- Vous venez donc voir Linaëlle ?

- En effet, j'espérais pouvoir m'assurer de sa santé, confirma-t-elle.

- Elle dort pour l'instant et il vaut mieux ne pas la déranger, annonça tranquillement la Reine.

Sa déception dû se lire sur son visage car elle ajouta :

- Si cela peut vous rassurez, moi-même je n'ai pas eu le droit d'entrer dans sa chambre. Noah et Fiona veille sur elle comme sur la dernière merveille du monde et je ne parle même pas de Sophia...

- Je croyais que votre fille aînée s'appelait Sollia ? questionna l'Archiduchesse, perdue.

- En effet, c'est bien le cas, répondit la Reine un brin amusée. Sophia est une domestique qui s'occupe de Linaëlle depuis son arrivée parmi nous.

La tristesse enserra de nouveau le cœur de l'Archiduchesse et elle détourna le regard. Elmira perçut son trouble et posa un regard interrogateur sur elle. Prenant une profonde inspiration, l'Elmakaise déclara a brûle-pourpoint.

- Il faut que je vous dise quelque chose d'important, l'Impératrice veut ...

- Veut ? la relança Elmira.

Posant son regard dans celui de la Reine, elle tenta d'exprimer par ses yeux tout ce qu'elle ne pouvait lui dire. Le silence s'étira entre elles, tendu.

- Protégez-la pour moi, voulez-vous ? chuchota-t-elle enfin. Moi je ne peux pas...

- La protéger de quoi, Votre Excellence ? la questionna Elmira.

- Je ...

À nouveau les mots restèrent bloqués dans sa gorge et une douleur sourde naquit dans sa tête comme elle tentait de forcer le barrage du sortilège. Le désespoir lui fit tourner les talons mais la Reine la saisit par l'épaule et planta ses prunelles vives dans les siennes.

Elmira réfléchissait à toute vitesse. Elle avait déjà vu ce comportement durant la guerre. A l'époque, les soldats ennemis capturés ne livraient pas même sous la torture les renseignements attendus. Les mages avaient fini par identifier la source du problème, la manipulation mentale. Une manœuvre subtile et difficile à contrer même une fois qu'on en avait connaissance.

« Xavier, réveille-toi. » ordonna la souveraine.

« Hmmm je ne dors pas, Maman » marmonna le jeune homme.

« Saurais-tu briser une manipulation mentale de vérité ? »

« Je pense, c'est délicat mais pas impossible. Sur qui voudrais-tu que je le fasse ? » demanda-t-il avec un regain d'intérêt.

« L'Archiduchesse Meriem. » annonça platement sa mère.
« Pardon ?! » hoqueta-t-il. « Qu'est ce que tu as fait, Maman ? »

« Absolument rien mais je crois avoir compris l'étrange comportement de l'Archiduchesse. » expliqua Elmira. « Je pense qu'elle est sous la coupe mentale de l'Impératrice. »

« Dans ce cas briser le sort ne lui sera pas bénéfique. » contra Xavier. « Il faudrait en plus qu'on la protège de l'éventualité d'une autre manipulation. »

« Linaëlle peut faire cela, ou du moins elle le pouvait autrefois. »

« Linaëlle est dans les vapes, Maman... et vu que les algues d'Endoris lui ont volé une grande partie de son énergie, elle ne sera pas en l'état de faire ça ! » protesta le jeune homme.

« Elle n'a pas besoin de lancer de sort pour cela, rappelle-toi le jour où elle a rencontré ton grand-père. »

« Je ne sais pas si c'est une bonne idée... » hésita Xavier

« Écoute, c'est important ! Je pense qu'elle est au courant des plans de Kadsuan, l'avoir de notre côté serait un atout de taille ! »

« Ou c'est un piège de la part de l'Impératrice ! » s'opposa le jeune homme.

« Tu as dit toi-même qu'elle n'avait aucun pouvoir, tu ne risques rien en lui enlevant le blocage et en fouillant son esprit. Tu sauras si elle est de notre côté et si c'est le cas, nous la protégerons. » argumenta sa mère.

« Tu n'as pas tort. Mais je ne pourrais pas agir tant que Linaëlle ne sera pas réveillée. »

« Je sais, mais en attendant il faut la garder la plus éloignée possible de sa belle-sœur. » conclut Elmira.

Elle coupa la conversation et revint à Meriem qui l'observait d'un air inquiet.

- Ne vous inquiétez pas elle ne risque rien dans l'immédiat. En attendant, venez avec moi, l'invita Elmira.

Un espoir ténu se dessina sur le visage de l'Elmakaise et elle suivit avec une confiance nouvelle la Reine de Malatir.

Celle-ci l'entraîna vers le salon qui avait été adopté en tant que lieu de réunion de la famille royale. Kalioska s'y trouvait en train de feuilleter un livre dans sa langue maternelle. Elle salua chaleureusement Elmira à son entrée mais marqua un temps d'arrêt en s'apercevant de la présence de l'Archiduchesse.

« Que fait-elle avec vous ? » demanda la jeune femme dès qu'Elmira eu ouvert le lien.

La Reine lui résuma brièvement la situation et ajouta :

« Si tu veux bien essayer de convaincre Sollia de forcer le barrage établi par Fiona et Noah, j'ai besoin de savoir si ils peuvent estimer quand elle se réveillera. Ah, et éventuellement, qu'elle prévienne les autres. »

« Je vais tenter le coup. » accepta Kalioska.

Sans un mot, elle tourna les talons et prit la porte. Croisant le regard étonné de Meriem, Elmira eu un sourire d'excuse.

- Navrée, dans ce genre de situation, les communications mentales sont bien plus simples et rapides.

- Vous possédez donc tous des dons magiques ? s'étonna l'Archiduchesse.

- Pas tous non, mais les liens que créent les mages de la famille nous permettent de communiquer, c'est une question de pratique, l'éclaira la Reine.

Meriem se tut. Elle avait du mal à comprendre comment ce genre de choses pouvaient être réalisables. Lentement elle entrouvrait une porte sur un monde qui lui était totalement inconnu. Elmira s'installa dans un des fauteuils près de la cheminée et invita l'Archiduchesse à faire de même. Un silence gêné s'installa entre elles. Meriem ne savait pas pourquoi elle l'avait fait venir tandis qu'Elmira se rappelait brusquement qui se tenait en face d'elle. Le regard perdu dans les flammes, l'Elmakaise prit finalement la parole :

- Elle m'a beaucoup parlé de vous...

- Vraiment ? s'étonna Elmira en tournant le regard vers elle.

L'Archiduchesse hocha doucement la tête, mains croisées sur ses cuisses.

- Oui... Comment vous l'avez rencontrée, protégée, aimée... Elle a eu de la chance, et elle en a toujours, de vous avoir auprès d'elle...

- J'aurais dû la tuer ce jour-là, murmura l'ex-Commandante.

- Mais vous ne l'avez pas fait, l'apaisa Meriem.

- Non, je n'ai pas pu... soupira la Reine. Quand je l'ai regardée avec ses grands yeux verts remplis de larmes et de terreur... J'ai su que je la protégerais pour toujours. Comme un besoin vital qui s'est ancré dans mon cœur. Je ne me l'explique toujours pas malgré le temps. On parle souvent de coup de foudre amoureux, pour ma part j'ai reçu un coup de foudre filial...

Un temps de réflexion puis :

- Et vous n'avez jamais cherché à retrouver sa famille ? questionna l'Archiduchesse.

Elmira entendit clairement poindre une note accusatrice dans sa voix et baissa les yeux sur les flammes. Elle redoutait ce moment mais ne pouvait plus reculer, aussi prit-elle le temps de choisir soigneusement ses mots et de prendre une grande inspiration avant de dire :

- La situation ne s'y prêtait pas. Envoyer des soldats à la rencontre d'une de vos armées leur auraient garanti une mort immédiate ou la torture. Et signaler sa présence au Roi Althis m'aurait obligé à la tuer. Et la petite ne se souvenait de rien, ce qui n'arrangeait nullement les choses. Croyez-moi, si j'avais su...

Elle secoua lentement la tête avant d'oser soutenir le regard de l'Archiduchesse. Elle ne la connaissait pas assez pour lire l'expression de son visage. Tendue, elle attendait son jugement.

Meriem finit par soupirer.

- Vous avez rempli mon rôle pendant plus de douze ans et aujourd'hui vous la connaissez bien mieux que moi. Elle vous aime et vous l'aimez, cela saute aux yeux dès qu'on vous voit ensemble. Vous m'avez enlevé ma fille et pourtant, je ne peux que vous pardonner car au fond, je pense qu'elle a été plus heureuse avec vous qu'elle n'aurait pu l'être avec moi.

- Je... commença la souveraine stupéfaite du discours de sa rivale.

Meriem l'interrompit d'un geste et se leva pour prendre congé. À la lumière de cette conversation, elle venait de prendre une décision.

- Je n'interférerais pas dans sa vie, savoir qu'elle est heureuse avec vous me suffit. Et elle sera mieux protéger de...

Elmira n'en croyait pas ses oreilles. Elle lui pardonnait aussi facilement, sans hargne, sans argumentation, simplement... Cela la surpris et allégea considérablement la culpabilité qui l'écrasait en présence de cette femme. Légèrement extatique, elle se reprit bien vite en voyant l'Archiduchesse se diriger vers la sortie et en se remémorant ses paroles. Hors de question qu'elle abandonne maintenant ! Elle se leva et saisit la femme par le bras pour la faire pivoter et la regarder dans les yeux.

- Vous renoncez à elle, pensez-vous honnêtement qu'elle va en faire autant ? S'exclama la Reine. Qu'elle acceptera de vous chassez de ses pensées comme un rêve éphémère ? Vous ne pouvez pas entrer et sortir de sa vie comme bon vous semble. Maintenant que vous êtes là, vous devez aller jusqu'au bout !

- Vous ne comprenez pas ... soupira l'Elmakaise en évitant son regard. Elle doit rester loin de nous si elle ne veut pas souffrir.

- Je comprends mieux que vous ne le pensez, affirma Elmira. Et de toutes manières, c'est trop tard, elle souffre déjà de la situation. Et elle sera encore plus blessée si vous la rejetez maintenant.

Cet argument sembla faire mouche auprès de l'Archiduchesse qui posa sur elle des yeux étonnés. Voyant cela, l'ex-Commandante décida d'enfoncer le clou :

- Linaëlle n'a jamais manqué de rien depuis qu'elle partage notre vie. Mais elle a toujours eu dans les yeux cette lueur de tristesse, cette nostalgie, comme si son cœur savait ce que sa mémoire avait oublié. Les rares fois où je l'ai vu disparaître, elle jouait de l'oniat. Elle m'a raconté que vous aviez commencé à lui apprendre à jouer de cet instrument et cela ne m'étonne pas. Quand elle est revenue hier, la lueur avait disparu également. Quelque part elle a toujours su je pense, que vous l'attendiez. Et maintenant qu'elle vous retrouve et qu'elle veut vous connaître, vous ne lui en laissez pas l'occasion. Ça ne marche pas ainsi. Et je ne vous laisserai pas lui faire du mal en l'empêchant de passez du temps avec vous...

- Si je comprends bien, vous me reprochez de ne pas essayer de prendre votre place ? Ironisa Meriem à la fin de sa diatribe.

- Non, vous ne prendrez pas ma place, lui affirma Elmira. Mais je ne vous empêcherai pas de prendre la vôtre. Cependant, ajouta-t-elle en resserrant sa prise sur son bras, je tiens à ce que les choses soit bien claires entre nous. Si vous tentez de lui faire du mal de quelques manières que ce soit, ou que vous essayez de la retourner contre nous, vous aurez affaire à moi, tensions politiques ou pas.

La menace plana un instant entre les deux femmes qui se jaugèrent du regard. Finalement, Meriem se racla la gorge et souffla :

- J'en prends note. Mais croyez bien que je n'ai aucunement l'intention de la faire souffrir.

- Dans ce cas nous devrions pouvoir nous entendre, approuva la Reine.

La tension se dissipa lentement entre elles. Elles retournèrent s'assoir près du feu dans un silence apaisé. Elmira était soulagé d'avoir eu cette conversation en tête à tête avec Meriem. Mettre les choses à plat leur avait fait du bien, à l'une comme à l'autre. Fermant les yeux pour mieux se concentrer, elle chercha l'esprit de Sollia. Sa fille aînée se trouvait au chevet de sa cadette.

« Comment va-t-elle ? » demanda Elmira.

« Mieux qu'on ne l'espérait. » la rassura Sollia. « L'intervention de Papa l'a protégée du plus dur. Selon Sophia, elle devrait émerger en début d'après-midi. »

Le soulagement d'Elmira fit écho à celui de la jeune femme. En rouvrant les yeux, la Reine découvrit le regard interrogateur de l'Archiduchesse posé sur elle.

- Je prenais des nouvelles, l'éclaira-t-elle en souriant.

- Elle va bien ? L'interrogea aussitôt l'Elmakaise.

- Elle s'en remettra plus facilement que nous ne le pensions de prime abord, la renseigna Elmira. Je vous emmènerais la voir quand elle sera réveillée si vous le désirez.

- Je ne voudrais pas m'imposer... hésita son interlocutrice.

- Si je vous invite, vous ne vous imposez en aucun cas, sourit la Reine. Mais en attendant, que diriez-vous de faire plus ample connaissance autour d'un plateau de jeu ? Je suis certaine que vous êtes douée au Keshet. Nous pourrions même tenter une partie à plusieurs, Sollia sera ravie de jouer avec nous.

- Dans ce cas je vais faire mander Jayden, rit l'Archiduchesse. Il meurt d'envie de disputer une partie contre votre fille depuis qu'il connaît sa réputation.

- Voilà qui promet d'être intéressant, approuva Elmira.

La première pensée cohérente de Linaëlle quand elle reprit conscience fut de s'inquiéter pour la dragonne qui se cachait en elle. Après un temps de concentration, elle sentit l'énergie, ralentie mais bien présente de la créature.

« Elle est comme toi, elle a besoin de reprendre des forces. » entendit-t-elle dans son esprit.

« Tu es sûr qu'elle va bien, Papa ? » s'inquiéta la jeune fille.

« Mais oui, laisse-lui simplement du temps et préoccupe-toi plutôt de ta propre santé. » la rassura son père avant de couper la communication.

Avec un effort, Linaëlle ouvrit les yeux. Fiona se trouvait assise à son chevet et Noah somnolait dans un fauteuil. Il ouvrit aussitôt les yeux quand Fiona dit :

- Bon retour chez les vivants.

Un sourire étira les lèvres de sa suzeraine. Noah s'approcha et grimpa sans complexes sur le lit en marmonnant :

- Punaise tu veux pas désactiver cette fichu magie, Lin' ? Ça nous a empêché de dormir toute la nuit.

La jeune fille prit alors conscience que sa noyade d'hier avait déclenché l'alerte dans la tête de ses deux vassaux. La magie dans cette situation leur permettait alors des exploits impressionnants. Néanmoins cet état devait être stoppé par le suzerain une fois hors de danger car nocif à long terme. La Princesse Héritière s'empressa donc de neutraliser la magie vassalique, provoquant un soupir de soulagement chez les deux autres.

- Ouah, ça fait du bien quand ça s'arrête, hoqueta Fiona en passant une main sur son front.

- Désolé, j'aurais dû faire ça avant de m'endormir hier soir.

- C'est plutôt à nous de te présenter des excuses, on est les plus mauvais vassaux du monde pour ne pas t'avoir vu partir plus tôt, grogna Noah.

- Arrête de te fustiger comme ça, l'apaisa Linaëlle. Tu n'y es pour rien et tu n'aurais rien pu faire face à lui.

- Ne me dit pas que c'était encore cette créature ! s'exclama Fiona.

- Si, elle m'a projeté par dessus le balcon et m'a porté jusqu'à l'étang... souffla Linaëlle encore perturbée.

- Les plus mauvais vassaux de toute l'Histoire, ricana Noah en se laissant tomber en arrière.

- Noah... le héla sa suzeraine.

- Non, Lin' tu peux dire tout ce que tu veux mais notre rôle premier est de veiller sur toi, grimaça le jeune homme. Et hier soir nous avons cruellement manqué à nos devoirs.

- Vous ne pouvez pas me surveiller jour et nuit, protesta Linaëlle. En plus je suis également fautive, j'aurais dû vous prévenir que je sortais.

- Et Daniela n'a rien fait ? s'étonna Fiona en les ramenant à leur première préoccupation.

Linaëlle fronça les sourcils à l'évoquation de la Princesse Impériale.

- Elle me hais... je ne sais pas pourquoi mais elle semble m'en vouloir.

- Au point de laisser ce ... ce truc te tuer ?! suffoqua sa vassale.

- Je n'en sais rien... Il faudra que je discute avec elle.

- Tu plaisantes ! Si elle est de mèche avec les autres, c'est hors de question ! s'écria Noah.

- Noah, arrête, s'exaspéra sa suzeraine. Je ne suis pas en sucre, ni atteinte de troubles mentaux. J'ai parfaitement conscience du danger.

- À mon avis...

À ce moment, la porte de la chambre s'ouvrit.

Plop ! Et voilà la suite du chapitre 21 ! Une petite rencontre entre Elmira et Meriem, il était temps qu'elles aient une petite mise au point n'est ce pas ?

Du coup... des hypothèses pour la suite ? Et surtout : Qui donc a ouvert la porte ?

Voili voilou des bisous et à la semaine prochaine ! ^^.