Chapitre 23 : Rouge sur blanc (partie 2)
- Ah, voilà notre invitée d'honneur pile à l'heure pour notre petite fête !
La salle habillée d'or et de marbre blanc était illuminée par de larges fenêtres. Des gradins et une estrade se faisaient face. Les nobles elmakais étaient installés dans les gradins, chacun d'entre eux menacé par une lame sombre sur la gorge. Sur l'estrade, l'Impératrice, enveloppée dans une aura maléfique posait une main possessive sur l'épaule d'Azra et de l'autre menaçait l'Arhiduchesse. À ses pieds, Haïm se tordait de douleur en silence sous l'effet d'un quelconque mauvais sort. Azra, en larme lui jeta un regard plein d'espoir quand elle entra dans la salle. D'instinct, Linaëlle chercha le soutien de ses alliés avant de se rendre compte qu'ils étaient bloqués de l'autre côté de la porte et que celle-ci s'était refermée.
- La situation est très simple, ma chère nièce, déclara l'Impératrice. Telle que tu me vois je peux tous les tuer en une fraction de seconde. Donc tu vas faire exactement ce que je te dis, et tout va bien se passer. Bien évidemment tu peux tenter quelque chose, mais il faudra en assumer les conséquences.
Le cerveau de Linaëlle carburait à toute vitesse. Elle cherchait désespérément un échappatoire, son regard passant de l'estrade aux gradins. Elle sentait l'étoile sur son épaule brûler de magie, mais ne voulait pas l'utiliser alors qu'elle la contrôlait si mal.
- Alors, Linaëlle ?
La jeune fille lui lança un regard noir. En réponse, Kadsuan fit un mouvement du menton et l'un des nobles du premier rang s'effondra, la gorge tranchée par la créature derrière lui.
- Tu porteras le poids de sa mort sur la conscience, mon petit. Dois-je en tuer un deuxième ? l'interrogea-t-elle.
- Non ! s'écria Linaëlle en avançant.
- Ah, tu vois, tu deviens raisonnable, approuva l'Impératrice. Viens me rejoindre, veux-tu ? Et pose ton arme au sol, tu n'en a pas besoin.
Serrant les dents, la jeune fille s'exécuta. L'aura de sa prétendue tante affirmait sa puissance. Même si la jeune fille avait récupéré l'intégralité de sa magie, elle ne pouvait pas faire face à la créature qui possédait le corps de l'Impératrice. Elle grimpa donc sur l'estrade et se posta près de l'Archiduchesse, qui lui lança un regard désolé.
- Regardez si ce n'est pas adorable, ricana Kadsuan. Tu t'inquiètes pour elle, Meriem ? Il ne faut pas, tu sais. Elle a reçu une excellente éducation à Malatir. Et heureusement pour elle, elle a hérité du caractère de son père, pas du tien !
Sa génitrice détourna les yeux, blessée malgré elle par les mots de sa belle-sœur.
- Bien, ma chère nièce, voilà ce que tu vas faire, annonça l'Impératrice. Je compte bien récupérer mon trône que ces vermines voulaient déjà attribuer à un autre. Tu vas donc me prêter main-forte pour effacer la mémoire de tous les gens qui savent ce qu'il s'est passé ici. Oui, je sais tu n'as aucune idée de comment procéder, mais c'est de ton énergie dont j'ai besoin... Évidemment, tu devras ensuite accepter de venir vivre à la Cour Impériale et de servir Manoël quand le temps sera venu. Sinon ta famille va souffrir inutilement. Tu n'aimerais pas être responsable des larmes qui coulent de ces jolis yeux n'est-ce pas ? dit-elle en caressant la joue d'Azra qui pleurait toujours en silence.
Sans le savoir, Kadsuan venait de lui offrir une porte de sortie. C'était quitte ou double, mais jamais elle ne pourrait la laisser reprendre la tête du pays. Ni l'enfermer à la Cour. Elle devait atteindre les portes et pour cela, elle ne voyait qu'une seule possibilité. Frôlant la main de l'Archiduchesse, Linaëlle lui dit :
« Je vais dire des choses affreuses, je n'en pense pas un mot. »
Rassemblant son courage avec une grande inspiration, elle éclata de rire. Ignorant les regards surpris de Meriem et sa fille, elle se concentra sur l'Impératrice qui la dévisageait.
- Pardonnez-moi mais vous êtes d'un comique, pouffa Linaëlle.
- Je peux savoir ce qui te fait rire, persiffla Kadsuan.
- Vous l'avez dit vous-même, expliqua Linaëlle. J'ai été élevé à Malatir ! Dois-je également vous rappeler que j'ai oublié tout ce qui se rapporte à mon enfance ici ? Ces gens que vous dites être ma famille, je les ai rencontrés il y a moins d'une semaine ! Ce sont des étrangers pour moi ! Peut être de vagues connaissances mais sans plus. Vous espérez sérieusement me retenir ici en menaçant de leur faire du mal ? Alors qu'ils ne comptent pas à mes yeux ? Il me suffit de tourner les talons et de vous planter là pour que votre plan tombe à l'eau ! Vous croyez vraiment que je vais préférer la vie d'une poignée d'étrangers contre la mienne et celles de tout un peuple que vous voulez tyranniser ? Vous vous trompez, chère tante.
Là-dessus, la jeune fille se détourna, descendit de l'estrade d'un bon souple, saisit son arme et marcha tranquillement vers la sortie.
- Reviens-ici immédiatement ! Hurla l'Impératrice.
Linaëlle fit la sourde oreille. Le bruit d'un corps qui s'effondre derrière elle la fit crisper ses mains sur la hampe de son arme mais elle continua sans se retourner.
- Si tu ne reviens pas, je les tue tous !
- Cela m'est égal ! Tuez-les donc ! rétorqua Linaëlle.
Un cri de douleur en provenance de l'estrade l'obligea à marquer un temps d'arrêt. Elle serra les dents et s'obligea à continuer.
- Non, pas ça ! Protesta Meriem.
Les larmes aux yeux, les ongles enfoncés dans la peau, la jeune fille luttait pour ne pas se retourner. Elle était presque arrivée à la sortie.
- Ta petite sœur se fait torturer et tu ne réagis pas ? Tu es vraiment un être sans cœur ! Lui lança Kadsuan.
- J'ai déjà une petite sœur, et ce n'est pas elle, assena la jeune fille d'une voix ferme.
Plus que quelques pas et elle y était.
- Allez donc au diable, toi et tes maudits Malatiriens ! pesta l'Impératrice. Je vous aurais tôt ou tard !
Une bourrasque parcourut la salle et les battants de la porte s'ouvrirent en grand, livrant passage à plusieurs Hauts Magiciens, reconnaissables à leur insigne sur la poitrine. Mais Linaëlle avait déjà rebroussé chemin. En quelques secondes, elle se trouvait à genoux près de Meriem qui tenait Azra blottie contre elle. Toutes les abominations avaient disparu, ainsi que l'Impératrice. Seuls les deux cadavres au premier rang, gisant dans une flaque de sang, témoignaient de ce qui avait eu lieu ici.
- Je suis désolée, je ne pensais pas ce que j'ai dit, je ne voulais pas ... mais c'était le seul moyen, je suis tellement désolée... Je vous jure que je ne le pensais pas...
Linaëlle répétait la phrase en boucle, d'un ton plaintif. Meriem mît fin à son monologue en l'attirant aussi contre elle. Linaëlle ne résista pas, lui rendant au contraire son étreinte.
- Je sais, chuchota l'Archiduchesse.
- Maman... geignit Azra en posant un regard effrayé sur Linaëlle.
- Ta sœur a dit toutes ces vilaines choses pour que ta tante se désintéresse de nous et s'en aille, pour qu'elle ne reprenne pas le contrôle de l'Empire, lui expliqua doucement sa mère.
- Ce n'était pas vrai alors ? Demanda timidement la petite.
- Jamais Azra, jamais de la vie, jura Linaëlle en la prenant dans ses bras, les larmes aux yeux.
Rassurée, l'enfant se nicha avec une confiance nouvelle contre elle. Meriem se joignit à elles et les berça doucement, des larmes de soulagement glissant sur ses joues.
- Tout le monde va bien ici ? Interrogea Malvius, faisant voler en éclat la bulle dans laquelle elles se trouvaient.
- Oui ça va, Papa, confirma Linaëlle en s'écartant.
- Tu montreras quand même ton bras à un guérisseur, s'inquiéta son père.
- Ne vous en faites pas Malvius, je vais m'occuper de ça, déclara Amalicia en surgissant dans son dos.
- Bien, approuva le Roi. Je voulais juste vous avertir Votre Excellence, que votre beau-frère a souffert de ce que lui a infligé Kadsuan mais qu'il devrait s'en remettre.
Meriem acquiesça d'un mouvement de tête, Azra toujours dans les bras. Elle comprenait sans mal ce que cela sous-entendait. Le combat était simplement reporté.
Amalicia s'occupa du bras de Linaëlle, dont l'étoile avait arrêté de briller. Elle proposa ensuite d'examiner Azra, ce que la fillette accepta, encouragée par sa mère. Hormis une légère déshydratation dû au fait qu'elle n'avait rien avalé depuis hier midi, l'enfant ne souffrait de rien. Elle eut donc droit à un grand verre d'eau et quelques recommandations.
Meriem remerciait la magicienne quand Jayden déboula dans la pièce et se précipita vers elles. Le jeune homme avait un bras en écharpe et une estafilade de la tempe au menton mais semblait en bonne santé. Il serra sa mère contre lui, puis Azra et fit de même avec Linaëlle. D'abord surprise, la jeune fille se laissa faire sous le regard amusé de la Directrice qui s'éloignait.
- J'ai eu tellement peur pour vous, murmura-t-il.
- Qu'as-tu fait à ton bras ? interrogea Linaëlle pour l'éloigner un peu.
Son aîné fit la grimace.
- Une de ses choses me l'a cassé. Heureusement, on m'a guérit mais je dois le garder au repos pendant quelques jours.
La jeune fille acquiesça distraitement. En relevant les yeux, elle avait croisé le regard d'Elmira posé sur elle. La tristesse qu'elle y avait lu un bref instant l'avait boulversée. Quand la Reine lui avait rendu son regard, toute trace de chagrin avait disparu de ses yeux gris, mais Linaëlle n'était pas dupe.
- Je pense qu'il vaut mieux que tout le monde regagne ses appartements pour se reposer, proposa Meriem. Et éventuellement prendre un repas et un bain chaud.
- Bonne idée, approuva Jayden. Tu viens avec nous, Linaëlle ?
- Partez devant, je vous rejoins, répondit-elle sans réfléchir.
Tandis que sa famille de sang quittait la salle, la jeune fille s'avança vers sa mère, en pleine discussion avec Romain et un autre de ses agents. La conversation tirait sur sa fin et les deux hommes s'inclinèrent avant de se retirer. Profitant de la situation, Linaëlle saisit les mains de sa mère, tandis que la salle se vidait.
- Maman ... commença-t-elle.
- Viens-là, l'interrompit Elmira.
Elle la serra brusquement contre elle, serrant les poings dans son dos. Linaëlle hoqueta de surprise. Sa mère inspira à fond et expira lentement, relâchant son étreinte.
- C'est ridicule je sais, souffla Elmira.
- Quoi donc ?
- D'être jalouse de l'Archiduchesse. J'essaye de ne pas y penser mais... Quand je t'ai vu dans ses bras tout à l'heure, c'était plus fort que moi, je ... Oh, trésor je t'aime tellement... Je ne veux pas que tu partes... soupira Elmira dans ses cheveux.
- Mais je suis toujours là, protesta Linaëlle. Je t'aime aussi et je ne compte pas vous quitter. Simplement, j'ai besoin de comprendre, de les découvrir...
- Je sais... mais c'est plus difficile de le supporter que je ne le pensais, avoua sa mère.
- J'ai dit que je mangerais avec eux, chuchota Linaëlle.
Une seconde Elmira se crispa à nouveau avant de dire :
- Fais attention à toi.
Linaëlle se détacha d'elle à regrets et sortit enfin. Fiona et Noah l'attendaient à la porte.
- Besoin de nous ? s'enquerra la jeune fille.
- Non, ça va aller, mais tâchez de donner un coup de main pour remettre le palais en ordre.
- Compte sur nous, approuva la magicienne.
Noah ne dit rien et s'inclina à l'unisson de sa consœur avant de s'éloigner. Linaëlle soupira face à son comportement. Il lui en voulait toujours.
Elle localisa magiquement l'Archiduchesse et remonta d'un étage. En chemin, elle croisa plusieurs corps et beaucoup de blessés. L'explosion qui avait permis l'entrée des créatures venait visiblement de non loin. Un instant les paroles de Kadsuan lui revinrent en tête : « Tu porteras le poids de sa mort sur la conscience. ». La jeune fille s'arrêta net, juste devant les appartements de sa génitrice, et passa une main sur son visage. Non ce n'était pas sa faute ! Elle avait fait tout son possible pour éviter des victimes plus nombreuses.
La jeune fille se secoua et frappa à la porte, qui s'ouvrit sans attendre. Une vieille femme lui faisait face, probablement une domestique. Elle l'examina de la tête aux pieds avant de lâcher :
- Ah, c'est vous. L'Archiduchesse m'a prévenue de votre arrivée. Elle est dans la salle d'eau avec sa fille. Si vous voulez bien vous donner la peine d'entrer.
Linaëlle franchit le seuil et examina les lieux avec curiosité. L'endroit était meublé avec goût, moins tape-à-l'œil que le reste de l'aile Est et lui semblait vaguement familier. D'instinct, elle se dirigea vers une porte dont elle savait qu'elle fermait la salle d'eau. Elle toqua pour annoncer sa présence et entra.
Un large bassin rempli d'eau chaude se trouvait au centre de la pièce entièrement faite de pierre blanche et lisse. Azra et sa mère étaient plongées jusqu'au cou dans l'eau, l'Archiduchesse lavant les cheveux de la petite. Les yeux fermés, Azra ne semblait pas s'être aperçue de sa présence. Un sourire aux lèvres, Linaëlle se dépêcha d'ôter ses vêtements et de les rejoindre. Elle se posta juste devant l'enfant et l'embrassa sur le nez. La petite ouvrit les yeux et se jeta en arrière contre sa mère, surprise de la trouver si proche, provoquant un éclat de rire chez les deux autres.
- Mais ! s'exclama Azra, vexée.
- Tu n'aimes pas les bisous sur le nez, fit mine de s'étonner Linaëlle.
- Si mais pas par surprise ! se défendit la fillette.
Linaëlle lui adressa un clin d'œil avant de se laisser aller dans l'eau chaude. Son dos trouva appui sur le bord du bassin suffisamment grand pour qu'une demi-douzaine de personnes puissent s'y baigner. Avec un soupir de satisfaction, elle ferma les yeux et savoura la sensation de la tension quittant ses muscles.
- Tu es blessée ? S'étonna l'Archiduchesse.
Rouvrant les paupières, la jeune fille posa un regard interrogateur sur elle. Meriem avait terminé de s'occuper des cheveux d'Azra et l'enfant avait plongé pour se débarrasser de la mousse. Elle s'était ensuite approchée de sa fille aînée pour constater à travers la surface de l'eau que plusieurs tâches bleuies s'étalaient sur son corps, notamment au niveau du buste. Se rappelant les combats, Linaëlle grimaça.
- L'un de mes adversaires m'a poussée dans les escaliers, avoua-t-elle. Rien de grave mais je vais être endolorie quelques jours.
- Tu devrais faire soigner cela, insista Meriem.
- Les guérisseurs sont un peu occupés en ce moment, ce n'est rien je vous assure.
Doucement, l'Archiduchesse s'approcha et posa un baiser sur sa tempe.
- Merci, lui murmura-t-elle à l'oreille.
- Vous n'avez pas à me remercier pour cela, tout le monde aurait fait la même chose.
Meriem hocha négativement la tête.
- Non, tout le monde n'aurait pas tenté de me prévenir de ce qui allait suivre, chuchota-t-elle. T'entendre et te voir agir ainsi, si tu ne m'avais pas mise en garde auparavant... Je crois que j'aurais tenté une folie.
- Moi j'étais triste de t'entendre dire ça, geignit Azra qui s'était rapprochée.
- Je ne le pensais pas, Azra.
- Je sais, et c'est bien mieux comme ça, approuva la petite.
Elle vint s'appuyer contre l'épaule de Linaëlle, qui l'attira contre elle. Savoir qu'elle allait bien et qu'elle n'avait pas souffert durant sa courte captivité apaisait l'esprit de la jeune fille. Elle n'aurait pas supporté qu'il lui arrive quelque chose. Pas uniquement parce qu'elles partageaient les mêmes parents, mais aussi parce que sa dragonne lui offrait un puissant instinct protecteur. On ne touchait pas aux petits, c'était la règle. Néanmoins, quelque part dans son esprit, une petite voix murmurait que l'enfant n'était pas encore tirée d'affaires, si Kadsuan l'avait contaminée. Linaëlle secoua la tête et déposa un baiser dans les cheveux trempés d'Azra puis se détacha d'elle, s'immergeant entièrement dans l'eau. Elle creva la surface rapidement et accepta avec joie la lotion parfumée que lui tendait sa génitrice. Elle se nettoya les cheveux et le corps, laissant la mousse emporter l'angoisse et la lassitude.
Une fois rincée, elle éclaboussa Azra qui poussa un cri outragé avant de répliquer. Meriem sortit promptement du bassin, les laissant se taquiner. Elle démêlait ses cheveux châtains, emballée dans un peignoir azur, observant avec tendresse sa benjamine apprivoiser peu à peu sa sœur.
Plop, suite du chapitre 23 ! Linaëlle a eu chaud quand même !
Sinon on a récupéré Azra, ouf !
Je vous fais des bisous et à la semaine prochaine pour la conclusion de ce chapitre ! ^^.
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