Appuyées au bastingage, Linaëlle et Sollia bavardaient en admirant la ville de Féjomir qui  disparaissait au loin. Le navire sur lequel elles se trouvaient faisaient parti du trio de tête et remontait le cours de l'Erfé. La délégation suivrait le fleuve jusqu'à Hilarith où aurait lieu la rencontre entre les deux familles royales. Évidemment, pas besoin d'attendre le vent, avec le nombre de magiciens embarqués dans les navires, ils se relayaient pour faire souffler le vent dans la bonne direction, de même que le courant contraire ne les gênait aucunement.  

Les deux sœurs s'étaient définitivement réconciliées au retour de l'aînée. Celle-ci avait à peine eu le temps d'installer Kalioska et sa famille au palais qu'il lui fallait déjà repartir. Évidemment, la Princesse colrithienne faisait partie du voyage en tant que future membre de la famille royale, une présence qui allait probablement agiter les Elmakais aux mœurs plus conservatrices que leurs voisins. Mais Linaëlle ne s'inquiétait pas pour elles, Sollia avait un caractère bien trop trempé pour se laisser marcher sur les pieds et plus elle apprenait à connaître sa future belle-sœur, plus elle se rendait compte qu'elle possédait le même genre de style, bien que plus calme, que sa fiancée. Fait peu étonnant au regard du lieu où elle avait grandit.

Les deux jeunes femmes riaient d'un mot d'esprit de Sollia quand Kalioska les rejoignit. Malgré le retour du printemps, elle s'emmitouflait chaudement dans un grand manteau de fourrure. Il fallait avouer que le climat ne correspondait pas vraiment à celui de son pays d'origine.

- Brrr, j'ignore comment vous faites pour supporter ce froid, se plaignit-elle comme ses compagnes la regardaient d'un air amusé.

- On a l'habitude, rit Linaëlle. D'ailleurs, il fait même plutôt chaud pour la saison, ajouta-t-elle.

Devant le regard outré de Kalioska, les deux sœurs éclatèrent de nouveau de rire.

- Je savais qu'il y avait une arnaque dans l'histoire quand j'ai accepté de venir ici, fit la jeune femme en secouant la tête.

- Ne t'inquiète pas Tikchia, je connais un nombre impressionnant de moyen pour se réchauffer, lui répondit Sollia avec un regard évocateur.

- J'ai hâte que tu me fasses une démonstration, rétorqua l'exilée, un sourire taquin aux lèvres.

Elles conclurent l'échange par un langoureux baiser. Depuis qu'elles avaient officiellement la permission de se fréquenter, elles ne se gênaient nullement pour s'embrasser en public, jusqu'à en faire siffler les marins sur le pont. Linaëlle trouvait ça adorable et était très heureuse pour elles, mais ça en devenait gênant à la longue, surtout quand elle se retrouvait à tenir la chandelle.

- Bon je vais vous laisser alors, je n'ai aucunement besoin d'apprendre à faire du feu moi, ricana-t-elle.

- Pfff, espèce de bouillotte sur jambes ! la taquina sa sœur en consentant à se décrocher légèrement de son amante.

- Je signale que je suis encore perdue, les interrompit Kalioska.

- Comprends que Linaëlle a très peu de chance de mourir de froid, mon cœur, lui répondit Sollia.

- Comment ?

- Ma sœur explique très mal, fit la plus jeune en prenant un ton professoral, comme je me transforme en Dragon, qui est une créature qui crache du feu, j'ai l'avantage d'avoir rarement froid. Comme ceux qui se transforme en chat ont une meilleure ouïe ou sont plus agiles par exemple.

Pour illustrer son propos, elle posa sa main tiède sur la joue fraîche de sa future belle-sœur. Kalioska écarquilla légèrement les yeux :

- C'est incroyable, articula-t-elle.

Puis se tournant vers Sollia :

- Et toi tu ne peux pas faire ça ?

- Navrée, je ne me transforme pas en grosse bestiole à écailles, rigola Sollia.

- C'est dommage, ç'aurait été tout à fait intéressant comme moyen pour se réchauffer.

Linaëlle leva les yeux au ciel en s'écriant :
- Ce n'est pas possible, vous êtes toujours obligées d'en revenir à ça ?

- Ça quoi, Lin ? Je ne vois pas du tout ce que tu entends par là, lui répondit sa sœur avec un air faussement innocent.

La jeune fille soupira bruyamment en se prenant la tête à deux mains, mais Kalioska vint à son secours :
- Laisse-la un peu tranquille, c'est vrai que des fois on exagère, reprocha-t-elle gentiment à sa fiancée.

Linaëlle adressa un sourire reconnaissant à sa sauveuse qui lui répondit d'un clin d'oeil. Elle laissa les deux amoureuses à leurs roucoulades pour se diriger vers la proue du navire où elle contempla la forêt d'Amon qui s'approchait rapidement.

Vaste forêt majoritairement composé de résineux, elle marquait également la frontière entre Malatir et Elmakan. Les habitants de Féjomir racontaient à qui voulait les entendre les vieilles légendes selon lesquelles les elfes avaient vécus autrefois dans cet endroit et y vivraient encore. La forêt paraissait sans conteste mystérieuse à souhait, et on murmurait partout sur le continent que le Roi Amon, l'un des premiers souverain de Malatir, avait donné son nom à la forêt du fait d'un pacte avec le peuple elfique. Durant la semaine de voyage restante, les cinq premiers jours seraient consacrés à traverser ce vaste domaine sylvestre.

Linaëlle lâcha un soupir ennuyé. Elle n'avait pas pour habitude de rester sans rien faire toute la journée. Pleine d'espoir, elle contacta mentalement son père :

« Papa ? »

La réponse fut immédiate :
« Oui, Lin ? »

« On pourrait aller voler ensemble ? » l'interrogea-t-elle.

« Excellente idée ! Ça nous dégourdira les ailes avant d'arriver en Elmakan. » répondit Malvius. « Je termine de colorer ma nouvelle carte et j'arrive. »

« Encore une carte ? Quelle région cette fois ? » Demanda-t-elle amusée.

« Les îles Corjarés, celle que j'avais manquait de précision en ce qui concerne les reliefs. »

« Tu cherches toujours la petite bête. » soupira Linaëlle.

« C'est comme ça qu'on peut espérer atteindre la perfection, dragonneau. » s'amusa son père. « Et tâche de ne pas te transformer sur le navire, les griffes abîment le bois même enchanté comme celui-ci. » conseilla-t-il.

« Comme si je ne le savais pas » dit sa fille en levant les yeux au ciel.

« Je préfère me répéter plutôt que payer la facture, Lin. »

« Bien Ô grand seigneur du ciel. » Se moqua la jeune fille.

Malvius mit fin à la communication et Linaëlle se réabsorba dans la contemplation de la forêt qui les entourait désormais. Perdue dans ses pensées, elle perçut l'approche de Kalioska et sans se retourner lui demanda :

- Toujours déterminée à affronter le froid ? 

- J'ai du mal à concevoir que tu puisses deviner qui se trouve dans ton dos. Les mages d'auras ont vraiment un don étrange, répondit la jeune femme, surprise en venant s'accouder à côté d'elle.

- Entre ça et mon don de métamorphose, j'ai effectivement du mal à rentrer dans la norme, plaisanta Linaëlle. Mais je ne peux pas le « deviner » comme tu dis, c'est parce que j'ai l'habitude de te percevoir que je sais que c'est toi.

- Donc tu ne peux rien savoir de quelqu'un qui t'es inconnu ? L'interrogea sa future belle-sœur.

- Si bien sûr, je lis les émotions des gens qui qu'ils soient et sans tenir compte des protections mentales, expliqua jeune Princesse. Mais au delà de ça, chaque personne à une signature particulière, une façon de briller à mes yeux qui fait que je peux la reconnaître si j'en ai l'habitude.

- Donc tu peux reconnaître les gens en les sentant approcher par le biais de la télépathie... tu combines deux formes de magie en réalité, non ? tenta Kalioska.

- Je n'ai jamais vraiment fait attention mais maintenant que tu le dis, oui c'est ainsi que je le comprends, constata Linaëlle.

- Surprenant, commenta à mi-voix son interlocutrice. Il y a vraiment beaucoup de magie en Malatir, les mages sont presque monnaie courante, ici. À Colrith c'est plutôt l'inverse...

- C'est la diversité des dons qui provoque cette abondance, expliqua à nouveau Linaëlle. De plus, la loi veut que tous les enfants de dix ans ait été évalué et pris en charge par la hiérarchie magique en cas de don manifeste. Laisser des enfants jouer avec des dons incontrôlés serait contre-productif. Mais surtout se serait dangereux, pour eux et leurs proches.

- Donc si j'ai bien compris, le fait qu'il y ait de la magie entraîne un contrôle qui entraîne encore plus de magie ? demanda Kalioska.

- C'est un peu ça oui, confirma la jeune fille. Des mages entraînés sont plus puissants car ils tirent tout le parti de leur potentiel, et ont également plus de chance de transmettre leur don à leur descendance. Du coup on se retrouve parfois avec des mélanges intéressants.

- Ça me paraît affreusement compliqué, soupira Kalioska.

-Tu prendras vite l'habitude, ne t'en fait pas, la rassura Linaëlle.

- Mais à force d'utiliser la magie pour tout faire, cela ne nuit pas à ceux qui n'en ont pas ?

- Ah j'attendais cette question, rigola la jeune fille. Vois-tu, les mages sont tous regroupés quel que soit leur don, au sein d'une organisation dirigée par le Conseil des Six. Ce conseil est directement sous les ordres du Roi et de la Reine, bien que ma mère s'en occupe peu. C'est à eux de consigner où sont les mages de tout le pays. Mais tous ne choisisse pas une carrière magique. Ils peuvent avoir un don et ne pas s'en servir pour leur emploi. De plus même la magie a des limites, même si elle est bien plus efficace que la méthode traditionnelle.

- C'est tout une organisation... constata la Princesse du Sud.

- Eh oui mais c'est nécessaire pour éviter les conflits, affirma Linaëlle.

Après un silence, se fut à son tour de se poser des questions :

- Pourquoi ce soudain intérêt pour la magie ?

- Par envie de comprendre je suppose, fit Kalioska en haussant les épaules. Vous vivez tous dans ce monde et si je dois m'y adapter, il faut bien que je commence quelque part.

- C'est un bon début en effet.

- Tu m'as donné matière à réflexion, soupira-t-elle. Je crois que je vais redescendre au chaud et réfléchir à tout ça. Merci de tes réponses en tout cas.

- Je t'en prie c'est un plaisir de t'aider, si tu as d'autres questions n'hésite pas, je sais que ma sœur peut être infernale quand elle se met à discourir là dessus, conclut Linaëlle en souriant.

Kalioska lui rendit son sourire.

- En fait ... il y a quelque chose que je voudrais te demander ... commença la jeune femme.

- Oui ? l'encouragea la Princesse Héritière.

- Qu'est ce que ça fait de voler ?

Linaëlle rit doucement.

- Tu as le vertige ? Demanda-t-elle.

- Non pas du tout mais où est le rapport ?

- Ferme les yeux, se contenta de répondre la jeune fille.

Kalioska obéit et Linaëlle appela sa Dragonne. Celle-ci répondit aussitôt et Linaëlle libéra doucement ses ailes. Cette demi-transformation était difficile à maîtriser et lui coûterait probablement sa tunique, mais la jeune fille voulait surprendre sa future belle-sœur. Les fines membranes se déployèrent dans un claquement sec qui fit sursauter Kalioska.

- Qu'est ce que tu fais ? s'affola-t-elle.

- N'ouvre pas les yeux surtout ! fit Linaëlle en plaçant une main devant ses yeux.

- Linaëlle, tu m'inquiètes.

- Mais non ! Accroche-toi bien, par contre, lui recommanda la plus jeune.

- M'accrocher ? À quoi ?

- À moi.

Sur ces paroles, elle saisit Kalioska par la taille et décolla. En quelques battements d'ailes, elles se retrouvèrent une bonne vingtaine de mètres au-dessus de la cime des arbres. Linaëlle faisait du surplace, sa passagère involontaire fermement cramponnée à son cou, les yeux clos.

- Tu peux ouvrir les yeux maintenant, chuchota la jeune métamorphe.

- On vole n'est ce pas ? fit Kalioska sur le même ton.

- Oui, confirma-t-elle.

Linaëlle sentit plus qu'elle ne vit la jeune femme ouvrir les yeux. Elle ne tarda pas à se détendre et à tourner la tête dans tous les sens pour mieux observer le paysage qui se déroulait en-dessous d'elle.

- Tout va bien ? l'interrogea Linaëlle.

Kalioska lui adressa un sourire gamin.

- Si je vais bien ? Linaëlle, c'est incroyable ! On vole ! s'exclama-t-elle.

- Attends, tu n'as encore rien vu ! lui rétorqua la jeune fille.

Elle décrocha et monta dans le ciel avant de s'élancer loin vers le soleil qui commençait à se coucher. Effectuant un virage serré, elle reparti en sens inverse et elles passèrent comme deux flèches au dessus des navires, brindilles dans un ruisseau. Linaëlle continua son manège un moment, laissant à sa passagère le temps d'apprécier l'activité. Kalioska criait de surprise avec chaque manœuvre aérienne et riait comme une enfant. Quand Linaëlle se stabilisa à nouveau au dessus du fleuve, elle était essoufflée, ébouriffée, mais totalement euphorique.

- C'est tellement ... tellement, haleta-t-elle en cherchant ses mots.

- Grisant ? suggéra la métamorphe.

- Quelque chose comme ça oui, souffla Kalioska en frissonant.

- Tu as froid, constata Linaëlle.

- Un peu, oui, confirma sa passagère.

- Je vais te ramener au chaud.

- Pas déjà ! protesta-t-elle.

- Ma sœur va m'étrangler si tu tombes malade par ma faute, rigola Linaëlle en amorçant la descente.

Kalioska rit en blotissant son nez froid dans son cou. Linaëlle se posa doucement devant l'échelle menant au pont inférieur et se détacha de la jeune femme. Frissonante, celle-ci resserra son manteau autour d'elle avant de contempler pensivement sa vis-à-vis.
Linaëlle inclina doucement la tête sur le côté, interrogative. Kalioska s'approcha et posa un baiser sur sa joue.

- Merci, petite sœur, murmura-t-elle à son oreille.

Sans attendre de réponse, elle se dépêcha de dévaler l'échelle. Linaëlle porta la main à sa joue, surprise, puis sourit. Avoir une sœur en plus ne lui déplaisait pas du tout.

Elle regagna le ciel et se métamorphosa complètement, laissant sa partie animale profiter de cette liberté. Son père ne tarda pas à la rejoindre et tous les deux entamèrent leur éternel jeu de course-poursuite et d'acrobaties, qui dura jusqu'à la nuit noire.

Plop ! Voilà le début du chapitre 16 ! On découvre un peu plus Kalioska, et surtout, on se dirige enfin vers Hilarith !

Sinon beaucoup d'entre vous ne m'ont pas donner leur avis dans pour fêter les 1k de vues, je vous invite à y aller ^^.

Voili voilou, gros bisous à vous et comme d'habitude, n'hésitez pas à commentez ^^.