Chapitre 25 : Espoirs du futur, fantômes du passé (partie 3)
Pour la sixième fois, Linaëlle se retrouvait allongée dans la salle des Mémoires, tentant d'apaiser son esprit bouillonnant de souvenirs qui n'étaient pas les siens. La semaine s'était écoulée à une vitesse folle, et la jeune fille commençait à accuser le coup. Entre la validation de son nouveau statut par les noble de la Cour, le développement des dons de ses protégés, ses audience auprès du Conseil des mages dans le but d'obtenir un Tirfamil, et ses visites aux Dragons, elle cumulait une fatigue psychologique qui la mettait à fleur de peau. D'autant plus qu'elle n'obtenait pas ce qu'elle désirait d'un côté comme de l'autre, et cela la contrariait. Si les nobles n'avaient pas trop mal digéré le fait qu'elle se retire de la succession de ses parents sans perdre son statut, les Dragons n'avaient pas encore révélé le sort qui lui permettrait de débarrasser Azra de son parasite, et les membres du Conseil avaient refusé tout net qu'on lui confie un Tirfamil, ce qui la faisait grincer des dents.
Les Tirfamili... Des objets légendaires, permettant de transporter instantanément leur détenteur d'un endroit à un autre, sans utiliser la magie du porteur, puisqu'ils tiraient leur force de la lumière du Soleil. Le problème étant que les connaissances nécessaires à la fabrication de ces petites merveilles s'étaient perdues, et qu'il n'en existait qu'une vingtaine. Seize étaient d'ore et déjà attribués à d'autres mages, et le Conseil traînait des pieds pour lui donner son accord, considérant les raisons de sa demande comme insuffisamment importantes. Amalicia avait promis de remettre le débat sur la table et lui offrait son soutien, mais Linaëlle se demandait comment elle allait convaincre ses cinq confrères.
Avec un soupir, la jeune fille se redressa et regagna sa chambre. Elle comptait profiter d'une grasse matinée bien méritée, en ce Delthéym.
Ce furent des mains fraîches sur son front qui réveillèrent Linaëlle. Elle ouvrit les yeux et découvrit les yeux inquiets d'Emily posés sur elle.
- J'ai cru que tu étais malade, répondit la domestique à l'étonnement dans ses yeux. La douzième heure vient de sonner et tu ne te réveillais pas.
- Non, je vais bien, j'avais simplement besoin de dormir. Comme toi qui devrais te reposer, la rabroua gentiment la jeune fille.
Emily secoua doucement la tête et se redressa, laissant Linaëlle en faire autant.
- Je suis enceinte, Linaëlle, pas malade ! protesta-t-elle. Et en tant que guérisseuse, je peux t'assurer que je sais ce que je dois éviter de faire ou pas.
- Comme venir t'assurer si je vais bien alors que je pourrais être contagieuse, ironisa la concernée en se levant.
- C'est mon devoir de veiller sur toi !
- Non, ça c'est ma part du contrat, la corrigea la jeune fille. Je vous assure d'être logées et nourries et vous me servez en retour.
- Tu sais bien que ça n'a jamais marché ainsi entre nous. Si Sophia et moi sommes tes domestiques aujourd'hui, ce n'est pas parce qu'un parchemin avec trois tâches d'encre nous lie à toi !
Subitement, Linaëlle s'approcha d'elle et l'enlaça.
- C'est justement à cause de ça, souffla-t-elle en rivant son regard à celui de la femme, parce que ça n'a jamais été une question de contrat entre nous, que je ne veux pas que tu prennes de risques. Ce bébé, tu l'attends depuis longtemps je le sais, et je ne dois pas être un obstacle entre lui et toi. Tu m'as sacrifié suffisamment de ton temps pour le restant de ta vie, Emily.
- Est-ce que tu es en train de me congédier ? s'effraya la guérisseuse en se détachant d'elle.
- Non ! Simplement de te demander d'arrêter de me faire passer en haut de ta liste de priorité.
- C'est à cause de la blessure de Sophia que tu t'inquiètes pour nous, comprit la domestique.
Linaëlle lui dédia un sourire mi-inquiet, mi-amusé devant sa conclusion. Elle était transparente pour cette femme qui la soutenait dans l'ombre depuis plus de douze ans. Oui, elle s'inquiétait pour les deux sœurs. Sophia n'avait gardé qu'une mince cicatrice de quelques centimètres sur le bras de l'attaque des Tfigunï à Hilarith mais il aurait suffit d'une dizaine de centimètres sur la droite pour que se soit son cœur qui soit touché. La jeune fille savait qu'elle n'aurait pas supporté de la perdre, comme tous ses proches. Ils étaient son socle, sur lequel elle pouvait toujours s'appuyer quand elle trébuchait sur le chemin, plutôt mouvementé, de sa vie. Les voir heureux la réjouissait, les voir inquiets l'attristait, les voir malades ou blessés la terrifiait. Elle avait conscience que cette sensibilité, elle la devait probablement à son don d'auras, développé par elle-même et que cela risquait d'être un gros défaut dans son armure si elle devait lutter contre les envahisseurs. Mais elle devrait faire avec ce trait de sa personnalité.
- Je t'interdis de te faire du soucis pour nous, Lin', la gronda doucement Emily. Nous sommes adultes et responsables de nos choix et de nos actes. Nous savons parfaitement qu'il y a un risque, même si il est minime, que nous subissions une attaque quelconque. Tous ceux qui servent la famille royale sont au courant et acceptent les risques. Alors cesse de te faire un sang d'encre pour ça.
- J'essaierais, mais promet-moi que tu vas faire attention, quémanda-t-elle.
- C'est promis, approuva la domestique en l'embrassant sur la joue.
C'était sa dernière chance, elle le savait. Linaëlle descendait pour la huitième fois les marches menant à la salle des Mémoires. Si elle ne trouvait rien sur le sort permettant de libérer Azra, elle ne saurait plus que faire. Delthéa lui avait assuré que les Dragons savaient. Se pouvait-il que la Déesse se soit trompée ?
Mécaniquement, la jeune fille exécuta le rituel et se dirigea vers le dernier des crânes. Elle plongea dans sa mémoire, chercha aussi longtemps qu'elle put, mais aucun sort n'apparut sur ses paupières closes.
Linaëlle pleurait en revenant dans son corps. Des larmes de rage, de désespoir aussi. Pas le moindre indice sur ce qui aurait pu sauver sa petite sœur. Elle devait cesser de se voiler la face, si elle ne pouvait pas séparer Azra de son parasite, il fallait qu'elle meure. Il était bien trop dangereux de laisser le Tfigun prendre le contrôle de la petite et permettre aux siens de contaminer le restant de la famille régnante.
La mort dans l'âme, la jeune fille se redressa. Dans un peu plus d'un mois, elle se rendrait à Falm pour l'anniversaire de Meriem. Azra devait s'arranger pour préparer discrètement son arrivée. Et Linaëlle devrait trouver un moyen de la tuer. À cette pensée, elle eut un haut-le-cœur et sa dragonne rugit de protestation. Elle ne pouvait pas préméditer la mort de l'enfant ainsi, elle ne s'en sentait pas capable. Demander à quelqu'un d'autre lui semblait encore moins probable. Trop de dangereuses conséquences possibles.
À genoux sur le sol de pierre, Linaëlle se faisait horreur. Elle était en train de réfléchir à une façon de tuer une enfant d'à peine treize ans, membre de sa famille qui plus est. Un nouveau grondement de sa facette à écaille la prévint qu'elle n'approuvait pas du tout ce choix, elles devaient trouver une autre solution, on ne tue pas les petits comme ça !
Oui mais c'est le sacrifice d'une vie pour en épargner tellement d'autre, chuchotait sa raison.
On ne tue pas les petits !
Réfléchis, tu sais qu'il faut le faire.
Non !
La gorge nouée, elle entreprit de remonter lentement les marches et de se rendre jusqu'aux cuisines, décidant qu'un peu d'eau lui ferait du bien. Elle venait de se laisser tomber sur un banc quand sa mère entra à son tour dans la grande pièce encore déserte et s'installa à côté d'elle.
- Trésor, qu'est ce qu'il se passe ? s'inquiéta-t-elle.
Linaëlle lui jeta un regard perdu. Ses cheveux courts ébouriffés, en tenue de nuit et pantoufles aux pieds, Elmira avait visiblement été réveillée par ses émotions violentes. Et pour la première fois de sa vie, elle ne pouvait pas se confier à elle. Les mots restèrent coincés dans sa gorge, retenus par l'avertissement de sa Déesse. Son silence redoubla l'inquiétude de sa mère qui reprit :
- Tu as mal quelque part ? Il est arrivé quelque chose ? Parle-moi, Lin'.
- Je... peux pas... balbutia la jeune fille avant de fondre en larme.
Aussitôt, les bras de sa mère vinrent l'entourer et l'amener contre elle.
- Chhht, murmura Elmira en commençant à la bercer. Qu'est ce qui te cause donc tant de soucis, chérie ?
Linaëlle hésitait. La petite fille qui se cachait encore en elle voulait soulager sa conscience en révélant ses secrets, tandis que l'adulte et la dragonne ne voulait pas inquiéter sa mère qui ne pouvait de toute façon rien faire pour remédier à son problème. Néanmoins, elle était sûre d'une chose, elle ne pourrait pas lui mentir. Entre deux sanglots, elle chuchota :
- Il vaut mieux que je ne t'en parle pas, Maman.
- Comment ça ? s'étonna sa mère.
- Je t'assure que ça vaut mieux comme ça.
- Linaëlle, tu me fais peur, qu'est ce qu'il se passe ? insista Elmira en s'écartant légèrement pour chercher son regard.
La jeune fille détourna la tête, esquivant les iris d'acier qui savaient lire en elle bien trop facilement. Mais Elmira lui saisit le menton pour la ramener vers elle et arrimer ses yeux aux siens, toujours humides de larmes.
- Explique-moi ce que tu caches, dit-elle à mi-voix.
- Ce n'est pas... Il ne faut pas... Je... bafouilla Linaëlle.
Elle ne pouvait pas lui révéler ces visites aux Mémoires, car elle demanderait pourquoi, et cela l'amènerai immanquablement à parler de Delthéa. Linaëlle n'avait jamais pu mentir à sa mère, celle-ci la connaissant sur le bout des doigts. Elle savait également que l'ex-Commandante ne lâcherais rien tant qu'elle n'aurait pas eu des réponses. La réponse à ce dilemme se manifesta sous la forme d'une voix qui chuchota dans son esprit.
« Viens avec elle, il est temps que nous fassions les présentations. »
« Vous êtes sûre, Déesse ? »
« Je crois qu'arrivées à ce point, oui. »
Linaëlle prit une profonde inspiration et déclara à voix haute :
- Je pense qu'on sera plus à l'aise pour discuter dans ma chambre.
- Très bien, comme tu veux, trésor.
Elles montèrent jusqu'aux appartements de Linaëlle, et la jeune fille entraîna sa mère jusqu'au lit, sur lequel elles s'installèrent.
- Alors, qu'as-tu à me dire ? interrogea gentiment Elmira.
- En réalité, j'ai quelqu'un à te présenter, annonça sa fille. Ferme les yeux.
Elmira fronça les sourcils mais obtempéra. Linaëlle posa son front sur le sien, connectant leurs esprits et, fermant les yeux, emprunta cet étrange chemin mental pour atteindre l'inter-monde. Presque aussitôt, une force les enveloppa et les amena à destination.
- Bonjour, Linaëlle, la salua Delthéa.
Sa marquée pivota et lui adressa un sourire soulagé en ouvrant les yeux. Dans la demi-seconde suivante, la surprise de sa mère déferla dans son esprit, elle dévisageait la femme qui venait d'accueillir sa fille.
- Mais, vous ressemblez à... commença-t-elle éberluée.
- Je ne me contente pas de ressembler, je suis, affirma tranquillement la Déesse.
- C'est impossible, murmura Elmira.
- Je le pensais également avant de rencontrer votre fille.
Le regard de l'ex-Commandante passa de l'une à l'autre avant de se fixer sur Linaëlle.
- C'est donc Delthéa que tu veux me présenter ? fit-elle avec un petit rire nerveux.
Linaëlle confirma d'un hochement de tête et lui prit la main pour l'approcher de sa protectrice. Celle-ci eut un sourire chaleureux en direction d'Elmira et Linaëlle sentit clairement sa magie faire effet quand elle saisit l'autre main de sa mère.
- Il ne faut pas que vous ayez peur de moi, l'apaisa la Déesse. Linaëlle vous confirmera que je ne mords pas, ajouta-t-elle en plaisantant.
- Mais... Comment ? questionna Elmira qui reprenait peu à peu contenance.
Delthéa la fit assoir dans le divan qui pour l'occasion, s'était allongé. Linaëlle s'installa d'un côté de sa mère et sa protectrice de l'autre, et elles entreprirent d'expliquer à Elmira leur rencontre, la marque mais surtout, les Tfigunï, lui laissant le temps de digérer les informations.
- Je n'ai pas trouvé de sort pour libérer un esprit parasité dans les Mémoires des Dragons, soupira Linaëlle, à la fin de la conversation.
- Tu as cherché dans les neuf ? s'enquit Delthéa.
- Il n'y en a que huit, corrigea la jeune fille.
- Non, Afrymia, il y a neuf Mémoires, lui apprit sa protectrice. La neuvième est la mémoire ancestrale, celle que tous les dragonnaux sortant de l'œuf possèdent. Je pense d'ailleurs que c'est l'endroit le plus approprié pour archiver un sort comme celui-ci, tout comme l'autre d'ailleurs. De toutes manières, il fallait que tu t'imprègnes des autres pour pouvoir y accéder. Mais repose-toi bien avant d'y aller, elle est particulièrement puissante.
- Ne vous en faites pas, je la surveillerai de près, l'assura Elmira.
- Je n'en doute pas un instant, fit Delthéa.
Elles se sourirent et Linaëlle leva les yeux au ciel, faussement désespérée. Elmira accepta de taire ce qu'elle avait appris cette nuit et les deux humaines regagnèrent leur monde sous le regard bienveillant de la Déesse.
- Une intéressante idée que de vous présentez à la Reine, ça évitera à la petite de porter ce secret toute seule. Mais vous auriez dû attendre pour l'informer de la Mémoire ancestrale, elle n'est pas assez mûre pour ça.
- Selon toi, j'aurais donc dû la laisser dans cet état et la convaincre de tuer sa sœur ?
- C'était la solution la plus sûre.
- Cela l'aurait détruit, Eladriel !
- Vous savez que je ne laisserais pas cela arriver avant qu'elle n'accomplisse sa tâche. Elle aurait surmonté cette épreuve.
- Je croyais que tu l'appréciais...
- En effet, mais vous comme moi ne pouvons pas lui évitez toutes les pierres du chemin. Il aurait mieux valût qu'elle s'endurcisse un peu, elle aurait moins souffert par la suite.
Plop ! Fin du chapitre 25 ! Une petite frayeur pour Azra peut être ?
On a dépassé les 8k de vues cette semaine !!! Je sais faut que j'arrête de me réjouir à chaque millier mais pour moi c'est juste fou !
Un gros bisous à vous et à vendredi prochain ! (Ou peut être avant si je trouve le temps d'écrire le chapitre bonus ^^)
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