Chapitre 28 : Liens familiaux (partie 2)
- Tu es sûre que ça ira ?
- Je ne suis pas venue ici pour me cacher, ne vous inquiétez pas, je survivrais.
Meriem terminait de coiffer les cheveux de Linaëlle en un chignon tressé. La Régente s'était libérée plus tôt pour pouvoir profiter de ce moment avec la jeune fille. Si elle était ravie de la présence de sa fille, elle s'inquiétait du fait qu'elle doive à présent rencontrer les membres de sa Cour, bien moins disciplinés que ceux de Malatir. Elle croisa le regard confiant de Linaëlle dans le miroir, posa un baiser dans ses cheveux avant de demander :
- Sadima ?
La jeune fille laissa échapper un petit rire.
- Azra m'a demandé la même chose cet après-midi.
- C'est de l'ancienne langue, n'est ce pas ?
- Exact, c'est un terme qui se traduit en général par « mère ».
- Néanmoins, ce n'est pas ainsi que tu appelais Elmira, remarqua la Régente.
Linaëlle pivota sur son tabouret et se leva pour la regarder dans les yeux. La pointe de jalousie dans son aura avait déjà disparu, mais la jeune fille l'avait clairement ressentie.
- Non, je ne l'appelle pas comme ça, fit-elle un peu sèchement. Parce qu'elle n'est pas vous, et que vous ne pouvez pas être elle. La langue des elfes permet de faire de nombreuses nuances en un seul mot, quand il en faut une dizaine dans celle-ci. Sadima, veut dire mère de sang, celle qui a donné la vie. Madu, que vous m'avez entendue lui adresser, signifie également mère, mais mère adoptive, mère de droit, celle qui m'a élevée. Ce sont deux choses différentes pour désigner des personnes qui le sont aussi. Vous ne pouvez pas me demander de vous traiter de la même façon.
- Pardonne-moi, je ne voulais pas te contrarier, souffla sa mère en s'écartant légèrement.
- Vous ne me contrariez pas, c'est moi qui réagit trop vivement, la fatigue du voyage probablement, s'excusa-t-elle.
- Tu n'es pas obligée d'assister à la fête si tu n'es pas en forme, lui proposa l'Archiduchesse.
- J'irai, contra Linaëlle en s'installant sur le lit. Si je ne participe pas aux réjouissances, cela donnera lieu à trop de suppositions de la part de vos adversaires. Hors, vous n'avez pas besoin de cela en ce moment.
- Tu penses comme une héritière, nota la femme.
- J'ai été éduqué pour cela. Jusqu'à notre rencontre, j'étais plus ou moins pressentie pour hériter du trône de Malatir.
- Si je compte bien, tu es pourtant quatrième dans l'ordre de succession, s'étonna la Régente en s'installant à son côté.
- Troisième en réalité. À Malatir, les filles comptent autant que les garçons, expliqua Linaëlle. Mais ni Xavier ni Sollia n'ont les épaules pour gouverner, et ils le savent, même si ils ont reçu une éducation semblable à la mienne. Le moment venu, ils m'auraient cédés leurs droits, nous en avons longuement discuté quand j'ai été couronnée Princesse Héritière. De plus, cela permettait de garder le Sang des Dragons au pouvoir, ce qui arrangeait tout le monde. Mais les choses ont changé et il est probable que ce soit sur la tête de Cassildey que repose un jour la couronne, bien que nous n'en ayons pas encore reparlé. La succession à Malatir n'est pas une question d'ordre de naissance, mais de compétence. C'est un principe relativement récent, qui, ajouté à l'augmentation de la pratique de la magie, a obligé les souverains précédents à modifier le fonctionnement interne du pays et à...
La jeune fille s'interrompit et secoua la tête.
- Je vous parle politique et gérance un soir comme celui-ci, il ne faut pas hésiter à m'interrompre si je vous ennuie, plaisanta-t-elle.
- Au contraire je trouvais le sujet passionnant, mais tu as raison, le moment est probablement mal choisi, sourit l'Archiduchesse. Nous reprendrons cette discussion une autre fois, ajouta-t-elle en l'embrassant sur le front. Pour le moment, je dois retourner dans mes appartements.
- Eh bien, en voilà une bonne surprise, toi ici ?
- Vous aurai-je manqué, Votre Altesse Impériale ? ironisa Linaëlle.
- Je n'irai pas jusque là, mais ta compagnie est bien plus distrayante que celle de votre frère, je préfère largement t'avoir à mon côté, s'amusa Manoël.
Linaëlle venait de faire une entrée remarquée au bras de Jayden, qui l'avait rapidement conduite jusqu'à la table d'honneur. L'archiduchesse tiendrait le haut de la table, Manoël à sa droite et Jayden à sa gauche. Yaël s'assit près de son cousin, et Linaëlle se retrouva entre Manoël et Azra, elle-même en face de Daniela. La jeune fille ne put s'empêcher de couler un regard méfiant vers cette dernière qui le lui rendit. Visiblement, sa présence ne réjouissait guère l'ancienne mage d'auras.
La salle qui accueillait la réception devait facilement être deux fois plus grande que celle de Malatir. La hauteur impressionnante sous plafond, avec un sol et de larges piliers sculptés en marbre, ajoutaient encore à l'impression d'immensité de la salle. D'immense lustres de cristal reflétaient à l'infini la lueur des sphères magiques suspendues à leurs branches. Et partout dans la salle pendaient différentes bannières que Linaëlle ne parvint pas à identifier.
La Régente n'était pas encore présente, mais l'attention restait fixée sur la tablée, sur l'enfant prodigue de la famille royale, que beaucoup n'avait pas encore eu l'occasion d'approcher.
- Vous croyez que si je me lève et que je crie « Bouh », j'en fait sursauter combien ? lança la jeune fille à la cantonade.
- Je dirai au moins la moitié, rigola Jayden.
Manoël secoua la tête, amusé, et Yaël esquissa un sourire.
- L'humour de bas étage est visiblement une maladie très répandue à Malatir, grinça Daniela.
- Et je ne peux que constater que le second degré reste un domaine obscur pour certaines personnes, rétorqua Linaëlle.
La tension monta de plusieurs crans autour de la table suite à sa réflexion. Elle vit du coin de l'œil son frère esquisser un geste de dénégation de la tête mais elle refusait de laisser passer une insulte à peine masquée. Daniela allait répliquer vertement quand le héraut annonça l'arrivée de la Régente et que tous se levèrent pour l'accueillir, mettant un terme provisoire aux hostilités.
L'archiduchesse prononça un bref discours pour remercier les participants, mentionna quelques cadeaux reçus et accueillit officiellement sa fille avant de permettre à l'assemblée de s'assoir et aux domestiques de commencer leur ballet complexe pour servir les divers plats. Le bonheur que ressentait sa mère de sang à cet instant dominait tous les autres sentiments que Linaëlle pouvait percevoir. La jeune fille tenta de faire abstraction des piques que lui lançait régulièrement sa cousine pour profiter du repas et de la conversation. Elle y réussit jusqu'à la fin du repas, serrant les dents à chaque prise de paroles de la jeune femme, encaissant sans rien dire ses réflexions mesquines. Une fois les tables repoussées, les musiciens entamèrent des morceaux plus dansant, et Jayden l'attira sur la piste avant de lui laisser le temps de dire un mot.
- Je sais qu'elle t'insupporte, mais essaye de ne pas faire d'esclandre ce soir, lui souffla-t-il tandis qu'ils dansaient.
- Il va falloir me maintenir loin d'elle alors, grinça la jeune fille. Si je l'entends encore une fois faire des sous-entendus sur le rang des gens que je fréquente, je vais la transformer en torche humaine.
- Tu sais que ce genre de chose à bien plus d'importance ici, tenta de l'apaiser son frère. Normalement, ta vassale ne devrait même pas être là... et n'aurait jamais dû apprendre la magie... les textes de loi...
- Je croyais que cette loi était abrogée depuis longtemps !
- Disons que la peine a été modifiée, corrigea prudemment Jayden. Au lieu de les exécuter, nous les coupons de leur magie.
Linaëlle en resta muette. Elle savait bien que pendant un temps, en Elmakan, on tuait les roturiers qui développaient des dons magiques. C'est d'ailleurs à cause de cela que Malatir avait gagné la guerre. Les mages-guerriers ainsi que les guérisseurs leur avaient fourni un avantage conséquent. Mais cette loi semblaient toujours en place et inchangée car couper un mage de sa magie revenait à priver une plante du soleil. Les victimes tombaient dans une spirale plus ou moins longue qui conduisait inévitablement à un suicide. Car la perte de cette énergie spirituelle créait un profond sentiment de manque, un gouffre de tristesse où tous finissaient par tomber. Cela pouvait durer des mois, des années même avant que les personnes ne basculent et ne se tuent.
- Tu sais comme moi que ça ne change rien, finit-elle par lâcher.
- Aux yeux de la loi, ils ne sont pas condamnés à mort pour usage de magie. Je suppose que ça permet à certains de mieux dormir la nuit.
- Est-ce que Fiona risque quelque chose ?
Le silence entre eux devint vite inconfortable comme le jeune homme évitait son regard en continuant de valser.
- Jayden, répond-moi, s'inquiéta-t-elle.
- Pas dans l'immédiat... mais méfie-toi, ceux qui empêchent Maman de l'abroger n'ont aucune limite.
« Fio ? »
« Je suis là. » la rassura immédiatement sa vassale.
« Tu as entendu ? »
« Pas tout, mais vu ton niveau d'inquiétude, je suppose que ça ne s'annonce pas bien. »
Après de brèves explications, la magicienne lui promit d'être prudente. Même si cela ne suffisait pas à la rassurer, Linaëlle s'efforça de ne rien laisser paraître. Elle devait rester concentrée et ne pas laisser la moindre faille à exploiter aux membres de la Cour. Membres qui se rappelèrent à son bon souvenir dès la fin de la danse. Entre les potentiels prétendants, les commerçants opportunistes et les comploteurs plus ou moins discrets, la jeune fille passa la soirée à confirmer son soutien à sa mère et son cousin et à éconduire poliment les plus entreprenants, un sourire hypocrite aux lèvres.
Lasse de toute cette agitation, elle finit par trouver refuge dans un recoin de la salle, près du couloir menant aux cuisines. De là, elle observa le ballet des danseurs et des politiciens, étouffant un bâillement. Elle réfléchissait aux informations qu'elle avait pu récolter ce soir : rumeurs, sous-entendus et mensonges participaient à toutes les conversations. Néanmoins deux fronts principaux se dégageaient des autres.
Le premier opposait les partisans de la Régente aux anciens soutiens de son beau-frère, les seconds essayant de miner l'influence des autres au Conseil pour opposer leur veto aux nouvelles directives de Meriem. Entre les deux se promenaient des comploteurs qui désiraient tel ou tel prétendant sur le trône et servaient leurs propres intérêts.
Le second voyait agir les adeptes d'une magie plus ouverte, avec un enseignement plus accessible, comme en Malatir, contre ceux qui refusaient d'accorder ce privilège aux classes populaires. Ce conflit n'alignait pas les mêmes participants et Linaëlle avait pu constater que quand c'était le cas, les alliés du premier conflit étaient parfois ennemis dans l'autre.
Enfin, la jeune fille avait entrevu l'existence d'un troisième groupe, bien plus discret, qui avançait à pas extrêmement prudent. Elle n'avait encore aucune idée de leurs motivations, mais ils cherchaient clairement à l'approcher.
Un fracas de verre brisé interrompit ses réflexions. Un jeune domestique s'étala à ses pieds, laissant échapper un cri de douleur. Le malheureux venait de renverser un plateau de boissons en trébuchant sur la dernière marche, tâchant au passage le bas de la robe de Linaëlle.
- Non mais regardez-moi cet empoté ! Bouge de là, tu empêches les autres de faire leur travail, rouspéta quelqu'un derrière lui.
Avec une grimace, l'adolescent se redressa à genoux et s'écarta de l'encadrement de la porte. Se faisant, il posa les yeux sur le désastre, releva les yeux et pâlit brusquement en prenant conscience de l'identité de la personne dont il venait d'abîmer les vêtements.
- Ma-ma... dame... j-je suis... désolé, bégaya-t-il, abaissant immédiatement le regard.
Consciente des regards posés sur eux, aussi bien nobles que serveurs, la jeune fille hésita une demi-seconde sur le comportement à tenir. Elle cessa de réfléchir quand elle vit les tâches de sang qui commençaient à apparaitre sur l'uniforme clair du jeune garçon. Tant pis pour les convenances, elle n'allait pas le laisser dans cet état. S'adressant à un domestique, elle lança :
- Nettoyez-moi ce désastre, je m'occupe du garçon.
Baissant les yeux sur le concerné, elle lui ordonna :
- Relève-toi.
Légèrement tremblant, il s'exécuta.
- Vous avez un endroit où vous soignez les malades, un endroit tranquille si possible ? demanda-t-elle.
- O-oui, Madame.
- Bien, conduit-moi là-bas.
Il releva un instant les yeux, déconcerté par sa demande, avant de l'entraîner à sa suite dans les marches. Ils traversèrent plusieurs corridors sous le regard étonné des autres serviteurs et la jeune fille se rendit vite compte qu'un réseau complexe de couloirs réservés à la domesticité courrait à travers les murs. Son guide l'amena jusqu'à une salle où s'alignaient plusieurs lits vides ainsi que plusieurs armoires.
- Mets-toi torse nu et assied-toi là, fit Linaëlle en désignant un des lits.
Interloqué, il obéit en silence, laissant échapper une plainte quand le tissu de la chemise glissa sur les éclats de verre enfoncés dans sa peau. Pendant ce temps, Linaëlle murmura un sort de recherche pour trouver ce dont elle avait besoin. Elle revint auprès de lui avec un bol en bois, un chiffon propre et une bouteille d'alcool.
- Les orties sont dans l'armoire du fond si vous les chercher, Madame, murmura l'adolescent.
Linaëlle haussa un sourcil sceptique.
- Que veux-tu que je fasse avec ces plantes ? Elles ne servent à rien dans ton cas, s'étonna-t-elle en imbibant le tissu d'alcool.
Devant l'air inquiet du jeune garçon, elle finit par comprendre la peur qui brillait dans son aura.
- Je ne vais pas te punir, je veux simplement te soigner, lui expliqua-t-elle.
Il afficha à son tour une mine circonspecte. Sans en tenir compte, la jeune fille entreprit d'examiner une à une les plaies avec ses yeux draconiques pour ôter le verre brisé puis de les désinfecter. Ceci fait, sa paume s'illumina sous le regard fasciné du jeune homme qui l'observa refermer une à une ses blessures.
- Voilà, c'est terminé, annonça la jeune fille.
- Merci beaucoup, Madame, souffla l'adolescent.
- Comment t'appelles-tu ?
- David, Madame.
- Eh bien, David, tâche d'éviter de t'enfoncer d'autres éclats de vaisselles dans la peau la prochaine fois, plaisanta-t-elle.
- Je ferais de mon mieux, mais pour votre robe...
- Ne t'inquiète pas de cela, tu m'as fourni l'excuse parfaite pour quitter la réception. Maintenant, si tu veux bien me raccompagner jusqu'à ma chambre avant de filer...
- Bien sûr, suivez-moi, Madame.
Rassuré, il enfila rapidement ses vêtements tandis que Linaëlle se débarrassait des morceaux de verre et rangeait le matériel à sa place. Ils regagnèrent les couloirs principaux pour retourner à ses appartements. Ils se tenaient devant la porte quand la détresse de Fiona percuta la jeune fille et lui coupa brièvement le souffle. L'instant d'après, elle s'élançait en direction de sa vassale, sous l'œil stupéfait de David.
Linaëlle ne connaissant pas le palais, elle fut obligée de faire plusieurs détours avant de parvenir à destination, inquiète à l'idée de ce qu'on pouvait faire à son amie. Avec surprise, elle constata qu'elle avait descendu plusieurs étages, se retrouvant au sous-sol du bâtiment. Ici, pas de marbre ou de décorations, rien que la pierre brute, à peine taillée. Quand elle sentit l'aura de sa vassale, elle ralentit et s'avança prudemment dans sa direction.
Elle approchait de ce qu'elle supposait être une porte quand elle ressentit soudain une vive douleur à la tête. La seconde d'après, tout s'éteignit.
Plop ! Oui je sais vous me haïssez d'avoir coupé là, moi aussi je vous aime ;).
D'ailleurs je vous fait un bisous et je vous dis à la semaine prochaine ^^
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