Chapitre 27 : Il est temps de grandir... (partie 1)




       

Linaëlle regarda la lourde porte de bronze s'ouvrir en respirant profondément. Près d'elle, sa mère lui pressa doucement l'épaule.

- Je t'attends ici, chuchota-t-elle.

La jeune fille la remercia d'un hochement de tête et pénétra dans la salle. Les portes se refermèrent derrière elle tandis que l'enchantement allumait les murs au motifs toujours aussi étranges. Elle se positionna au centre du cercle formé par les crânes, s'assit en tailleur et ouvrit son esprit. Elle ne savait pas comment entrer dans la mémoire ancestrale, son père et son grand-père n'avait jamais évoqué ce genre de chose. Elle s'était donc résolu à tenter d'attendre qu'elle vienne à elle.

Au bout d'un temps indéfini, elle sentit une immense présence grandir autour d'elle. Plusieurs en réalité. Des sensations qui n'étaient pas les siennes commencèrent à lui parvenir. La chaleur du sable du désert, le froid humide des nuages, le goût du sang de ses proie... Elle sursauta quand un souffle chaud agita ses cheveux. Elle ouvrit brusquement les yeux. Ils étaient là. Des dizaines, des centaines peut-être, dans les airs, sur terre, sous terre, avec elle, ils l'observaient, guettant le moindre de ses mouvements.

- Qui es-tu ? demandèrent-ils d'une même voix qui fit frissonner Linaëlle. Pourquoi es-tu là ? Le temps n'est pas encore venu, tu n'es pas celle que nous attendons.

Leur simple présence l'écrasait. Ils venaient, chacun d'entre eux, frotter leurs esprits au sien, s'accrochant, lisant en elle, appréhendant son passé. Silhouettes éthérées, ils se nourrissaient de son énergie, dont les réserves diminuaient lentement mais sûrement. Elle luttait pour conserver son esprit en un seul morceau, tout en essayant de s'exprimer.

- Je suis Linaëlle Ol'Darith, descendante de Noham, le Premier Porteur, articula-t-elle. Si je viens jusqu'à vous aujourd'hui, c'est parce que les Tfiguni sont à nos portes et que j'ai besoin de votre savoir pour les combattre.

Les sans-pattes sont revenus !

Assassin !

Briseurs d'œufs !

Ils veulent empêcher notre retour !

La cacophonie provoquée par son annonce menaçait de faire exploser la tête de la jeune fille. Elle se tint la tête à deux mains tandis que la rage et le désespoir des fantômes la transperçaient. Ils noyaient peu à peu son esprit dans une immense étendue de souffrance et de colère, et Linaëlle ne pouvait rien faire pour s'en sortir. Elle voulait se débattre, crier, mais ne pouvait même plus influencer son corps, elle ne le ressentait même plus. 

- Silence ! rugit une voix. Vous empêcher le dragonneau de penser.

Dans le même temps, on la saisit mentalement pour l'arracher à cette mélasse de sensations. Elle hurla à s'en briser les cordes vocales tandis qu'un à un ils se décrochaient de son esprit.

Recroquevillée sur le côté, elle respirait bruyamment, tentant de reprendre un souffle qui lui échappait, de rassembler les morceaux étirés de son esprit. Elle avait eu l'impression d'être écartelée mais ils étaient finalement partis. Tous sauf un, qui attendait patiemment qu'elle se reprenne, à la lisière de sa conscience.

Elle bascula sur le dos, étira doucement ses jambes en ouvrant les yeux. Tournant la tête sur le côté, elle regarda le dragon blanc qui était resté. Elle cligna des paupières et le dragon fut remplacé par un homme d'une soixantaine d'année, aux cheveux aussi blanc que ses yeux. Ses iris n'étaient pas laiteuse comme celles d'un aveugle, mais blanches entourée d'un liseré noir. Il s'approcha et s'assit près d'elle. Détaillant ses traits, la jeune fille le trouva familier, sans parvenir à mettre un nom sur son visage.

- Tu es issue d'un bien curieux métissage dragonneau, comment se fait-il que tu puisses être Porteuse du Sang et mage d'auras ?

- J'ai été adoptée par la famille Ol'Darith, prononça Linaëlle d'une voix rauque. Mais je suis Elmakaise d'origine.

- Le pouvoir de la magie des flamhurs et encore plus puissant que nous ne le pensions...

La jeune fille fronça les sourcils. Son discours était bien trop humain... Soudain, elle identifia son interlocuteur et écarquilla les yeux.

- Vous êtes Noham ! souffla-t-elle, éberluée.

- Bonne déduction, petite fille, répondit-il en souriant. Je t'en prie, reste allongée, poursuivit-il comme elle voulait se redresser. Tu as besoin de récupérer et je peux parfaitement t'écouter ainsi. Mes frères sont dans notre camp, mais ils oublient parfois que mes descendants ne sont pas aussi solide que moi.

Sa descendante se mit malgré tout en position assise. La tête lui tourna, elle se sentait nauséeuse.

- Je vois que l'obstination est toujours un trait de caractère familial, ironisa-t-il.

- Ça et un sens de l'humour assez particulier, enchérit Linaëlle qui se remettait doucement.

L'homme eut un bref sourire avant de redevenir sérieux.

- Raconte-moi cette histoire avec les Tfiguni, demanda-t-il.

Linaëlle inspira avant de se lancer dans son récit. Elle n'omit rien, parlant également de Delthéa et de sa marque. Noham la laissa parler, écoutant avec une attention qui rappela encore une fois Althis à la jeune fille.

- Donc tu cherches le sort qui te permettra de séparer l'esprit de ta sœur de son Tfigun, sur les conseils de Delthéa. conclut l'homme.

- Exactement, confirma Linaëlle, pleine d'espoir.

- Nous allons voir ce que nous pouvons faire. Viens.

Il se redressa et elle fit de même, la tête légèrement penchée sur le côté. Il lui prit la main et tout bascula. Des dizaines d'images et de sentiments traversèrent sa conscience en un instant, bien trop rapide pour qu'elle puisse en saisir le sens. Ils traversaient des souvenirs, des lignes de symboles s'inscrivaient devant ses yeux, gardiens silencieux des connaissances accumulées depuis les premiers pas des Dragons en ce monde. Noham semblait à l'aise dans cet environnement et guidait sa descendante qui se cramponnait de toute ses forces à sa main.

« C'est ici » annonça-t-il soudainement.

Linaëlle cligna plusieurs fois des paupières pour éclaircir sa vision floue. Ils se tenaient dans une forêt, au milieu d'un groupe d'elfes. La jeune fille les identifia à leurs oreilles en pointe et à leur haute taille. Ils tenaient en joue avec leurs arcs l'un des leurs, entouré d'une aura qui s'assombrissait de seconde en seconde. Elle reconnut sans peine l'aura noire des Tfiguni. Le possédé pleurait en silence, des larmes dévalant ses joues. Les archers affichaient un visage impassible.

- Nous sommes désolés, Yldir, mais tu sais ce qui va se passer, dit l'un d'eux.

Ils parlaient l'Ancienne langue avec un accent prononcé qui donnait l'impression qu'ils fredonnaient.

- Je sais, faites le nécessaire.

Les arcs se tendirent encore, les flèches s'enflammèrent magiquement. Linaëlle serra les dents quand un cri désespéré retentit derrière elle.

- Non, Yldir, pas toi !

Une elfe traversa les deux témoins silencieux pour se jeter dans les bras du condamné et l'embrasser. Linaëlle fut surprise et eut un mouvement de recul, mais Noham la retint.

« C'est maintenant que ça se passe ! »

- Dinath, écarte-toi ou tu vas subir le même sort ! s'exclama l'archer.

L'elfe pleurait dans les bras de son compagnon et Linaëlle remarqua son ventre rond. Sa dragonne geignit tandis qu'elle crispait les poings.

- Laisse-moi... Dinath, s'il te plaît, ne prend pas de risque pour le bébé...

- Non... Non... sanglotait-elle.

Et elle se mit à chanter. Une chanson pleine de colère, de tristesse. Pleine d'amour également, pour la famille, pour la vie. Un chant de courage, qui ne se laissait pas abattre. Tandis que l'elfe chantait, l'aura autour de son amant changeait. Linaëlle la vit se racornir et pâlir, avant de se détacher lentement de sa victime, dans une lutte visible. Et l'elfe continuait, inlassablement, recommençant depuis le début quand elle vit que ses efforts payaient. Son compagnon tomba au sol en criant tandis que le Tfigun bondissait vers le ciel. Aussitôt, les archers le criblèrent d'une volée de flèches enflammées et il disparut dans un crissement strident.

- Par tous les Dieux, Dinath, qu'est ce que tu as fait ? s'exclama une voix.

- Je ne sais pas... J'ai simplement voulu ... balbutia la concernée en examinant l'ancien possédé qui semblait inconscient.

Une seconde elfe s'approcha, brisant le cercle des archers et posa une main lumineuse sur la tête d'Yldir.

- C'est incroyable, s'écria-t-elle. Le Tfigun est parti ! Et il est vivant, il va bien !

Le souvenir se flouta, Linaëlle se retrouva face à un immense dragon doré.

- C'est ce sort qui vous a permis de libérer les vôtres ? l'interrogea le dragon.

- Oui, Seigneur du Ciel, s'entendit-elle répondre d'une voix qui n'était pas la sienne. Le chant de Dinath doit être appris à tous ceux qui peuvent l'utiliser, afin de libérer les peuples des Tfiguni et gagner cette guerre.

- Ce message sera fidèlement transmis, fils de la forêt. Tu peux aller la conscience tranquille.

La jeune fille se sentit aspirée vers l'horizon, elle traversa à nouveau de nombreux souvenirs. Elle vacilla sur ses pieds et tomba à la renverse. Elle était de retour dans la salle des Mémoires.

« Tu salueras Delthéa de ma part. » chuchota la voix de Noham dans son esprit. « Mes frères t'ont fait un cadeau, ils n'ont pas voulu me dire quoi... »

« Merci... de me prévenir et ... pour tout... »

« De rien, dragonneau. N'oublie pas de revenir, tu as encore beaucoup à apprendre...»

Linaëlle se sentait vidée, aussi bien physiquement que psychologiquement. L'amas d'émotions ressenties et l'effort fourni pour tenir le choc face aux esprits des dragons s'étaient avérés plus que laborieux. Et elle ne se sentait pas de se lever pour atteindre la porte. C'est pourtant ce qu'elle fit, ignorant la migraine qui martelait son crâne et ses jambes flageolantes qui demandaient grâce. À peine le seuil franchi, elle s'effondra dans les bras d'Elmira qui l'attendait.

- J'ai trouvé, dit-elle avec difficulté. Je vais pouvoir tous les sauver...

- Pour l'instant, tu vas surtout te reposer, on verra pour sauver le monde quand tu seras en forme, chuchota sa mère à son oreille.

Lentement, avec difficultés, elles gravirent les marches, refermèrent le passage et gagnèrent la chambre de la jeune fille. Linaëlle s'écroula en posant la tête sur l'oreiller. Avec un sourire tendre, sa mère la borda et l'embrassa sur le front. Elle ordonnerait qu'on ne la dérange pas demain. Elle devait être en forme pour partir à Falm dans deux jours.

Tout en regagnant sa chambre, Elmira reçue une communication mentale de son époux :

« Elmira, pourquoi est-ce que tu te promènes seule la nuit au milieu des couloirs ? »

« Linaëlle ne se sentait pas bien. » répondit-elle.

« C'est grave ? »s'inquiéta-t-il immédiatement.

« Non, c'est probablement le contrecoup de ce qu'elle a vécu ces derniers temps, une journée de repos devrait arranger ça. » mentit à moitié sa femme. « Et toi ? Que fais-tu réveillé à cette heure-ci ? »

« Figure-toi que j'ai reçu une communication de notre Saltiera préférée. Il y a apparemment un problème avec un nommé Victor, qui serait pupille de la famille royale... »

« C'est un des élève de Linaëlle. » le renseigna Elmira. « Il est orphelin et elle avait fait les démarches pour que ses économies soit utilisé pour son éducation. Tu n'étais pas au courant ? »

« Tu sais bien que je suis ravi de te laisser la gestion du budget... Depuis quand Linaëlle a des économies ?! »

« Depuis qu'elle touche une solde en tant que militaire, et un salaire en tant que professeur de magie. Comme moi je continue de toucher une certaine somme en tant qu'officier à la retraite. »

« Tu ne me l'as jamais dit ! » s'étonna le Roi.

« Tu ne l'as jamais demandé. » répliqua-t-elle, désinvolte. « Mais pour en revenir à notre pupille, quel est le souci ? »

« Une histoire de croissance ? Je n'ai pas trop compris, Charlotte avait l'air un peu paniqué. »

« Il faudrait peut-être aller voir non ? »

- Tout à fait, Tikchia, répondit-il en ouvrant la porte de leurs appartements alors qu'elle passait devant.

Elle sourit en le regardant. En simple chemise et pantalon, les cheveux ébouriffés et en pantoufle, il avait tout sauf l'air d'un Roi. Elle-même, dans une tenue semblable mais chaussé d'une paire de chaussures hautes ressemblant à celles des militaires, ne paraissait pas très royale. Néanmoins Charlotte, la Saltiera, ainsi que les domestiques, avaient l'habitude de les voir sous cette apparence un peu négligée.

Ce fut donc ensemble qu'ils descendirent d'un étage pour se rendre dans l'aile Ouest, dans les appartements du jeune garçon. À peine parvenus dans le couloir, ils furent abordés par une femme d'une cinquantaine d'année, plutôt forte, et légèrement désemparée.

- Toutes mes excuses pour ce réveil à cette heure indue, Vos Majestés. Néanmoins j'ai cru bon de vous prévenir de la situation.

- Allons, Charlotte, qu'est ce qui pourrait arriver à un enfant de sept ans, dans sa chambre en pleine nuit, qui dépasse le domaine de compétence d'une gouvernante de Maison comme vous ? l'interrogea gentiment Malvius.

- Eh bien, tout le problème est là, Votre Majesté, ce n'est plus vraiment un enfant...

- Que nous chantez-vous là, Charlotte ? s'inquiéta Elmira.

- Je pense qu'il vaut mieux que vous voyez par vous même...

La Saltiera les guida rapidement vers une porte ouverte. Ils arrivèrent dans un petit salon. Sur le canapé, se tenait un garçon de quatorze ou quinze ans, emballé dans un drap, des cheveux châtains coupés inégalement aux épaules, qui regardait ses mains d'un air complètement perdu.

- Victor ? appela doucement Charlotte en s'approchant.

L'adolescent releva ses yeux noirs sur elle et prononça d'une voix grave :

- Qu'est ce qu'il m'arrive ?

- C'est justement ce que Leurs Majestés vont tenter de découvrir, mon chou, le rassura la gouvernante.

Les concernés échangèrent un regard plus que perplexe, puis Elmira s'installa près du jeune garçon et lui pressa gentiment l'épaule.

- Commence par nous raconter ce qu'il s'est passé, tu veux bien ?





Plop ! Le nouveau chapitre est là ! Plein de rebondissements celui-ci, mais le titre ne me plaît pas vraiment... Je le changerais peut être plus tard.

Alors que pensez-vous de Noham ? Du sort ? De cette situation étrange ?

Concernant la FAQ, comme on approche dangereusement des 10k et que certaines m'ont dit qu'elles réfléchissaient, je vais probablement prolonger le délai, mais ne tardez pas trop !

Sinon, un gros bisous à vous, et à la semaine prochaine !

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