirent comme neige au soleil sous la chaleur de l'affection que lui transmettait sa mère. Apaisée, elle usa de sa magie et du lien pour les soulager toutes les deux du deuil qu'elles devaient affronter.

- Je vous demande pardon, je ne voulais pas... commença-t-elle

- Ce n'est rien, maintenant tu es là, et c'est tout ce qui compte.

Linaëlle laissa échapper un nouveau sanglot et se blottit contre sa mère dont les larmes coulaient en silence. Elles passèrent un long moment dans les bras l'une de l'autre, à se consoler. Malheureusement la Régente avait des impératifs et dû laisser Linaëlle, les yeux rougis, aux soins de Fiona, trop heureuse de pouvoir de nouveau prendre soin de sa suzeraine. Amalicia s'était empressée de rentrer à Dopalis, car on ne pouvait se passer longtemps d'elle là-bas.

- Tu m'as fait peur, lui chuchota sa vassale à l'oreille en la serrant dans ses bras.

- J'en suis désolée, Fio...

- C'est moi qui devrait m'excuser, se désola son amie. Si je n'avais pas foncé tête baissée dans le piège de Daniela sans réfléchir...

- Ne dit pas de bêtises, tu n'y es pour rien, l'interrompit la jeune fille. Au fait où est-elle ?

- Daniela ? Dans son lit en train de se remettre de sa collision avec le mur, ironisa la magicienne. Elle a eu plusieurs os fracturés dans la région de l'épaule et une jolie bosse sur le crâne. Elle n'a pas encore repris conscience malgré les soins des guérisseurs, mais ils sont plutôt optimistes quant à son rétablissement.

- Au moins elle n'a pas pu nuire à qui que se soit pendant ce temps...

- Lin', à propos de ce qu'il s'est passé... Kadsuan a évoqué certaines choses... hésita Fiona

- Tu parles de Delthéa, je suppose, soupira sa suzeraine.

- On aurait dit que tu la connaissais...

- C'est le cas, l'éclaira Linaëlle. Elle m'a guérit du venin d'Ordeth quand j'étais enfant et elle vient souvent me rendre visite dans mes rêves, elle veille sur moi et je lui dois l'étoile sur mon épaule... Je pensais que cette chance n'était dû qu'au hasard mais maintenant... Je ne sais plus.

- Étrange... J'ai toujours cru que c'était ici qu'on t'avait tatoué. Enfin je n'ai pas souvenir de t'avoir posé la question mais...

- Oui, c'est un phénomène que j'ai remarqué, les gens savent qu'elle existe mais ne s'interrogent pas plus que ça sur son origine. Ça m'évite de devoir trouver une histoire pour justifier sa présence. Encore une cachotterie qu'elle m'a faite... souffla la jeune fille.

- Elle a peut être de bonnes raisons... Quel genre de relations entretenez-vous ? interrogea son amie.

- Amicale jusqu'ici. Je dirai même qu'elle a un côté protecteur, un peu comme une grande sœur... Du moins, je la voyais ainsi avant.

- Tu en as de la chance d'avoir une protectrice comme elle. À ta place, je ne jugerais pas trop vite...

- Elle m'a menti et elle a laissé Daniela tuer Jayden ! s'emporta Linaëlle.

- Ce n'est pas en t'énervant que tu vas trouver le fin mot de cette histoire, la calma Fiona. Kadsuan a peut être menti aussi.

La jeune fille secoua la tête, lassée. Elle ne pouvait pas lui dire qu'elle escomptait revoir son frère une dernière fois dans l'inter-monde comme pour Manahau à l'époque de son adoption. Elle avait attendu, mais le lieu lui demeurait interdit. Cela ne faisait qu'ajouter à la rancune qu'elle entretenait envers la Déesse. Et les propos de l'ancienne Impératrice avait sonné tellement justes, tellement vrais... Linaëlle se sentait perdue, elle savait qu'il lui manquait encore des pièces du casse-tête, mais ignorait où les trouver.

Elle fut interrompu dans ses réflexions par une chevelure blonde qui vint envahir son champ de vision. Elle reconnut presque immédiatement le parfum sucrée d'Azra et enlaça l'enfant qui retenait ses larmes, s'installant avec elle sur le canapé. Elle ne dit rien, se contentant de caresser la chevelure semblable à la sienne.

- Tu m'aimes encore ? finit par chuchoter sa sœur.

Avec un soupir, son aînée répondit :

- Bien sûr que je t'aime, Azra, n'en doute jamais. J'avais juste besoin... de faire mon deuil autrement.

- On l'enterre demain.

- Oui, je suis au courant.

- Ça veut dire que maintenant, tu es la conservatrice d'Aërim et moi son héritière...

Linaëlle marqua un temps d'arrêt. Elle n'avait pas pensé à ça. Jayden mort, elle se retrouvait à la tête de l'Archiduché jusqu'à la fin de la Régence, puisque sa mère ne pouvait assurer les deux postes. Voilà qui allait singulièrement lui compliquer la vie... Et faire courir bien des rumeurs sur la mort de son frère. Il lui restait treize jours avant de rentrer à Dopalis, entre temps, il lui faudrait trouver une solution pour pouvoir gérer le domaine à distance. Et pour ce faire, elle ne voyait qu'une seule solution.

« Tu en as mis du temps. Nous mettrons ça sur le compte du choc je suppose... » se manifesta Amalicia.

« Directrice, il me faut... »

« Un Tirfamil, je sais, le sujet est au programme de la réunion de demain, ainsi que de celle d'après-demain, et tous les jours jusqu'à ce que ces vieux obtus se décident à ouvrir les yeux sur la situation. »

« Merci de votre soutien. » soupira Linaëlle.

« De rien, mais je ne fais pas ça par bonté d'âme, tu le sais, c'est une occasion unique de pouvoir reconstruire des liens avec nos voisins. Peut être même les persuader de se sortir une ou deux idées idiotes de la tête, comme cette loi stupide sur l'apprentissage de la magie... »

« Merci quand même. » insista la jeune fille.

Se concentrant à nouveau sur Azra, qui attendait toujours sa réaction, Linaëlle répondit :

- Ne t'inquiète pas, je veillerais précieusement sur elle jusqu'à ce que Maman ou toi puissiez la récupérer.

- Et sur moi aussi ?

- Cela faisait déjà parti du programme avant, je ne vois pas pourquoi ça changerait.

- Je t'aime, Farima... chuchota Azra en nichant sa tête dans son cou.

- Moi aussi je t'aime, petit cœur.

Plop ! Ça y est vous n'êtes plus fâché(e)s de la mort de Jayden ? Je sais que certaines l'aimaient bien ;). Linaëlle a du mal en tout cas... (Moi aussi j'avoue mais chhht)

Bon on avance pas beaucoup dans cette partie mais promis la semaine prochaine réserve une surprise sympa aux plus assidu(e)s d'entre vous ;).

Bisous à tous et à la semaine prochaine ^^.

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