Chapitre 22 : Les vents du changement (partie 4)


Remuant ses pensées déplaisantes, elle ne perçut pas la présence de sa mère avant qu'elle ne l'attire contre elle.

- Je t'entends broyer du noir depuis l'autre extrémité du palais, lui reprocha doucement Elmira.

Linaëlle gémit et cacha sa tête dans les cheveux exceptionnellement détachés de sa mère. Celle-ci s'installa à son côté et caressa les siens, attendant qu'elle se décide à soulager son cœur.

- Je t'aime, Maman, chuchota la jeune fille.

- Moi aussi, trésor, n'en doute jamais... affirma la Reine. C'est donc ça qui t'inquiète ?

- Hmmm... Je m'inquiète pour Azra et cela me fait prendre conscience du point auquel je me suis déjà attaché à eux, confia sa fille. Je ne sais pas quoi faire... J'ai l'impression de ne plus savoir où est ma place, avec vous, avec eux... Ça ne m'a jamais dérangé d'avoir plusieurs rôles à tenir mais ces deux-là sont incompatibles...

- Linaëlle, regarde-moi, souffla Elmira.

Elle prit la tête de la jeune fille entre ses mains, l'obligeant à soutenir son regard et lui dit :

- Je t'aime, ton père t'aime, tes frères et sœurs t'aiment. Ce n'est pas parce que tu es apparentée à la famille Impériale que cela va changer. Tu ne dois pas te sentir coupable de ça. Je ne te cacherais pas que pour nous c'est un peu compliqué de devoir te « partager » avec les Elmakais, mais il faut que tu gardes en tête qu'on ne t'en voudra pas de passer du temps avec eux. Je sais que tu es dans le flou vis à vis de ton rang, de ta famille... Nous discuterons de tout cela à tête reposée avec l'Archiduchesse quand cette histoire de Régence sera conclue. On trouvera une solution, un statut clair et défini pour te rassurer, toi, et pour informer les gens. D'accord ?

- D'accord, Maman.

- Ta mère a raison, il ne faut pas te faire du mouron comme ça, dragonneau, confirma son père sur le pas de la porte.

À son tour il prit place de l'autre côté de sa fille et passa un bras autour de ses épaules pour la ramener contre lui. Elmira se coula dans son dos et lui enlaça la taille. Linaëlle se sentit immédiatement en sécurité. Elle profita de ce moment trop rare où elle pouvait avoir ses deux parents rien que pour elle, partager cet instant de tendresse avec eux. Dans leurs bras, il ne pouvait rien lui arriver. Ses soucis s'envolèrent au rythme des battements de cœur de son père et de la respiration de sa mère, et elle émit un petit bruit de satisfaction.

- Voilà qui est mieux, murmura son père. Je préfère te voir comme ça.

La jeune fille hocha la tête contre sa poitrine. Doucement, il la repoussa dans les bras de sa mère et posa une main au niveau de son cœur, appelant la dragonne de Linaëlle.

- Elle ne devrait plus dormir trop longtemps, ta magie se reconstitue vite.

- J'espère qu'elle ne va pas tarder, râla la jeune fille. J'avais oublié combien avoir froid était désagréable.

Elmira pouffa dans son oreille.

- Bienvenue dans le commun des mortels, rit-elle.

- Comme si je te laissais avoir froid, la taquina Malvius.

- Je dois avouer que tu tiens agréablement chaud, rebondit sa femme.

- Je tiens à signaler que je suis toujours là, s'interposa Linaëlle.

Ils rirent de bon cœur tous les trois puis ses parents laissèrent la place à Kalioska, Sollia et Énora, avant d'elles même prendre congé pour permettre à Xavier et Cassildey de la voir. Jayden passa en coup de vent, le temps de prendre de ses nouvelles. La jeune fille remarqua sans difficulté à quel point il semblait affecté par la situation. Entre la disparition d'Azra et la joute politique qui s'engageait, il semblait complètement refermé sur lui-même et Linaëlle regretta de ne pouvoir user de sa magie sur lui.

Avec toutes ses visites, la jeune fille n'eut pas le temps de jeter un œil au livre que Victoire lui avait ramené avant la fin de l'après-midi. La jeune femme avait paru fort satisfaite d'elle-même en posant le livre sur la coiffeuse et à la vue de l'ancienneté de la couverture, elle avait rapidement compris que le manuscrit ne venait pas de la bibliothèque.

Il s'intitulait « La magie des auras ou la puissance des émotions ». Une note écrite à la main était glissée à la première page.

« Je l'ai trouvé au fond du grenier dans une caisse remplie d'autres bouquins du même genre. Je pense que vous en ferez bon usage.

Victoire »

La jeune Princesse Héritière sentit un sourire involontaire naître sur ses lèvres. Quand Victoire avait-elle trouvé le temps d'aller faire un tour au grenier ? Elle feuilleta rapidement les parties concernant les effets, les moyens de s'en protéger et les relations avec les autres formes de magie. Ce qui l'intéressait, c'était les particularités des mages d'auras, particulièrement la couleur verte de leurs iris. Elle finit par trouver ce qu'elle cherchait au détour d'un paragraphe.

« C'est un fait avéré que les mages possédant ce type de magie ont les yeux verts. Néanmoins, l'inverse n'est pas vrai : toute personne ayant les yeux verts n'appartient pas forcément à cette catégorie de mages. Il n'existe à ce jour aucune exception connue à cette règle. Cependant, on notera un phénomène particulier lié à cette magie. Un mage d'auras dont le pouvoir a été brisé par un autre verra un de ses yeux changer de couleur, obtenant ce que l'on appelle couramment des yeux vairons. Dans les cas les plus extrêmes, les deux yeux modifient leur coloration mais cela aboutit dans la plupart des cas à la mort du sujet ou à une forme profonde de démence. »

Daniela s'était donc vu privée de son don par un autre mage d'aura... Mais d'après ce que lui avait raconté l'Archiduchesse, ça ne pouvait pas être elle... Cela n'expliquait donc en rien le rejet de sa cousine à son égard. Intriguée, elle continua de survoler le manuscrit.

« Les mages d'auras forment une communauté bien plus importante en Elmakan, pour la raison simple que la famille royale a toujours vivement encouragé ce don. Il est presque de tradition qu'un mage d'aura, préférentiellement de la famille Impériale ou lié à elle par le mariage, soit conseiller de l'Empereur, quand l'Empereur ne maîtrise pas lui-même ce don. Il n'est pas rare en effet que l'héritier soit doué de la magie d'aura, cette disposition fut même pendant un temps un critère de sélection pour les Impérators.

Le statut de conseiller peut être indépendamment occupé par un homme ou une femme, et confère à son détenteur une indépendance et un rang extrêmement élevé à la Cour Impériale. Il est de notoriété publique ... »

Linaëlle relut une deuxième fois l'extrait pour être sûre de bien comprendre. Voilà à quoi la destinait l'Impératrice avant de s'enfuir. Car ni Manoël, ni Yaël n'étaient mage d'auras, et Daniela semblait privée de son don. Quant à Jayden, il n'avait pas été élevé pour tenir ce rôle. Elle par contre aurait merveilleusement fait l'affaire. Comme l'avait expliqué l'Archiduchesse la veille, il ne manquait plus qu'un fiancé et elle coinçait Linaëlle. La jeune fille frissonna de peur rétrospective, sans les avertissements de sa génitrice, elle serait tombée droit dans le piège. En tout cas, cela expliquait la haine de sa cousine. Elle lui en voulait de prendre la place à laquelle elle ne pouvait plus accéder.

Sa réflexion lui rappela les propos de Delthéa sur leurs envahisseurs, en particulier le fait qu'ils choisissent leurs cibles en fonction de leurs émotions négatives... Daniela pouvait-elle être possédée comme sa mère ? Ce questionnement tira une grimace à Linaëlle. Cela allait sérieusement lui compliquer la tâche si cette hypothèse se confirmait.

Elle en revenait toujours à la même conclusion, elle devait consulter les Mémoires des Dragons... Mais avant cela, les Elmakais devaient se mettre d'accord sur la Régence et entériner les nouveaux accords avec leurs voisins pour que ceux-ci puissent enfin rentrer à Dopalis...

Elle cogitait encore quand quelqu'un frappa à la porte. Méfiante, elle fronça les sourcils en se redressant. Personne ne frappait jamais à la porte de sa chambre, hormis parfois ses frères et ils annonçaient toujours leur arrivée mentalement. Comme elle tardait à répondre, de nouveaux coups se firent entendre. Linaëlle s'approcha et entrouvrit le battant pour découvrir l'Archiduchesse sur le pas de la porte.

- Puis-je entrer ? lui demanda celle-ci.

- Oui, bien sûr, je vous en prie, l'invita la jeune fille, rassurée.

- Je ne te dérange pas, j'espère, hésita Meriem.

- Pas du tout, je me reposais en attendant le dîner.

Linaëlle se glissa à nouveau sous les draps tandis que sa génitrice s'installait à son chevet. l'Archiduchesse portait une longue robe de cérémonie bleue azur, brodée d'or et de pierreries. Ses cheveux noués en chignon étaient surmonté d'une couronne d'or et de saphirs représentant une flamme inscrite dans un symbole triangulaire dont les côtés se poursuivaient par trois spirales. L'objet respirait la noblesse et l'ancienneté. Le détail des gravures et la délicate incrustation des pierres forçaient le respect. Voyant la curiosité de sa fille, Meriem sourit.

- Elle est belle, n'est-ce pas ?

- Magnifique, admit la jeune fille.

- C'est Aërim, la couronne des Archiducs de l'Ouest, expliqua l'Archiduchesse avec fierté. Elle est aussi vieille que l'Empire. La légende raconte qu'elle a été forgée par les elfes avant qu'ils ne coupent les ponts avec les humains.

Linaëlle nota tout de suite le changement chez sa vis-à-vis. Avec cet ornement, Meriem semblait plus assurée, moins fragile, comme si l'objet lui apportait la force et la confiance qui lui manquaient d'ordinaire.

- Les trois autres Archiducs possèdent-ils également des couronnes comme celle-ci ? se renseigna-t-elle.

- Ils en ont également, confirma sa génitrice. Mais sans vouloir paraître orgueilleuse, elles sont bien loin d'égaler Aërim.

Un sourire admiratif étira les lèvres de la jeune fille. Malgré l'absence de sa magie, elle vit la fatigue de Meriem quand elle s'appuya sur le dossier du fauteuil.

- Dure journée... souffla-t-elle doucement.

- Notre politique n'a jamais été simple, murmura l'Archiduchesse. Mais actuellement, cela ressemble à une partie de Keshet où les joueurs ne connaissent pas les règles. Tout est à reconstruire, les équilibres se modifient en permanence... Cela peut aussi bien jouer en notre faveur que contre nous.

- Vous estimez avoir des chances de l'emporter ?

- Les grandes familles se sont déjà mis d'accord sur le fait qu'instaurer la Régence sous le contrôle du conseil était une mauvaise idée, l'éclaira Meriem. C'est déjà un grand pas en avant puisque cela remet en jeux un certain nombre de soutien qui se sont rangés dans un des deux camps. L'avantage est qu'Haïm vous hait et qu'il rejette en bloc tous les accords qui pourraient être négociés avec Malatir. Or, beaucoup de nobles tireraient des bénéfices de ses accords. Et ils ont déduit que je serai bien plus encline que lui à négocier avec ton pays d'adoption. C'est ce qui fera, je pense, pencher la balance en notre faveur. Indirectement, tu m'es un argument de poids.

- Je suis heureuse de pouvoir vous aidez, ironisa Linaëlle.

- Ne va pas penser que ... commença-t-elle vivement.

- Je sais, la coupa gentiment la jeune fille. Je constate simplement que même en me tenant à l'écart, je me retrouve mêlée à tout ça.

Le silence s'étira doucement entre elles. Linaëlle sentit sa dragonne s'étirer nonchalamment et porta la main à sa poitrine en sentant la chaleur se répandre en elle.

Liquide... respirer...

Non c'était fini, elle avait dormi pendant deux jours. Les pensées de ses deux facettes s'harmonisèrent peu à peu, l'une rassurant l'autre.

- Linaëlle ?

La jeune fille releva les yeux et rencontra le regard inquiet de sa génitrice.

- Tout va bien, la rassura-t-elle. Ma dragonne s'est réveillée.

- Ah, tant mieux, sourit l'Archiduchesse.

Elle se leva et déclara :

- Je ne vais pas te déranger plus longtemps, tu as besoin de te reposer.

- Attendez, je ... commença la jeune fille en se levant à son tour.

Meriem leva un sourcil interrogateur. Linaëlle hésita un instant avant de se lancer :

- Il y a quelque chose... qu'il faut que j'essaye.

- Je t'en prie, fait donc, l'autorisa l'Archiduchesse.

La jeune fille s'approcha, se haussa sur la pointe des pieds et posa son front contre le sien. Aussitôt, une déferlante d'émotions envahit Linaëlle par l'intermédiaire du lien qu'elle avait créé. Elle s'écarta, boulversée de voir son hypothèse se confirmer. Dans les yeux de sa génitrice, elle lut qu'elle aussi avait compris.

- Tu as ...

- Remis en place le lien que nous partagions avant ... compléta Linaëlle.

- C'est impossible... s'étrangla l'Archiduchesse. Elle me l'avait pourtant assuré...

- J'ignore si l'Impératrice vous a menti ou pas, je ne comprends pas moi-même comment cela a pu se produire... murmura la jeune fille en se rasseyant. Depuis hier je sens des sentiments qui ne sont pas les miens, même avec ma magie limitée... C'est ainsi que j'ai compris qu'elle vous faisait souffrir, et que j'ai pu prévenir Xavier.

Lentement, l'Archiduchesse la rejoignit sur le bord du lit et passa une main dans son dos.

- Cela t'effraie, constata-t-elle à regrets.

- Je ne sais plus où j'en suis, avoua Linaëlle. Pour vous, tout ça est tellement naturel... Moi je ne me souviens de rien, hormis les rares visions que j'ai eu. Je sais que vous m'aimez car le lien me le hurle dans les oreilles. Mais il faut que vous compreniez que de mon point de vue, nous nous sommes rencontrées il y a quatre jours... Sans vouloir vous blesser, vous êtes presque une étrangère pour moi. Alors partager un lien aussi intime avec vous... Oui cela m'effraie...

Meriem resta silencieuse face à ce discours. Elle s'efforçait de ne pas la prendre dans ses bras. La sentir aussi déboussolée lui donnait envie de la rassurer, mais elle ignorait comment son geste serait perçu. Elle eut finalement sa réponse quand la jeune fille posa sa tête sur son épaule. Elle glissa un bras autour de sa taille et chuchota :

- Nous discuterons de tout cela à tête reposée une fois que le problème de la succession sera réglé, veux-tu ?

- Ma mère m'a dit la même chose, souffla Linaëlle.

- La Reine est une personne avisée, approuva Meriem. En attendant, garde en mémoire que je ne veux pas te rendre malheureuse, Linaëlle. Nous avons toute une vie pour réapprendre à nous connaître.

- Merci de me laisser du temps...

Linaëlle venait de m'offrir une occasion en or pour changer radicalement la politique de son pays d'origine. Son coup d'éclat m'avait surpris à l'époque, car il était fortement improbable. J'aurais dû comprendre que l'improbabilité n'était pas un obstacle pour elle. Les événements se précipitaient et j'avais de moins en moins de visibilité sur les voies de l'avenir. Leur emprise sur le monde se précisait et je craignait de lui faire emprunter la mauvaise voie. Cependant je devais faire un choix parmi ceux qui s'offraient à moi. Je me demande parfois encore comment aurait été le monde aujourd'hui si j'avais pris une autre décision.


Wahou ! Le chapitre 22 est enfin terminé ! Je pense que vous vous en doutez, mais c'est à partir d'ici que les deux fins qui existaient commençaient à s'éloigner l'une de l'autre.

Alors des commentaires sur ce chapitre ?
Bisous à vous et à la semaine prochaine ^^.

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