Chapitre 24 : Changement de cap (partie 2)




       

- Est-ce que tu me pardonnes si je t'offre ton cadeau en retard ? proposa Linaëlle.

Le sourire jusqu'au oreilles d'Azra valait toutes les réponses du monde. Linaëlle se leva donc, attrapa une couverture sur un divan voisin et se dirigea vers le balcon de ses appartements. Azra l'avait rejointe après être passée voir Énora qui se remettait lentement du sort lancé par l'Archiduc. La benjamine de la famille royale avait à nouveau fait des cauchemars toute la nuit, et Elmira avait veillé sur elle. Il fallait du temps à Énora pour faire le tri dans ses émotions et chasser celles qui ne lui appartenaient pas. Mais elle devait le faire sans l'aide de la magie. Malade d'être impuissante à aider sa petite sœur, vidée par le départ de Noah la veille, Linaëlle avait donc proposé à Azra une distraction qui promettait de lui changer les idées, car elle se sentait sur le point d'exploser.

En plus du creux laissé par Noah dans son esprit, elle s'inquiétait pour ses deux benjamines, tentait de mettre de l'ordre dans les contrats commerciaux entre Colrith, Malatir et Elmakan et de définir son nouveau statut. Un casse-tête qu'elle avait décidé de mettre de côté pour se concentrer sur Azra.

La petite suivit Linaëlle jusqu'au balcon, intriguée. Celle-ci lui posa le plaid sur les épaules et lui demanda de se retourner et de fermer les yeux. Se concentrant, la jeune fille déploya ses ailes, démolissant sa robe. Sophia allait encore râler. Chassant cette idée de son esprit, elle se pencha pour saisir solidement la petite à la taille et décolla.

- Aaah ! cria sa passagère en ouvrant les yeux et en voyant le sol s'éloigner.

Linaëlle se stabilisa aussitôt et demanda :

- Ça va ?

- Je ... Oui, je crois, balbutia Azra.

- Si tu as peur on peut redescendre, il n'y a pas de problème.

- Non ! Je ... je veux continuer ! Protesta la fillette.

Linaëlle étouffa un gloussement et continua de monter à une allure modérée puis entreprit de survoler les jardins, puis la ville. Elle sentait sa passagère se détendre progressivement entre ses bras.

- C'est tellement beau, finit-elle par dire. Tu vois ça tout le temps ?

- Chaque fois que je m'envole, répondit Linaëlle.

Comme Azra semblait plus confiante, la jeune fille accéléra l'allure avant de prendre un virage serré.

- Oooh !

- Toujours avec moi ? s'enquit la métamorphe.

- Tu peux recommencer ? quémanda la petite.

Cette fois-ci, Linaëlle gloussa franchement et exécuta une vrille.

- Ouah ! fit Azra avant d'éclater de rire.

Ce rire mit du baume au cœur de son aînée, qui enchaîna les figures pour le plus grand plaisir de l'enfant.

Un long moment plus tard, Linaëlle atterrit sur le toit d'une des nombreuses auberges de la cité.

- Alors, ton cadeau te plaît ? interrogea-t-elle en posant Azra sur ses deux pieds.

- C'est extraordinaire ! S'exclama la petite, toujours emballée dans sa couverture.

Malgré cela et le soleil de l'après-midi, elle commençait à trembler de froid. Linaëlle lui ôta l'étoffe des épaules, la déplia et l'enroula autour d'elles, lui transmettant sa chaleur. Azra frotta son nez glacé dans le cou de son aînée qui pouffa. Les bruits de la ville comblaient le silence qui s'installa entre elles.

- Linaëlle ?

- Hmmm ?

- Tu vas repartir à Dopalis, quand le rassemblement sera fini ?

La jeune fille soupira.

- Oui...

- Pourquoi tu restes pas avec nous ? Murmura l'enfant en plongeant ses yeux dans les siens.

- J'ai des responsabilités là-bas, petit cœur, expliqua Linaëlle. J'ai des élèves qui m'attendent, des soldats à entraîner...

Les yeux d'Azra se remplirent de larmes.

- Jayden aussi a des responsabilités... et Maman va en avoir encore plus maintenant... Je ne les vois pas souvent... Et toi je te verrai jamais...

- J'essayerai de revenir vous voir, la consola Linaëlle.

- Tu promets ?

Linaëlle la regarda un instant, et nota seulement à cet instant la ressemblance. Elles avaient les mêmes cheveux blonds, les mêmes pommettes, les mêmes yeux légèrement en amande, bien que les siens soit d'un brun chaud, presque ambré.

- Oui, je promets, dit Linaëlle en l'embrassant sur le bout du nez.

La petite se frotta les yeux pour en chasser les larmes puis se retourna dans les bras de sa sœur pour admirer les toits de la ville.

- D'ailleurs, reprit Linaëlle, que dirais-tu de m'aider ?

- Comment ça ? l'interrogea l'enfant.

- Tu m'as dit que c'était bientôt l'anniversaire de ta maman non ?

Azra se dévissa le cou pour pouvoir la regarder.

- C'est aussi la tienne, de maman.

- Je sais, admit Linaëlle.

- Alors pourquoi tu l'appelles pas maman ?

- C'est compliqué, petit cœur, esquiva Linaëlle.

- C'est pas compliqué du tout ! Protesta Azra en pivotant à nouveau. C'est ta maman et la mienne ! Tu as le droit de l'appeler maman ! Ça me dérange pas de la partager avec toi...

Linaëlle hésita avant de se résoudre à essayer de lui expliquer devant ses yeux implorants.

- Tu sais que je n'ai pas de souvenir de ma vie ici, n'est ce pas ?

- Oui, approuva Azra.

- Donc dans ma tête, c'était comme si je n'avais plus de maman, de papa ou de frère et sœur, poursuivit la jeune fille. Quand la famille royale de Malatir m'a adopté, ils sont devenus ma famille. Les gens que j'appelle Papa et Maman sont ceux qui m'ont élevée. Pour moi c'est difficile d'appeler Maman quelqu'un dont je n'ai presque aucun souvenir.

- Oh... fit Azra avec une moue déçue.

- Ce qui ne veut pas dire que je ne veux pas passer du temps avec vous trois, tu comprends ? Simplement, il me faut un peu de temps pour vous connaître.

- Mais tu vas partir ... soupira l'enfant.

- C'est pour ça que j'ai besoin de toi, murmura Linaëlle en souriant.

Elle entreprit alors de lui expliquer son idée. Les yeux de la petite pétillèrent de malice et elle accepta avec joie d'aider son aînée. Une fois leur stratégie au point, Linaëlle offrit un deuxième vol à sa petite sœur avant de retourner au palais. Elle la ramena à son point de départ, passa dans sa chambre se changer et l'accompagna jusqu'à ses appartements.

Arrivées à la porte, la jeune fille se pencha pour l'embrasser sur le front et lui chuchota :

- Tu peux venir me voir quand tu veux tu sais.

Azra lui sourit puis entra. Linaëlle secoua doucement la tête et décida de profiter des dernières heures de soleil pour se promener dans le parc. Avant cela, elle fit un détour par les cuisines. Les domestiques malatiriens la saluèrent avec respect sous les yeux médusés de leurs collègues elmakais. Elle demanda quelques pommes tranchées et fut servie dans l'instant par deux gamins empressés qui ouvraient de grands yeux en la regardant, lui tendant sa commande emballée dans un torchon. La Princesse Héritière les remercia en souriant et se dirigea vers les jardins.

Naturellement, ses pas la dirigèrent vers l'endroit où elle avait rencontré les pégases. Le troupeau paissait paisiblement et la jeune fille s'approcha sans crainte. Les animaux mythiques l'accueillirent avec de doux hennissements. Les plus téméraires vinrent sentir le baluchon qu'elle tenait à la main. Elle passa un long moment à distribuer ses fruits et à caresser les chevaux ailés. Leur calme lui faisait du bien. Le soleil disparaissait à l'horizon quand elle rebroussa chemin et Linaëlle se servit de ses yeux draconiques pour voir clair. Une vibration dans l'air l'alerta et elle leva les yeux. Sans surprise, un grand dragon bleu se détachait sur le rouge du ciel, décrivant des cercles en altitude. Linaëlle se métamorphosa et rejoignit son père.

« Toi aussi ... » souffla la jeune fille.

Le dragon gronda.

« Je ne supporte pas de la voir ainsi... Amalicia dit qu'il lui faut du temps mais... Sang et cendres ! Je lis de la peur dans ses yeux quand je la serre dans mes bras ! Comment peut-on faire ça à une enfant ! »

« Je ne sais pas, Papa... » soupira Linaëlle, désolée.

« Ne te sens pas coupable, Lin'. Tu l'as ramenée là d'où personne n'aurait pu le faire. »

« Jayden nous a ramené. ›› corrigea sa fille. ‹‹ Sans lui, aucune de nous deux ne serait ici. »

« En parlant de ta famille elmakaise, nous devons nous entretenir avec l'Archiduchesse demain à propos de ton statut... » l'informa Malvius. « Je ne sais pas si elle va apprécier le fait que tu rentres à la maison... »

« Elle n'appréciera pas, mais elle comprendra. » affirma la jeune fille. « Il va falloir pas mal de temps avant que je puisse me libérer pour passer du temps avec eux à Falm... A moins qu'Amalicia ne m'accorde une faveur. »

« Tu veux lui demander un Tirfamil ? » s'étonna son père qui suivait le fil de ses pensées.

« C'est la seule solution à court terme pour me permettre de faire l'aller-retour sur deux jours... Mais la décision ne dépend pas que d'elle. »

« Il y a des jours où je me demande pourquoi diable nous avons donné une telle indépendance aux mages... »

« Tu sais bien que c'est nécessaire. Ne serait-ce que pour que tu n'ais pas à gérer leurs conflits internes. » ricana Linaëlle.

« Maintenant que tu le dis, c'est vrai que j'avais oublié ce détail. » gloussa-t-il.

Un silence puis :

« Rentrons, il vaut mieux ne pas être en retard à la réception de ce soir. »

« Mais j'arrive toujours à l'heure. » protesta la jeune fille.

« Toi peut-être mais pas moi ! » ricana Malvius.

La chambre était plongée dans le silence quand Linaëlle entra. Le soleil filtrait légèrement au travers des rideaux. Avec un sourire attendrie, la jeune fille regardait Énora dormir dans les bras de sa mère, assoupie également. Elmira n'avait pas quitté la petite depuis deux jours, et les autres membres de la famille s'était relayés pour passer du temps avec elle. Cela avait visiblement porté ses fruits, la nuit semblait avoir été plus calme que la précédente.

Précautionneusement, Linaëlle s'assit sur le bord du lit et posa une main sur l'épaule de sa mère, accompagnant son geste d'une légère pression mentale pour l'éveiller. Celle-ci papillonna des yeux et posa son regard acier dans celui de sa fille.

« Il faut que j'aille me préparer n'est-ce pas ? »

« Tu as encore un peu de temps, je suis venue plus tôt. » la rassura Linaëlle.

« Tant mieux, je préfère la réveiller en douceur. »

« Son état s'améliore. » constata la jeune fille.

« Oui, elle a fait beaucoup moins de cauchemars cette nuit, même si elle sursaute encore à chaque fois que quelqu'un fait un mouvement brusque ou élève un peu la voix. » confirma Elmira.

La petite dans les bras, elle se redressa et déposa plusieurs baisers légers sur son visage. Énora émergea lentement du sommeil et s'accrocha d'instinct à sa mère en geignant.

- Aller sauterelle, ouvre tes jolis yeux, lui chuchota gentiment sa mère.

- Je veux dormir encore Maman, se plaignit-elle.

- Tu pourras te rendormir après, mon cœur, mais je dois me lever et ta sœur est venue te voir.

L'enfant consentit à ouvrir ses yeux encore tout ensommeillés et Linaëlle lui sourit. Énora lui rendit un sourire timide et tendit les bras. La jeune fille s'empressa de l'enlacer et de s'installer confortablement avec elle dans le lit tandis qu'Elmira en profitait pour sortir se préparer.

- Quand tu es là, elles s'en vont, souffla la petite au bout d'un moment. Avec Papa, c'est pareil...

- Qui ça elles ?

- Les silhouettes que je voyais, expliqua Énora, inquiète. Maintenant je ne les vois plus, mais je les sens... Mais elles ont peur des Dragons, quand tu es là, elles s'éloignent.

- Bientôt elles partiront pour toujours, la rassura sa sœur.

- Elles racontent des choses bizarres tu sais...

- Ah bon ?

- Oui, elles parlent d'elfes, de sanctuaires. Elles utilisent beaucoup la vieille langue et je comprend pas tout,  mais il y a un mot qu'elles n'arrêtent pas de répéter : Nassamdoraki ...

- Nassamdoraki ? répéta Linaëlle perplexe.

- Oui, ça veut dire quoi ?

- Je n'en sais rien du tout, Éno'... avoua la jeune fille. Mais ne t'inquiète pas, ce sont des ombres issues d'un mauvais sort, c'est probablement pour te faire peur.

- Hmmm...

Laissant sa sœur somnoler, la jeune fille chercha mentalement Amalicia. La magicienne était heureusement réveillée et Linaëlle put lui répéter les paroles de l'enfant.

« Nassamdoraki ? Je n'en sais pas plus que toi, Linaëlle. Je vais essayer de me renseigner mais j'ignore complètement où chercher, donc ne t'attend pas à des résultats rapides ! » la prévint la Directrice.

« C'est d'accord, merci de votre aide. »

La porte s'ouvrit alors sur Sollia et Kalioska. Pour une fois, la plus âgée tempérait son enthousiasme débordant et se montrait pleine d'attentions envers la benjamine. Linaëlle se demanda si elle devait remercier Kalioska pour ce changement ou si son aînée mûrissait tout simplement. Elle profita du fait qu'Énora se soit rendormie pour en toucher deux mots à sa sœur :

- C'est moi ou tu joues la grande sœur protectrice ? plaisanta-t-elle.

- C'est mon rôle, esquiva Sollia.

- On ne doit pas avoir les mêmes souvenirs alors, rit Linaëlle. Dans les miens, tu étais plutôt celle qui m'entraînait dans les ennuis.

- C'est curieux, ça ne m'étonne pas, enchérit Kalioska.

- Je te raconterais un jour, pouffa la jeune fille avec un clin d'œil.

- Ça va, je ne vous dérange pas, railla sa sœur.

- Non, ça va, rigola Linaëlle.

- Plus sérieusement, avoir faillit vous perdre, toi et Éno, ça m'a fait tout drôle. Je crois que je viens de me rendre compte que nous ne sommes pas immortels, Kalioska, nos parents, nous cinq...  C'est effrayant...

Il y eut un silence où toutes les trois réfléchirent avant que Kalioska ne réponde :

- Si tu vis en ayant en permanence peur qu'il arrive quelque chose aux gens que tu aimes, tu ne peux pas continuer à avancer. Regarde l'état dans lequel j'étais quand je suis arrivée à Dopalis la première fois...

- C'est vrai, tu étais tellement mal que je n'arrivais pas à lire tes sentiments, souffla Linaëlle.

- Alors, qu'est ce qu'on est censé faire ? les questionna Sollia.

- S'inquiéter un peu, mais profiter, beaucoup, et aimer, énormément, souffla son amante avant de l'embrasser.

Linaëlle détourna les yeux et les posa sur Énora. Les paroles de Kalioska sonnaient justes dans son esprit. Bien trop justes.

« On t'attend, Lin'. »

« J'arrive, Papa. »

- C'est valable pour toi aussi, petite sœur, lui murmura la jeune femme à l'oreille.

- Où as-tu appris à être aussi sage ? l'interrogea Linaëlle.

- Le jour où tu m'a montrée que j'avais une place parmi vous, lui rappela Kalioska.

Un sourire étira les lèvres de Linaëlle à la mention de ce souvenir. L'accueil avait été un peu direct.

- Tu as trouvé ta place, je pense qu'il est temps que je trouve la mienne, souffla la jeune fille en se levant. Mes parents m'attendent.

- À tout à l'heure, petite sœur.


Plop ! La suite du chapitre 24 ! Tout en douceur pour vous laisser le temps de vous remettre du précédent ^^.

Et sinon : Nassamdoraki ? Une idée sur ce que ça peut être ? J'attends vos hypothèse ;).

Des bisous et n'hésitez pas à commenter, à cliquer sur la petite étoile et à vendredi prochain ^^.

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