Chapitre 1 : Reine des batailles
Le massacre avait eu lieu pendant la nuit. Le soleil avait dépassé son zénith et éclairait la scène à travers les feuilles des arbres du bosquet qui tenait lieu de champ de bataille.
Certaines victimes avaient eu la gorge tranchée, d'autres tournaient la tête selon un angle singulier. À l'extrémité du camp, les derniers avaient eu le temps de saisir leurs armes et de se battre. Néanmoins, ils avaient connu le même sort que leurs compagnons. En tout, il y avait peut-être une centaine de morts, hommes et femmes confondus. C'étaient pourtant des soldats d'élites, des membres de la Garde de l'Ouest de l'Empire Elmakan, comme en témoignaient leurs uniformes. Et cela rendait le spectacle plus effrayant encore.
« Comment de tels soldats ont-ils pu se laisser massacrer ainsi ? » songeait Elmira.
Elle parcourait le camp dévasté avec Tempête, un jeune louveteau de la meute sur les talons. Une agitation soudaine à l'entrée du camp l'arracha à sa contemplation.
- Commandante ! s'écria un soldat qui la rejoignait en courant.
- Que se passe-t-il sergent ? l'interrogea-t-elle.
- Il y a une survivante, les éclaireurs l'ont trouvée dans les bois et l'ont ramenée.
Elmira se dirigea au pas de course vers l'entrée du camp, obligeant le pauvre sergent à lui emboîter le pas pour continuer son rapport.
- C'est une gamine, Commandante, elle ne voulait pas du tout revenir ici, les hommes ont dû la porter.
- Merci, sergent, répondit Elmira en ralentissant le pas comme elle arrivait sur les lieux. Dites à tout le monde de rassembler les cadavres et de les brûler, je ne veux pas m'attarder ici trop longtemps, les loups sont nerveux et ça ne me dit rien qui vaille.
Un rassemblement s'était formé autour des deux éclaireurs de la troupe. Elmira lança un ordre bref et les soldats se dispersèrent, laissant leur Commandante écouter le rapport des deux soldats. Minces et plutôt petits, Manahau et Matthaïos avaient un physique parfaitement adaptés à leur rôle dans la troupe. Bruns aux yeux verts, atteignant à peine la quarantaine, ils étaient frère et sœur. Manahau, l'aînée, suivait Elmira depuis sa nomination au commandement du bataillon. Le cadet n'était rattaché à son service que depuis peu, mais il semblait tout aussi compétent que sa sœur.
Le regard de la femme tomba alors sur la petite silhouette assise aux pieds de Manahau et surveillée de près par Brouillard, la louve de celle-ci. Quand le sergent avait employé le mot "gamine", Elle s'était attendu à une jeune soldate ou une écuyère. Or la petite ne pouvait pas avoir plus de six ans. Recroquevillée comme elle était, difficile de lui donner un âge précis. Elmira releva les yeux et posa un regard interrogateur sur ses deux éclaireurs. Ils échangèrent un regard et Manahau prit la parole :
- On l'a trouvée à trois cents mètres d'ici, perchée dans un arbre, de ce qu'on a compris, son père lui avait demandé de s'enfuir. Apparemment, elle n'en sait pas plus que nous sur l'identité des agresseurs.
- Vous êtes sûrs qu'elle faisait partie de ce groupe ? interrogea Elmira.
- Pas de doute possible, Commandante, y'a pas un village à des kilomètres à la ronde et en plus, elle porte l'insigne d'Elmakan sur ses vêtements.
Elmira poussa un gros soupir et resta muette. Devant son hésitation, Matthaïos murmura :
- Vous voulez qu'on le fasse, Commandante ?
Elmira sursauta et foudroya l'homme du regard.
- Non ! Bien sûr que non ! C'est une gamine enfin ! On ne peut décemment pas faire ça ! s'écria-t-elle.
Elmira soupira à nouveau, comment allait-elle sortir l'enfant de là ? Les ordres du Roi étaient très clairs sur ce sujet : Tous les Elmakais trouvés sur le territoire de Malatir devaient être exécutés.
En vieillissant, la haine du Roi Althis pour Elmakan n'avait fait que croître, jusqu'à le pousser à donner l'ordre d'invasion. La raison officielle de cette guerre était la revendication d'une minuscule parcelle de terrain désertique au Sud, raison qui ne dupait personne. Les deux nations ayant une armée de taille égale et connaissant parfaitement leur adversaire, le conflit faisait rage depuis plus de quinze ans.
C'était d'ailleurs grâce à cette guerre qu'Elmira avait rencontré et épousé Malvius, le prince héritier de Malatir. Un homme merveilleux, mais qui aurait les mains liées tant que son père serait en vie.
Le changement de statut de la jeune femme avait provoqué peu de vagues. Les lois de Malatir à propos du mariage ne mentionnaient pas l'obligation pour la noblesse d'épouser des gens du même rang, même si la tradition le voulait. De plus, en période de guerre, les gens se souciaient peu d'un mariage, même princier. Le toussotement de Manahau la tira de ses réflexions. D'une manière ou d'une autre, elle allait devoir prendre une décision.
Elle mit un genou en terre pour être à la hauteur de la petite fille et lui releva le menton. Deux grands yeux verts rougis par les larmes plongèrent dans ceux, gris acier de la femme. Il y avait tellement de peur dans ces yeux qu'Elmira crut qu'elle allait s'y noyer. Soudain, elle pensa à ses enfants qui l'attendaient à Dopalis, la capitale de Malatir. La petite aurait pu avoir le même âge que Killian, si il avait survécu.
Son cœur refusait à grands cris ce que son devoir lui dictait de faire. Alors Elmira choisit, et tant pis pour la colère du Roi ! Elle attira la petite fille dans ses bras et lui murmura en Elmakais :
- C'est fini tu n'as plus rien à craindre. Je vais m'occuper de toi.
- Ils sont tous partis maintenant ... Maman aussi est partie ... Toute seule perdue ... sanglota la fillette.
- Je sais c'est très difficile. Comment tu t'appelles, trésor ?
- Linaëlle ...
- C'est adorable ça comme prénom. Aller, accroche-toi, on va s'occuper de toi maintenant.
Elmira se releva avec Linaëlle blottie dans ses bras. Devant le regard interrogatif des éclaireurs, elle déclara :
- Je prends cette enfant sous ma responsabilité, elle se nomme Linaëlle. Aucun membre de cette troupe n'aura à subir le courroux du Roi. Cependant, je compte sur vous pour m'aider dans ma tâche. Faites circuler le message.
Les deux soldats sourirent, habitués aux astuces de leur Commandante pour déjouer les directives royales. Comme tous les membres de la troupe, ils lui étaient aveuglément fidèles et la soutenaient dans son désir de faire le moins de victimes possibles dans les deux camps. Ils s'inclinèrent à l'unisson devant leur chef et se dirigèrent chacun vers un groupe de soldats différent, Brouillard trottant sur les talons de sa compagne.
La Commandante se dirigea vers l'entrée du camp, Linaëlle cramponnée à son cou, les yeux fermés. Elle ne les rouvrit que lorsque Elmira monta sur son cheval, un solide étalon de bataille, gris de la tête aux sabots, appelé fort justement Cendre.
S'éloignant du lieu du massacre, les deux cavalières traversèrent un ruisseau et gravirent une petite éminence sur laquelle les Malatiriens avaient établis leur camp. Les soldats étant occupés à rassembler les cadavres pour les incinérer, il n'y avait quasiment personne et tous les loups participaient aux recherches visant à retrouver les coupables.
Elmira confia sa monture à un des palefreniers et se dirigea vers le chariot-cantine. La cantinière était une femme dans la cinquantaine sèche comme un bout de bois, ses cheveux grisonnants relevés en un chignon sévère qui suivait déjà le bataillon du temps du prédécesseur d'Elmira et probablement avant celui-ci. Derrière cette apparence peu engageante se cachait pourtant un cœur d'or. Elle répondait au nom de Tilma, ce qui dans la vieille langue voulait littéralement dire "nourriture". Tous savaient que ce n'était qu'un surnom, mais avaient également oublié le vrai et personne n'osait lui demander.
La vieille femme ne sourcilla même pas quand Elmira débarqua avec l'enfant dans les bras et lui demanda de lui servir à manger. Elle plongea sa louche dans la marmite au-dessus du feu derrière elle et s'empara d'un bol qui trainait pour servir à la petite une généreuse portion de bouillie d'avoine. Linaëlle consentit enfin à lâcher la Commandante pour dévorer la nourriture. Privée de petit-déjeuner et de déjeuner, elle était affamée. Tilma qui s'était éclipsé pour aller lui chercher à boire posa une cruche d'eau devant elle. Puis elle se redressa et planta son regard dans celui de la Commandante.
- Que comptes-tu faire d'elle ? demanda-t-elle sans s'embarrasser de formalités.
- Pas l'exécuter en tout cas, lui répondit Elmira. C'est une enfant qui n'a rien demandé à personne et dont le père a été bien imprudent de l'emmener avec lui.
- Il n'avait peut être pas le choix, en temps de guerre, tout peut arriver, rétorqua Tilma. Mais tu n'as pas répondu à ma question.
Elmira répondit en regardant la fillette assise à ses pieds :
- Honnêtement je n'en sais rien, Tilma. Pour l'instant, elle va rester avec nous jusqu'à ce que je trouve une solution.
- Aucune famille ne voudra d'elle quand ils sauront d'où elle vient et si tu la ramènes au palais, tu l'exposes à la fureur du Roi, pronostiqua-elle.
- Je sais bien ! s'écria la jeune femme exaspérée. Mais que veux-tu que j'y fasse ! Je suis incapable de la tuer et encore moins de demander à l'un de mes hommes de le faire !
L'éclat d'Elmira avait fait sursauter Linaëlle qui lança un regard apeuré aux deux femmes.
- C'est rien trésor, finis de manger tranquillement, la rassura aussitôt la Commandante en Elmakais.
Tilma s'éloigna en marmonnant. Elmira ne comprit pas tout mais il était question de "tête de mule" et de "corvée d'épluchage". Elle eut un sourire en comprenant que certains commis allaient passer un sale quart d'heure. Elle leva les yeux sur l'horizon et son sourire s'effaça. Les premiers panaches de fumée s'élevaient dans le ciel, à moins de deux kilomètres à l'Est. Elle ferma les yeux et soupira pour la troisième fois de la journée. Avant qu'elle n'ait le temps de s'abimer dans de sombres réflexions, une légère traction sur sa main lui fit baisser les yeux. La petite tenait la cruche vide à la main, son bol vide également abandonné par terre.
- Soif, dit-elle en tendant la cruche vers Elmira.
La Commandante sourit à nouveau, prit la cruche et se dirigea vers les tonneaux près des chariots de provisions, Linaëlle trottinant sur ses talons.
- Bon autant que je te fasse visiter les lieux avant que tout le monde revienne. Pour l'eau, c'est par ici. Là-bas, il y a ...
Elle continuait de marcher et de parler quand soudain elle se retourna et s'aperçut qu'après avoir bu tout son saoul, la petite s'était roulée en boule et dormait près des chariots. Attendrie par la scène, elle s'accroupit devant l'enfant et murmura :
- La visite peut attendre je suppose... Ne fait pas trop de cauchemars, trésor...
C'était donc la première rencontre de Linaëlle et d'Elmira. A cette époque, l'enfant avait déjà attiré mon attention bien que je ne savait pas encore exactement ce qu'elle pouvait m'apporter pour régler ce conflit entre les deux principaux pays de l'époque. Néanmoins, sa rencontre avec la future reine de Malatir venait de marquer un tel chamboulement que les voies de l'avenir s'étaient complètement redéfinies. Je résolus donc de rester simple spectateur jusqu'à ce que je puisse y voir plus clair. Mon instinct me soufflait que ces deux là allaient me causer du soucis dans un avenir proche.
Voilà le premier chapitre, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !
L'image représente la bannière du bataillon d'Elmira. N'étant pas doué pour le dessin, j'ai piqué le loup sur pinterest.com, le reste est fais à l'ordinateur.
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