Chapitre 19 : Des racines et des ailes (partie 2)


- Il vaut peut être mieux commencer par le début, non ?

Sa tentative fut récompensée par un demi-sourire.

- C'est mieux en effet, confirma l'Archiduchesse en chassant ses larmes des cils.

Doucement, elle caressait des pouces le dos des mains de la jeune fille. Pensive, elle hésita longuement avant de reprendre la parole.

- J'ai rencontré ton père à la fête donnée pour les fiançailles entre sa sœur et le futur empereur Isaïm. Il venait de rompre sa promesse d'engagement précédente puisqu'il espérait un mariage de plus haut rang maintenant qu'il entrait dans la famille impériale. Pourtant, son cœur m'a choisi moi, qui était d'un rang bien inférieur au sien, et le mien a fait de même. À l'époque, je venais d'avoir dix-huit ans. Six mois après, contre l'avis de ses parents et des miens, nous nous sommes mariés... et Jayden est né seulement sept mois plus tard. Tu imagines, je suppose, le scandale provoqué par sa naissance.

Le ton de l'Archiduchesse s'était fait douloureux. Linaëlle savait que ce genre de choses était très mal vu ici. Même si Malatir était moins conservateur, un événement comme celui-ci provoquait souvent des rumeurs peu avantageuses.

- Ton père a calmé le jeu en soumettant Jayden au test du sang, continua la femme. Lui et moi savions qu'il était notre fils, mais cette preuve était nécessaire pour faire taire les plus virulents. Un an après, Hamir est venu agrandir notre famille... la guerre faisait rage à cette époque et Moshé passait beaucoup de temps sur le front où juste à l'arrière. Et moi je restais à Falm à la merci de Kadsuan et de ses manigances...

Elle s'interrompit un instant, et Linaëlle sentit la douleur des souvenirs qu'elle ravivait.

- Je n'ai absolument rien vu venir quand elle a voulu que tes frères reçoivent une « éducation digne de leur rang » selon ses propres termes. Elle a réussi à me retirer mes enfants et à les confier à des nourrices et des gouvernantes. Je ne les voyait presque plus mais je n'avais aucun moyen de faire changer les choses. La tradition veut que les enfants impériaux soient élevés ainsi. Kadsuan me faisait aux yeux de tous une faveur immense en permettant à Jayden et Hamir de partager les jeux de ses enfants...

Linaëlle écoutait sans pouvoir s'empêcher de penser que Meriem était bien différente d'Elmira. Sa mère n'aurait jamais laissé personne lui prendre ses enfants, quelque soit le moyen.

- Et puis, juste comme je commençais à me résigner à la situation, tu es arrivée. Et quand tu as ouvert les yeux, que j'ai vu que tu avais les yeux verts des mages d'auras dès la naissance, j'ai su qu'elle ne pourrait rien contre toi. Dès qu'on t'éloignait de moi, tu pleurais et tu hurlais jusqu'à ce que je te prenne dans mes bras...

- Je ne saisis pas bien en quoi être mage d'aura me différenciaient tant des autres ? L'interrogea Linaëlle.

- Navrée, j'oublie que tu n'as pas reçu le même enseignement en Malatir, lui sourit l'Archiduchesse. La magie d'aura s'éveille en général vers quatre ou cinq ans, il est extrêmement rare qu'elle soit présente dès la naissance, lui expliqua-t-elle. Et comme le seul lien que connaît un nourrisson est celui qu'il partage avec celle qui l'a mis au monde, un nouveau né qui possède la magie d'aura possède également un lien très spécial avec sa mère. Je ne suis pas la mieux placée pour t'en parler mais il est presque criminel de séparer un enfant de sa mère dans ces conditions.

Linaëlle se tut, mémorisant soigneusement l'information et l'Archiduchesse reprit :

- Kadsuan a tempêté, ordonné, exigé, rien n'y a fait. Elle ne pouvait pas justifier qu'on te sépare de moi. Et à peine deux mois après, les yeux de Jayden viraient eux aussi au vert. Alors je n'ai même pas réfléchi, j'ai récupéré Jayden, les quelques gens qui m'étaient fidèles et nous avons traversé le pays pour rejoindre ton père ici. Il a été très surpris de me voir mais quand il t'a vu... je n'ai jamais vu autant d'amour dans ses yeux que ce jour-là...

L'émotion noua la gorge de la jeune fille. Ce père dont elle se souvenait à peine l'aimait profondément. Alors pourquoi l'avait-il mise en danger cette nuit-là ?

- Toi et Jayden avez grandi ici, votre père vous apprenant à contrôler vos dons qui étaient particulièrement précoces entre deux escarmouches. Vous faisiez sa fierté et la mienne. La seule ombre au tableau, en dehors de la guerre qui stagnait, était l'absence de Hamir... que tu ne rencontrera d'ailleurs pas non plus durant ton séjour ici, il est toujours en mission pour sa tante, à qui il voue un amour aveugle...

La jeune fille soupira intérieurement. Toutes ces informations ne répondaient pas à la question qu'elle se posait, mais elle n'osait brusquer son interlocutrice qui revivaient des souvenirs douloureux par sa faute.

- Mais Kadsuan n'avait pas dit son dernier mot. Je venais d'apprendre que j'étais enceinte d'Azra quand elle nous a fait parvenir un message nous rappelant que la loi stipule que tous les mages d'auras devaient recevoir un enseignement auprès d'un maître magicien et ce dès l'éveil de son don ou dans ton cas dès que possible. Elle-même l'est et elle voulait que ton père te confie à elle. J'ai refusé tout net. Elle ne t'enlèverait pas comme elle l'avait fait avec Hamir.

Elle eut un demi-sourire.

- C'est la seule et unique fois où j'ai élevé la voix contre ton père. Il en est resté stupéfait mais j'ai obtenu gain de cause. Il a accepté de te trouver un autre professeur à Elifta. Il n'a pas voulu que je fasse le voyage dans mon état et m'a laissé ici avec Jayden.

Linaëlle serra fort les mains de l'Archiduchesse. Elle savait ce qui allait suivre.

- Et je ne vous ai jamais revu... vous avez disparu sans laisser de traces... Juste après la naissance d'Azra, j'ai senti le lien que nous partagions se briser définitivement... Si je n'avait pas dû m'occuper de ta sœur, je crois que je serais devenue folle... je n'ai pris conscience de la puissance qui nous unissait que quand elle s'est dissipée...

Elle pleurait, sa voix hachée et enrouée avait tant bien que mal achevé son récit. Les yeux posés sur leurs mains toujours unies, elle semblait ne toujours pas y croire. Ses émotions menaçaient d'envahir à son tour Linaëlle. Profitant du contact de leurs mains, elle envoya une puissante vague de calme et de joie vers sa génitrice. Celle-ci sortit un mouchoir de sa manche et se tamponna les joue avant de souffler dedans.

- Je m'excuse, murmura-t-elle, tu dois te faire une piètre image de moi.

- Je ne sais pas vraiment que penser de tout ça, c'est beaucoup d'informations à digérer. Et l'Impératrice m'a raconté une tout autre version...

La femme ouvrit la bouche pour protester mais Linaëlle ne lui en laissa pas le temps.

- Je sais que vous m'avez dit la vérité, votre vérité tout du moins.

L'Archiduchesse eu un petit rire nerveux en baissant un instant les yeux sur ses genoux où s'étaient trouvées leurs mains.

- Mage d'auras n'est-ce pas ?

La jeune fille se contenta d'un sourire avant de se laisser aller dans le divan en soupirant. Meriem ne la quittait pas des yeux, craignant encore qu'elle ne disparaisse. Maintenant qu'elle avait terminé son récit, elle aurait voulu poser des questions à la jeune fille, mais ne savait comment aborder le sujet. Linaëlle la sortit de l'embarras en déclarant :

- Je suppose que c'est mon tour d'éclairer votre lanterne.

- Ne te sens pas obligée... se récria l'Archiduchesse.

Linaëlle hocha négativement la tête.

- Je sais que vous voulez comprendre. Et que vous méritez que je vous explique pourquoi vous m'avez cru morte durant tout ce temps...

Et à son tour la jeune fille raconta. Comment elle avait survécu et rencontré Elmira. Comment elle avait connu le Roi. Elle raconta le flamhur, Iatus, et son adoption après sa perte de mémoire.

- Alors c'est la magie du flamhur qui a brisé le lien pour en établir de nouveaux, conclut l'Archiduchesse à la fin de son récit.

Linaëlle acquiesça en silence.

- Pour le sortilège de mémoire, je ne peux hélas pas te fournir de réponse.

Linaëlle eut un soupir, elle s'en doutait déjà.
Meriem prit une profonde inspiration avant de continuer :

- Linaëlle... je sais que cette situation est difficile pour toi mais ... j'aimerais que tu acceptes de passer un peu de temps avec nous... fit-elle hésitante. Tu n'as jamais rencontré ta sœur et tu ne te souviens pas de ton frère... Ce serait dommage de ne pas leur laisser une chance...

Au moment où elle prononça cette phrase, Linaëlle sut que Delthéa s'était débrouillée pour organiser cette rencontre. Elle eut un rire silencieux et répondit :

- Passer du temps avec vous ne me dérange nullement. Ce qui me fait peur, ce sont les inévitables manœuvres politiques qui vont se mettre en place si j'accepte...

l'Archiduchesse détourna le regard et crispa les mains sur ses genoux. Elle se préparait déjà à voir sa fille lui échapper à peine retrouvée. La jeune fille perçut le changement dans l'aura de son interlocutrice et infléchit sa décision.

- Je ne vous promets rien, finit par dire Linaëlle. Si nous pouvons nous retrouver loin de la Cour et de ses intrigues, j'accèderai à votre requête. Mais sinon... je ne sais pas...

Le sourire d'espoir qui naquit sur les lèvres de l'Archiduchesse donna l'impression à Linaëlle d'être une déesse. Cette femme l'aimait profondément, et elle se trouvait incapable de ressentir quoi que ce soit à son égard, trop perturbée par ses révélations.

- Il paraît que tu joues toujours de l'oniat ? lança soudain l'Archiduchesse en brisant le silence qui s'était installé.

Linaëlle sursauta, surprise par le changement de ton et de sujet mais acquiesça.

- Oui. Dois-je comprendre que j'en jouais déjà avant ?

- C'est moi qui ai commencé à t'apprendre, annonça doucement l'Archiduchesse en guettant sa réaction.

Linaëlle en resta coite. Elle venait d'entrapercevoir quelque chose, un souvenir venu de très loin.

- Un chat... murmura-t-elle surprise. Il y avait un chat dans la berceuse...

Son étonnement se reflétait dans les yeux de sa génitrice. Elle lui prit doucement une main à son tour et répondit :

- En effet... tu te souviens de cela ?

- Je ...

Le monde se mit à tourner brusquement, sa vue se brouilla et elle ferma les yeux.

- Maman ! cria une petite voix fluette et essoufflée.

Cette voix était la sienne. Elle courrait dans les couloirs malgré la chaleur ambiante. La fillette s'arrêta devant une porte et tendit le bras pour appuyer sur la poignée. Sa mère se trouvait derrière, elle le savait.
Le battant s'ouvrit et l'enfant cligna des yeux, éblouie par le soleil qui pénétrait largement dans la pièce à travers les fenêtres grandes ouvertes.

Linaëlle reconnut la salle de musique du palais. Les lieux n'avaient pas changés. La femme qui se trouvait assise devant l'oniat paraissait plus jeune, moins triste que celle qu'elle connaissait aujourd'hui. Elle se tourna vers elle et lui adressa un merveilleux sourire.

- Eh bien, qu'y a-t-il mon petit cœur ? lui demanda-t-elle.

- Jayden ne veut pas jouer avec moi, s'entendit-elle répondre d'un ton plaintif.

- Tu sais, des fois ton frère préfère jouer à des jeux de grands, lui expliqua sa mère.

Comme la fillette boudait, déçue que sa mère ne lui donne pas raison, celle-ci continua :

- Viens, je vais te montrer un jeu auquel on va jouer toutes les deux.

La curiosité l'emporta sur la rancune et l'enfant s'approcha. Sa mère l'attrapa sous les bras et la jucha sur ses genoux, devant le clavier.
Sous ses yeux émerveillés, sa mère commença à jouer en laissant ses doigts courir sur les touches et la mélodie envahit la pièce.

- Je peux faire pareil ? interrogea la fillette.

Sa mère rit doucement en l'embrassant dans les cheveux.

- Un jour tu pourras faire pareil et même mieux. En attendant commence par faire ce que je vais te montrer.

D'une main, elle joua trois notes sur le clavier tandis que de l'autre, elle plaçait correctement les doigts de l'enfant sur les touches.

- Tu vois ? D'abord le pouce et puis l'index et ensuite l'auriculaire. Et après tu reprends, le pouce ...

De nouveau tout se mit à tanguer et sa vision se troubla. Elle ferma les yeux et eut un hoquet de surprise en se redressant sur le divan.

- Mes Dieux, Linaëlle tu vas bien ? entendit-elle près d'elle.

Il lui fallut quelques secondes pour remettre le contexte à sa place et se tourner vers le visage inquiet de l'Archiduchesse.

- Oui, oui, je vais bien... c'est ... Un souvenir m'est revenu...

D'une pichenette mentale, elle rassura Julia déjà prête à sonner l'alarme à tous les niveaux.

- Un souvenir ? la relança son interlocutrice.

- Vous me montriez comment jouer de l'oniat. Ça devait être la première fois je pense...

- Je me souviens bien de ce jour-là... Nous étions en plein été et la chaleur se faisait tellement étouffante que même les poissons des bassins avaient chauds. Tu es venue me trouver...

- Parce que Jayden ne voulait pas jouer avec moi, compléta la jeune fille avec un sourire.

- Oui, souffla l'Archiduchesse, émue à nouveau.

Avec tendresse, la femme remit une mèche rebelle derrière son oreille. Linaëlle contracta la mâchoire mais ne protesta pas. Cependant, sa génitrice sentit sa gêne et recula aussitôt sa main.

Linaëlle s'en voulut de l'avoir blessée involontairement, elle cherchait encore un moyen de se faire pardonner quand un cri de peur retentit dans le couloir, la faisant bondir sur ses pieds.

Donc comme prévu la suite du chapitre 19 ! Profitez-en bien car c'est le deuxième extrait cette semaine, suite à une erreur bête de ma part... Sinon votre avis sur cet échange mère-fille ?

Vous commencez à avoir l'habitude mais n'hésitez pas à commenter ^^ !
Voili voilou, bisous à tous et à la semaine prochaine ! ^^.

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