Chapitre 21 : Alliées (partie 1)
Noah discutait d'armement avec un groupe d'invités, un verre à la main, quand il sentit quelque part dans son esprit le lien vassalique émettre un violent signale d'alarme. Il eut un hoquet de surprise et balaya la salle des yeux à la recherche de Linaëlle. Son regard trouva celui de Fiona dans lequel se reflétait la même inquiétude pour leur suzeraine. Brutalement, il ressenti un spasme violent dans la poitrine qui lui fit lâcher son verre. Cette fois-ci, aucun doute possible, il lui était arrivé quelque chose ! Il étendit son esprit vers le sien et ne ressentit absolument rien. Il percevait toujours sa présence mais n'arrivait pas à la contacter.
Sans se soucier du désordre provoqué par sa réaction, il laissa la magie qui l'unissait à Linaëlle le guider et se précipita vers la terrasse. La Princesse Daniela se trouvait là, appuyée à la balustrade de pierre.
- Avez-vous vu la Princesse Héritière Linaëlle ? l'apostropha-t-il.
- Oui, elle est partie dans les jardins, répondit la jeune femme avec un vague geste de la main.
La douleur dans sa poitrine se faisant plus présente, il s'élança sans réfléchir et bondit par dessus la rambarde. Il entendit Fiona derrière lui marmonner un remerciement et sentit nettement la magie de sa consœur amortir sa chute. Elle atterrit à ses côtés et plaça une boule lumineuse au-dessus de son épaule.
« Va ! Je te rejoins ! » lui dit-elle.
Le jeune homme se mit à courir dans la direction que lui indiquait la magie du lien. La douleur dans sa poitrine augmentait lentement en intensité et quand il aperçut un étang refléter la lumière de la Lune, un très mauvais pressentiment le saisit. Tout en courant, il se débarrassa de sa cape, son veston et sa chemise, manqua de trébucher, arriva au bord du point d'eau, prit à peine le temps d'enlever ses bottes et de dégainer son couteau de ceinture et plongea. Heureusement, le sort lumineux de Fiona le suivit.
L'étang avait très peu de fond, peut être trois ou quatre mètres, aussi le jeune homme repéra rapidement Linaëlle. La jeune fille semblait inconsciente et quelque chose de lumineux s'enroulait autour de sa jambe droite. Sans réfléchir, il s'approcha et trancha ce qui paraissait être une algue semblable à celle qui tapissait le fond de l'eau. La plante se rétracta et s'éteignit mais plusieurs autres s'allumèrent et se dirigèrent vers eux. Jurant mentalement, Noah saisit Linaëlle à la taille et remonta le plus vite possible.
Il creva la surface et inspira une grande goulée d'air avant de sentir l'une des plantes s'enrouler autour de sa cheville.
- Ne bouge pas ! hurla Fiona depuis la berge.
Un éclair mauve illumina l'eau et il sentit l'algue le relâcher. Son fardeau fragile entre les bras, le jeune homme regagna le bord au plus vite et Fiona l'aida à sortir puis à allonger leur suzeraine sur l'herbe. Le cœur battant à tout rompre sous l'effet combiné de la peur et de la colère, il se leva et pointa son couteau en direction des bruits de pas précipités qu'il entendait arriver.
- Bon sang Noah, arrête ça ! s'exclama Julia en entrant de le rayon de lumière de la sphère.
Tandis que l'ex-espionne évaluait la situation et faisait probablement un rapport mental, le jeune homme relâcha sa garde mais tout ses muscles restèrent tendus. Dans son esprit, la magie pulsait, lui envoyant un surplus de force et d'énergie qu'il ne pouvait mettre à profit. Ses yeux se posèrent sur Fiona qui extrayait l'eau des poumons de Linaëlle à l'aide d'un sortilège. La jeune fille se mit bientôt à tousser et à recracher d'elle-même le liquide au grand soulagement de ses vassaux. Fiona la fit basculer sur le côté et termina d'évacuer ce qui l'empêchait de respirer.
Au bord de l'inconscience, Linaëlle avait froid. Un froid insidieux qui prenait naissance dans sa poitrine et se répandait dans tout son corps. Elle ne comprenait pas, ce n'était pas normal, sa dragonne aurait dû la protéger de ça. Ses poumons et sa gorge irrités la brûlaient, mais pas d'une brûlure qui réchauffe. Confusément, elle sentait la présence de Fiona à ses côtés, qui lui caressait les cheveux. Elle parlait à quelqu'un qu'elle ne put identifier. Noah aussi se tenait près d'elle, en colère contre lui-même. Un frisson parcouru le corps de la jeune fille et elle commença à claquer des dents. Elle perçut l'approche de plusieurs personnes, la colère de Noah augmenta mais changea de victime. Des éclats de voix agressèrent ses oreilles et elle identifia la voix de son père qui dominait les autres, pareille a un rugissement :
- Je vous interdis de vous approcher d'elle !
Elle gémit faiblement :
- Papa...
En réponse à sa supplique, deux bras solides vinrent l'enlacer et la plaquer dos contre un torse chaud et rassurant tandis que les autres voix continuaient.
- Chhhht, je suis là dragonneau, reste tranquille, l'apaisa son père.
- Froid... mouillée... se plaignit Linaëlle.
- Je sais... ça va aller, accroche-toi.
On les enveloppa dans un large tissu et la chaleur dégagée par Malvius apaisa un peu ses frissons. Elle finit par identifier les voix qui l'entouraient.
- Enfin, Votre Altesse, protestait l'Archiduchesse, vous ne pouvez pas nous accusez de ...
- Je me moque de ce que je peux ou pas ! répliqua vertement le Roi. Ma fille a manqué de se noyer par la faute de ces plantes ! Et jusqu'à preuve du contraire, ces algues poussent dans votre étang !
- La taille de ses jardins ne nous permet pas de ...
- Je n'ai rien à faire de vos excuses ! Et pour la dernière fois, ne vous approchez pas d'elle !
- Vous avez entendu Son Altesse, Votre Excellence. Veuillez reculez s'il vous plaît, ordonna froidement Noah.
Linaëlle se sentait faible, sa tête lui paraissait atrocement lourde. Elle savait qu'elle ne devait pas laisser son père s'en prendre à l'Archiduchesse, mais elle n'avait pas la force de protester. Par l'intermédiaire du lien, elle empêcha néanmoins Noah de la bousculer.
« Linaëlle, ne fait pas ça tu es trop faible ! » se récria aussitôt Fiona.
« Empêche-les... elle n'est pas ... responsable... » murmura difficilement la jeune fille.
« Tu n'en sais rien. » argumenta sa vassale qui s'interposa néanmoins entre le jeune homme et sa cible.
Trop lasse pour protester, elle eut un violent vertige quand Malvius se releva, la tenant toujours dans ses bras.
- Papa ... geint-elle en s'agrippant à son torse avec le peu de force qui lui restait.
- Je suis là... chuchota Malvius. Je te ramène au chaud.
Nichée dans les bras de son père, Linaëlle se laissa transporter. Moins d'une demi-heure plus tard, elle était endormie au sec et au chaud dans son lit, veillée par Sophia.
La domestique se leva en voyant la porte s'ouvrir doucement pour laisser passer Elmira. Celle-ci s'approcha vivement du chevet de sa fille et se pencha pour l'embrasser sur le front. Un sourire inconscient étira les lèvres de la jeune fille dans son sommeil, et Elmira s'assit sur le bord du lit.
- Elle nous a fait une jolie frayeur, chuchota-t-elle en continuant de la regarder.
- Il y a plus de peur que de mal, Votre Altesse, répondit Sophia sur le même ton. Elle devra sans doute se reposer deux ou trois jour mais heureusement, le Roi est intervenu et a sauvé le lien avec son Dragon.
- Je ne pensais pas les Elmakais fourbes au point de cultiver ces plantes. Elles sont formellement proscrites chez nous.
- Puis-je vous suggérer de ne pas tous les mettre dans le même panier, Votre Altesse ? hésita la domestique
- Que veux-tu dire ? l'interrogea la Reine.
Eh bien... murmura Sophia, À vrai dire, les serviteurs de nos voisins ne bavardent pas autant que nous, mais se divisent en deux groupes qui tiennent à se fréquenter le moins possible... Et ce sont ceux de la famille Impériale et de l'Archiduchesse qui mènent la danse...
- Tiens donc, s'étonna Elmira. Il faudra que j'en parle aux autres demain.
- Plutôt tout à l'heure, fit la domestique avec un sourire amusé.
- En effet... Bonne nuit Sophia.
- Bonne nuit, Votre Altesse.
Le lendemain matin, la pluie tambourinait contre les carreaux quand l'Archiduchesse Meriem se présenta à la porte des appartements de sa belle-sœur. Après quelques minutes d'attente, elle fut autorisée à entrer et chassa le serviteur d'un revers de la main.
L'Impératrice lisait un message quelconque et elle ne leva même pas les yeux en demandant.
- Que me vaut l'honneur de cette visite matinale, Votre Excellence ?
- Je pense que vous avez déjà connaissance de la raison de ma visite, Votre Altesse Impériale, répondit Meriem.
- Si cela concerne ta fille, je n'y suis pour rien, déclara l'Impératrice platement en poursuivant sa lecture.
- Bien évidemment, vous n'y êtes jamais pour rien, persiffla l'Archiduchesse.
Le ton ironique fit se lever les yeux de Kadsuan qui posa un regard glacé sur sa belle-sœur. Celle-ci baissa immédiatement le sien.
- Voilà qui est mieux, souffla l'Impératrice. Tu peux sortir les griffes autant que tu veux, petit chat, tu ne me feras aucun mal.
- Je vous demande pardon je ...
- Je n'ai que faire de tes piètres excuses, l'interrompit l'Impératrice en la faisant taire d'un geste de la main. Ces sauvages de Malatiriens déteignent déjà sur toi et sur tous les autres... Je ne pensais pas qu'ils seraient aussi agaçants. Je comptais manipuler la petite pour qu'elle revienne lentement vers nous mais je vois que je vais devoir employer les grands moyens...
Elle se tut un instant, les yeux dans le vague avant de les reposer sur la femme devant elle.
- Il n'est pas dans mon intérêt de la tuer, vois-tu. Elle sera bien plus utile aux côtés de Manoël avec un mari et des enfants pour l'empêcher de comploter. D'ailleurs elle va tomber exactement dans le même piège que toi, n'est-ce pas amusant ?
Elle rit doucement en voyant le regard effaré et douloureux de l'Archiduchesse. Se relevant, elle contourna le bureau en bois précieux derrière lequel elle se tenait et vint murmurer à l'oreille de sa belle-sœur :
- Le plus beau dans tout cela c'est que tu ne peux rien lui dire. Et aucun d'entre eux ne se doute de quelque chose... Laisse moi t'expliquer...
Une demi-heure, plus tard, Meriem sortit en trombe des appartements de sa belle-sœur, traversant les couloirs déserts, des larmes perlant aux bords de ses paupières. Elle ne s'autorisa pas de pause avant de s'écrouler sur un des divans de la salle de musique. Elle tremblait encore du contrôle mental que lui avait imposé l'Impératrice et luttait pour reprendre le contrôle de ses émotions. Cette manipulation magique, elle n'en avait pris conscience que récemment mais depuis qu'elle se savait découverte, Kadsuan avait abandonné toute subtilité avec elle.
Elle lui imposait sa volonté sans qu'elle puisse en parler à personne et s'amusait en lui confiant ses plans les plus machiavéliques comme à l'instant. En déployant des ruses dignes d'un charlatan de foire, l'Archiduchesse réussissait parfois à déjouer certaines de ses idées mineures.
Mais cette fois-ci, l'enjeu était de taille. L'avenir de Linaëlle se jouait sous ses yeux.
Posant son regard sur l'oniat au centre de la pièce, l'Archiduchesse repensa à la rencontre d'hier. La petite fille fragile de ses souvenirs était devenue une belle jeune femme au cœur solide et noble et à l'esprit libre. Elle ne pouvait pas laisser l'Impératrice l'enfermer dans une jolie cage dorée comme elle l'avait fait avec elle, cela la briserait en mille morceaux. Elle devait agir mais ne pouvait passer outre la barrière mentale imposée par sa belle-sœur. Cependant, contrairement à elle, elle ne sous-estimait pas leurs voisins. Elle devait se rendre sur les lieux, ensuite, elle aviserait.
Forte de cette décision, elle résolut de se diriger vers l'aile Ouest afin de demander des nouvelles de Linaëlle. L'heure matinale lui garantissait de croiser peu de monde dans les couloirs.
À sa grande déconvenue, de nombreux domestiques parcouraient déjà le bâtiment. Si ils ne se montraient pas hostiles à son égard, ils paraissaient clairement méfiants. L'Archiduchesse ne savait pas où aller, l'organisation malatirienne étant totalement différente de celle qu'elle connaissait. Aussi saisit-elle son courage à deux mains pour demander à un jeune homme où se trouvaient les appartements de sa fille. Celui-ci se figea un instant avant de lui répondre du bout des lèvres avec une politesse minimale. Suivant les indications, elle se retrouva nez à nez avec le Roi de Malatir qui arrivait à grandes enjambées.
- Que diable faites-vous ici, Votre Excellence ? l'apostropha-t-il en se plantant au milieu du couloir, bras croisés.
- Ne vous en déplaise, je viens voir la Princesse Héritière Linaëlle, affirma l'Archiduchesse.
- Elle n'a pas besoin de vous ! assena le Roi en fronçant les sourcils.
« Si mais vous ne le savez pas encore. » songea la femme avant de reprendre :
- J'aimerais prendre de ses nouvelles... en personne, ajouta-t-elle comme il s'apprêtait à lui répondre.
Quelques serviteurs avaient stoppé leurs activités pour observer avec curiosité la confrontation qui se déroulait au milieu du couloir principal du premier étage. Aussi, peu d'entre eux virent la Reine descendre les escaliers et s'approcher dans le dos de l'Archiduchesse. À la surprise de tous, elle posa une main sur l'épaule de l'Elmakaise qui tourna un regard plus que surpris vers ce soutien inattendu.
Malvius qui s'apprêtait à lancer une réplique cinglante s'interrompit sous l'impulsion mentale de sa femme.
« Cesse donc tes bêtises, Malvius. Souviens-toi de ce que je t'ai dit ce matin. »
« Ce n'est pas parce que ... » commença-t-il, hargneux.
« Si c'est justement pour ça. » l'interrompit-elle. « Et puis, réfléchis deux minutes à ce que tu ferais si on t'empêchais de voir n'importe lequel des enfants. »
« Cela n'a rien ... »
« Cela a tout à voir au contraire. »
Il pesa soigneusement le pour et le contre avant de grommeler :
« Tu ne la quittes pas d'une semelle. »
« Évidemment, je ne suis pas naïve à ce point. » protesta-t-elle.
Sans ajouter un seul mot à voix haute, le souverain tourna les talons et planta là les deux femmes. Meriem se tourna vers Elmira mais celle-ci balaya du regard la petite assemblée dont les membres se dispersèrent d'un pas pressé sous les yeux d'acier de leur Reine.
L'Archiduchesse avait quelques centimètres de plus que la souveraine de Malatir et pourtant, elle avait l'impression qu'Elmira la dominait de toute sa hauteur. Même sans magie, elle percevait nettement l'autorité calme, la force tranquille qu'elle dégageait. Si l'on comparait Malvius à la braise qui n'attendait qu'un souffle pour s'enflammer, sa femme était un roc solide prêt néanmoins à déclencher un éboulement si nécessaire, son discours d'hier soir l'avait suffisamment prouvé. Les réflexions de l'Archiduchesse s'arrêtèrent net quand d'un ton neutre, son alliée lui demanda :
- Vous venez donc voir Linaëlle ?
Et voilà ! Début du chapitre 21 ! Vous vous doutiez bien quand même que je n'allais pas la laisser se noyer ! Remarque ça aurait pu...
M'enfin bref sinon on avance pas à pas vers là conclusion de ce deuxième arc de l'histoire ! Des idées pour la suite ?
Voili voilou bisous à tous, n'hésitez pas à commenter et à la semaine prochaine !
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