Des bruits de voix réveillèrent la jeune Princesse Héritière. Elle mit quelques secondes à identifier Sollia et Xavier, ce dernier ayant la voix éraillée annonciatrice d'une sacrée gueule de bois.

- Par le sang du Dragon, pesta-t-il, maudite sois cette perfide boisson ! Et ses serveurs qui ne croient pas bon de te prévenir !

- À chaque fois tu te fais avoir, gloussa Sollia. Apprendras-tu un jour de tes erreurs ?

Un grognement peu élégant lui répondit.

- Je jure que je ne m'approcherais plus de cette cochonnerie d'alcool étranger !

- Tu nous sers le même discours à chaque fois, remarqua Linaëlle en ouvrant les yeux.

- Hé bonjour, toi, la salua Sollia.

La grande sœur se rapprocha d'elle et frotta le bout de son nez contre le sien, arrachant un sourire à la plus jeune. Xavier, assis à l'extrémité du lit, bougonna pour la forme quand Linaëlle se leva pour lui poser un bisous sur la joue mais lui rendit la pareille.

- Tu as dormi comme une pierre, déclara Sollia en l'observant s'étirer.

- Oui, je crois que j'en avais besoin, soupira Linaëlle en se frottant les yeux pour chasser les dernières parcelles de sommeil de son esprit.

- Ça c'est sûr qu'on va en avoir besoin, grommela Xavier. D'ailleurs si vous n'y voyez pas d'inconvénients, je vais vous laissez entre filles et aller faire un tour aux bains. Si jamais je dois frapper sur cet abruti de futur Archiduc, autant avoir les idées claires.

Sur cette déclaration, il quitta la chambre. Linaëlle se laissa retomber sur le lit les bras en croix en soupirant.

- Son tact et sa délicatesse ne cesseront jamais de me surprendre, ricana Sollia.

N'obtenant pas de réponse, elle se tourna vers sa cadette. Les yeux perdus dans le vague, celle-ci semblait absente.

- Eh ! Lin' ? Reviens parmi nous ! la héla sa sœur.

Linaëlle papillona des yeux.

- Euh oui, tu disais ?

- Rien d'important, ce n'est pas grave. Tu te sens prête à les rencontrer ?

- Non, gémit la jeune fille. Et je pense que je ne le serais jamais ... mais je n'ai pas vraiment le choix.

- Eh, fit Sollia en l'attirant contre elle pour l'enlacer, ça va aller, d'accord ? De toute façon, si ils font un pas de travers, Xavier va leur bondir dessus.

Linaëlle ne put s'empêcher de sourire devant sa tentative de plaisanterie. Un sourire crispé certe, mais un sourire tout de même. Sans attendre son avis, Sollia se leva, lui jeta une robe de chambre et une paire de pantoufles et l'entraîna vers le salon puis le couloir pour l'amener dans une petite salle à manger privée. S'y trouvait déjà Cassildey et sa mère qui bondit sur ses pieds à leur entrée, délaissant son petit-déjeuner. Elle contourna la table pour venir embrasser Sollia et enlacer Linaëlle qui soupira de soulagement à son contact.

- Comment te sens tu ? lui demanda Elmira en se dégageant légèrement pour pouvoir la regarder.

- Je ne sais pas vraiment, hésita Linaëlle. Tout est très flou dans ma tête... un peu mieux qu'hier soir je pense ...

- J'aurais dû être là, je suis ... commença sa mère.

- Ne dit rien, murmura Linaëlle en se blottissant contre elle. Il n'y a rien à pardonner.

Elle restèrent un moment enlacée, se réconfortant mutuellement. Puis elles s'installèrent à table, rejoignant Sollia et Cassildey. Linaëlle mangeait distraitement ses galettes garnies de fruit secs quand une main saisit la sienne et la serra. Tournant la tête, elle croisa le regard inquiet de son frère cadet. Moins démonstratif que les autres et bien plus posé, Cassildey lui manifestait son soutien de façon bien plus discrète. Entre eux, ils parlaient rarement, ils n'en avait jamais eu besoin. Linaëlle lui rendit son geste et lui adressa un hochement de tête rassurant. L'adolescent lui sourit et retira sa main, le message était passé.

La réaction d'Énora fut beaucoup plus violente. Pieds nus et les cheveux en bataille, la petite se précipita vers Linaëlle et bondit sur ses genoux.

- Je veux pas te partager avec Azra ! s'écria-t-elle.

- Qu'est ce que tu racontes, Éno ? s'étonna Linaëlle.

- Maman m'a tout raconté, se plaignit la benjamine. Elle a dit que Azra est ta petite sœur, mais ta petite sœur c'est moi ! Pas elle !

Linaëlle releva un instant les yeux pour croiser le regard mi-amusé, mi-inquiet de sa mère. Elle se pencha vers la petite et lui déposa un baiser sur le front en disant :

- Sois rassurée, elle ne prendra jamais ta place...

- Elle a intérêt, grogna Énora en serrant sa sœur de toutes ses forces.

- Euh... tu m'empêches un peu de respirer là, Éno...

- Aller, sauterelle, laisse ta sœur tranquille et viens déjeuner, ordonna Elmira.

À regret, la petite descendit des genoux de Linaëlle pour s'installer en face d'elle et engloutir son repas en un temps record, sous l'œil amusé du restant de la famille. Kalioska arriva et s'installa aux côtés de Sollia non sans avoir saluée Elmira et ébouriffés un peu plus les cheveux d'Enora.

Ils terminaient de manger quand Malvius arriva, déjà apprêté et sa couronne ceignant son front. Il fit le tour de la table pour embrasser chacun d'entre eux et s'installa finalement à côté d'Elmira. Il promena un instant son regard sur la tablée avant de prendre la parole.

- J'ai tâté le terrain avec Romain ce matin, commença-t-il, et il s'avère que les Elmakais souhaitent autant que nous que ça se passe en douceur, ce qui m'étonne un peu.

Se tournant vers Linaëlle, il continua :

- L'Archiduchesse a demandé à te rencontrer ce matin, si tu es d'accord... Une rencontre tout à fait privée, s'empressa-t-il d'ajouter devant le changement de couleur de sa fille. Pendant que nous irions partager une « activité extérieure » avec le restant de la famille impériale...

Linaëlle tenta de se rappeler les rares moments où elle avait aperçu l'Archiduchesse. Elle ne se souvenait guère d'elle, mais à priori, la rencontrer seule à seule ne serait pas plus gênant que sa discussion avec l'Impératrice hier. Replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille, la jeune fille s'aperçut que tout le monde attendait qu'elle s'exprime.

- J'accepte de la rencontrer, souffla-t-elle.

- Tu es sûre, trésor ? s'inquiéta sa mère.

- Non ... soupira Linaëlle. Mais elle me donne une occasion et un contexte uniques, il faut que je saisisse ma chance...

- Et nous garderons de toute manière un œil sur toi, compléta son père. Un des agents de Romain ne sera pas loin et grâce à cette fameuse activité, nous pourrons surveiller les autres Elmakais.

- Et au moindre signal, on débarque tous pour taper sur qui tu veux, conclut Sollia avec un sourire en coin.

Linaëlle eut un rire nerveux qui signala la fin de la conversation. Chacun se leva pour se préparer. D'une pensée, la jeune fille prévint Sophia de son emploi du temps de la journée et se dirigea vers les bains où elle passa un long moment. Un bruit de plongeon l'avertit de la présence de Fiona.

- Ouah, l'eau est encore plus chaude que chez nous ! s'exclama sa vassale en la rejoignant en quelques brasses.

- Il paraît que l'eau proviendrait d'une source chaude... commenta Linaëlle, distraite.

- Tu vas réussir à te débrouiller sans nous ce matin ? demanda doucement Fiona.

- Il faudra bien... Noah dors encore ?

- Non, il est parti s'entraîner tôt ce matin... Tu n'as pas accès à son esprit ? interrogea la mage en fronçant les sourcils.

- Non, je n'arrive même pas à savoir où il est... Qu'est ce qu'il fabrique ?

- Je n'en sais rien, il a peut être rencontrer quelqu'un, ça ne m'étonnerais pas de lui, fit Fiona en haussant les épaules.

- Je verrais ça avec lui plus tard, décida Linaëlle en se dirigeant vers le bord du bassin.

- Lin ?

- Oui, qu'y a-t-il ?

- Bonne chance, fit Fiona en souriant.

Elle lui adressa un signe de tête, sortit de l'eau et s'enroula dans une serviette bien chaude. Sophia l'attendait dans une pièce attenante servant de vestiaire. Tandis que Linaëlle se séchait, elle demanda :

- Bleu, vert ou prune ?

Après un instant de réflexion, la jeune Princesse Héritière répondit :

- Prune.

- J'aurais dû m'en douter, soupira Sophia.

La robe de la couleur correspondante était on ne peut plus simple, avec le strict minimum de dentelle aux manches et de broderies sur le buste. Linaëlle n'était vraiment pas d'humeur pour les fanfreluches. La seule originalité de la robe reposait sur le fait qu'elle soit dos nu. Sophia réussit néanmoins à la convaincre de porter une bague en argent et un pendentif en rubis représentant un dragon identique à celui du drapeau malatirien. Mais la jeune fille resta intraitable sur les talons, se contentant d'une paire de ballerines.

Fin prête et coiffée d'une simple tresse et d'un diadème en argent, la jeune fille se dirigea vers la partie mixte du palais, sentant la tension monter à chaque pas. L'Archiduchesse avait signalé qu'elle l'attendrait dans l'un des nombreux salon privé du deuxième étage.

Dans cette partie du palais, elle ne croisa personne. Tous se préparait pour la sortie organisée du jour, qui consistait en une chasse aux trésors dans les jardins du palais, par équipe de nationalité mixte bien sûr. Utilisant sa magie, elle localisa sans peine le lieu du rendez-vous, l'Archiduchesse s'y trouvant déjà. Elle s'arrêta à la porte, incertaine de sa décision.

« Aller, un peu de courage, Votre Majesté. »
l'admonesta une voix dans son esprit.

« Julia ? » tenta Linaëlle.

« Qui voulez-vous que ce soit ? » ricana la vassale de son frère.

« C'est toi que Romain a choisi pour veiller sur moi... »

« Évidemment, il n'allait pas confier cela à n'importe qui. » confirma la métisse. « Maintenant, allez-y ! Et si ça peut vous rassurez, elle est au moins aussi nerveuse que vous. »

Linaëlle prit son courage à deux mains, frappa sur le panneau de bois pour signaler son arrivée et poussa le battant. Elle prit soin de refermer doucement la porte avant de se tourner vers la femme qui s'était levée à son entrée. Elles s'observèrent en silence, Linaëlle dos à la porte comme si elle voulait s'enfuir.

Une robe blanche et soyeuse soulignait le corps gracile et mince, malgré quatre enfants, de l'Archiduchesse. Des broderies dorés courraient de haut en bas, formant des motifs abstrait. Elle avait le teint pâle, encore plus à cause de la nervosité qui brillait dans ses yeux noisettes. Ses cheveux blonds tirant sur le châtain, étaient coiffés en chignon complexe. On ne pouvait pas vraiment dire qu'elle ressemblait à Linaëlle, mais la jeune fille reconnut en elle certains de ses traits, notamment le nez et les pommettes ainsi que le grain de beauté sur la joue gauche, presque au même endroit que celui de la jeune fille.

Contournant la table basse, l'Archiduchesse s'approcha de sa fille pour la détailler de plus près. Ses yeux brillaient de larmes contenues, elle semblait réellement émue de la voir.

- Mes Dieux, murmura-t-elle d'une voix enrouée, ce que tu ressembles à ton père... Tu es devenue une magnifique jeune femme...

Linaëlle ne savait pas quoi dire. Elle s'était attendue a beaucoup de choses, mais pas à un accueil aussi plein d'émotions. Elle continuait d'observer la femme qui lui faisait face et sentit le sentiment de déjà-vu refaire surface. Se rapprochant à son tour, elle constata avec surprise qu'elle était plus petite que l'Archiduchesse, d'au moins cinq bons centimètres. Elle avait l'habitude d'être au moins aussi grande que ses interlocuteurs, voir plus, et ce renversement de situation la déstabilisa.

- Veux-tu ... venir t'asseoir avec moi ? demanda doucement la femme.

- Oui... bien sûr, répondit Linaëlle d'un ton aussi hésitant que le sien.

Lentement, elles rejoignirent l'un des divans et s'assirent face à face. Linaëlle n'osait pas soutenir le regard de celle qui l'avait mise au monde. Ce qu'elle y lisait la perturbait trop.

- Que t'a donc expliqué ta tante à mon sujet ? l'interrogea l'Archiduchesse.

- Très peu de chose... voir absolument rien, répondit Linaëlle. Elle a évoqué mon père, mais hormis cela... je crois que je suis partie avant qu'elle n'aborde les choses sérieuses...

- Ce n'est pas une mauvaise chose, tu as eu raison de t'en aller, commenta-t-elle. Je suis navrée que se soit elle qui t'ait annoncé ta parenté, elle a ... une façon particulière d'amener les choses.

- Très particulière, confirma Linaëlle qui sentait son interlocutrice se détendre lentement. Pourquoi dites-vous que j'ai eu raison ?

Elle eut un sourire triste.

- L'Impératrice et moi... ne sommes pas en très bons termes... Je pensais qu'elle t'aurait raconté un certain nombre de choses horribles qui ne sont que son interprétation personnelle de faits malheureux.

Il y avait énormément de tristesse dans la voix de l'Archiduchesse et son aura brillait d'émotions qui trouvaient écho dans le cœur de la jeune fille. Linaëlle ne put s'empêcher de s'approcher et de prendre ses mains dans les siennes pour la réconforter. Elle sentait le lien fort qu'elle avait partagé avec cette femme douce et effacée, bien loin de ce qu'elle s'imaginait.

La surprise et une joie immense se dessinèrent sur le visage de la femme qui serra ses mains comme si elle craignait qu'elle ne s'évapore tel un mirage. Hésitante, elle s'approcha doucement, les yeux embués de larmes et posa son front contre le sien. Linaëlle la laissa faire en fermant les yeux, elle savait à quel point ce geste lui était familier. Son parfum au jasmin l'était également...

- Linaëlle, ma chérie... gémit-elle doucement, mon petit cœur... Si tu savais comme je suis heureuse de te revoir... et combien je t'aime. J'ai tellement de chose à te dire que je ne sais pas par où commencer...

Linaëlle rompit doucement le contact et rouvrit les yeux, perturbée par cette déclaration. Elle laissa néanmoins ses mains enlacées aux siennes. Sa magie active depuis le début de la conversation l'assurait de sa sincérité, et cela la chahutait intérieurement. Deux larmes avait coulé sur les joues de sa génitrice et une multitude d'autre menaçaient de les rejoindre. Émue également, la jeune fille lui sourit dans une tentative pour détendre l'atmosphère en disant :

- Il vaut peut être mieux commencer par le début, non ?

Plop ! Le début du chapitre 19 et enfin la rencontre avec la maman ! Avouez vous l'attendiez depuis longtemps :P ! Alors qu'en pensez-vous ?

Allez comme d'habitude, les commentaires et les votes me font toujours très plaisir alors n'hésitez pas ^^.

Voili voilou, bisous à vous et à la semaine prochaine !