7. En tapinois

« Mirette est une étrange gamine aux boucles d'or et au caractère solide. Fille de pécore, elle est accompagnée par Ankrolm, un barbare des collines féroce et taciturne, armé d'un lourd gourdin et d'une connaissance incommensurable. Ils me suivent depuis une décade alors que mon but leur semble encore flou. Quel est le leur ? »

Accoudé au coin du feu, le lézard relisait – tout en massant ses pauvres pattes arrière rendues douloureuses par une nouvelle et pénible journée de randonnée – ses notes prises le soir précédent. Cela fait, il claqua son carnet, s'allongea et ferma ses globes. Mais, il garda l'oreille tendue vers le singulier duo qui discutait à voix basse à tout juste quelques toises.

D'habitude, il accordait à son entourage la faveur d'une honnête intimité. La curiosité demeurait un bien vilain vice chez les lézards. À Yashcheritsa, le seul dicton sérieux affirmait ceci : « la curiosité est une flamme qui une fois excitée dévore l'âme ». Malheureusement, dans certaines périlleuses situations, il fallait savoir mettre de côté la bienséance et écouter aux portes. « Il vaut mieux s'asseoir sur ses principes, et vivre éternellement que rester pur, mais tomber prestement », proclamaient les reptiles les plus avisés.

Pourquoi donc l'accompagnaient-ils ? D'accord, les lézards étaient des créatures merveilleuses et rares dans les contrées humaines, mais la compagnie de Krrkippaal valait-elle ces durs jours de marche ? Le reptile ne connaissait rien à propos de ses compagnons, excepté qu'ils s'étaient subrepticement, en tapinois, introduits dans sa quête et dans sa vie. Quand Krrkippaal avait abordé ces questions avec Mirette, elle s'était contentée de secouer légèrement la tête et de lui sourire. Concernant Ankrolm, il était plus aisé de faire parler un rocher ; il n'accordait en effet au lézard que de rares et crasseux borborygmes.

— Assez ! ordonna soudainement Mirette.

Les yeux toujours solidement clos, Krrkippaal entendit alors le barbare soupirer puis s'allonger à son tour près du feu. Puis, il fut imité par Mirette. Hormis le crépitement des flammes, les stridulations des criquets et d'autres délicates spécialités locales, plus aucun son ne franchit les oreilles du lézard qui sombra dans les limbes. Heureux fût-il, car quelques instants plus tard, Ankrolm sortit une scie rustique et s'employa à couper scrupuleusement l'intégralité de la forêt.


Quelques jours après, la petite troupe aperçut enfin les hauts sommets qui gardaient la mythique cité d'Arckaweik. Le chemin quitta la plaine luxuriante pour s'engager gaillardement à travers un dédale de roches et falaises. Un fleuve longeait avec force le sentier pentu tandis que la végétation se raréfiait à vue d'œil, devant une suite de pins épineux et de plantes revêches.

Mirette, comme à son habitude, bavassait sans reprendre son souffle. Krrkippaal, las de cet éternel caquetage, conserva une distance acoustique satisfaisante et laissa à l'étrange duo quelques pas d'avance sur lui. Il contemplait les lointaines montagnes enneigées et le sol caillouteux qui s'offraient à ses nobles pattes quand son attention fut attirée vers Mirette et Ankrolm. Avec vigueur, la gamine déversait sur son acolyte des mots qui ressemblaient à s'y méprendre à un torrent de feu. Le barbare gardait bouche close, mais entretenait un teint rouge brique. Il fixait avec insistance son gourdin et semblait à deux canines de se mettre à le ronger. Devant cet étrange spectacle, Krrkippaal accéléra puis se ravisa. Il reprit une cadence rapide et ralentit à nouveau, ses pas rythmés par sa légendaire couardise et par son envie de comprendre les raisons de la colère de la paysanne.

Se morigénant intérieurement, Krrkippaal décida qu'il était temps d'en apprendre plus sur ses compagnons. Il s'approcha furtivement afin de percevoir les propos de Mirette.

— ... un chemin sans issue. Nous devons continuer.

— Mais, Dame Fal Ka, protesta d'une voix faible le barbare, nous ne connaissons rien sur lui. Nous ne pouvons avoir confiance.

— Aie confiance en moi. Cela devrait te suffire.

Tandis que Ankrolm préparait sa riposte, la fillette aperçut Krrkippaal du coin de l'œil. Elle se retourna vers son compagnon et leva un doigt autoritaire.

— Il suffit ! susurra-t-elle. Et fais preuve de politesse désormais, ça nous changera.

Puis, Mirette – ou Dame Fal Ka – pivota vers le reptile et lui adressa un sourire céleste tout en retrouvant son ton enfantin coutumier.

— Tout va bien, petit chat ? Tu n'es pas trop épuisé ?

Krrkippaal répondit par un grognement qu'elle interpréta apparemment comme un signe de fatigue.

— Nous allons tantôt faire une pause, Krikri. Ankrolm me disait justement qu'il serait tout soudain l'heure du midi. Je te préparerai une légère collation qui te donnera des forces jusqu'au soir.

Nouveau grognement. Que répondre d'autre? pensa Krrkippaal.

Intérieurement, le reptile sourit. Il était parvenu à grappiller quelques menues informations que sa vive et peu commune intelligence avait vite déchiffrées. Mirette était une Dame et Ankrolm paraissait se méfier de lui. Mais pourquoi se faisait-elle passer pour une paysanne ? Et pourquoi donc ce barbare féroce et taciturne la suivait-il comme un fidèle chien de ferme ? Voilà les questions qui restaient en suspens.

Malheureusement, rien de bien épique ne semblait se dégager de cette affaire et seuls les soiffards des tavernes sentiraient leur cœur s'emballer pour un si maigre mystère. Aucune épée légendaire, pas de magicien et encore moins de dragon ! Cependant, et pour sa propre sécurité, il se devait d'en apprendre davantage. Trop nombreux étaient les récits dans lesquels un pauvre barde se voyait embobiner dans une histoire tortueuse et dont la tête finissait sur une pique à sécher au soleil. Il fallait alors faire cracher Ankrolm, car la Mirette restait bien trop méfiante. Et pour cela, il avait un plan.

Fier de son innocente manigance, il se frotta les mains et reprit sa marche.

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