Chapitre 14 : Du coeur ou de la raison (partie 2)



- Par le sang des Dragons, Sollia, qu'est ce que c'est que cette absurdité ?! s'exclama le Roi Malvius.

Réunir la famille royale, leurs vassaux ainsi que le duc Ol'Martal et la directrice Oth'Ferim avait pris moins d'une demi-heure. À vrai dire, Sollia et Linaëlle avait reçu la convocation mentale de leur père en sortant des bains. Elles avaient d'abord cru qu'il était déjà au courant avant de comprendre que l'ordre du jour n'avait rien à voir avec l'affaire dont elles se préoccupaient. Évidement, à peine entrée dans la salle en haut de la tour sud qui servait de lieu de réunion, leur mère avait deviné que quelque chose ne tournait pas rond et avait mis les pieds dans le plat. Les jeunes filles avaient déballé toute l'histoire et avait attendu la réaction des autres personnes présentes, qui n'avaient pas traînées.

- Malvius, calmez-vous, cela ne nous mènera à rien de vitupérer comme des marchands mal embouchés, le reprit calmement la Directrice.

Ce dernier lui jeta un regard peu amène mais cessa de jurer et de tourner en rond pour se rassoir sur l'un des sièges disposés autour de la grande table ronde qui constituaient le seul mobilier de la pièce.

- Laissez-le donc s'exprimer Amalicia, vous ne connaissez pas encore le but premier de cette réunion, mais elle a suffisamment énervé notre jeune Roi pour que cette affaire ne tombe comme un cheveu sur la soupe, annonça le duc Ol'Martal comme il aurait annoncé l'heure.

- Le jeune Roi aimerait qu'on arrête de critiquer son mauvais caractère, grogna le concerné.

Linaëlle retint un gloussement. La directrice et le duc avaient déjà dépassé le demi-siècle quand son père était né et le considéraient encore comme un enfant. La magie qui pulsait dans leurs auras leur accordait une vie bien plus longue que celle des gens ordinaires. Aussi s'autorisaient-ils des familiarités avec le Roi, parfois même en public, qu'aucun autre noble excepté la duchesse Ol'Jamar ne pouvaient se permettre.

- Je ne sais ce qui vous a poussé à convoquer cette réunion à une heure aussi indécente un lendemain de fête, mon cher, mais il me semble que le pétrin dans lequel se sont mises ces deux jeunes demoiselles devrait être notre priorité actuelle, non ? interrogea la mage.

- Elle a raison, Malvius, cela ne peut attendre, enchérit la Reine.

- Très bien, soupira le Roi, puisque vous êtes tous d'accord, voyons de quoi il retourne.

À la droite de Linaëlle, Sollia se tendait comme une corde d'arc au fur et à mesure de la conversation. La jeune fille posa une main sur son épaule et lui envoya une puissante vague de calme et de patience. Son aînée lui coula un regard reconnaissant et consentit à se détendre un peu.

- Donc reprenons, reprit le Roi. Sollia est officieusement en couple avec la Princesse de Colrith. Elles s'aiment visiblement toutes les deux. L'homosexualité étant honni à Colrith, Kalioska sera bannie et déshonorée par son père si il découvre ses penchants. C'est bien cela ?

- En fait c'est un peu plus compliqué que ça, Papa, répondit Sollia.

- Je me disais aussi que c'était trop simple, ricana le duc en apparté.

- Le problème majeur vient du fait que le blâme ne touchera pas uniquement Kalioska mais également sa mère et son frère qui grâce au fait qu'elle soit l'une des filles préférée du Roi, coulent des jours paisibles au Palais Royal de Valahimour.

- Ah voilà donc le noeud de l'affaire, fit la Directrice. Elle ne veut pas que son frère et sa mère soient entraînés dans sa chute, n'est-ce pas ?

Sollia hocha doucement la tête. Du coin de l'oeil, Linaëlle remarqua qu'Énora piquait du nez. Elle donna alors un coup de coude discret à Cassildey qui suivit son regard et mit un coup de pied dans les jambes de la petite qui rouvrit aussitôt les yeux. Linaëlle regarda à nouveau Cassildey qui comprit le message muet. Il se chargerait de garder Énora éveillée. Ceci fait, elle reprit le fil de la conversation.

-... me paraît la seule solution raisonnable au problème, disait Guillaume, le vassal du Roi. Ce n'est pas le moment de nous mettre en porte à faux avec le Roi Farim pour une histoire aussi banale !

Linaëlle fit la grimace et se prépara à perdre de l'audition au niveau de l'oreille droite. Sollia réagit instantanément :

- Je ne te laisserai pas dire ça, Guillaume ! Kalioska n'est pas comme les autres ! Je l'aime et je ne renoncerais pas à elle, hurla-t-elle en se levant et en appuyant ses poings sur la table.

- Tu es bien trop jeune pour comprendre le sens de ce que tu dis ! Tu en retrouveras d'autres des comme elle ! Ton devoir devrait passer avant ton cœur ! Tu es une Princesse Héritière de Malatir, pas une fille ordinaire ! répliqua vertement le vassal.

- Guillaume, il suffit ! Et toi, Sollia, assieds-toi ! ordonna Malvius. Ce comportement n'est digne d'aucun de vous deux. Examinons les autres options dans le calme, nous déciderons plus tard.

Autour de la table, les débats devinrent vite animés. Cassildey et Énora, maintenant parfaitement éveillée, suivaient les conversations avec un intérêt croissant. Alors que la tablée semblait s'enliser dans un débat sans fin, une voix s'éleva :

- Si je peux me permettre une suggestion, Votre Altesse, il me semble qu'il y a une solution fort simple au problème.

Un silence perplexe suivi ces paroles et tous se tournèrent vers la jeune métisse vêtue de noir négligemment assise sur le rebord de la fenêtre ouverte. Fenêtre qui était auparavant fermée.

- Bonjour Julia, tu as fait bon voyage ? interrogea Xavier.

- Ça peut aller. Par contre cette tour ne m'a pas rendu la tâche aisée, j'ai mis au moins dix minutes à monter.

- Si tu passais par la porte comme les gens normaux, tu ne rencontrerais pas ce genre de problème, Malrim Losva, contra Xavier.

Julia se contenta de hausser les épaules et de prendre sa place habituelle à la table. Vassale de Xavier, sa peau mate et ses yeux en amande trahissaient ses origines Colrithiennes. Mais ses iris bleu horizon et sa grande taille montraient d'autres appartenances. Le père de la jeune fille était un Malatirien donnant dans le commerce. Il avait ramené son épouse du Sud et leur progéniture avait été élevée dans une double culture particulièrement riche. Julia tenait le rôle d'aînée de la fratrie. Elle avait fait ses premières armes dans le réseau d'espion de Romain et mettait aujourd'hui ses talents aux services de l'aîné de la famille royale.

Elle prit tout son temps pour s'installer et cala ses pieds sur la table. Après avoir laissé courir son regard sur toutes les personnes présentes, elle leur adressa un sourire moqueur et reprit :

- Donc il existe une solution fort simple, fit-elle en prenant un ton professoral. Le peuple de ma mère respecte plus que tout la ruse et l'astuce. Chez eux, on a plus de chance d'être respecté en jouant au Keshet qu'en gagnant des duels. Selon moi, si vous réussissez à enlever la famille de Kalioska au nez et à la barbe des gardes du harem, vous gagnerez le respect du Roi Farim. Il se sentira votre obligé et donc acceptera de vous accordez une faveur.

Un silence médusé s'installa dans la pièce.

- Tout cela est bien beau mais si il refuse ? interrogea le duc Ol'Martal.

- Si il refuse, eh bien ma foi, sa famille étant à l'abri, Kalioska pourra écouter librement son cœur. Et rassurez-vous, son père ne vous en tiendra pas rigueur ou alors pas longtemps, il a encore une demi-douzaine de filles pour la remplacer, rit la jeune métisse.

- Cela me paraît presque trop simple, dit pensivement le Roi.

- Les Colrithiens sont un peuple simple. Hormis le fait qu'ils apprennent le Keshet au berceau. Ils utilisent rarement leurs talents en politique et heureusement pour nous, lança Xavier.

- Donc, si je résume la situation, il suffit d'enlever une femme et un enfant dans un harem pour résoudre le problème ? demanda la Directrice.

- Il suffit, facile à dire, soupira Sollia. C'est l'endroit le plus sûre de tout Colrith, même le trésor royal n'est pas aussi bien gardé !

- Ce n'est pas infaisable, j'ai déjà réussi, exposa calmement Julia.

- Tu n'es pas vraiment une référence, mon petit, même si seulement la moitié de ce que j'ai entendu à ton sujet est vrai, se moqua gentiment le duc.

- Je vous retourne le compliment, grand père, répliqua la jeune femme.

- J'accepte avec joie ce compliment, ma chère.

- Quand vous aurez fini de vous gonflez
respectivement les chevilles, auriez-vous l'amabilité de redescendre parmi le commun des mortels que l'on puisse mettre au point une stratégie convenable ? S'agaça le Roi.

- Pardonnez nous, Votre Altesse, nous sommes tout ouïe, déclama Julia avec son air le plus innocent.

Malvius soupira et s'adossa à son siège. Il se pinça l'arrête du nez avant d'annoncer :

- Bon. Julia va nous fournir toutes les informations dont elle dispose sur les lieux. Ensuite il faudra choisir qui ira et comment puis ...

- Si je peux me permettre une autre suggestion, Votre Altesse, l'interrompit Julia.

- Oui ? fit le monarque légèrement agacé.

- L'effet recherché serait d'autant plus grand si la Princesse Kalioska se faisait enlever en même temps que sa famille, fit très vite la jeune fille.

- Qu'est ce que tu racontes ?! Kalioska est ici ! s'exclama Sollia.

- Oui mais elle ne va pas rester éternellement, pronostiqua Julia.

- Ah non ! Je refuse de la mettre en danger ! S'écria la Princesse Héritière.

- Avec tout mon respect, l'amour se mérite, Votre Majesté. Sa présence donnera bien plus de poids à l'action que nous voulons entreprendre. À moins que votre Princesse ne soit en verre et trouillarde avec ça.

Linaëlle attrapa sa sœur par l'épaule avant qu'elle ne se lève. Celle-ci foudroya la métisse du regard :
- Je t'interdis de parler d'elle ainsi ! hurla-t-elle.

- Sollia arrête, Julia a raison, déclara lentement Linaëlle. Si tu veux régler ce problème sans causer de dommages, il faut s'en référer à son idée.

- Qu'est ce que tu en sais, toi ! rétorqua Sollia en se tournant vers sa sœur qui l'empêchait de sauter sur sa victime.

- J'en sais que je suis probablement plus objective que toi dans cette histoire, lui répondit Linaëlle un peu sèchement. Et que j'ai passé pas mal de temps à étudier les us et coutumes de nos voisins. L'idée de Julia est peut être osée mais elle tient la route. Et surtout, elle permettrait de ne pas vexer le Roi Farim.

- Je n'aime pas ça, je ne veux pas lui faire prendre de risque ! Elle n'a rien d'une guerrière ou d'une magicienne. Elle est simplement ... normale, soupira Sollia en se calmant sous la magie de sa sœur.

Plus sensible qu'elle n'en avait l'air, Julia se leva et contourna la table pour se placer face à Sollia.

- Majesté, je vous promets que le risque est minime. Si personne n'est au courant et si votre père veut bien mettre des moyens importants à ma disposition, ce problème sera réglé sans aucune anicroche avant que vous n'ayez eu le temps de dire ouf. Il faut me faire confiance.

- Je continue à penser que c'est une mauvaise idée, marmonna Sollia.

- Certes mais c'est la seule idée qui permet de contenter les deux parties, lui répondit sa sœur en passant un bras autour de ses épaules.

- Je veux lui en parler d'abord, décréta la jeune fille.

- Ça me paraît évident, approuva Julia. Il est inutile de mettre tout un stratagème en place si elle refuse de jouer son rôle.

Le silence s'installa tandis que chacun méditait sur les paroles prononcées. Finalement, la Directrice prit la parole :

- Maintenant que nous avons plus ou moins réglé le problème, peut-être pouvons nous nous intéressez au sujet qui fait trépigner notre jeune Roi et qui est la raison première de cette réunion.

En disant cela elle promena son regard sur les personnes présentes. Aucune ne protesta aussi se tourna-t-elle vers Malvius, imitée par le reste de l'assemblée. Le Roi se passa une main dans les cheveux et sortit de sa ceinture un étui métallique. En voyant le sceau gravé dessus, Linaëlle haussa les sourcils.

- Ceci est arrivé ce matin par messager volant. C'est un message de l'Impératrice d'Elmakan en personne.

Tous en restèrent bouche bée. Depuis le début de la guerre, Falm n'avait pas communiqué avec Dopalis par message écrit. De plus un mot signé de la main de l'Impératrice laissait présager une nouvelle d'importance.

Voyant l'expression de sa mère et du duc, Linaëlle en déduisit qu'ils étaient déjà au courant. Xavier tendit la main vers le cylindre, hésita et finit par saisir l'objet de toutes les attentions. Il sortit le parchemin qu'il déroula. Selon la coutume, l'expéditeur du message écrivait dans la langue du destinataire. Aussi Xavier lu-t-il à haute voix les lignes écrites en Malatirien :

<< Nous, L'impératrice Kadsuan  Ab'Damir Vi'Tramon, Protectrice du Sceau Impérial et Mère de l'Imperator Manoël Ab'Tramon saluons le Roi de Malatir et Gouverneur des îles Corjarés, Malvius Ol'Darith.

Le temps des conflits étant terminé, il nous semble important de renouer des liens plus solides afin d'éviter de nouvelles hostilités.
C'est pourquoi nous serions heureux de vous accueillir ainsi que la famille royale de Malatir en notre demeure de Falm quand l'été sera revenu.

En espérant une réponse positive, recevez Votre Altesse, tous nos voeux de santé et de prospérité.

Kadsuan Ab'Damir Vi'Tramon,
Impératrice d'Elmakan. >>

Voilà la suite du chapitre 14 ! Et dans les temps en plus ! Enfin la première semaine a été plutôt calme donc j'ai eu le temps de griffonner un peu. Je ne garantie pas la semaine prochaine par contre !

Sinon, comme d'habitude, n'hésitez pas à commenter et bisous à tous ^^.

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